Les Chartrons

 

 

 

P R O L O G U E

 

LAUDATOR TEMPORIS ACTI...

 

Par ce vers extrait de l'Art poétique, Horace fait ressortir le défaut ordinaire aux vieillards de se replonger dans leur passé.

J'ai vécu soixante-dix-neuf printemps de souvenirs intenses. Ils deviennent si présents que j'ai éprouvé le besoin de les faire partager.

L'écriture de ces anecdotes a été pour moi une grande joie car, pour obtenir les précisions qui manquaient, j'ai repris contact avec nombre de parents et amis perdus de vue depuis que j'ai quitté Bordeaux.

 Maintenant que vous savez mon âge, soyez gentils apportez-moi un coussin pour me caler les reins.

S'il vous plaît, mes charentaises et une tasse de tilleul bien chaud. Sentez ce bouquet ! Les fleurs en ont été cueillies à l'automne dans mon cher Moulin.

Et toi, sale chien, vas gratter tes puces ailleurs.

Écoutez les enfants. Je vais évoquer le Bordeaux mondain de l'entre-deux guerres, celui qu'ont vécu nos parents et leurs amis du Pavé[1].

Bordeaux connaissait alors son apogée.

Le cinématographe balbutiait. L'aéronautique était exclusivement militaire. Les bonnes sœurs portaient encore des cornettes et l'encaisseur de la Bor­delaise2, un bicorne.

Vous qui n'avez connu que les religieuses en minijupe et les banquiers en blue-jean, vous aurez parfois du mal à me suivre tant les mœurs ont évolué.

 

PÉDAGOGIE

 

L'éducation des enfants

 

La pensionnaire de l'Assomption

 

TRAIN DE MAISON

 

L'hôtel de la rue Ferrère

 

Souvenirs de vacances

 

La domestique

 

Les bonnes d'enfants

 

LA MODE

 

Présentation de la collection d'été de Miarka Sautier

 

La petite robe

 

Angèle

 

MONDANITÉS

 

Les mariages

 

Extrait d'un carnet de bal

 

Quelques soirées

 

Un grand bal

 

"Le Jour"

 

Le Cercle

 

Les représentations théâtrales

 

Les revues

 

La Salle Franklin

 

LES BONNES ŒUVRES

 

Mécénat mondain

 

La kermesse de Grand-Lebrun

 

La charité protestante

 

Bagatelle, la Maison de Santé protestante de Bordeaux

 

LE SPORT

 

Primrose

 

A l'écoute des chroniqueurs sportifs

 

Le hockey à Primrose

 

L'escrime

 

Le golf

 

Les concours hippiques

 

L'Automobile Club

 

La course Bordeaux-Madrid

 

Le tir au pigeon vivant

 

La mémoire d'un grand tireur

 

La chasse en Gironde

 

Récit d'une chasse à la bécassine en Bordelais

 

La Bécassine

 

La vènerie

 

L’Équipage de Saint-Raphaël

 

Le Rallye-Gascogne

 

Le Rallye Malleret

 

 

Le turf

 

La Société d'Encouragement de Bordeaux

 

La Société d'Encouragement du Club bordelais

 

La Société des steeple-chases de Bordeaux

 

Lointains souvenirs

 

Le dernier gentilhomme

 

 

É  P  I  L  O  G  U  E

 

LES DERNIERS JOURS DU BON VIEUX TEMPS

 

Bordeaux vivait les derniers jours du bon vieux temps.

Jours de sursis d'une liberté dont nos parents n'avaient pas conscience car elle était leur manière toute naturelle de respirer et de juger, d'aller et de venir.

Ces singuliers aristocrates, à l'autorité morale sans faille, font penser, par leur grandeur et parfois leur sens de la démesure, au héros du Guépard, le prince Salina, lorsqu'il disait : « Nous fûmes les guépards, les lions. Ceux qui nous succéderont seront les chacals, les hyènes. Et tous, tant que nous sommes, guépards, chacals, brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ! ».

Mais le monde a glissé dans une ère étrange et brutale où leurs formes de vie ne pouvaient plus apprivoiser le destin.

Après la dernière guerre, les réalités économiques, dans toute leur dureté, agiront pour modifier les hiérarchies et entraîner le déclin.

A cette époque, j'étais pensionnaire en Suisse dans un collège international aussi célèbre que coûteux.

Mes voisins de classe étaient le chah d'Iran et le fils d'Ali Khan, premier ministre du Pakistan et président de la Ligue musulmane23 .

Un jour est arrivé un télégramme me rappelant à Bordeaux. Mon père avait toujours eu les poches de son pantalon percées, cette fois-ci elles étaient en lambeaux. A notre tour nous étions ruinés !

Des révisions déchirantes s'imposeront. Elles seront suivies de souffrances. Mais la souffrance forge les âmes fortes et là, puisque je n'avais pu le faire encore, je rends hommage à ma mère qui nous a élevé en surmontant tous les obstacles. Sans se défaire de son sourire et sans jamais se plaindre.

 

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L’Iran a basculé dans l’Intégrisme : Reza Chah Pahlavi est mort en exil. Et Keo Khan, mon ami du Pakistan, a été égorgé par ses gardes.

La quasi totalité des propriétés et entreprises familiales de nos relations ont disparu ou ont été reprises par de grandes sociétés nationales ou internationales.

 

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Alors, sauf à quelques exceptions près, les nouvelles générations ne trouveront plus l'opportunité de travailler à Bordeaux ou même dans l'hexagone. Beaucoup partiront à l'étranger : aux U.S.A. comme au Mexique, en Afrique, au Moyen Orient ou en Australie. Et les liens d'amitié si solide qui unissaient nos familles depuis tant de générations brutalement se dénoueront.

Je pense avec nostalgie aux Faure dont l'ancêtre, Daniel-Vincent Pöhls, a parrainé dans les années 20... Mais de 1800, la percée à Bordeaux de Carl-Ulrich Auschitzky. Aux Johnston, dont Nathaniel, évidemment24, était si lié à Louis qu'ils décidèrent d'habiter côte à côte, il y a de cela quelques cent trente ans ! Aux Teisseire qui, aux temps de Daguerre et Niepce, ont initié mes aïeux aux joies de la photographie. Aux Cruse, aux Lawton, aux Luze, aux Schÿler, aux Eiffel et aux autres ; amis intimes depuis autant de générations, que mes enfants ne connaîtront que de nom.

Pour moi, ainsi que pour mes amis, ce n'est pas la page tournée sur une époque révolue qui nous chagrine. C'est - hélas - cette cordialité perdue à tout jamais.

Mais en dépit des avatars, il restera à nos descendants une culture toujours vivante, nourrie de traditions familiales, à l'expérience indispensable pour mieux aborder l'avenir.

Nous avons voulu leur remettre en mémoire notre tribu à travers ces quelques anecdotes maladroitement écrites.

 

                                                                                                       Le Moulin de la Tronstière,

                                                                                                       Décembre 2008


 

 


 

[1] - Aujourd'hui, le cours Xavier Arnozan.

2 - La Société Bordelaise de Banque.

23 - Lorsqu'il assistait aux cours, ses gardes de corps - deux malabars - se mettaient en travers de la porte.

24 - Dans cette famille, ils portent tous le prénom de Nathaniel. Il pourrait s’agir, ici, de Nathaniel II.