Histoire des Chartrons

 

 

 

 

Quelques soirées

 

- Frank, mon grand, avez-vous remercié Madame Calvet ?

- ...

- Je vous prie de le faire immédiatement sinon vous ne serez plus invité.

 

Mais le soir même, déguisé en apache - comme tous les amis de son groupe - il se rendait en surprise-partie chez les Edouard de Luze, à Peixotto, une chartreuse historique du XVIIIe (aujourd'hui, la mairie de Talence).

Sur le coup de neuf heures du soir, une longue théorie d'autos silencieuses se présentait à la grille du parc et en quelques minutes déversait une horde de gens à mine peu rassurante.

Après un instant de crainte parmi les gens de maison, un colloque s'engagea entre le chef aux épaules de géant qui étouffe à grand peine un sourire bienveillant et malicieux... et la maîtresse de maison. Ce "costaud" n'est autre que son frère qui a montré patte blanche.

Les portes s'ouvrent et comme dans un conte de fée, les baies vitrées de Peixotto scintillent de mille lumières et ce monde aux allures inquiétantes s'installe dans le ravissant décor, au milieu de toutes les merveilles d'art ancien.

Un jazz entraînant scande la Valse brune des chevaliers de la lune et pré­luda par ses ac­cents à la plus charmante et la plus originale des réunions.

 

÷

 

Lundi, chez les Goelet, au Chapeau-Rouge, c'est un bal de la Révolution qui voit les danseurs s'arrêtant au milieu d'un charleston, brandir un écriteau, "Régime sec, la plus grande révolution du monde", et l'oncle Sam apparaître, tenant enchaînés vins, alcools, sommeliers et barmen. Les défenseurs et les martyrs de la prohibition sont Mmes René Dubos (rhum Négrita), Gérard Chalès (whisky Johnny Walker), Georges Isnard (château Latour), Edouard de Luze (cognac Hennessy). On sait s'amuser en ce mois de février 1927, dans les salons bordelais, d'une politique qui coûte extrêmement cher à bien des maisons mais qui trouve aussi, dans une fraude fréquente, sa parade. Il faut rappeler que Goelet, le gendre de Daniel Guestier, était un Amé­ricain qui n'appréciait guère la prohibition10.

 

÷

 

Jeudi, Jacques Le Tanneur qui vient de publier « Les Heures Bordelaises », chronique mondaine des années vingt, recevait dans son coquet appartement de la place Gambetta arrangé avec un goût parfait. Un décor ancien et un confortable moderne.

 

 

A ses quelques amis réunis, le peintre Arrué dont l'exposition nous charme actuellement, parla du Pays Basque. Dans la salle à manger tendue de camaïeux rouges, dans le reflet des vieux cuivres et des porcelaines sur les vaisseliers bretons, il nous semblait, en écoutant l'admirable évocateur, apercevoir la côte abrupte frangée d'écume, les collines grises et les maisons blanches du pays aimé des artistes, des peintres, et si bien chanté par Loti.

 

÷

 

A chacune de ces réceptions, nous retrouvons les mêmes invités.

 

publié dans

 le 2 août 1993.


 

10 - Paul Butel. "Les Dynasties bordelaises". op. cit. p 328.