Histoire des Chartrons

 

 

 

 

Les mariages

 

 

Ah ! Les mariages. J'ai été si souvent garçon d'honneur qu'il serait maintenant impossible d'en faire un inventaire même approximatif. Il y eut ceux de proches, comme Simone Auschitzky, puis son frère Guy, Jacques Boué, Etc. Mais aussi ceux de parents plus lointains ; d'amis et même d'amis d'amis. Je savais descendre l'allée centrale derrière le suisse, juste devant la mariée dont je portais le missel. Je secourais ces godiches de demoiselles d'honneur qui ne savaient pas quêter.

La cérémonie religieuse était suivie d'un déjeuner où, traditionnellement, Abel Auschitzky ou Albert Gaucher-Piola, deux avocats brillants, deux bâtonniers, prenaient la parole. Au dessert, ils se levaient et disaient : "Je serai bref"… Mais ils ne l'étaient guère.

J'étais un inconditionnel de Panajou, le photographe des allées de Tourny, car chaque fois, j'y retrouvais – en vitrine – une ou deux photos où je posais devant la mariée du jour.

Les parents m'avaient acheté un costume Eton qui pouvait servir pour les mariages standards. Ce costume avait coûté cher, et estimant qu'il n'était pas entièrement amorti, on m'en a encore une fois affublé pour ma communion solennelle. Grand-mamie avait fait des prodiges pour le mettre à ma taille. N'empêche que ce jour-là; j'étais bien boudiné.

Nous avions tous les deux 20 ans. Elle était très belle, intelligente et vive. Je l'aimais comme un fou. Nos parents étaient liés depuis plusieurs générations. Rue Ferrère, elle était chez elle et chez elle j'étais reçu comme un fils. En soirées – dans les salons des hôtels qui bordent le Jardin Public – il a pu nous arriver de danser cheek to cheek, mais jamais nous ne nous sommes embrassés autrement qu'à travers les lettres enflammées que l'on s'envoyait pour des motifs futiles.

Notre amour était pur, sincère, solide, immense, et pourtant  nous n'avons jamais envisagé de nous marier. Elle était protestante et je suis catholique.

J'ai quitté Bordeaux. Nous nous sommes encore écrits plusieurs fois, puis les lettres se sont espacées. Voici quelques années, lorsque sa mère est morte, je lui ai fait part du chagrin que me causait sa perte. Elle m'a tout de suite répondu. En retrouvant cette écriture que je chérissait tant, j'ai pleuré. A Bordeaux, où la société qui se côtoie dans les soirées est formée de différentes confessions, trop d'amis ont vécu cette tragédie. Certains ont abdiqué leur religion, d'autres lui ont sacrifié leur amour.

C'est le 28 avril qu'a eu lieu, au milieu d'une très élégante et nombreuse assistance, le mariage de Thérèse Anne Marguerite Mestrezat avec Arthur Johnston. C'est au temple de la rue du Hâ, coquettement décoré pour la circonstance, que se déroula cette belle cérémonie.

L'épouse – qui portait une robe de dentelle grège, ravissante, et un très joli chapeau en bankok mordoré – fit son entrée au bras de son père, M. James Mestrezat ; le marié offrait son bras à sa mère, Mme Henri Johnston.

De façon émouvante, le Pasteur Vièles sut exprimer, dans une remarquable allocution, ses meilleurs vœux de bonheur aux jeunes époux et leurs familles.     

 

Publié dans

le 25 juillet 1993.