La chasse en Gironde
Il faut se souvenir que la Gironde est le département français qui compte le plus de chasseurs, comme en fait foi le nombre de permis de chasse délivrés chaque année. Que le chasseur girondin est un peu braconnier.
Dans les fermes du sud-ouest les fusils sont placés au-dessus de la cheminée et tous les jours de la semaine les occasions sont bonnes pour aller faire un petit tour. Cette passion a même eu des influences politiques puisqu'on affirme que lors de l'occupation par les Allemands, le fait qu'ils aient réquisitionné les fusils (qui dans certain cas n'ont jamais été récupérés), a créé un état de fait qui a empêché beaucoup de Girondins de coopérer avec l'occupant.
Depuis, se sont perdus tous les lièvres, lapins, faisans et perdreaux. Ce n'est que dans des enclos réservés à la chasse que l'on peut s'amuser encore... mais c'est surtout le chien qui s'amuse !
Nos chasseurs doivent se contenter du gibier de passage, à l'aller à partir d'août, et au retour à partir de février : grives, alouettes, palombes, tourterelles, cailles, bécasses et toute la sauvagine autorisée : canards, bécassines, vanneaux et j'en passe. Ce que l'on appelle le couloir girondin, bordé d'un côté par l'océan et de l'autre par l'estuaire et la rivière, permet par certains vents de passages importants d'avoir de bonnes journées dans les marécages ou dans les bois de Bordeaux. C'est surtout la sauvagine, bécassines et canards, grives et vanneaux qui passent selon le vent.
... Mais, fait curieux, c'est toujours la veille ou le lendemain du jour que vous aviez choisi pour chasser qu'a lieu le passage.
On peut dire que la palombe et la bécasse se chassent dans les bois, tandis que la sauvagine, canards, bécassines, grives et vanneaux sont chassés dans tous les points d'eau qui invitent les migrateurs à se poser dans leur endroit de prédilection.
La tourterelle, qui descend vers le sud début septembre et remonte vers le nord en avril mai, a été classée - quand Mandel était député de la Gironde - comme un animal nuisible et on a autorisé le Médoc à chasser la tourterelle pendant la période de nidification. Il ne faut pas oublier que, puisque c'était un oiseau nuisible, nous étions obligés de l'enterrer dès que nous l'avions tuée, et que personne n'était autorisé à l'emporter chez lui pour le manger.
Ceci a permis deux saisons à certaines villes, comme Soulac et Le Verdon, où il n'y avait autrefois que la saison estivale. Vint ainsi le mois de mai où tout le monde venait chasser la tourterelle. Ce n'était pas une chasse traditionnelle car si la tourterelle, canalisée par l'océan et l'estuaire, arrivait saine et sauve au Verdon, il était interdit de la chasser en Charente Inférieure.
Le gibier dont pouvait profiter le Girondin était l'alouette que l'on pouvait chasser aux pentes, les grives qui aimaient le raisin des vignes bordelaises et qui après les vendanges mangeaient ce que nous nommons le reverdon, puis se levaient complètement soûles devant le fusil qui allait les tuer.
La bécassine commune est plus abondante. La bécassine sourde, que nous nommons rebec, est redoutable pour le chasseur et le chien, et les bécassines doubles sont très rares dans nos régions car les meilleurs chasseurs n'en ont guère tuées plus de cinq dans leur vie. La bécassine commune, qui part en faisant trois crochets, est très difficile à tuer. Nous avons eu deux grands chasseurs de bécassines, Henry Lawton et Pierre Cayrou qui ont fait des vers et des sonnets sur la bécassine que j'ai inclus en tête de ma chronique et dans celle qui va suivre.
Il y a autour de Bordeaux des marais, celui du tombeau des canards à Blanquefort, celui de Bordes, celui du Tasta, de Parempuyre et de Vendays. Autrefois il y avait ceux de Lescure, où à présent se dresse le stade municipal. Par contre, subsiste encore le marais de Bordes qui comprenait 400 hectares mais qui n'en a plus que 150 aujourd'hui. C'est là que chassent la famille Lawton et leurs invités et qu'il y a un livre de chasse qui date de 1895. Cette chasse fêtera cette année sa 40 000 ème bécassine, pendant que Jean Lawton, le recordman, fêtera sa 8 000 ème ! Dans ces chiffres, il y a toujours vingt pour cent de bécassines sourdes, le reste étant la bécassine commune.
La bécassine se chasse en petites traques dans des "barails" ou dans des prés, certains chasseurs faisant la battue à tour de rôle tandis que d'autres sont postés. On la chasse aussi quelquefois à la passée du soir, mais pas très souvent afin de ne pas gêner ces oiseaux dont le premier passage de situe à la Madeleine, le 4 août, quand la chasse est encore interdite, mais qui peut nous préparer une ouverture agréable si les marais ont déjà suffisamment d'eau. Le deuxième passage ayant lieu en octobre. Les lois européennes ne nous permettent plus maintenant de chasser au retour puisque cette année 1993 la chasse a fermé le 28 février, et l'on parle pour l'an prochain du 31 janvier.
Il y a une autre chasse traditionnelle, c'est la chasse à la tonne, que l'on appelle dans le Nord la chasse au gabion, qui a lieu la nuit. Le nom de tonne vient de ce que les premiers abris étaient faits d'un vieux tonneau de vin.
Le vanneau se chasse, quand à lui, aux pentes et avec des oiseaux vivants. J'en profite pour rectifier un vieux dicton qui dit : « Qui n'a pas mangé de vanneau n'a pas mangé de bons morceaux ». Le dicton est faux, il faudrait dire : « Qui n'a pas mangé d'œufs de vanneau n'a pas mangé de bons morceaux ». Le vanneau est en effet immangeable et ne peut être fait qu'en salmis. Par contre la bécassine et le rebec sont des oiseaux merveilleux qu'il faut manger le plus frais possible.
Les grands chasseurs bordelais ont été : les Lawton, dont j'ai déjà parlé, Durand Dassier, certains Cruse, bien que beaucoup d'entre eux préfèrent la chasse à cour, les Calvet, Amezaga, Auschitzky, Paul Devès et j'en passe.
La chasse à la bécassine se passe en bois et cela est un régal pour le chasseur et son chien. La chasse à la tonne a ceci de particulier, c'est qu'il est vraiment merveilleux d'entendre l'incitation des appelants qui font poser le vol qui se préparait à émigrer.
© Jean Lawton.