Lointains souvenirs
Nous nous rendions assez souvent en famille aux courses du Bouscat. Papa donnait à chacun de ses enfants une piécette pour le P.M.U.. Michelle jouait les casaques. Mon frère et moi, nous partions à la recherche de quelques turfistes avisés qui accepteraient de nous donner un tuyau. En général nous nous arrêtions à Jacques de Lavaux, le seul que nous connaissions. Invariablement, il nous recommandait le cheval de son beau-père, Louis Horeau. Nous n'avons pas fait fortune !
Après les courses, nos amis savaient qu'une collation était organisée à leur intention à la maison. Nous habitions alors rue Calypso au Bouscat une villa cossue qui sera reprise par Raoul Carlsberg.
C'était la guerre et nous crevions de faim pourtant la réunion se terminait souvent par un dîner improvisé organisé selon un rituel devenu classique : Baba Guestier allait déterrer quelques radis maigrichons, Jacques de Mareilhac, le starter, secouait nos arbres jusqu'à ce qu'il en tombe deux ou trois pommes véreuses. Plus loin, Trot Ballande, du haut de son mètre cinquante, armé d'un couteau suisse à huit lames, allait tuer un lapin squelettique qui constituerait le plat principal. A table, nous n'avions plus de pain, chacun poussait avec son pouce et le léchait ensuite pour ne rien laisser perdre, sauf Christiane Guestier qui utilisait, quand elle ne pouvait faire autrement, son auriculaire armorié et manucuré. Pour le dessert, nous avions soit un gâteau de carottes, soit une tarte au tourteau, un résidu des grains servant à faire de l'huile, un cadeau fort apprécié de Toto Peyrelongue.
Je vous en conjure, ne le dites pas au Président, mais une ou deux fois par semaine, pour nourrir nos lapins (les futures victimes de Trot), nous allions chaparder de l'herbe à l'hippodrome.