Histoire des Chartrons

 

 

 

 

Le Cercle

 

La transposition des clubs britanniques a connu un succès tout particulier à Bordeaux, ville atteinte d'anglomanie profonde.

La tradition veut que l'Union, dont les salons étaient situés 2 fossés de l'Intendance, ait été le premier des clubs bordelais. Fondé en 1834 par des Légitimistes, ses présidents ont été MM. Nairac, Journu, Dubois, E. de Chancel, le baron de Savignac, Joseph Blanchy, le marquis de Lur-Saluces, A. de Sèze, le marquis de Chabans, et enfin le comte P. de Lur-Saluces.

Tout proche, siège le New-Club créé en 1850. Il s'appellera successivement Whist-Club, New-Club, Nouveau-Club et New-Club-Comédie. Le baron de Pelleport-Burète, son fondateur, a fixé de très strictes règles d'admission d'autant que l'on y joue gros jeu. Ce sont les membres du New-Club qui ont lancé la Société des steeple-chases, laquelle organise des courses de chevaux au Bouscat où elle a fait aménager un hippodrome.

Le concurrent du New-Club est le Club bordelais fondé en 1840 par Théodore Journu qui aura pour successeurs Bellus-Mareilhac, A. de Carayon-La-Tour, Daniel Guestier, Edmond Blanchy, et enfin Daniel Guestier. C'est à lui que les amateurs de courses de chevaux doivent la création de la Société d'Encouragement.

En 1926, le Cercle de l'Union et le Club Bordelais se regroupent afin d'établir une équitable répartition des places dont ils sont colocataires au Grand-Théâtre et au Français. Car les Bordelais de la haute société fréquentent assidûment ces deux salles tout comme ils suivent avec passion les courses de chevaux et, plus tard, les concours hippiques13.

L’U.C.B. est né. Ses présidents seront successivement : Le marquis du Vivier, Joseph Mareilhac, Daniel Guestier et le marquis du Vivier.

Maintenant que nous connaissons l'origine du Cercle, je vais vous faire découvrir ce haut lieu que j'ai fréquenté dans les années 60. Si vous n'en êtes pas membre soyez attentifs car les statuts de l'U.C.B., dans son article 12, précisent que ne peut être introduite dans les salons ou les loges du Cercle toute personne domiciliée à Bordeaux.

L'entrée se situe sous le péristyle, le long du cours du Chapeau-Rouge, par une porte grise, semblable à des dizaines d'autres portes. En bas à droite, une plaque de cuivre sur laquelle est gravée "Union Club bordelais". C'est cela, le charme discret de la bourgeoisie.

Nous y serons accueillis, dans l'immense vestibule classé, par son président, le marquis du Vivier. Propriétaire du château Malleret, cet homme à l'élégance très britannique, d'un maintien aristocratique, préfère pourtant le xérès au pur malt. A droite, l'escalier en boiserie permet de pénétrer dans la grande bibliothèque pleine de livres anciens richement reliés. Le long de celle-ci, les fauteuils Louis XV n'attendent que des lecteurs.

Au même étage, les salons de jeux : quatre tables de bridge et deux tables de poker. Mais attention, seuls les jeux de commerce sont autorisés, ceux du hasard sont prohibés. Il est formellement interdit de jouer sur parole. Et les dettes de jeux doivent être réglées dans les 24 heures.

La salle à manger trône au deuxième étage. magnifique, en rotonde, elle comporte une dizaine de tables et peut accueillir quarante convives. La vaisselle est en porcelaine de Limoges, les verres en cristal et les couverts en argent. Ce restaurant n'est ouvert que pour le déjeuner, uniquement en juillet et en août. Les deux mois où les hommes se retrouvent seuls, les femmes profitant de l'été pour séjourner dans leurs propriétés du bassin d'Arcachon. Il faut signaler qu'à l'image des clubs anglais, l'Union Club est interdit aux femmes, à l'exception de la salle de restaurant. Les "Unionistes" ne prennent pas de gros risques. Ils savent qu'ils ont peu de chance de les croiser dans Bordeaux à une telle période.

Pour terminer le tour du propriétaire, il faut signaler, au troisième étage, la salle de billard, indispensable à tout cercle digne de ce nom. N'oublions pas que le billard était un jeu noble sous l'Ancien Régime, souvent associé au jeu de paume. Louis XIV en personne était, dit-on, un spécialiste...

On le voit, un ensemble de qualité, pour le saint des saints de la bourgeoisie bordelaise, sur lequel veillent les portraits des anciens présidents, ceux-là même qui cré**èrent ce cercle à l'image du Jockey Club de Paris et qui voulurent rassembler les hommes de bien nés et les amoureux du cheval. Car c'est une tradition à l'Union Club, le président est également président de la Société des Courses de Bordeaux. Daniel Guestier possédait la plus grosse écurie de France avec 150 chevaux. « Un des rares à gagner de l'argent de sa passion14 ».

Une fois par an le cercle accueille les épouses de ses membres. C'est une journée qui s'organise de longue date.

Les femmes s'en réjouissent et préparent toilettes et bijoux qui doivent marquer l'événement.

Le comité s'agite jusqu'au dernier instant pour que les salons soient briqués, rangés et bien fleuris.

Que la fête commence !

Les salons se remplissent et c'est alors un ballet de baisemains et de mondanités accompagné de champagne. L'ambiance est des plus cordiales.

Soudain, un maître d'hôtel annonce cérémonieusement le repas. Chacun prend place autour de la grande table fleurie. Ma mère, présente cette fois, s'est assise d'office à côté du vieux marquis de Lur-Saluces qui est membre du cercle depuis sa fondation. Leur intimité date du jour où le Président Lawton a suggéré l'idée de les "accoupler" dans les dîners : elle était seule, le marquis aussi. Inviter l'un ou l'autre en célibataire déséquilibrait une table. Tous ont été satisfaits... particulièrement ma mère qui se faisait raccompagner en Rolls (Baba Guestier disait d'eux : « Le duo infernal »).

 

Dans une loge au Grand-Théâtre

 

Les plus prestigieux châteaux, dans leurs meilleurs millésimes, étaient servis par un sommelier attentif dans l'un des quatre verres en cristal placés devant chaque convive. Je me souviens surtout d'un fabuleux Yquem 1945 accompagnant ce jour-là des foies gras poêlés aux raisins. Ces derniers venaient de chez les demoiselles Capdeville de Saint-Sever, et c'est Max de Roquefeuil, trésorier du cercle et grand organisateur de la réunion, qui les avait choisis.

 

publié dans

 le 30 juillet 1993.

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Et puisque j'ai évoqué mon adorable cousin Max, permettez-moi de vous raconter une anecdote. L'un et l'autre, nous avions dit, une fois, que nous nous rendions au cercle, mais ce n'était pas vrai. En réalité, nous sommes allés à l'Alhambra assister à un match de catch. Pour faire "peuple", Max avait mis une casquette dont il avait déboutonné la visière, moi j'avais relevé le col de mon manteau en cachemire bleu. Pour faire "voyou" nous mâchions du chewing-gum. Nous étions assis au premier rang, au pied du ring où l'Ange Blanc affrontait le terrible Bourreau de Béthune. Aussi excités l'un que l'autre, on huait le méchant et on encourageait le bon. Avant la reprise, le Bourreau, les yeux injectés de sang, s'est approché de nous deux et il a menacé de nous réduire en chair à saucisse si l'on continuait à le titiller. Lâches, nous n'avons plus rien dit jusqu'à la fin du combat. Imaginez la tête de Tante Jehanine si au lieu de son Max chéri, tout entier, on lui avait apporté du hachis !


 

13 - Albert Rèche. « Naissance et vie des quartiers de Bordeaux ». Editions Seghers 1979.

14 - Périssé et Duglas. "La Privilégiature".