Histoire des Chartrons

 

 

 

 

La mémoire d'un grand tireur

 

Quoi qu'ayant été quelques temps vice-président du Tir d'Arcachon et président du Tir de Biarritz, ce sont des tirs que je fréquentais peu, préférant les grandes compétitions internationales.

Je suis trop jeune pour avoir connu le Tir du Golf de Bordeaux, par conséquent les quelques anecdotes que je vais conter ne seront pas locales.

A l'origine, le tir a été créé pour permettre aux chasseurs de s'entraîner en période de fermeture de chasse et, en effet, les grandes compétitions, à l'exception du tir de Monte-Carlo qui ouvrait ses portes en février et mars, ont toujours eu lieu d'avril à juillet.

Le milieu du tir était d'une gaieté de bonne compagnie. Les gens qui le fréquentaient avaient à la fois de l'argent et des loisirs. La plupart étaient de joyeux propriétaires terriens.

Quelques aventuriers s'y introduisirent après la guerre. En premier lieu de grands tireurs hongrois ruinés par la révolution. Le plus fameux fut Istrau Strassburger, dit Pistra, célèbre par son élégance, sa désinvolture et ses succès féminins.

Il eut le bonheur de mener la grande vie jusqu'à sa mort, sans même avoir un sou. Je me rappelle, un soir au casino de Monte-Carlo, à une grande table de baccara, Pistra suit une main, prononce "banco" sans avoir un centime devant lui et, après avoir perdu, devant l'insistance respectueuse du croupier, il s'empare en riant de l'énorme tas de jetons de son voisin de droite, un milliardaire américain bien connu, afin de régler sa dette. Le cow-boy, un peu gris, éclata de rire confondu par cette désinvolture de grand seigneur. Pista ne l'aurait jamais réglé, mais l'homme de l'ouest, persévérant, venait tous les jours au tir, et lorsque Pistra gagna cette année le Grand Prix, il était derrière lui à la caisse et il put ainsi récupérer ses fonds...

 

coll. Jean-Marie Bourgès

 

Tir au pigeon de Monte-Carlo

De gauche à droite : Del Gratta, président du Tir de San Remo ; Jean-Marie Bourgès, champion de France ; Carola Mandel, championne du Monde ; Otto Bruc et Albert Nessa.

 

Je me souviens aussi qu'à cette époque, une charmante jeune femme, qui répondait au délicieux surnom de "Minette", suivait les tirs (pour les dames, depuis toujours, l'entrée des prix est gratuite) et soulevait de grandes passions.

Cette saison là, à Monte-Carlo où nous passions à peu près tout l'hiver, Minette arriva suivie des deux amours de sa vie : un des plus beaux noms de France et un grand tireur irlandais. Minette les convoqua et leur tint ce propos : « Vous êtes de bons amis. Quand à moi, je viens pour la compétition (elle était très experte au tir), je désire cette année tirer tranquille, aussi je vous propose - en bons camarades que vous êtes - de ne plus vous quitter, ainsi nous serons en forme tous les trois ». Les deux compères, jaloux comme des tigres, devinrent inséparables. On ne les voyait plus l'un sans l'autre... Pendant ce temps, Minette passait de joyeuses nuits avec un troisième, mais plus discret larron, dont je tais le nom car il est encore de ce monde.

Ces histoires nous entraînent bien loin de Bordeaux. Cependant il ne faut pas oublier que le plus grand tireur de la belle époque fut bordelais. C'était le baron Journu, qui eut deux petits-fils qui n'ont pas tiré le pigeon mais qui furent de grands chasseurs : Roland Journu et Alain Blanchy qui chasse toujours et qui joue avec succès à la pala et au golf.

© Jean Marie Bourgès.