LA BÉATIFICATION D’ÉMILIE DE VIALAR
Nous aurions voulu consacrer une partie
de cette chronique à l'instruction du procès de canonisation de
notre tante et nous en avions informé les Soeurs de |
Mais plus les recherches avançaient, plus nous trouvions de pièces d'archives - souvent inédites - à reproduire in extenso. Ainsi le seul "Articuli ad documentum de vita et de virtutibud in specie" fait 147 pages. Ce chapitre, pour être aussi complet que possible, ferait 4 ou 500 pages... C'était beaucoup trop !
En outre, nous nous écartions du but que nous nous étions fixés, il y a de cela déjà une dizaine d’années, lorsque nous nous sommes lancés dans cette vaste saga. Nos travaux de vulgarisation devaient faire une cinquantaine de pages ; ils les ont fait, mais au prix de cette omission qui n'est pas un oubli...
Nous ne nous écartons que provisoirement de ce procès. Il a été édifiant et passionnant. Un jour, nous espérons, nous pourrons le relater en entier.
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Pour bien comprendre ce qui suit, il faut se rappeler le déroulement d'un procès de canonisation.
Les premières démarches sont faites par l'évêque du diocèse ou le (la) supérieur(e) de la congrégation, et une information locale est ouverte. Les résultats du procès diocésain sont transmis à Rome, où la congrégation des rites reprend l'examen de la cause. Si elle le juge à propos, elle déclare cette cause "introduite", et la personne qui est l'objet du procès est proclamée "vénérable". L'étude de la cause peut alors être poursuivie. S'il appert des débats que le serviteur ou la servante de Dieu ont pratiqué toutes les vertus chrétiennes à un degré héroïque et que de plus deux miracles au moins ont été obtenus par leur intercession, la congrégation conclut à la "béatification", et le "bienheureux" est entouré de nombreuses restrictions.
Un certain temps après la béatification s'ouvre le procès de canonisation. Celui-ci comporte l'examen des écrits du bienheureux, la critique de sa vie et de ses vertus, et la discussion approfondie des miracles obtenus par son intercession. Le promoteur (l'avocat du diable) est chargé de présenter les objections. Les débats ont lieu devant trois consistoires successifs, présidés chacun par le pape. Lorsqu'ils sont terminés, et que les cardinaux ont donné leur avis, le pape prend sa décision et indique le jour où doit avoir lieu la cérémonie de la canonisation.
Cette cérémonie solennelle est suivie d'une bulle pontificale, qui porte à la connaissance de la chrétienté le décret rendu en faveur du nouveau saint.
Les théologiens s'accordent pour ranger les canonisations solennelles parmi les décisions qui ressortissent au magistère infaillible de l’église et du pape : elles sont donc irréfutables et matière de foi.
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Mars 1939 - Le Frère Frédéric-Marie Le Hingrat recevait ce billet :
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Il attendait ce jour impatiemment. Déjà vieux Français de Rome, il n'ignorait pas que les invités sont rares : 500 au plus pourront être admis. Il ira à la cérémonie.
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Nous sommes le dimanche 18 juin 1939.
Le temps pluvieux jusqu'alors s'est mis de la fête. Un soleil radieux enveloppe les beautés de Rome et sa chaude splendeur.
La cérémonie est fixée à 10 heures. Dès huit heures du matin par petits groupes : ecclésiastiques, religieux et religieuses, pèlerins, fidèles, traversent l'immense place Saint-Pierre et viennent prendre place dans les tribunes qui ont été aménagées pour la circonstance. Dans celle de droite prennent place les membres de la famille de la Bienheureuse, une cinquantaine environ. Signalons la présence du baron de Warenghein de Flory, camérier secret de cape et d'épée de Sa Sainteté, légitimement fier d'accomplir à cette occasion son service dans la basilique vaticane.
Trois tribunes sont réservées à la famille religieuse de Mère de Vialar, largement représentée comme il convient, avec l'ancienne et l'actuelle Supérieure Générale, tout le Conseil de la Maison-Mère, les supérieures régionales, de nombreuses supérieures locales et de plus nombreuses religieuses accompagnant des groupes de pèlerins. Les quatre parties du monde sont ainsi représentées : la France, l'Italie, l'Angleterre, la Grèce, la Bulgarie, Malte, la Tunisie, Tripoli, l’Égypte, la Syrie, la Palestine, la Birmanie et l'Australie ont envoyé d'importantes délégations. On remarque quelques religieuses indigènes, fruits de la mission de Birmanie.
Parmi les pèlerins ou pèlerines, plusieurs confessions sont représentées : musulmanes, orthodoxes, juives prennent place dans la maison de l'unique Pasteur autour de la confession de Saint Pierre. Toutes revendiquent l'honneur d'être les enfants de la nouvelle Bienheureuse et veulent assister à son triomphe.
Albi, diocèse d'origine d'Emilie de Vialar, est représenté par son digne archevêque, Son Excellence Mgr Cézeac. Son Exc. Mgr Leynaud est venu après le splendide congrès d'Alger apporter le témoignage de reconnaissance de l'Algérie. Enfin, Son Exc. Mgr Delay avec Mgr Blanc, Mgr Grenouillet et Mgr Rampal, vicaires généraux ; M. le Chanoine Soins, secrétaire de l’Évêché ; M. le Chanoine Milhavet, aumônier de la Maison-Mère, représentent le diocèse de Marseille. Remarquons encore M. le Chanoine Jalabert, vicaire général d'Albi, M. le Chanoine Jacquier, secrétaire général de l'Archevêché d'Alger, M. l'abbé Descroix, doyen de Sfax.
La Basilique est magnifiquement illuminée. Des centaines de lustres forment des guirlandes de lumière qui montent le long des colonnes pour aller se rejoindre dans les hauteurs des voûtes. L'ensemble est féerique. Pour l'instant, la gloire du Bernin, brillamment éclairée, encadre un voile de couleur jaune paille.
De chaque côté des piliers antérieurs de la coupole pendent deux grandes tapisseries sur lesquelles ont été peintes les scènes des miracles retenus pour la béatification. La première représente la guérison instantanée d'une ouvrière, Yolanda Della Santa, à Lucques, en 1926. La jeune fille était atteinte d'une ostéomyélite aiguë des vertèbres cervicales, compliquée de méningite. Le mal disparut sous l'imposition d'une relique de la Bienheureuse. Le second tableau représente le miracle dont fut l'objet, en 1926 également, une petite orpheline syrienne, Hanné Elias, qui se mourait d'une typhoïde à forme cérébrale. L'apposition d'une image de Mère Emilie de Vialar et les prières de l'entourage lui firent recouvrer instantanément la santé.
A l'heure annoncée, le cortège s'avance : Voici les Eminentissimes Cardinaux ayant à leur tête le vénéré doyen, Son Éminence Granito Pignatelli di Belmonte, Mgr Delay, évêque de Marseille, qui célébrera la messe pontificale, le Cardinal Tedeschini, archiprêtre de la basilique Saint Pierre, ferme la marche.
Les prélats composant le Chapitre de la Vaticane prennent place dans l'abside du côté de l’Épître, tandis que les membres de la Sacrée Congrégation des Rites se tiennent du côté de l’Évangile sur des bancs recouverts de tapisseries rouges.
Le dévoué postulateur de la Cause, le R.P. Miccinelli S.J., accompagné de Son Exc. Mgr. Carinci, secrétaire de la Sacrée Congrégation des Rites, s'approche alors de S. Em. le Cardinal Salotti, Préfet de cette même Congrégation, pour lui remettre la lettre apostolique en forme de bref et le prier d'en ordonner la lecture. L'Eminentissime Préfet renvoie S. Exc. le Secrétaire et le Postulateur à S. Em. le Cardinal Tedeschini, Archiprêtre de la basilique, pour obtenir la permission de lire le document dans la basilique.
La lecture fut faite par Mgr. Grosso, chanoine de Saint. Pierre, du haut d'une petite tribune dressée à mi hauteur de l'abside. Sa Sainteté Pie XII, après avoir fait mention de la vie, des vertus héroïques, des miracles et de la magnifique activité apostolique de la Vénérable, déclarait l'inscrire au nombre des Bienheureux.
La lecture terminée, toute l'assistance se lève et tandis que S. Exc. Mgr. Delay entonne le Te Deum, une relique de la Bienheureuse est placée sur l'autel ; au même instant le voile qui recouvrait la gloire tombe et la bienheureuse apparaît dans le soleil du Bernin... Instant inoubliable que les mots ne peuvent exprimer ! Là-haut, la Bienheureuse Emilie de Vialar, les yeux au ciel, les mains croisées sur la poitrine, entourées d'anges gracieux qui se perdent dans les nuages, au milieu des lumières multiples d'une centaine de lustres, nous apparaît comme une vision du ciel.
L'émotion est à son comble.
En même temps, une tapisserie représentant la Bienheureuse au milieu des anges, avec au-dessous la basilique de N.-D. de la Garde, la Cathédrale de Marseille et la Maison-Mère est exposée dans la loge extérieure de la basilique qui domine toute la place Saint-Pierre.
Cependant le chant de l'hymne ambrosien se poursuit à l'intérieur... In te domine speravi... En toi j'ai espéré... Les sentiments qui ont animé la vie entière de Mère de Vialar sont en quelque sorte orchestrés par l’Église dans sa liturgie la plus solennelle.
Le célébrant chante ensuite le verset et l'oraison propres à la nouvelle Bienheureuse, il encense la relique, l'image lumineuse, puis dépose la chape et revêt les ornements pontificaux en vue de la célébration de la Sainte Messe.
Pour cette sublime fonction, S. Exc. Mgr Delay est assisté par les chanoines de la basilique vaticane : Mgr Georges de Bavière y joue le rôle de prêtre assistant, Mgr Descuffi remplit les fonctions de diacre et Mgr Fontenelle celles de sous-diacre. La messe est célébrée à l'autel de la chaire de Saint Pierre, ainsi nommé parce que la table de Sacristie est surmontée d'un énorme siège en bronze soutenu par les statues des quatre grands docteurs de l’Église et qui renferme la chaire en bois qui a servi au prince des Apôtres.
La messe Dilexisti du commun des Vierges est chantée magistralement par les chœurs de la chapelle Julienne. Mgr Delay redit l'oraison propre à l'Héroïne du jour, le sous-diacre chante des paroles qui font penser à ceux que l’Église met à l'honneur : Qui gloriatur, in domino glorietur... L’Évangile nous parle des vierges sages et des vierges folles et nous demandons à la vierge sage qui domine tout là-haut, au centre du Bernin, d'entraîner à sa suite un grand nombre d'âmes généreuses qui garderont jusqu'au bout leur lampe bien brillante, et bien éclairante.
La messe terminée, l'imposant cortège pourpre, violet, noir, blanc et or quitte l'abside dans une splendeur de lumières incomparable tandis que l'orgue fait entendre ses accords les plus majestueux. Peu à peu les tribunes se vident, la foule remplit la place St. Pierre pour se disperser ensuite non sans un dernier regard à l'étendard de la Bienheureuse qui se balance au-dessus de tout ce peuple venu pour assister à son triomphe.