Histoire Vialar

 

 

 

RÉVÉLATIONS SUR LES MOTIFS AYANT ENTRAINÉ LE DÉPART D’AUGUSTIN

 

A.D. Sansonetti, comme Ausone de Chancel, Pierre Devésa, Georges Goyau et tant d’autres, ont écrit qu’Augustin de Vialar était légitimiste ; que pour défendre ses convictions politiques il s’est établi en Algérie. Nous avons largement prouvés dans les chapitres précédents que la cause de son départ est différente, sans pour autant accuser ses biographes. Ils se sont basés sur des on-dit, sans avoir la possibilité de consulter son fonds d’archives, le délai de communication n’étant pas, à leur époque, écoulé.

 

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Le vrai motif, nous croyons le connaître aujourd’hui : un amour contrarié. Une déception sentimentale... A laquelle va se greffer, par enchantement, une histoire d’héritage.

Notre ancêtre était follement épris de Pulchérie de Bayne. Une femme exceptionnelle, mais inaccessible.

·    Emile Barthes[1], dans « Eugénie de Guérin d’après des documents inédits » (J. Gabalda & Fils, éditeur à Paris. 1929), écrit, pages 163-164 :

      « En quelques mots, M. de Bayne est le type parfait de ces gentilshommes modestes, distingués, fidèles à la Restauration, que la Révolution de Juillet a écarté des affaires publiques[2].

Sa fille aînée, Pulchérie, tient beaucoup de lui. Elle a du tempérament et de la race. On peut, sans se tromper, se la représenter comme une demoiselle d’Ancien Régime survivant à la Révolution, très attachée aux institutions et aux usages d’autrefois. Sa vertu dominante est le dévouement à sa famille pour laquelle elle se sacrifie jusqu'à l’abnégation. Elle aurait pu s’établir richement dans le monde, ses goûts personnels la portaient au mariage, elle accepta pourtant sans murmure d’être agrégée par son père au chapitre des chanoinesses de Munich. Si l’on en croit des personnes qui l’ont intimement connue, cette agrégation se fit à son insu. On dit aussi que lorsque M. de Bayne, tout ayant été réglé, se rendit dans la chambre de sa fille pour la saluer du titre de comtesse auquel sa qualité de chanoinesse lui donnait droit désormais, Pulchérie crut qu’il s’agissait d’un mariage. Il fallut la détromper. Elle en fut d’abord stupéfaite, mais, son esprit d’obéissance parfaite prenant vite le dessus, elle se résigna à la décision paternelle et accepta le célibat. Elle se montra même glorieuse de ce qui lui advenait, car le chapitre de Munich était le plus fort d’Europe, c’est-à-dire celui qui exigerait le plus de quartiers de noblesse. A dater de ce jour, Pulchérie s’effaça du monde. Le temps qu’elle ne donnait pas à sa famille, elle le consacrait à travailler pour les pauvres. Quand elle allait en visite chez des amis, on la voyait portant un bonnet noir garni de dentelles et une petite pèlerine sur laquelle brillait la croix de chanoinesse. Elle faisait la révérence comme à la cour.

Dans sa famille, elle mit tous ses soins à remplacer sa mère et à jouer le rôle de maîtresse de maison. Rien ne se faisait que par son ordre et avec son consentement. Avant d’entreprendre quoi que ce fût, on lui demandait conseil ; et ses avis, toujours dictés par l’intérêt de tous, exerçaient une influence prépondérante sur son père. Elle veilla avec la plus grande attention sur l’éducation de son frère et de ses soeurs, plus spécialement sur celle de Louise, sa filleule, dont le caractère ardent et impétueux l’inquiétait. Sa direction était sévère ; il ne fallait pas plaisanter avec elle. Douée d’une piété solide, d’une volonté ferme, d’un caractère autoritaire, Pulchérie se montrait aussi rigide pour les autres que pour elle-même. On l’estimait, on la respectait, on la craignait, plus qu’on ne l’aimait. Louise n’osait lui ouvrir son cœur qu’à demi. Le joli projet qu’elle forma un jour d’aller au Cayla sans mentor pour amener ensuite Eugénie de Guérin à Rayssac fut arrêter par un seul mot de la terrible comtesse, celui d’enfantillage. « Que voulez-vous que je dise après cela, Je me tus. » Cela n’empêchait pas Louise d’être profondément attachée à son aînée ; volontiers elle reconnaissait ce dont elle lui était redevable. »    

·    Eugénie de Guérin, dans son étude historique et littéraire, page XXV, de « Lettres à Louise de Bayne », la décrit ainsi :

« A côté de lui (il s’agit de M. de Bayne père), Pulchérie, l’aînée de ses enfants, remplit les charges et les obligations de la mère enlevée prématurément. Pour mieux s’en acquitter, elle accepte de vivre dans le célibat et se fait agréer au nombre des chanoinesses de Munich, affiliation qu’elle obtient avec ses quatorze quartiers de noblesse, ce qui lui vaut le titre de Madame la Comtesse. Pulchérie apparaît comme la gardienne jalouse des traditions ancestrales ; on la consulte et on l’écoute chaque fois qu’il faut prendre une décision familiale importante. Elle défend les intérêts de tous, mais plus particulièrement de Louise (de Bayne) dont elle est marraine. Ses grandes qualités sont soutenues par une vive piété qui fait l’admiration de tous ceux qui l’approchent. Ce qui domine en elle, c’est la raison plus que le cœur. En cela, elle est l’opposée de Louise qui la craint, tout en l’affectionnant et en la respectant comme une mère. »

Augustin de Vialar quitte Gaillac le 12 janvier 1832 (... ou le 12 juin, ses biographes ne sont pas d’accord sur la date) où il ne reviendra que de façon épisodique, notamment en juin 1838, à l’occasion de son mariage, le 12 à Montauban, avec Athénaïde Liénard de Fleury.

·    Sœur Paula écrit en page 12 du bulletin spécial édité en 1959 par la Maison-Mère, 245 Capelette à Marseille :

 « Augustin a quitté Gaillac. Il soupirait depuis longtemps dans les jardins de la sous-préfecture - aussi fort que les jets d’eau - pour les beaux yeux de Pulchérie de Bannieux[3]. Mais elle lui a préféré[4] un camail de chanoinesse. Dépité, il est parti se consoler en Algérie, où la conquête ouvre un vaste champ aux jeunes activités ».

·    Dans « Les panégyriques de la Bienheureuse Emilie de Vialar » prononcés par le R.P. Coulet S.J., à l’occasion des fêtes de la béatification, à Alger les 2, 3 et 4 janvier

1942, et à Tunis, les 6, 7 et 8 février 1942 (intégralement reproduits dans notre tome XXXVIII), ce bon Père a dit en chaire :

 « C’est alors qu’à la suite d’une déception sentimentale, et séduit par l’Algérie où la France venait de s’installer, il décida de passer la mer, etc. »

L’actualité va vite. Un événement chasse l’autre. Antoine Portal, son grand-père meurt à Paris le 23 juillet 1832, lui laissant, en part d’héritage, 300 000 fr.[5] Désormais, Augustin de Vialar est riche. Dégagé de tous soucis financiers, il va pouvoir enfin mener à bonne fin ses vœux les plus ambitieux.

 

Vous connaissez maintenant la réalité des faits. Nous allons cependant nous en tenir, avec indulgence, à la version officielle, afin de ne pas embrouiller une biographie légendaire.

 



[1] - Docteur ès-lettres, professeur de Philosophie et d’Apologie au Grand Séminaire d’Albi.

[2] - Eugénie de Guérin a écrit de lui un bel éloge le jour où elle apprit sa mort : « Une belle âme de plus pour le ciel. Il avait une fois débordante, il trempait tout de Dieu. Homme rare aussi pour les qualités du cœur. Il savait être ami aux dépens de ses intérêts. Sa fortune s’est ressentie de son dévouement à plus d’une infortune ». (« Journal », 7 juin 1838).

[3] - Coquille : Il faut lire Pulchérie de Bayne. C’est la belle-sœur de Max de Tonnac. Son nom revient des dizaines de fois dans les ouvrages d’Eugénie de Guérin. On y apprend qu’elle aurait pu aussi épouser M. de Saint-André. Un bruit sans fondement, car il était déjà marié (« Lettres à Louise de Bayne ». p 165). Elle travaillait dans la ferme de ses parents : « Je fais mes compliments à Pulchérie sur sa nombreuse troupe de canards, elle est plus heureuse que nous. Notre père canard a été étranglé par un chien. Pas de canard cette année, ni de dindons non plus... » (op. cit. p 204). Réminiscence ou coïncidence, Augustin IV de Vialar (1876-1901) donne ce prénom peu courant à un personnage clé de son roman « Flavia », reproduit in extenso dans notre tome XXXI. 

[4] - Pour se conformer à la stricte vérité, Sœur Paula aurait dû préciser que c’est Joseph de Guérin, son père, qui a imposé ce choix.

[5] - Quelques 3 000 000 de francs 1998.