OÙ L’ON VOIT DES LÉGITIMISTES, DES ORLÉANISTES ET UN PÂTÉ
La victoire de Navarin[1] n’apaisa que faiblement le mouvement d’opinions défavorables à la politique du gouvernement. Quelques troubles sanglants éclatèrent dans Paris au moment des élections, dont le résultat força le ministère à se retirer. Le ministère Martignac, auquel on donna le titre de réparateur, fut une tentative de conciliation qui ne satisfit guère l’esprit public, et il laissa en se retirant la royauté plus affaiblie et l’opposition plus exigeante et plus irritée. Ce fut alors que Charles X, en 1829, nomma le ministère Polignac composé d’hommes profondément impopulaires. Une agitation menaçante se répandit dans tout le pays : aux bruits de coups d’Etat, le libéralisme répondit par la menace caractéristique d’un coup de collier : à la Chambre, la fameuse adresse des 221, hostile au cabinet, consomma légalement le divorce entre le gouvernement et la nation. Charles X ne s’arrêta point et ne pouvait plus s’arrêter. La dissolution de la Chambre suivit de près l’avertissement qu’elle avait donné à un pouvoir qui courait aveuglément à sa perte. Un fait militaire important, la prise d’Alger, marqua les derniers jours du gouvernement des Bourbons, et peut-être avait-on compté sur l’éclat de cette victoire pour triompher des résistances désespérées du pays. Une dernière épreuve, celle des élections générales, où l’opposition obtint un succès éclatant, précipitant la catastrophe. Le 25 juillet 1830 parurent ces fameuses ordonnances, violation manifeste de la charte, dont les dispositions principales détruisaient la liberté de la presse et modifiaient profondément le système électoral. Une révolution soudaine, irrésistible, éclata dans Paris, et le vieux roi dû reprendre la route de l’exil.
Le 7 août, la Chambre des députés, à la majorité de 219 voix sur 252 votants, déclara le trône vacant et offrit la couronne au duc d’Orléans (sous le titre de Louis-Philippe Ier, roi des Français), à la condition d’accepter certaines modifications de la charte.
Il y avait dans cette décision une usurpation audacieuse de la souveraineté nationale, car les 219 députés, nommés sous Charles X, n’avaient nullement reçu la mission de distribuer des couronnes et de disposer de la France comme d’une propriété privée. En outre, ni le peuple, ni même le petit corps électoral d’alors ne furent appelés à ratifier cet acte de souveraineté. Quelques acclamations de gardes nationaux, de députés et d’un certain nombre de combattants parurent une consécration suffisante comme expression de la volonté nationale.
Le début du nouveau règne fut attristé par un événement tragique, le suicide du prince de Condé, qui avait choisi pour son héritier le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe. Cet épisode, resté assez mystérieux, donna lieu à des accusations terribles, mais probablement injustes, contre la famille d’Orléans.
Le procès des ministres de Charles X[2] et les troubles qui éclatèrent à cette occasion[3] obligèrent le gouvernement à sacrifier plusieurs ministères. Dans l’intervalle, la marche contre-révolutionnaire s’était accentuée. On avait fait voter une loi qui supprimait le commandement général de la garde nationale. C’était une manoeuvre pour obliger à la retraite La Fayette, dont on feignait de craindre le pouvoir.
Le gouvernement se sentant plus libre, fit de nouveaux pas dans la voie contre-révolutionnaire, notamment en frappant de dissolution l’artillerie de la garde nationale parisienne, recrutée en grande partie parmi les hommes les plus énergiques et les plus influents du parti républicain.
Ce parti, très peu nombreux lors de la Révolution de Juillet, n’avait pu que protester contre l’usurpation de la souveraineté nationale ; mais il grandissait tous les jours, et bientôt il allait livrer de terribles combats à la nouvelle monarchie...
C’est au cours de cette période, que la ville de Gaillac, décida de faire allégeance à son Roi.
Des délibérations de la Municipalité de Gaillac, (journée du 2 janvier 1831), nous retirons le compte-rendu ci-après :
« L’an mil huit cent trente un, et le deux janvier, à deux heures du soir ; ont été assemblés extraordinairement dans le lieu ordinaire des Séances de la mairie, MM les Membres du Conseil Municipal sous la présidence de M le maire, En conformité de la lettre de Mr le préfet, du 29 Xbre dernier, insérée au N° 21 du Bulletin administratif et par celle de M le sous-préfet du 31 Xbre également dernier.
Présents :
Messieurs
Constans Gustave le chevalier Vialar
Cestan aîné Duboyer Charles
Teyssonières le Baron de Vialar[4]
Bermond Père Debellegande
Gineste Guillaume Théron de Nontangé
Vialar? Bapte Blanc Alexis
Maudret Antoine Andrieur Alexis père
Ferrand Barthelemy Dennon Victor
Gary André Loubat Pierre
Thomas Bapte Delacombe Justin
Constans Gabriel
Depautel
Mr le Maire donne lecture au Conseil de la lettre de M le préfet, par laquelle ce magistrat lui fait part ; que des hommes pervers opprobre de tous les partis se sont agités à Paris, pendant le procès des Ministres de Charles X.
Que Paris a craint pour le Roi et les chambres qu’a la voix de l’illustre chef de la garde nationale de cette milice citoyenne s’est levée toute entière secondée par la brillante jeunesse des écoles pour faire face à l’anarchie comme elle l’avait fait en juillet, au despotisme.
Le crime a reculé devant la fermeté du gouvernement du Roi, de la garde nationale parisienne et de la jeunesse des écoles, qui ont puissamment concouru à déjouer le projet des perturbateurs. Tout est rentré dans l’ordre, et que la ville de Paris a passé de l’inquiétude à la joie, dit ce magistrat.
Le conseil désirant témoigner au Roi des Français tout le bonheur qu’il éprouve en voyant triompher une seconde fois les principes d’une Révolution faite pour obtenir avec la liberté l’ordre public sans lequel la première n’existerait pas.
Désirant prouver à Sa Majesté combien la ville de Gaillac est attachée à sa Personne à sa dynastie et combien ses habitants applaudissent à tout ce qui tend à consolider dans Ses mains le sceptre tutélaire qu’il tient de la nation, et que la nation saura défendre.
Délibère à l’unanimité moins une voix une adresse contenant l’expression des sentiments du Conseil Municipal, du peuple et de la garde nationale de Gaillac pour la personne du Roi Louis-Philippe, sera rédigée par une commission prise dans le sein du Conseil portée à Sa Majesté par une députation spéciale.
Sont nommés Membres de Cette députation
1° Monsieur Rigal maire de Gaillac, qui en sera le président,
2° Monsieur Hercule Bermond[5],
3° Monsieur Vialar Augustin ancien procureur du Roi à Epernay[6]
Sont autorisés à se joindre à la Députation Monsieur Gustave Saint-Sauveur, Longayrou sous-lieutenant de chasseurs, et ceux de nos concitoyens que leur zèle et leur amour pour le Roi et nos libertés porteraient à se rendre à Paris, avec les Membres de la Députation.
Fait et délibéré à Gaillac les jours mois et an que dessus.
Les Membres du conseil municipal
Le Maire président
Rigal
Cestan
La députation s’était donc chargée, à l’occasion du nouvel an, d’offrir à Louis-Philippe l’hommage de la ville et de complimenter le Roi sur l’état prospère de la France. Elle comprenait, nous le rappelons, MM Rigal, maire de Gaillac, et Hercule de Bermond de Lacombe, commandant de la Garde Nationale, qui devinrent tous deux, plus tard, députés, Gustave de Saint-Sauveur, Augustin de Vialar notre ancêtre, et Longayrou.
C’est devant cette délégation que le Roi caractérisa la tendance nouvelle de sa politique en disant : « Quant à la politique intérieure, nous chercherons à nous tenir dans un juste-milieu. » L’expression fit fortune. Il y eut désormais le parti Juste-Milieu.
Les archives départementales du Tarn conservent une copie de l’adresse qui fut lue à Louis-Philippe. En voici la transcription qui nous donnera une idée de la phraséologie politique de cette époque :
« Sire,
Liberté, ordre public. Tels sont la devise et le besoin de la France régénérée.
En vous élevant sur le pavois, la nation était sûre d’obtenir ces deux biens inséparables. Le duc de Chartres, le duc d’Orléans lui répondaient de Louis-Philippe.
Éloignée de la cité des Miracles patriotiques, la ville de Gaillac s’est associée à tous les généreux mouvements de la population parisienne.
Nous avons arboré avec enthousiasme et fierté le drapeau tricolore qui rappelle et promet tant de gloires, et aujourd’hui, après les désordres arrêtés par la sage énergie de la garde nationale, le puissant exemple du vétéran de la liberté et le concours de tous les bons citoyens, nous venons déposer à vos pieds le juste tribut de notre amour et vous faire part des douces émotions qu’éprouvent nos cœurs français à l’aspect de la patrie sauvée une seconde fois. Au dehors, la France veut être indépendante de l’étranger ; au dedans elle veut être indépendante des factions, et, ce que la France veut, personne au monde n’a le pouvoir de l’empêcher.
Nés dans une contrée agricole, dont un rigoureux hiver a compromis pour longtemps la prospérité, nos concitoyens ne savent pas désespérer de la providence ; ils attendront sans impatience le fruit de leur travail, comme ils se reposent sur le Gouvernement de Votre Majesté, qui êtes notre providence politique, du soin d’assurer le développement des conquêtes de Juillet.
Ces sentiments animent le peuple, la Garde nationale et les Membres du Conseil Municipal de la Ville de Gaillac ; c’était un besoin pour eux de vous les exprimer ; ils sont tous prêts à répondre à l’appel que vous leur feriez pour la défense de la patrie et celle de nos lois. »
R
Eugénie de Guérin, dans sa lettre du 17 mars 1831 à Louise de Bayne, écrit :
« Je ne connaissais pas la députation du « pâté ». Oh ! La drôle de chose, la drôle d’idée de se présenter à la cour comme des pâtissiers ! Pour l’honneur du pays, il leur vaut mieux l’avoir laissé en route. M. L.[7] y perdra seul ; mais il apprendra que les titres de noblesse courent grand risque de se perdre quand on ne les a pas dans le cœur. »
Elle écrit à Maurice, son frère, le 2 avril 1831 :
« La grande députation de Gaillac est de retour, fort mécontente de Paris et plus encore de Gaillac. Le roi, dit-on, les a mal accueillis. Un superbe pâté qu’ils portaient à la reine s’est démoli en route. Grand malheur, surtout pour un de ces messieurs qui avait, dit-on, mis dedans ses lettres de noblesse. Enfin, pour terminer la fête, on les a régalés à leur arrivée à Gaillac d’un mets qui se fait bien sentir : leur nez dirait qu’il sentait bon. Voilà de vilaines vilenies. Les chiens ne se traiteraient pas pire. »
[1] - La bataille de Navarin, gagnée par la flotte anglo-franco-russe sur la flotte turco-égyptienne, le 20 septembre 1827, eut un grand retentissement. Les esprits généreux y virent l’affranchissement de la Grèce, mais les hommes politiques en pressentirent immédiatement les déplorables conséquences. Elle laissait la Turquie désarmée en face de la Russie ambitieuse et menaçante. Elle transformait la mer Noire en un lac moscovite.
[2] - Les anciens ministres avaient été transférés de Vincennes au Luxembourg le 15 décembre pour être jugés par la Cour des pairs. Défendus noblement par Martignac, ils se défendirent habilement eux-mêmes, ce qui ne les empêcha pas d’être condamnés à la prison perpétuelle. Le peuple ne fût pas content ; l’émeute gronda (21 et 22 décembre), mais l’on fit marcher la troupe et tout rentra dans le calme.
[3] - Des désordres avaient éclaté à l’Ecole de droit, au cours de M. Ducaurroy. Le ministre de l’Instruction publique avait eu beau intervenir à l’issue du cours en prononçant une petite allocution, son intervention fut assaillie par des cris d’improbation. De plus, les étudiants parisiens avaient protesté contre les remerciements votés par la Chambre des députés pour une de leurs démonstrations en faveur de l’ordre public et de la liberté.
[4] - Nous apprenons ainsi qu’à cette époque notre ancêtre était conseiller municipal de Gaillac.
[5] - Sous-préfet de Gaillac (an VIII-1811) avant M. de Bayne. Il appartenait en 1831 à l’administration municipale, fut conseiller général du Tarn (1831-1835) et député du collège de Gaillac (1831-1834). Marie de Bayne écrit à son sujet : « Savez-vous ce qu’on dit de M. de Bermond ? Que tout sont esprit consiste à bien empailler les bêtes. »
[6] - Oui, mais de Charles X !
[7] - Il s’agit d’Hercule de Bermond de Lacombe.