Histoire Portal

 

 

 

LA CARRIÈRE

 

Dès la première année de son séjour à Paris, Portal lut successivement à l’Académie royale des sciences trois mémoires qui avaient pour objet : le premier, les Ankiloses, le deuxième, le Racornissement de la vessie chez les vieillards, le troisième, l’Abus des machines dans le traitement des luxations. Dans ce dernier mémoire, Portal proteste solennellement contre sa propre invention à l’égard des machines qu’il avait proposées pour la réduction des luxations. Son goût pour la chirurgie et l’anatomie le mit bientôt en rapport avec les chirurgiens les plus célèbres de Paris et lui valut surtout la bienveillance de Sénac, premier médecin de Louis XV, qui avait commencé sa carrière comme médecin du maréchal de Saxe et de Lieutaud qui l’associèrent à leurs travaux ainsi qu’à leur pratique. Toutefois, une circonstance imprévue vint bientôt mettre un obstacle à l’effet de ce puissant patronage : depuis 1694 il fallait être docteur de la Faculté de Paris pour enseigner ou exercer dans cette ville, et Portal s’en était tenu au grade qu’il avait reçu à Montpellier. Il n’y avait d’exception à la rigueur de cette formation que pour les médecins attachés à la famille royale et au premier prince du sang. Sur la demande de Sénac et de Malesherbes, Louis XV nomma Portal professeur d’anatomie du Dauphin, ce qui lui permit de pratiquer la médecine.

 

C’est dans la petite et triste rue du Cimetière-Saint-André-des-Arts qu’il donna ses premiers cours d’anatomie, et ses cours lui rapportaient bon an mal an, environ 27 francs par mois. Son logement était même si modeste que la leçon avait lieu dans sa propre chambre, et, quand on venait le voir, il se hâtait de cacher le cadavre dans son alcôve. Certes il y avait loin de ce jeune professeur au baron Portal vu à cinquante ans de distance ; mais on ne doit pas s'en étonner ; il y a des succès qui, ayant commencé par l'estime de dix personnes, ont avec le temps rempli le pays tout entier. A son premier cours, Cuvier n'avait qu'un seul auditeur. Bien souvent encore les cadavres manquaient à l'activité de Portal ; une nuit, il enleva avec ses élèves, dans le cimetière voisin de sa demeure, le corps d'un épicier nommé Lecoq. Cet enlèvement fit grand bruit dans le monde, on cria au scandale à la profession, et ce fut à grand-peine que Portal s'en tira, en prouvant au lieutenant de police, Le Noir, la nécessité d'étudier l'anatomie pour l'étude des maladies.

 

Peu après, la clientèle de la cour et du monde commença à affluer.

 

Il se lia avec Buffon et d’Alembert, correspondit avec Franklin et devint l’ami de la pléiade prodigieuse de jeunes savants qui allaient donner à la France une auréole inégalée avec Condorcet, Bailly, Laplace, Lagrange, Lavoisier.

 

En 1769, il fut nommé professeur de médecine au Collège de France, puis membre de l’Académie des Sciences, après la publication d’un Précis de chirurgie pratique en deux tomes, qui précéda une énorme Histoire de l’anatomie et de la chirurgie en six volumes parue en 1770. C’est à cette époque qu’il commença à s’intéresser aux « effets des vapeurs méphitiques dans le corps de l’homme » et le premier rapport qu’il fit à ce sujet, « par ordre de l’Académie des Sciences », date de 1774. A ce moment, la majeure partie de ses travaux était centrée sur la nouvelle discipline médicale qui devait devenir l’anatomie pathologique.

 

Portal avait été très influencé par les travaux de Morgagni et il consacrait tous les moments que lui laissaient sa clientèle et son enseignement à amasser des références et des documents sur les données de cette nouvelle science. S’il pratiquait l’anatomie et s’intéressait à la chirurgie, bravant les préjugés de la vieille médecine, c’était bien pour chercher à approfondir la connaissance des lésions constatées dans les états morbides.

 

Voltaire déjà disait de lui : « Il consulte la mort pour prolonger la vie ! ».

 

Alliant les exigences de son ambition et l’intérêt qu’il portait à ce nouvel aspect de la médecine, il réussit en 1777 à se faire nommer, grâce à l’appui de Buffon, à la chaire d’anatomie du Jardin du Roi.

 

Le voilà donc, à 35 ans, titulaire de deux chaires à Paris ! Il ne va pas s’arrêter là. Tout en compulsant des documents qui lui permettent d’écrire un mémoire sur la rage, et un autre sur le rachitisme, il continue à donner des soins aux grands de ce monde, et à se faire nommer médecin du comte de Provence, qui le prend en affection. Ce prince ne l’oubliera pas lorsque, près d’un demi-siècle plus tard, il rétablira la monarchie légitime.

 

Dans les années qui suivirent, sa célébrité et sa faveur ne font que croître. « Toujours d’une extrême politesse, sachant se faire tout à tous, il ne heurte ni les hommes, ni les usages, ni les opinions régnantes, mais la grande ambition qui l’anime ne l’empêche pas de garder toujours sa modération et sa dignité ».

 

En 1788, il obtient le plus grand honneur auquel pouvait prétendre un médecin sous la monarchie, la croix d’or émaillée de blanc, cantonnée de quatre fleurs de lys entre ses huit pointes, de l’Ordre de Saint-Michel. Et le large ruban de soie noire moirée lui donne droit au titre de chevalier.

 

Mais il va devoir terrasser bien d’autres dragons que celui qui figure au cœur du vénérable insigne créé par Louis XI, car les années qui viennent sont terriblement dangereuses pour les favoris du régime qui s’écroule.

 

Son caractère souple va savoir, quand il le faudra, « mettre un peu d’huile à la girouette », d’autant plus qu’il montre une sagesse peu commune en limitant son activité à celle d’un « bon et honorable médecin », toujours disposé à « médicamenter les uns et les autres », faisant aimablement la balance entre Royalistes et Révolutionnaires, entre Girondins et Jacobins.

 

En 1792, il publie deux gros volumes sur la nature et le traitement de la phtisie pulmonaire, et il continue toujours des recherches anatomiques et physiologiques qui sont fort estimées.

 

Aussi, lorsque la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) fonda l’Institut de France, Portal en fut nommé membre dans la classe des sciences qui devait reprendre ensuite la place de l’ancienne Académie Royale.

 

Il put poursuivre son enseignement au Collège de France, qui n’avait pas été touché par la Révolution, ainsi qu’au Muséum qui prit en 1793 la succession de Jardin du Roi.

 

Après l’intermède du Directoire, l’avènement du Consulat, vite suivi par la proclamation de l’Empire qui vint donner aux milieux universitaires et scientifiques un lustre comparable à celui de la fin de l’Ancien Régime. Portal fut nommé membre de la Légion d’honneur et créé chevalier de l’Empire.

 

Mais bientôt les événements vont à nouveau se précipiter. C’est la chute des Aigles et le retour des Bourbons.

 

Alors Portal reprend son titre de chevalier de Saint-Michel et retrouve après vingt-cinq ans les fonctions de premier ministre consultant du roi que lui rend Louis XVIII ravi de retrouver le médecin philosophe et souriant de ses jeunes années. Il poursuit ses cours qui sont devenus très populaires parmi les étudiants. L’un d’entre eux, qui s’appelait Dussi, et était originaire du Languedoc, publia en son honneur toute une série de poèmes un peu burlesques mais pleins d’affection.

 

Célébrant « le sauveur des asphyxiés », il écrit :

 

                                             Donnez chaque dix jours à votre bienfaiteur

                                             Vous tous que sa main tutélaire

                                             Sauva d’un trépas imposteur !

 

Et certainement le vieux chevalier fut heureux du rappel fait par Dussi de leur petite patrie commune.

 

                                             Des honneurs qui sur toi fondent à flots brillants

                                             Gaillac avec transport voit grossir les torrents.

 

De même, le bon étudiant gascon console le vieux maître de son extinction de voix :

 

                                             Celui de qui la voix sonore

                                             A l’oreille tonna longtemps

                                             Éveille le génie encore

                                                            Au bruit de ses muets accents.

 

Enfin il dédie un long poème en langue d’oc : « A Mousson Portal, medeci d’al Rei ».

 

Une grande mission va lui être confiée par le roi ; il doit rétablir l’unité entre les sociétés rivales, le Cercle Médical et la Société de Médecine de Paris, qui se voulait seule héritière de la Société Royale et de l’ancienne Académie de Chirurgie. Et par une solution qui dépasse les vœux les plus secrets des uns et des autres, il prépare avec le Souverain la résurrection des savantes Compagnies qui ont sombré dans la tourmente, ou plutôt leur regroupement, dans ce qu’aucun n’ose espérer, une Académie Royale de Médecine.

 

Pendant plus de douze ans, Portal va donner ses dernières forces à la mise au point de l’illustre Institution.

 

Mais son aspect physique est devenu fantasmagorique. Il porte un habit noir carré de très ancienne mode, à manches rondes, à collet étroit. Son jabot, sa culotte courte, ses souliers à boucles d’or, sa perruque poudrée à frimas, tout rappelle le siècle passé.

 

             Charles-Émile CALLANDE de CHAMPMARTIN. HST 220 x 146 cm.

       Musée Fabre à Montpellier. Inv. D834.1.1

           Cliché F. Joulmès

 

Et de plus sa maigreur extraordinaire, sa pâleur, la fixité de son maintien sur ses jambes débiles et osseuses, sa voix éteinte enfin le font prendre par certains malades pour un personnage de l’autre monde. L’un d’eux s’écrie en le voyant : « Fantôme que me veux-tu ? » Certains s’étonneront de le voir encore courir à la Cour et à l’Académie, avec son visage décrépi, son corps chancelant, et une sonde dans la vessie.

 

Pourtant, à 85 ans, Portal publie encore un important ouvrage sur l’épilepsie et un autre sur l’hydropisie. Jamais, disait-il, on ne devait « s’endormir sous l’édredon de sa réputation ».

 

Après la mort de Louis XVIII, il reste premier médecin de Charles X, qui le crée baron.

 

Il eut sa dernière grande joie en novembre 1829, lorsqu’il reçut la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. Il meurt le 23 juillet 1832.

 

Il avait, dit un chroniqueur, 90 ans 6 mois et 18 jours, et... 80 000 livres de rente.

 

La ville de Gaillac, dans le Tarn, décida que la rue Saint-Pierre, où il était né, porterait désormais son nom.