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L’ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE

 

 

                                                                                                                          coll. Académie de Médecine

façade de la nouvelle académie, sur le rue Bonaparte

 

 

Louis XVIII signait le 20 décembre 1820 une ordonnance créant l'Académie royale de médecine. Deux buts principaux lui étaient assignés :

 

- Travailler au perfectionnement de la science médicale...

- "Répondre aux demandes du gouvernement sur tout ce qui intéresse la santé publique..."

 

A vrai dire, il ne s'agissait pas d'une innovation mais de renouer en un faisceau de science et de bonne volonté les survivances des sociétés balayées par la tourmente révolutionnaire trois décennies auparavant.

 

Remontant un siècle en arrière, on peut la rattacher par un lien de filiation - au moins de priorité de but et de similitude de services rendus - avec cinq organismes dont elle se reconnaît l'héritière. Elle en a inscrit les noms et les dates de création sur la frise placée derrière la tribune de la salle des séances :

 

               1731 - Académie royale de Chirurgie,

               1772 - Commission royale des remèdes particuliers et eaux minérales

               1776 - Commission royale des épidémies et des épizooties

               1778 - Société royale de médecine

               1809 - Comité central de vaccin

 

Pour remplir le rôle prestigieux de conseiller technique officiel, le Souverain conviait l'élite des professions médicale, chirurgicale, pharmaceutique et vétérinaire à associer leurs efforts. Un esprit nouveau soufflait, abattant les murailles séparant ces professions, jadis cloîtrées chacune dans la défense égoïste et stérilisante de leurs privilèges corporatifs.

 

De même que le Collège de France est né au XVIe siècle de l'opposition entre la philosophie scolastique de la vieille Sorbonne et la libération des esprits de la Renaissance, on peut dire que l'Académie nationale de Médecine est l'aboutissement des efforts libérateurs prolongés de l'élite médicale et paramédicale contre les vieilles facultés de médecine, routinières, tyranniques, défendant âprement leurs bénéfices. Celle de Paris était particulièrement omnipuissante, sclérosante, régentant la médecine comme son fief, traitant la chirurgie et la pharmacie comme ses vassaux corvéables à merci.

 

Ce fut une lutte opiniâtre, où souvent la vieille Dame de Paris - sans peur du ridicule - perdit toute mesure, poursuivant de sa vindicte par pamphlets, libelles, sarcasmes et persécutions les jeunes sociétés tentant d'échapper à sa tutelle.

 

Le succès vint de l'action continue des "gens du Roi", médecins et chirurgiens, souvent provinciaux, de ce fait honnis des docteurs régents parisiens. Citons plus particulièrement :

 

- Chirac, premier médecin de Louis XV, après avoir été celui du Régent, puis de Lassone, premier médecin de Louis XVI, tous deux à l'origine de la Société royale de Médecine (1778).

 

- Mareschal et de La Peyronnie, premiers chirurgiens de Louis XIV puis de Louis XV, obtenant du Souverain la création de l'Académie royale de Chirurgie (1731).

 

Sur les cinq organismes dont l'Académie de Médecine se reconnaît l'héritière, nous ne donnerons quelques développements que sur ces deux assemblées ; les trois autres seront citées lors du développement correspondant à leur activité ancienne.

 

Société royale de Médecine

 

Premier médecin du roi Louis XV, Chirac, interrogé par les pouvoirs publics sur l'état sanitaire de la France, se déclara incapable d'y répondre faute d'une correspondance entre praticiens du pays et de l'étranger. Pour la réaliser, il créa une assemblée médicale sous sa propre présidence. Honni de la Faculté de Médecine comme élève de sa rivale montpelliéraine, il s'y heurta durement. A sa demande courtoise de désigner des représentants à la nouvelle société, les docteurs régents parisiens répondirent : "Nous ne reconnaîtrons jamais d'autre Académie de Médecine expérimentale et pratique que la Faculté".

 

La lutte ainsi engagée opposa l'autorité royale (par Chirac interposé) et la Faculté. Après des incidents nombreux, parfois héroï-comiques, celle-ci dut s'incliner mais seulement quarante ans plus tard, bien après la mort de Chirac, décès ayant entraîné la disparition de la jeune société qui n'avait vécu que deux ans.

 

Ce fut de Lassone, médecin de Louis XVI, qui reprit le combat. Déjà en 1772, Louis XV, créant une "Commission pour l'examen des remèdes particuliers et des eaux minérales", avait porté atteinte aux privilèges de la Faculté. Quatre ans plus tard, Louis XVI - impressionné par la mort du Bien-Aimé due à la petite vérole (1774), par les épidémies graves qui dévastaient population et animaux domestiques - reprenait une partie du plan de Chirac et créait une "Société de correspondance royale de Médecine" présidée par son archiatre1.

 

Malgré les démarches multiples - parfois déshonorantes -, de la Faculté s'opposant à elle, celle-ci étendit son action et devint la "Société royale de Médecine" par lettres patentes du 20 août 1778.

 

Comprenant des membres titulaires, des associés provinciaux et étrangers, elle se réunit les mardi et vendredi dans un local du Palais du Louvre. Au cours de séances solennelles le président distribuait des prix et prononçait l'éloge des membres disparus dans l'année.

 

Subventionnée par l’État, ayant pris en charge la "Commission pour l'examen des remèdes particuliers et des eaux minérales", elle joua un rôle prépondérant jusqu'à la Révolution.

 

Académie royale de Chirurgie

 

Pour comprendre le désir d'émancipation des chirurgiens, il faut remonter au haut Moyen-âge. Le médecin est le plus souvent un religieux, à la fois médecin visitant le malade, prenant le pouls et mirant l'urine, chirurgien soignant les plaies et apothicaire préparant cataplasmes et remèdes.

 

Or, au Concile de Trente (1163), il est déclaré que l’Église a horreur du sang "Ecclesia abhorret a sanguine", ceci excluant tout acte chirurgical. Après cette date le moine médecin fuira le sang, le pus, évitera de se souiller au contact des plaies. Il conseillera seulement, laissant les interventions aux aides médicaux non religieux.

 

Les siècles passent, le médecin n'est plus clerc, mais il continue à pérorer, gardant ses gants, ordonnant au barbier-chirurgien et à l'apothicaire les oeuvres serviles. Nous les retrouverons ainsi tous trois chez Molière,au XVIIe siècle.

 

Les barbiers-chirurgiens sont d'humble origine, ne parlent pas latin ; ce sont des artisans, quelle que soit leur valeur. Elle sera montrée par Ambroise Paré et ses émules sur les champs de bataille. Mais ce seront les "gens du Roi" encore, les chirurgiens cette fois-ci, qui libéreront leur discipline du joug de la Faculté de médecine.

 

A la même époque, Chirac, premier médecin du Roi, songeait à créer son Académie de médecine (1730) et ses deux amis, les deux chirurgiens du souverain, Mareschal et de La Peyronnie, eurent le même désir pour leur profession. Bien placés à la Cour depuis le succès de leur prédécesseur Félix guérissant Louis XIV de sa fistule, dès 1731 ils demandent au Roi de grouper l'élite chirurgicale dans une Académie pour échanger entre ses membres leurs observations, perfectionner leur pratique et discuter des meilleurs remèdes topiques à utiliser.

 

Le Roi autorisa les chirurgiens à se réunir en une "Société académique des chirurgiens de Paris", le titre d'Académie étant remis à plus tard si l'entreprise connaissait le succès.

 

Malgré libelles et railleries de la Faculté, la Société s'organisa, tint séances avec un plein succès et dix-sept ans après, le 2 juillet 1748 - victoire posthume pour les deux promoteurs -, le roi Louis XV par lettres patentes transformait officiellement la Société académique en "Académie royale de Chirurgie".

 

Comme la Société précédente elle tint séance dans l'amphithéâtre octogonal du collège Saint-Côme, puis Louis XV la logea royalement dans des bâtiments neufs élevés sur l'emplacement du collège de Bourgogne. Ces bâtiments magnifiques construits par l'architecte Gandouin furent inaugurés le 25 avril 1775. Ils constituent le coeur de la Faculté de médecine de Paris (actuellement Paris V, université René-Descartes).

 

L'Académie royale de Chirurgie travailla résolument, répondant avec pertinence aux questions posées par le Gouvernement, publiant des mémoires recherchés par les bibliothèques françaises et étrangères d'alors.

 

Mais voici 1789, et la Révolution. Malgré leurs preuves de civisme - suppression du qualitatif royal, des attributs royaux aux bâtiments2, l'envoi de délégations aux cérémonies populaires, les consultations gratuites aux députés..., etc., surtout les réponses savantes toujours fournies aux questions posées par le pouvoir du jour -, les deux assemblées seront condamnées à disparaître avec leur rivale, déjà deux fois vaincue, la Faculté de médecine de Paris.

 

La tourmente ne laisse rien :

 

- En premier disparaît la Faculté par la suppression des privilèges donc de ses biens (1789), des jurandes et des maîtrises, donc de son autorité (1791).

 

- Puis la Société royale de Médecine et l'Académie royale de Chirurgie par la suppression des assemblées à caractère "académique" (1793), disparaissent deux ans plus tard.

 

Chose plus grave, médecine et chirurgie deviennent d'exercice libre (loi du 17 mars 1791) sous condition de payer patente et de n'enfreindre pas les règlements de police. Que vont devenir l'enseignement et l'exercice de l'art de guérir ?

 

En 1796, un projet de Vicq d'Azyr, ex-secrétaire perpétuel de la Société royale montre l'évolution des idées. Il propose la création d'une Académie de Médecine comprenant toutes les professions médicales et paramédicales (médecins, chirurgiens, pharmaciens et chimistes). Elle préparerait et organiserait le régime nouveau (ô combien !) de la médecine. Projet nous paraissant aujourd'hui plein de bon sens, mais combien audacieux à l'époque ! En attendant, le vide médical existe, le charlatanisme s'installe, les abus se multiplient, il faut aviser.

 

Dès 1795, un groupe de médecins, chirurgiens, vétérinaires, pharmaciens obtient l'autorisation de créer une "Société libre de santé de Paris"3, puis change de nom en "Société de médecine de Paris". Elle se réunit dans l'ancien palais du Louvre. Sous le Consulat, elle est chargée "de continuer les travaux et rétablir la correspondance de la ci-devant Société royale de Médecine et de l'Académie de Chirurgie".

 

Quelques années plus tard, l'Empereur crée l'Université impériale, mais les facultés (... de médecine) voient leurs attributions limitées strictement à l'enseignement.

 

D'autres sociétés médicales surgissent dont certaines essaient de se parer du titre d'Académie. Les principales sont :

 

- Cercle médical, constitué surtout par des docteurs régents de l'ancienne Faculté de médecine. Parmi ses membres, Antoine Portal qui va jouer un rôle essentiel dans les années suivantes.

 

- Société de la Faculté de médecine de Paris, plus ou moins émanation de l'école de Paris, chargée des questions d'hygiène, de médecine légale ou d'intérêt public.

 

- Société philomathique, société médicale d'émulation..., etc4

 

Certaines de ces sociétés existent encore.

 

Ces différentes assemblées essaient selon leurs moyens de remettre de l'ordre dans l'exercice des professions médicales et paramédicales bien perturbé. Mais, rivales, elles se déchirent à qui mieux mieux.

 

L'Empire tombe, les Bourbons reviennent. Comme sous l'Ancien Régime, ce sont "les gens du roi" Louis XVIII qui vont intervenir. Le premier chirurgien, le père Elisé5, demande la réouverture de l'Académie de chirurgie avec tous ses privilèges. Le premier médecin, Antoine Portal, pousse le Souverain à la création d'une vraie Académie de médecine réunissant les représentants les plus éminents des professions médicales et paramédicales.

 

La mort du père Elisée, en 1817, fait abandonner le premier projet. Antoine Portal insiste auprès du monarque. Celui-ci, avec sagesse et pondération, laisse les querelles entre les différentes sociétés se calmer. Une fois les passions apaisées, par son ordonnance du 20 décembre 1820, il crée l'Académie royale de Médecine groupant l'élite des médecins, chirurgiens, vétérinaires, pharmaciens de France. Il en nomme les premiers membres, pris avec habileté dans les différentes sociétés existantes. Son sens politique lui fait choisir :

 

- des gens plus ou moins compromis dans les excès de la Révolution ;

 

- des médecins militaires s'étant distingués sous l'Empire ;

 

- en même temps que des piliers de l'Ancien Régime.

 

Costume

 

Après l'austérité révolutionnaire, consulat, empires et royautés revenus eurent par réaction le goût du faste, des défilés grandioses, des cérémonies somptueuses, des uniformes rutilants.

 

Au milieu des habits chamarrés, les savants en costume civil avaient piètre mine et s'en plaignaient. Un président de l'Institut écrit ainsi au Premier Consul : "Nous assistons en corps aux fêtes nationales et aux funérailles de nos confrères. Dans toutes les occasions qui se présentent d'offrir au gouvernement des témoignages de reconnaissance et d'attachement, nous nous empressons d'aller les lui exprimer. Parfois des vieillards de l'Institut ont reçu, dans des circonstances, au lieu d'honneurs des outrages qu'ils n'auraient pas éprouvés avec un costume. Il est convenable que le premier corps savant ait une tenue uniforme et distinguée."

 

Le 26 brumaire An IX (18 octobre 1800), le Conseil d’État adopte un costume pour l'Institut et le décrit : habit de drap noir à la française, col droit, détails et broderies à choisir par les Académiciens. Après nombreuses discussions, les ornements en broderie de soie verte de branches et fruits d'olivier sont adoptés. Le bicorne en bataille fit au cours des ans une rotation de 90° pour se mettre dans l'axe de la tête. Il n'est pas question d'épée, celle-ci étant réservée aux fonctionnaires détenant une part du pouvoir exécutif. Bien que son port soit illégal, à la longue cet instrument "perçant et contondant", transformé en oeuvre d'art personnalisée, est remis en grande pompe par les élèves et amis du récipiendaire. C'est là l'occasion de cérémonies mondaines recherchées.

 

Parvenus plus tard aux honneurs académiques (1820), les médecins eurent les mêmes humiliations dans les cérémonies officielles. On raconte que le président de l'Académie, Marc, alors médecin du roi Louis-Philippe, prié de déjeuner aux Tuileries, s'y rendit revêtu d'une élégante redingote verte. Un des jeunes princes (cet âge est sans pitié) voyant cet habit vert au milieu des brillants uniformes de l'état-major le compara irrespectueusement à un artichaut.

 

Autre version des faits. Lors de la présentation rituelle des voeux au souverain (pour la Saint Philippe), le médecin du Roi (l'archiatre), marchant à la tête de la délégation, aurait pris sur lui de coiffer son chef d'un tricorne et d'orner son costume de galons d'or. Le ministre de tutelle pensa... qu'il valait mieux pour la dignité du cortège attribuer un uniforme à la noble Compagnie !

 

Par ordonnance royale du 15 septembre 1833, le costume fut décrit "simple et décent" rappelant celui de l'Institut. Il s'en différencie par les broderies amarantes comportant les serpents d'Esculape au lieu des branches vertes d'olivier. Bicorne demi claque, et supériorité manifeste : attribution officielle d'une épée à poignée d'or.

 

Si dans le domaine des plantes culinaires, l'habit vert de l'Institut a été qualifié, irrévérencieusement de "costume à l'estragon" par Mérimée, à ma connaissance nul n'a rapproché le nôtre de la couleur de l'aubergine. Ce costume de cérémonie n'est pratiquement porté que par les membres du Bureau lors des séances solennelles6.

 

Académie de Médecine - 6e classe de l'Institut (?).

 

Beaucoup de nos concitoyens sont persuadés que l'Académie de Médecine fait partie de l'Institut de France. Il n'en est rien ! Ceci mérite que l'on s'y arrête quelques instants.

 

Aux temps anciens, le terme Académie correspondait à une réunion de lettrés, scientifiques ou artistes ayant le souci d'échanger leurs idées, de s'entretenir de leurs recherches, de discuter de leurs opinions et de progresser dans la connaissance de leur discipline. En France, l'esprit centralisateur de la royauté puis de l'Empire réglementa certaines de ces assemblées

 

- en 1635, Richelieu créa l'Académie française, chargée de maintenir la pureté de langage ;

 

- en 1663, Colbert réunit historiens et archéologues dans l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, et trois ans plus tard (1666) dans l'Académie des Sciences les mathématiciens, physiciens, chimistes, etc.

 

Pourquoi pas, dès cette époque, une académie de médecine ? Nul n'y pensait. La Faculté de médecine omnipuissante était à la fois dispensatrice d'enseignement, de diplômes, assurant la discipline professionnelle et conseillant au besoin les pouvoirs publics. De plus, à l'époque, on pouvait parler d'art mais non de science médicale. Si des médecins, chirurgiens, apothicaires se trouvaient dans les académies existantes, ils y étaient pour leurs connaissances personnelles en anatomie, botanique, physique, chimie... voir en lettres ou en architecture !

 

Quand, plus tard, Société royale de Médecine et Académie de Chirurgie furent créées, subventionnées, logées et leurs membres pensionnés, ce furent des institutions d’État sans complexe d'infériorité vis-à-vis des autres compagnies et sans hostilité de la part de leurs aînés. Ainsi quand l'Académie de Chirurgie fut reconnue par le Roi (1748), on voit Fontenelle, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, lui communiquer le registre des sciences comme modèle et Boize, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions composer sa médaille.

 

Créations de l'Ancien Régime, toutes ces Académies sont supprimées le 8 août 1793.

 

Mais deux ans plus tard, plusieurs de ces grands corps scientifiques ou littéraires anciens jusque-là autonomes7 sont regroupés dans l'Institut national des Sciences et des Arts (loi du 3 brumaire An IV, 25 octobre 1795, et du 15 germinal An IV, 4 avril 1796).

 

Réorganisé par le Premier Consul (3 pluviôse An X, 23 janvier 1803) puis par l'Empereur29 ventôse An XIII, 20 janvier 1805), il devient l'Institut de France et est installé dans son palais, ancien collège des Quatre Nations, quai de Conti, dont la chapelle modifiée est devenue la "Coupole" réservée aux séances solennelles. Il comprend les trois académies déjà citées, plus l'Académie des Beaux-Arts créée par la Convention en 1795 en groupant les différentes classes d'artistes prévues par Colbert et Mazarin. Une ordonnance royale de 1832 y ajoutera l'Académie des Sciences morales et politiques qui fondée en 1795 par la Convention, fut supprimée par Napoléon en 1803 et rétablie trois décennies plus tard8 .

 

Pourquoi l'Empereur organisant l'Institut de France omit-il les disciples d'Esculape ? La division entre médecins et chirurgiens et leurs rivalités mesquines l'arrêtèrent-il ? Il fallut le travail opiniâtre d'Antoine Portal médecin de Louis XVIII, pour obtenir leur union dans l'Académie de Médecine quinze ans plus tard. Louis XVIII meurt en 1824, Portal reste l'archiatre de Charles X qui le fait baron. Mais il a 82 ans et son crédit a peut-être baissé. Lors de l'ordonnance royale de 1832 rattachant l'Académie des Sciences morales et politiques - train d'introduction dans l'Institut dont il aurait fallu profiter - il n'est plus de la maison du nouveau roi Louis-Philippe, et c'est l'année de sa mort. Il avait 90 ans.

 

D'autre part, l'Académie s'organise encore et recherche avec anxiété un toit digne d'elle pour l'abriter. Elle a d'autres soucis que celui-là !

 

Parmi les différents projets de logement pour l'Académie, un d'entre eux consistait à ajouter une aile aux annexes de l'Institut avec possibilité de siéger sous la coupole pour des séances solennelles. C'était un début d'intégration. Des objections furent présentées et la tentative abandonnée.9

 

Bibliothèque

 

Pour conserver les documents provenant du passé, assurer la documentation scientifique indispensable à ses entretiens, l'Académie se devait de posséder une bibliothèque importante. D'après les estimations internationales publiées en 1943, sa bibliothèque médicale se classe au troisième rang en France10, et au septième dans le monde.

 

Elle renferme plus de 300 000 volumes. Par les archives de la Société royale de Médecine (1776-1792) et de l'Académie royale de chirurgie (1731-1793) dont elle est l'héritière, elle constitue pour les historiens une documentation extrêmement précieuse sur la médecine au XVIIIe siècle. Ce fonds renferme plus de 1.350 manuscrits.

 

Daremberg, son premier bibliothécaire (1846-1848), puis membre libre (1868) avait patiemment constitué une très riche collection d'ouvrages de médecine ancienne (plus de 7 000, dont 123 incunables). A sa mort, l'Académie racheta cet ensemble pour 45 000 francs or, dont la moitié payée par l’État (1873).

 

Également premier titulaire de la chaire d'Histoire de la médecine, ce conservateur a fait prévaloir à la bibliothèque de l'Académie une richesse toute particulière intéressant cette discipline.

 

Elle possède une iconographie très importante (45 volumes) groupant des milliers de portraits de médecins plus ou moins célèbres à travers les âges. Des dons de bibliothèques médicales importantes l'ont également enrichie. Elle reçoit 720 périodiques (360 français, 360 étrangers). Ainsi, malgré un budget réduit, grâce aux héritages, échanges, dons des particuliers ou des auteurs, la bibliothèque s'enrichit constamment.

 

Des salles de lecture, calmes et agréables, permettent une consultation aisée des documents. Les réserves ont été agrandies et vont l'être encore prochainement. En principe réservée aux académiciens, son accès peut être étendu aux médecins, historiens et scientifiques sur autorisation spéciale du Secrétaire perpétuel.

 

Un service moderne de photocopie permet d'assurer rapidement l'envoi des renseignements bibliographiques demandés tant de France que de l'étranger.

 

Un index biographique des membres, associés et correspondants de l'Académie depuis sa fondation a été dressé par les conservateurs. La deuxième édition parue en 1972 groupe 3 014 notices.

 

Lors de certaines séances consacrées à l'évocation de grands savants disparus, de grandes découvertes ou de grands événements, des expositions d'objets ou de documents s'y rapportant sont organisées par les soins des conservateurs dans la salle des bustes. Citons en 1977 et 1978 : J.B. Caventou (mai 1977) ; Cl. Bernard (avril 1978) ; Mort de Voltaire (mai 1978) ; Études hippocratiques (fonds Daremberg et Littré) (septembre 1978) ; P. Bert (décembre 1978).

 

Un grand nombre d'objets d'art (peintures et sculptures) ornent les salles de l’hôtel de la rue Bonaparte.

 

Citons seulement parmi les sculptures :

 

- l'Hippocrate du sculpteur athénien Dimitriadis, grand bloc de marbre blanc de 2,70 m de haut qui préside les séances ;

 

- de nombreux bustes en marbre ou en bronze dus à Houdon11, David d'Angers12, Gayrard, Flatters, Dubois, Chinard, Maillard, Robinet, Franceschi...

 

Parmi les peintures, quelques très beaux portraits de médecins par Gérôme, Boulanger, Bonnat, Duplessis, Scheffer, Domergue, Vuillard, Calcar. Quelques grandes compositions dont : Pinel faisant enlever les fers aux aliénés et Larrey opérant sur le champ de Bataille de Muller ainsi que Épisode de la fièvre jaune à Valence d'Aparicio (élève de David).

 

Il existe également un beau médaillier et une collection de souvenirs précieux parmi lesquels : un porte-documents ayant appartenu à Larrey ; un stéthoscope en bois fabriqué par Laennec ; une tabatière offerte à Laennec par Madame de Chateaubriand et, plus dignes du musée Dupuytren, trois calculs extraits de la vessie de Sainte-Beuve lors de son autopsie, etc.

 

Prix et récompenses

 

Conseillère des pouvoirs publics pour tout ce qui touche la santé publique, l'Académie se doit de susciter, d'encourager les recherches médicales (médicaments nouveaux, épreuves diagnostiques, techniques chirurgicales rénovées, enquêtes statistiques épidémiologiques, etc.).

 

Pour subventionner les chercheurs isolés ou les équipes, récompenser les succès, il faut des prix et des médailles. Cela exige des ressources financières importantes.

 

Au départ, l’État aida par la création de quatre prix inscrits au budget : un pour la médecine, un pour la chirurgie, un pour la pharmacie, un pour des sujets d'intérêt commun aux différentes sections. Ils furent progressivement supprimés à l'exception d'un seul dit "de l'Académie" (500 F annuel) qui persiste encore.

 

Pour suppléer à sa carence, le gouvernement fit confiance aux mécènes en autorisant l'acceptation - sans droit de mutation - "des legs et donations destinés à favoriser les progrès de la science". Grâce aux revenus des fondations ainsi constituées, l'Académie peut assurer récompenses et subventions allouées chaque année. Très diverses d'origine, souvent inscrites dans des testaments : malades mourant d'une tumeur incurable, familles désirant éviter un tel supplice aux autres, parents pleurant un être chéri, veuves ou enfants voulant conserver le souvenir d'un époux ou d'un père illustre, parfois simple désir d'encourager la recherche, etc.

 

Certains académiciens, sans descendants directs, ont également laissés leur fortune à la Compagnie (Charles Achard, Paul Mathieu...) ou fondé des prix importants.

 

A la lecture des actes notariés, on est parfois ému de la condition matérielle modeste des donateurs qui se sont privés durant leur existence pour créer un prix à leur mort. Un exemple à citer est celui du docteur Capuron, logé toute sa vie dans sa chambre d'étudiant. Il passait pour avare jusqu'à ses obsèques où l'on vit une foule de miséreux témoignant par leur présence de sa charité inlassable et discrète. Il laissa toute sa fortune à des oeuvres de bienfaisance sans oublier la création d'un prix à l'Académie en 1851.

 

L'Académie a 49 prix créés avant 1900. Capitaux versés en or, ils sont réduits du fait des dévaluations successives à des sommes dérisoires en franc papier. Ils portent cependant de grands noms : comte Hugo, baron Larrey, Orfila, Ricord, baron Portal. Ce dernier avait donné 120 000 F or en 1832, soit 600 francs de rente annuelle. D'après lui, cette somme devait permettre au lauréat de subvenir à ses besoins pendant six mois. Cent cinquante ans après, que ferait-il avec 100 francs par mois13 ?

 

Généreuse, avec pudeur, l'Académie a caché cette escroquerie d’État envers les donateurs par l'attribution d'un diplôme et d'une belle médaille d'argent gravée au nom du donateur et du lauréat.

 

Heureusement des prix importants récents ont pu être créés, plusieurs de 60 000 à 100 000 F, mais tous - même les plus modestes quand à leur valeur vénal actuelle - donnent le titre toujours prisé de "Lauréat de l'Académie".

 

Depuis 1974, des subventions de recherches importantes sur des sujets donnés sont accordés chaque année.

 

Ainsi l'Académie nationale de Médecine - à la création de laquelle a tant contribué notre aïeul - poursuit sa tâche éclairée et désintéressée.

 

Son histoire se confond avec celle des progrès de la médecine. Compétente, vigilante, consciencieuse, indépendante ; grâce à son recrutement continu, elle maintient une sage constance de raisonnement sans se couper pour cela de la réalité.

 

Les pouvoirs publics qu'elle conseille, la population qu'elle protège, peuvent lui faire confiance.

Par J. Cheymol.

 



1 - Médecin du Roi.

2 - Envoi à la casse et à la fonte de la statue de bronze du "Bien-Aimé".

3 - La constitution de l'An III (1795) permettait la formation de sociétés libres non officielles, non subventionnées.

4 - Sans oublier le Comité de la vaccine, créé par arrêté d'avril 1804 pour la propagation de la méthode de Jenner en France. Il fut dissout en juillet 1823, la nouvelle Académie devant assurer sa mission.

5 - De son nom, Talochon, un des derniers frères-chirurgiens de "la Charité". Émigré en 1792, il fut le principal chirurgien des troupes des Princes, avant de devenir celui de Louis XVIII.

6 - Il est admis, à tort semble-t-il, d'attribuer le dessin des costumes académique au peintre David. Ces uniformes sont bien trop simples pour avoir tenté le crayon du grand ordonnateur des festivités du Consulat et de l'Empire.

7 - Baptisés classes, ils retrouvent leur appellation "académies" en 1816.

8 - Bien qu'aucune ne renferme un quota de médecins, un certain nombre de médecins, pharmaciens ou vétérinaires font partie de l'Institut pour leurs compétences personnelles dans les différentes académies. La réforme de 1976 de l'Académie des Sciences parle de division des sciences chimiques, naturelles, biologiques et médicales. Inversement, la 7e section de l'Académie de Médecine renferme des membres libres "savants et personnes pouvant prêter un concours utile à l'Académie", non médecins, pharmaciens ou vétérinaires appartenant à l'Institut de France.

9 - Extrait de "La Médecine et notre temps", rendez-vous annuel avec l'actualité médicale publié sous la direction de MM. André Lemaire et Jean Cottet. Flammarion 1980.

10 - Après celles des Facultés de médecine de Paris et de Montpellier.

11 - Dont un buste de Houdon, offert par Portal, mais dont l’authenticité est aujourd'hui contestée par les experts du musée d'Orsay.

12 - Le buste du baron Portal, dont presque tous les descendants de la branche de Vialar, ont chez eux, une reproduction à l'échelle.

13 - Somme, qui du fait d'autres dévaluations survenues depuis, ne représente aujourd'hui que 5 € !