Les Miquel

 

 

 

La nouvelle ville de Pointe à Pitre

 

 

Ce n’est que dans les années 1770 que Pointe à Pitre commence vraiment à devenir une ville, à partir de rien, par décision gouvernementale. Le registre paroissial reste commun (une seule paroisse) entre les Abîmes, quartier d’habitants à l’intérieur, sur la terre ferme, et Pointe à Pitre, ville de commerce avec ses institutions, construite en bord de mer sur des marais où émergent des mornes. Le registre ancien recopié, comme le demandait l’édit de 1776, s’intitule "registre de Pointe à Pitre" mais, en 1790 par exemple l’intitulé du registre envoyé en France est "registre de la ville et paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de la Pointe à Pitre quartier des Abîmes".

Il faut attendre 1846 pour que soit constituée une commune et paroisse des Abymes séparée de Pointe à Pitre et même déplacée à 5 km à l’intérieur (et le registre d’état civil correspondant). La famille Picou et alliés reste une famille d’habitants, donc des Abymes et non de Pointe à Pitre mais, nous allons le voir, une partie de la nouvelle ville s’établit sur des terrains lui appartenant. C’est ainsi que, en décembre 1789, "Mrs Picou frères, vendent une habitation à 500 pas de Pointe-à-Pitre, propice à faire du café, et de deux maisons à Pointe-à-Pitre, dont l’une vis-à-vis Mme Claveau".

On a gardé trace dans les archives d’un long procès entre les représentants de la famille Picou et les habitants de Pointe à Pitre.

Sur la constitution de la nouvelle ville, on consultera la thèse d’Anne Pérotin. Nous n’en parlerons donc pas mais nous utiliserons des passages de son étude.

"Les terres du quartier des Abymes sont concédées, arpentées, depuis le début du siècle. Il est vrai que là où on a décidé d’installer la nouvelle ville, c’est encore le marais qui règne. Les administrateurs paraissent avoir espéré que, pour des terrains noyés en marge de leurs propriétés, les quelques habitants concernés se laisseraient faire et que le montant du dédommagement à leur verser serait relativement bas."

A la veille de la période révolutionnaire de Guadeloupe, vers 1792, est imprimée à la Basse Terre par "Fr. Cabre et Al. Villette" une Réponse "contre MM. Les habitants de la Pointe-à-Pitre, représentés par la municipalité du lieu, suite et diligence de M. le procureur-syndic, défendeurs au principal et demandeurs en garantie", par les héritiers de Pierre Picou qui sont alors :

- dame Anne Antoinette Picou veuve de M. Joseph Soubiès ;

- MM. Jean-Baptiste Picou-Bélance et Jacques-Pierre Picou, en leurs noms et comme héritiers de M. Picou aîné leur frère ;

- M. Thomas Stivenson, veuf de dame Françoise Antoinette Renard qui était veuve en 1ères noces de M. Pierre Picou, en son nom et comme tuteur principal des demoiselles Marguerite et Françoise Stivenson, de son mariage avec ladite veuve Picou ;

- M. Jacques-Laurent Faugas, comme curateur de M. Thomas Stivenson fils, majeur absent.

Ce document (que nous avons utilisé pour mieux comprendre les faits) reconstitue l’histoire des concessions Garet puis Picou, les démêlés des héritiers Picou avec les concessionnaires de la nouvelle ville du "Morne Renfermé" (future Pointe à Pitre), le jugement décidant dédommagement pour les Picou sous forme d’une rente annuelle de 20 sols par pied carré par les concessionnaires, ce qu’ils refusèrent, donnant lieu à un nouveau jugement qui réduisit la rente à 10 sols ; nouveau refus. En 1769 le comte d’Ennery, gouverneur, décida d’acheter, pour en faire don à la nouvelle ville, les 11 carrés de terre litigieux, se réservant l’emplacement du Morne Renfermé ou morne dit Picou pour bâtir l’hôtel du gouvernement. Mais quand les habitants de Pointe à Pitre réclamèrent la propriété de ce morne, les héritiers Picou devenus majeurs protestèrent de nouveau, arguant que la vente de 1769 avait lésé leurs droits alors qu’ils étaient mineurs. Le 17 février 1790, le Conseil supérieur tranchait entre les habitants de Pointe à Pitre, représentés par Thouluire-Mahé et "les sieurs Picou frères", à propos des onze carrés de la donation de 1769, en décrétant que les premiers étaient autorisés à "fouiller et escarper le morne dit Picou objet de la contestation pour en employer les déblais à tous comblements nécessaires" et en décidant que, "après que ledit Morne Picou aura été aplani et nivelé, il y sera réservé un emplacement pour bâtir l’hôtel du gouvernement. " »Au temps de Victor Hugues, le Morne Renfermé, puis Picou, puis du Gouvernement, devenu place de la Victoire, demeurera le siège des autorités.

Le long procès entre les héritiers de Pierre Picou et les habitants de Pointe à Pitre ne se terminera qu’en 1825 !

 

Bernadette et Philippe Rossignol, « Généalogie et Histoire de la Caraïbe », N° 179, mars 2005.