Appendices Meynier

 

 

 

PANÉGYRIQUE DU GÉNÉRAL MEYNIER

 

 

L'aspect inhabituel de l'éditorial vous indique déjà que nous déplorons un deuil récent. C'est assurément le plus douloureux qui pouvait nous atteindre puisque nous avons perdu à la fois un chef au nom prestigieux, respecté et aimé de tous, le fondateur de notre association, un président qui depuis plus de soixante années avait consacré à l'Afrique une intelligence lumineuse, un courage sans faille, une imagination hardie, une activité sans cesse agissante.

Il avait servi la cause africaine dans la carrière militaire qu'il avait lui-même choisie, comme dans les hauts emplois de l'administration civile qui lui furent confiés, comme enfin il le fit, avec non moins d'ardeur et de succès, alors que retiré dans la magnifique villa de Miramar dont le charme méditerranéen l'avait séduit, dans sa bibliothèque ensoleillée, entouré des soins attentifs prodigués par Madame Meynier, dépositaire de ses pensées et collaboratrice de son œuvre, il mettait en lumière pour tous ceux qui l'écoutaient ou le lisaient, la nécessité de l'union de l'Europe et de l'Afrique sous le vocable d'EURAFRIQUE qu'il donna lui-même à l'association et à la revue qu'il créa à Alger.

Je voudrais pour nos lecteurs et nos amis, retracer la vie exemplaire du Général Meynier, rappelant ses hauts faits, essayer d'écrire fidèlement comment il réalisa les ingénieux programmes qui tous tendaient à l'union eurafricaine à laquelle il s'était voué.

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Le colonel Meynier, père du général, qui appartenait lui-même à l'Infanterie de Marine, avait été, en 19521, le premier chef des services administratifs de Dakar, le premier maire de la bourgade qui devait devenir la grande capitale du Sénégal.

Il était bien naturel que le sous-lieutenant Octave Meynier, sortant de Saint-Cyr en 1895, demanda et obtint son affection dans la même Infanterie de marine et partit sans tarder pour le Soudan. Il prend une part active à la pacification de la boucle du Niger en luttant pour protéger une population pacifique contre les deux fléaux que représentent d'une part vers le Sud les terribles sultans négriers que sont les Hadjomar, les Samory, etc. d'un autre côté, les hordes de pillards des Maures et des Berabers dont les harkas meurtrières repartaient vers le Nord avec un riche butin d'esclaves et de chameaux.

Les succès militaires et les résultats politiques obtenus par le lieutenant Meynier lui valent en 1898 une citation à l'ordre du Soudan et il est désigné comme adjoint au colonel Klobb pour l'exécution d'une enquête sur la mission Voulet-Chanoine. C'est le drame de Dankori où la colonel Klobb est tué, le lieutenant Meynier blessé, le 14 juillet 1899.

Trois mois plus tard, ce dernier à peine guéri prend aux côtés du capitaine Joalland, le commandement de la mission d'Afrique centrale qui doit rencontrer au Tchad deux autres missions : celle du Chari venant du Sud sous les ordres de Gentil et Robillot et la mission transsaharienne de Foureau et Lamy qui a mis près de deux ans à traverser le grand désert au prix de fatigues sans pareilles et en surmontant les plus grandes difficultés.

Les trois missions réunies livrent combat à Kousseri au sultan Rabah, tyran du Tchad, et le 22 avril 1900, le lieutenant Meynier est à nouveau blessé. La victoire est acquise ; elle est chèrement payée par la mort du commandant Lamy mais elle ouvre une page brillante du destin africain de la France en réalisant l'union des territoires de l'Afrique du Nord, de l'Ouest et du Centre Africain et en y garantissant désormais la paix et la prospérité française.

La part prise par le lieutenant Meynier dans cette campagne brillante, lui vaut deux citations, la croix de la Légion d’honneur et les galons de capitaine. Il est à ce moment âgé de 26 ans.

Les soins donnés à ses blessures et la préparation du concours de l’École supérieure de Guerre vont le tenir écarté de l'Afrique pendant quelques années. Il est breveté d’état-major en 1907 et repart au Soudan où il est chargé des fonctions d'adjoint au commandant militaire de Tombouctou. C'est là, au cœur du pays Songhai que le général Meynier écrivit son premier livre : "L'Afrique Noire", ouvrage qui fut couronné par l'Académie Française.

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En 1910, il est choisi comme professeur à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr où il reste deux ans. Puis, nommé chef de bataillon, il est désigné pour occuper les fonctions de sous-chef du Cabinet militaire du Gouverneur général Lutaud à Alger. C'est la prise de contact du Général Meynier avec l'Afrique du Nord et il est séduit dès l'abord, par ce pays lumineux, ouvert à l'activité des hommes et où tant de choses sont à faire. Il est attiré par le Sahara qui lui apparaît comme le chemin naturel conduisant de la Méditerranée vers l'Afrique Noire à laquelle il reste fidèle.

En 1913, il est nommé commandant militaire du Territoire des Oasis, à Ouargla, où il ne tarde pas à mettre au point et à mûrir un plan de modernisation du Sahara. Il était en effet évident pour lui que le désert où l'homme se trouve en danger permanent en raison même de l'immensité du pays et de son absence de ressource, pourrait être vaincu par les moyens de transport et de communication que la science moderne met à notre disposition, en attendant que d'autres moyens plus modernes encore, permettent la mise en valeur de ce pays en apparence déshérité.

Et tout d'abord n'apparaît-il pas clairement qu'une voiture automobile permet de parcourir en une heure la distance pour laquelle une journée de chameau était nécessaire, et peut-être une distance plus longue encore si la piste est en bon état et bien balisée. Selon les mêmes proportions, l'avion couvre en une heure la distance pour laquelle une journée d'automobile était nécessaire.

Le programme dessiné par le général Meynier comportait donc tout d'abord un réseau de pistes automobilisables qui à l'origine avait pour but de relier entre elles les principales oasis mais qui devaient se transformer rapidement en plusieurs axes transsahariens sur lesquels s'établissaient tous les quatre à cinq cents kilomètres des postes de ravitaillement et de réparations, des gîtes d'étape et même des hôtels. Bien mieux, ces pistes transsahariennes devaient constituer l'infrastructure des lignes aériennes qui allaient survoler les immenses territoires sahariens.

Le programme prévoyait aussi l'installation dans chaque poste ou étape d'appareils radiotélégraphiques ou téléphoniques assurant des liaisons rapides et peu onéreuses qui garantissaient la sécurité des caravaniers, des transporteurs et des voyageurs. C'est ainsi que se préparait par un équipement moderne du Sahara le prodigieux développement économique de ce désert devenu actuellement une des sources de la richesse mondiale.

C'est ainsi également que, selon les plans du commandant Meynier, devenu par la suite général et directeur des Territoires du Sud, le pays de la peur et de la soif allait devenir un lien entre l'Afrique du Nord et le Pays Noir, puis entre la Méditerranée et l'Afrique et enfin entre l'Europe et l'Afrique.

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Mais nous ne sommes encore qu'en 1916, la guerre mondiale dure depuis deux ans, le commandant Meynier, Commandant militaire du Territoire des Oasis, doit, avec des moyens réduits, faire face aux attaques des Sénoussistes qui, encouragés par les succès remportés par nos voisins italiens et ravitaillés par les Allemands, attaquent Djanet et s'en emparent. Le commandant Meynier prend la tête de la colonne de secours et arrive devant Djanet le 11 mai 1916. Après trois jours de durs combats, il parvint à reprendre Djanet. Le drapeau français fut à nouveau hissé au sommet du minaret de la zaouïa devenue Fort-Charlet. Une lettre de félicitations et de remerciements lui fut adressée par le gouvernement et il fut fait officier de la Légion d’honneur. Il était nommé lieutenant-colonel au mois de juin 1916.

Cependant le calme n'était pas revenu dans le Sahara méridional et les incursions des Sénoussistes se poursuivaient vers le Hoggar et le Niger et c'est au cours de l'une d'elles que fut assassiné, le 1er décembre 1916 à Tamanrasset, le père de Foucauld qui n'avait cessé de donner au commandant Meynier, chef du Territoire, les marques du plus grand attachement en même temps que les preuves du plus pur patriotisme.

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Cependant le colonel Meynier, malgré l'importance du commandement qui lui avait été confié aux frontières du Sahara méridional, ne pouvait s'empêcher de déplorer son éloignement du front français où se décidait le sort de la Patrie. Il obtint d'être nommé au commandement du 1er régiment de Tirailleurs algériens, unité glorieuse qu'il rejoignit sur le front de Verdun.

Le 5 avril 1918, il avait le bras gauche arraché par un éclat d'obus au Plessier. Il était fait commandeur de la Légion d’honneur et obtenait la citation que voici :

"Officier Supérieur extrêmement méritant, Chef de Corps distingué, qui a donné, par l'exemple d'une activité inlassable, une vigoureuse impulsion à tout son régiment. Quelques instants avant une attaque, a été grièvement blessé en parcourant les premières lignes pour s'assurer que tout le monde était bien à sa place et surtout pour exalter la bravoure et le courage de ses tirailleurs. Transporté au poste de secours, surmontant la douleur, souriant à tous a, dans le calme le plus impressionnant, donné ses instructions pour le passage du commandement en recommandant avec insistance de ne songer qu'à l'assaut et d'y aller résolument".

La guerre terminée et sa blessure cicatrisée, le colonel Meynier est nommé Chef d’état-major de la Première division polonaise, puis à la mission militaire française en Autriche, et il revient en France où il commande successivement le 78ème d'Infanterie, puis le 520ème Régiment de chars d'assaut.

Il écrit à ce moment un nouvel ouvrage, "Les Conquérants du Tchad", qui est couronné par l'Académie Française et qui montre que l'Afrique reste au centre de ses pensées.

Mais il ne tarde pas à y retourner car il est choisi comme chef de son Cabinet militaire par M. Maurice Violette, nouveau gouverneur général de l'Algérie, qui lui confie les fonctions de Directeur des Territoires du sud, c'est-à-dire pratiquement grand maître du Sahara. Le général Meynier va exercer pendant plus de dix années ces importantes fonctions, réalisera le programme de modernisation et d'équipement du Sahara qu'il avait établi en 1914 alors qu'il était commandant militaire du Territoire des Oasis. Il parviendra, en dépit des difficultés qui sont grandes en raison de l'indifférence générale pour un désert qui n'offre encore aucune promesse de rentabilité, à créer un réseau complet de liaisons transsahariennes. Les pistes du Tanezrouft et du Hoggar sont, si l'on peut dire, inaugurées par le rallye Méditerranée-Niger que le Général organise en 1930 à l'occasion des fêtes du Centenaire de l'Algérie et qui permettra à quarante voitures de tourisme, de traverser à deux reprises le Sahara.

Au cours de cette même période est poursuivie la prospection scientifique et artistique du grand désert, en même temps que sont établis des programmes de mise en valeur des régions sahariennes.

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Lorsqu'il prend sa retraite en 1935, le général Meynier ne ralentit pas pour autant son activité créatrice. Il va au contraire disposer de plus de temps, de plus de liberté de pensée, pour mener à bien les projets qui lui sont chers.

Il était alors à l'origine de toutes les grandes idées et de toutes les réalisations généreuses qui tendent à développer les relations entre l'Europe et l'Afrique et, en apportant aux Africains l'aide économique, culturelle, financière de l'Occident, à améliorer les conditions de vie des populations du Continent noir et les préparer à la direction de leurs propres affaires. Il écrit :

"Il est grand temps que l'Europe, qui a toujours tenu la tête des grandes idées humaines, prenne de plus en plus la forme d'un seul bloc eurafricain lequel avec sa population de plusieurs centaines de millions d'habitants, avec ses ressources de tous ordres, ait conscience de sa personnalité et de sa force.

Aux côtés des deux Grands, il y a place pour un troisième Grand qui, tout en demeurant fidèle à ceux qui l'ont sauvé de la servitude et du désespoir, pourra prendre figure personnelle et dire son mot dans les conflits des peuples, pour les arbitrer au besoin."

Lors du Congrès de l'Alliance Internationale du Tourisme en 1938 à Bukavu, qui s'appelait alors Costermansville, le général O. Meynier qui y représentait en même temps que l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, l'Automobile-Club et l'Aéro-Club de France, soumit aux congressistes un projet de rallye automobile transafricain entre Alger et Le Cap. Voici ce qu'il disait aux représentants de tous les pays venus assister au Premier congrès du tourisme africain :

"Lorsque les réseaux de pistes et de routes partant de la Méditerranée où ils rejoindront les liaisons maritimes vers l'Occident relieront, sans solution de continuité, les pays de la Méditerranée à ceux de l'Afrique du Sud, lorsque des ententes sympathiques seront nouées entre les différents peuples d'Afrique, lorsque les savants de toutes ces régions s'entendront par dessus déserts et forêts pour créer une science africaine, lorsqu'enfin des échanges économiques s'effectueront au profit de tous... le moment sera bien proche d'une union intime entre tous."

Le Général Meynier voyait dans l'organisation de rallies africains un moyen immédiat de mettre en contact sympathique les peuples méditerranéens avec ceux de l'Afrique et de rendre plus faciles les liaisons terrestres entre eux.

Il a déjà organisé en 1930 le premier de ses grands rallies africains sur les itinéraires de la Méditerranée au Niger, par les pistes du Tanezrouft et du Hoggar.

En 1950, il développe son idée et c'est l'Afrique entière que traverseront les automobilistes du 1er Rallye Méditerranée-Le Cap. Et puis régulièrement toutes les deux années, un nouveau rallye transafricain marquera les progrès réalisés dans le tracé et l'infrastructure des pistes, dans l'équipement hôtelier, dans le réseau des postes de ravitaillement, de réparations, dans les moyens de communications télégraphiques et aériennes et, enfin, dans les relations entre les pays africains et européens.

Depuis 1950, cinq rallies transafricains se sont déroulés avec le plus grand succès, réalisant des performances qui dépassent déjà les espoirs du Fondateur et si la situation politique actuellement troublée de l'Afrique a empêché le passage en 1961 des voyageurs à travers certains pays, les obstacles matériels qui naguère encore gênaient les automobiles, ont eux-mêmes disparu et les voitures de tourisme ordinaire peuvent désormais circuler sans difficulté sur les pistes et les routes transafricaines.

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Sur le plan économique, le général Meynier, participant à plusieurs missions africaines, recherche le développement des relations commerciales entre l'Afrique du Nord et l'Afrique Noire. Le 25 mai 1937, M. Louis Morard, Président de la Région économique d'Algérie, crée à Alger le Comité Algérie-A.O.F., dirigé par le général Meynier, qui reçoit pour mission, en liaison avec le gouvernement métropolitain et les autorités des possessions françaises d'Afrique, d'apporter son concours à toutes les institutions et entreprises d'ordre commercial, agricole, industriel, culturel et touristique intéressées au développement des relations entre l'Afrique du Nord et l'Afrique Noire.

Dans le même temps, l'Afrique occidentale avait créé à Alger un comptoir placé sous la direction de M. Cardinal, qui avait pour mission de faciliter les échanges et les rapports entre producteurs et commerçants des deux pays.

Sur le plan culturel, le Comité Algérie-A.O.F. avait inscrit dans son programme les missions suivantes dans lesquelles on retrouve l'action généreuse du Général Meynier :

·       Créer entre l'Algérie et l'A.O.F. un échange continu de savants et d'idées qui permettra d'avoir une meilleure connaissance réciproque et qui contribuera par une certaine unité d'action et de doctrine, à la création d'une science spécifiquement africaine et d'une communauté profonde de sentiments ;

·       Favoriser par tous les moyens la création d'institutions savantes, telles que l'Institut de Recherches Scientifiques de l'Afrique Noire et l'Institut de Recherches Sahariennes qui travailleront en commun accord et se documenteront réciproquement ;

·       Soutenir les missions de savants, professeurs, techniciens se rendant en Afrique Noire pour y poursuivre leurs recherches, ainsi que les missions que l'A.O.F. pourrait envoyer dans des fins analogues en Algérie ;

·       Accorder des bourses d'étude à des étudiants et à des professeurs afin de réaliser au maximum l'interpénétration intellectuelle et morale des deux pays.

Sur le même plan culturel, le général Meynier fut naturellement parmi les fondateurs de l'Institut de Recherches Sahariennes qu'il considérait depuis toujours comme nécessaire à la mise en valeur des régions sahariennes insuffisamment prospectées. Le 2 juin 1937 la Commission des relations culturelles du Comité Algérie-A.O.F. présidée par M. Louis Morard, Président de la Région Économique d'Algérie, se prononçait pour la création de "l'Institut de Recherches Sahariennes" qui fut réalisée par le recteur G. Hardy avec le concours de savants et spécialistes des régions sahariennes.

 

Jusqu'à ses derniers moments, le général O. Meynier, avec la même intelligence lucide et une courageuse opiniâtreté, avec le même souci constant de la grandeur de son pays et du bonheur de l'humanité, a poursuivi la réalisation de ses idées eurafricaines.

Sa collaboratrice de chaque instant : Madame Meynier, ces collaborateurs des "Amis du Sahara et de l'Eurafrique", mesurent l'immensité de la perte qu'ils ont faite.

Ils pensent que leur devoir est de continuer l'œuvre entreprise par celui qu'ils aiment et qu'ils admirent. Ils vous demandent de les y aider.

"Amis du Sahara et de l'Eurafrique" et  "Revue Eurafrique". A. Nabal.

 



1 - Coquille. Lire 1852.