Son éloge
funèbre
Eloge funèbre par M. Coste
A
l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de
Audience solennelle de rentrée de
Lundi dernier a été
tenue, avec le cérémonial habituel, sous la présidence de M. Vacher, Premier
Président, l'audience solennelle de rentrée de
A cette occasion, M.
Coste, Procureur Général, a prononcé le discours suivant :
Monsieur le Premier Président,
Messieurs,
"Les courtes
allocations que nous consacrons à la mémoire des magistrats disparus pendant le
cours de l'année, ne peuvent échapper à la banalité, que si nous cherchons dans
la vie, dans la carrière de nos anciens collègues, tout à la fois, un exemple
qui nous serve de contrôle et un encouragement à bien remplir nos devoirs
professionnels.
"Nous entretenir
d'un homme de bien dont nous avons connu la loyauté, la rectitude, la ferme
impartialité, ce n'est pas seulement nous conformer à une pieuse tradition.
C'est aussi rappeler ce qui distingue le magistrat et les services qu'il doit
rendre à la société, marchant, avec toutes les forces vives de son cœur et de
son intelligence, vers le but idéal qu'il s'efforce d'atteindre, sans se
laisser distraire ni par les flatteries ni par les injures. C'est, en même
temps, faire, par voie de comparaison, une sorte d'examen de conscience, et,
scrutant le fond de nos pensées et de nos actes, nous assurer que nous aussi,
nous avons su, en toute circonstances et à l'égard de tous, faire preuve de la
même scrupuleuse exactitude. Chacun de vous, Messieurs, a ses aptitudes
propres. Mais, tous pénétrés du respect de vous-même et du respect de vos
fonctions, soutenus par cette estime mutuelle que fait naître une collaboration
s'inspirant du même amour de la justice, du même désir d'être les fidèles
interprètes de la loi, vous reconnaîtrez en vous une partie des qualités du
collègue dont j'évoque le souvenir, et son éloge deviendra, dans ma bouche, un
hommage indirect rendu à la compagnie judiciaire à laquelle il s'honorait
d'appartenir.
"La mort
imprévue de M. le conseiller Huré a été, pour
"Il est
profondément douloureux d'assister aux dernières heures et à l'agonie lente des
êtres qui nous sont chers. Mais quand on est séparé les uns des autres, il
semble que la mort apparaisse sous une forme plus brutale. Car rien ne prépare
au funeste événement. Tout d'abord, on se refuse à croire au malheur annoncé de
si loin. On conserve je ne sais quelle vague espérance. On attend des
renseignements plus précis. Et, lorsque l'illusion n'est plus possible, le
temps qui, d'ordinaire, endort les plus vives douleurs, semble, au contraire,
en s'écoulant, avoir agrandi le vide autour de soi ; la perte devient chaque
jour plus cruelle, et, après plusieurs mois, sous le nom d'une maladie
quelconque, le père meurt, en réalité, de la mort de son fils.
"Respectueux de
volontés manifestées aux derniers moments de la vie, je me fais un devoir de ne
pas pénétrer dans l'intimité de la famille. Mais, restant au Palais, et dans le
cercle de nos fonctions publiques, je crois pouvoir rappeler que nous avons,
pour ainsi dire, assisté au dépérissement physique et moral de notre malheureux
collègue. Sa fermeté et l'aménité de son caractère dissimulaient mal ses
souffrances et ses tristes préoccupations. Quelques semaines avant sa mort, il
dut cesser toute participation aux travaux de
"C'est en 1860
que la famille Huré vint se fixer à Alger. Le père, chevalier de la légion
d'honneur, appartenait à l'administration militaire.
"Achille Huré ne
paraissait pas destiné à la magistrature. Il avait terminé ses études
secondaires au Lycée d'Alger, et passé avec succès le double examen de
bachelier ès-lettres et de bachelier ès-sciences.
"Il se fit, peu
de temps après, attacher à
"Admis au stage
en 1872, il était inscrit au tableau des avocats d'Alger, le 11 mars 1875.
"Sa vive
intelligence, sa parole élégante, alerte, quelque peu humoristique, la sûreté
et l'étendue de ses connaissances juridiques lui créèrent rapidement au Barreau
une situation exceptionnelle. Dès l'année 1877, il était élu membre du Conseil
de l'Ordre et, jusqu'au dernier jour d'une carrière qui s'annonçait aussi
brillante qu'elle était honorable, il conservait la confiance de ses confrères
qui le choisirent comme bâtonnier de 1883 à 1885. Ce choix s'expliquait
aisément par la capacité professionnelle, par la correction et l'impeccable
délicatesse, enfin par la courtoisie et la confraternelle bienveillance dont Me
Huré ne se départait jamais, au milieu des débats les plus passionnés.
"Cependant, le
soin méticuleux qu'il apportait à l'étude de ses dossiers et à la préparation
de ses plaidoiries ne donnaient pas à son amour du travail, à sa vaste
intelligence une suffisante satisfaction.
"Il n'entendit
pas rester étranger aux intérêts généraux de la ville où il comptait passer son
existence. Pendant onze ans, il fit partie du conseil municipal d'Alger, et,
dans cette période de temps, qui se place de 1874 à 1898, nous le voyons
administrateur du bureau de bienfaisance, attributions qui convenaient si
pleinement à ses sentiments, à ses principes de solidarité humaine.
"Mais, en 1898,
la fermeté de ses convictions républicaines ne lui permit pas de rester en
contact avec la municipalité nouvelle qu'allait présider M. Max Régis.
"Entre temps, et
le 18 mai 1898, il avait été élu Vice-président de
"Ces multiples
occupations et cet excès de travail devaient, on pouvait le prévoir, porter une
sérieuse atteinte à la santé de Me Huré, qui, au grand regret de ses
confrères, parmi lesquels il comptait de si nombreux amis, dut, en 1847[1], se
retirer du Barreau.
"Il entrait
alors comme chef du Contentieux à la banque de l'Algérie, où sa grande
expérience des affaires juridiques et administratives lui permettaient de
rendre de précieux services.
"L'histoire nous
apprend que le citoyen romain ne parvenait à la dignité suprême à laquelle il
aspirait qu'après avoir donné, dans plusieurs magistratures, la mesure de son
intelligence, de son activité, de ses aptitudes. Le plus souvent, on débutait
dans la vie publique comme avocat; puis, orateur politique, on était élu par
les assemblées du peuple ou du Sénat, prêteur, censeur, consul, dictateur,
tantôt au prétoire, ou à la tête d'une armée, tantôt administrant une province,
ou restant à Rome pour veiller à la sécurité de l'Empire.
"Il semble que
le destin, en lui imposant un long stage dans le cercle de services si
différents, ait voulu préparer M. Huré, à son insu et, on peut dire, malgré
lui, à remplir dignement les fonctions judiciaires qu'il ne paraissait pas rechercher.
"Il avait 54 ans
lorsqu'il fut nommé Conseiller à
"Ce début est
une fin de carrière pour beaucoup d'entre nous. Cependant,
"Assurément,
après 17 ans d'inscription au Conseil de l'Ordre, et deux ans de bâtonnat, Me
Huré eût été en droit de solliciter un poste élevé, aucun stage pour les
fonctions judiciaires ne pouvant être comparé à la pratique des affaires qu'on
acquiert au Barreau, ou à la tête d'une étude d'avoué.
"Mais le
magistrat, comme l'avocat, est appelé à étudier et à résoudre les questions les
plus diverses, et le passage de Me Huré, soit dans les administrations
municipales, soit au contentieux de
"M. Huré se
présentait à nous avec toutes les qualités qui devaient l'appeler à la
présidence de nos Cours d'Assises. Un terrible accident l'obligea à rester au
Palais et à se consacrer au service des audiences civiles ou correctionnelles.
"Il n'est pas
nécessaire de pénétrer le secret des délibérations pour se rendre compte de
l'importance de son intervention à
"A peine ai-je
besoin de rappeler devant vous, Messieurs, avec quelle attention il suivait les
débats. Se souvenant qu'il avait longtemps appartenu au Barreau, et sachant,
par expérience, combien le défenseur tient à cœur de ne rien laisser dans
l'ombre des considérations qui peuvent assurer le succès de sa cause, M. Huré
se faisait un scrupule de conscience de n'arrêter le développement d'une trop
longue plaidoirie, qu'après s'être assuré que
"Parmi les
éminentes qualités qui distinguaient ce magistrat, il importe de mettre en
relief la douceur et l'égalité du caractère, cette constante urbanité, cette
philosophie douce qui prenait sa source dans un grand fond de tolérance.
"Il ne croyait
pas aisément aux éloges qui lui étaient décernés, étant seul à méconnaître le
prix du concours qu'il prêtait à la justice.
"Mais il
reconnaissait au plaideur malheureux, et dans la plus large mesure, le droit de
critiquer le jugement. Il s'efforçait même de trouver, dans les vices unis à l'humaine nature, comme dit
Philinte, une excuse aux outrages adressés aux juges, quand le Ministère Public
ne le mettait pas dans la pénible obligation de les réprimer.
"D'ailleurs,
certaines agitations qui se passaient hors du Palais lui apparaissaient comme
des tempêtes dans un verre d'eau. Il n'en conservait aucun souvenir, une fois
revêtu de sa robe de conseiller, désireux avant tout de n'apporter sur le siège
aucune prévention fâcheuse, afin de pouvoir, le cas échéant, avec la même
impartialité calme et indulgente, rendre justice à ceux-là mêmes qui avaient pu
l'insulter.
"Messieurs, je
n'avais pas comme d'habitude, à rappeler les étapes d'une carrière de
magistrat. C'est l'existence d'un honnête homme dont j'ai eu à vous dire
quelques mots, existence qui, dans des conditions et des situations diverses, a
toujours été consacrée au bien, en même temps qu'au triomphe du droit et de la
justice. Partout où il a passé, M. Huré a laissé, avec la trace de ses
importants travaux judiciaires ou administratifs, le souvenir de la générosité
de son cœur et de l'élévation de son esprit.[2]