L'histoire des Huré

 

 

 

LA BATAILLE D’EYLAU

 

 

 

La bataille d’Eylau est une des plus sanglantes qu’ait livrées Napoléon 1er. Après la journée d’Iéna, le roi Frédéric-Guillaume, à qui il ne restait plus qu’une province et 25 000 soldats, s’était réfugié avec toute sa cour à Koënigsberg, attendant impatiemment l’arrivée des Russes, qui s’avançaient à marches forcées contre le vainqueur ; Napoléon se porta rapidement au-devant de ces nouveaux ennemis. Ils arrivaient déjà sur le Niemen ; Le 1er novembre 1806, un premier corps de 50 000 hommes, commandé par le général Benningsen, avait franchi ce fleuve et s’avançait sur la Vistule, suivi d’un second corps d’égale force sous les ordres du général Buxhoewden, tandis qu’une réserve s’organisait sous le général Essen, et qu’une partie des troupes du général Michelson remontait le Dulester pour accourir en Pologne. Toutes ces troupes réunies ne pouvaient pas former plus de 120 000 hommes, y compris les Prussiens qu’amenait à leur rencontre, sur la Vistule, le général Lestocq.

 

Pendant ce temps-là, Napoléon arrivait de sa personne à Posen, où venaient converger également les Maréchaux Ney, Soult, Bernadotte, à la tête de leurs corps respectifs. Maître du cours de la Vistule, hardiment conquis par ses lieutenants, Napoléon songea à établir ses quartiers d’hiver le long de ce fleuve ; mais auparavant il voulut frapper un coup qui rejetât les Russes jusqu’au Niemen, afin d’hiverner tranquillement autour de Varsovie.

 

Il manoeuvra de manière à attaquer les Russes dans la position qu’ils avaient choisie entre l’Urka et la Narew, les battit à Czarnowo et les força à se mettre en pleine retraite après une perte considérable en hommes et en artillerie.

 

L’ennemi, cependant, n’était pas découragé. Benningsen, nommé commandant en chef de l’armée russe, résolut, au moyen d’un vaste circuit, de se porter vers la région maritime par Braunsberg, Elbing, Marienbourg et Danzig. Il se flattait ainsi de surprendre l’extrême gauche des cantonnements français, et peut-être d’enlever d’un seul coup le camp du maréchal Bernadotte, établi sur la basse Vistule. Mais il n’avait pas fait entrer en ligne de compte, dans ses calculs ambitieux, l’activité inquiète, toujours en éveil, des lieutenants de Napoléon. En dépit de l’hiver, si âpre dans ces régions du nord, Ney, qui occupait la position la plus avancée, faisait des excursions hardies jusqu'à Koënigsberg ; dans une de ces courses, l’audacieux maréchal rencontra l’armée russe, qui s’avançait en deux colonnes dans la direction de la basse Vistule, pour y surprendre le corps de Bernadotte.

 

Ney se hâta de se replier sur lui-même, fit prévenir Bernadotte à sa gauche et Soult à sa droite du danger qui les menaçait, puis il envoya au quartier général, à Varsovie, la nouvelle de cette soudaine apparition de l’ennemi. Bernadotte se concentra aussitôt sur Mohrungen, où il livra à l’avant-garde des Russes un combat qui leur coûta environ 1 500 à 1 600 hommes, tués ou prisonniers. Par les avis que Napoléon reçut successivement les 26 et 27 janvier 1807, il fut complètement fixé sur les intentions de l’ennemi, et il arrêté aussitôt ses dispositions en conséquence. Il choisit le corps du maréchal Soult pour centre de ses mouvements, et fixa le lieu de concentration au bourg d’Allenstein. Lannes, avec le cinquième corps, fut chargé de protéger Varsovie, d’où Napoléon partit le 30 janvier.

 

Tandis qu’il donnait ses ordres avec ce coup d’œil militaire dont la sûreté n’a jamais été égalée, Benningsen était livré à mille incertitudes sur les mouvements de l’armée française, se flattant ou feignant de croire que la marche rétrograde de Bernadotte était commune à toutes nos troupes. Pendant ce temps-là, Napoléon continuait à s’élever sur son flanc gauche de manière à le tourner, à la tête de 75 000 hommes. Napoléon, qui aimait à pénétrer ses lieutenants de sa pensée, envoya une dernière dépêche à Bernadotte pour lui expliquer encore une fois le rôle qu’il avait à jouer dans cette grande manoeuvre. Cette dépêche fut confiée à un jeune officier d’état-major, auquel on enjoignait de la porter en toute hâte sur la basse Vistule. Malheureusement cet officier tomba entre les mains d’une bande de cosaques, qui lui enlevèrent ses dépêches, et Benningsen, instruit à temps du danger qui le menaçait, battit précipitamment en retraite.

 

Napoléon poursuivit les Russes à marches forcées et les atteignit à Eylau, où le maréchal Soult pénétra en même temps qu’eux, baïonnettes baissées. L’ennemi résista avec opiniâtreté, surtout dans le cimetière, que nos troupes n’emportèrent qu’après une lutte des plus meurtrières, et qui, le lendemain, devait attacher son nom à des souvenirs plus terribles encore. Les Russes se replièrent au delà d’Eylau, où ils allumèrent leurs feux de bivouac. Dès lors il devenait évident que l’ennemi, ne mettant pas la nuit à profit pour continuer son mouvement de retraite, se préparait à une action générale pour le lendemain 8 février, et, en effet, cette journée a conquis dans l’histoire une sanglante célébrité.

 

Dans la soirée du 7, Napoléon dépêcha plusieurs officiers aux maréchaux Ney et Davout, pour les ramener l’un à sa gauche, l’autre à sa droite. Ce dernier répondit qu’il arriverait dans la matinée sur la droite de l’armée française, prêt à se jeter sur le flanc des Russes ; quant au maréchal Ney, qui était en marche sur Kreutzbourg, on dut courir après lui, sans être assuré de le rejoindre à temps pour l’amener sur le champ de bataille. L’armée française, privée du corps de Ney, ne pouvait mettre en ligne que 55 000 combattants contre plus de 80 000 Russes protégés par une artillerie formidable, qui ne comptait pas moins de 400 à 500 bouches à feu, auxquelles nous ne pouvions en opposer que 300 ; il est vrai que notre artillerie était supérieure à toutes celles d’Europe.

 

« La petite ville Eylau, située sur une légère éminence et surmontée d’une flèche gothique, était le seul point saillant du terrain. A droite de l’église, le sol, s’abaissant quelque peu, présentait un cimetière. En face, il se relevait sensiblement, et sur ce relèvement marqué par quelques mamelons, on apercevait les Russes en masse profonde. Plusieurs lacs, pourvus d’eau au printemps, desséché en été, gelés en hiver, actuellement effacé par la neige, ne se distinguaient en aucune manière du reste de la plaine. A peine quelques granges réunies en hameaux et des lignes de barrières servant à parquer le bétail, formaient-elles un point d’appui ou un obstacle » sur ce morne champ de bataille. Un ciel gris, fondant par intervalles en une neige épaisse, ajoutait sa tristesse à celle des lieux, tristesse qui saisit les yeux et les coeurs, dès que la naissance du jour, très tardive en cette saison, eut rendu les objets visibles. » (Thiers).

 

Napoléon plaça deux divisions du maréchal Soult à Eylau : la division Legrand un peu en avant de la ville, la division Laval partie à gauche sur une éminence que surmontait un moulin, partie à droite au cimetière même ; plus à droite encore, au village de Rothenen, formant le prolongement de la position d’Eylau, il établit la division Saint-Hilaire. Un peu en arrière de l’intervalle qui séparait Rothenen d’Eylau, intervalle par lequel devait déboucher le reste de l’armée, se tenait le corps d’Augereau, composé des divisions Desjardins et Heudelet. Le maréchal Augereau était alors tourmenté de la fièvre, presque perclus de rhumatismes ; il pouvait à peine se tenir debout ; mais, oubliant ses souffrances au grondement du canon, il s’était fait attacher à son cheval et avait volé à la tête de ses soldats. Plus en arrière encore de ce même débouché, se tenaient les divisions de dragons et de cuirassiers, ainsi que l’infanterie et la cavalerie de la garde impériale ; enfin, à l’extrême droite se trouvait le hameau de Serpallen par où devait arriver le maréchal Davout, pour donner dans le flanc de l’ennemi. Quant à Napoléon, il se tenait de sa personne dans le cimetière à droite d’Eylau, d’où, protégé par quelques arbres, il distinguait parfaitement la position des Russes. Ceux-ci, rangés sur deux lignes très rapprochées l’une de l’autre, avaient leur front couvert par 300 canons disposés sur les parties saillantes du terrain. En arrière, deux colonnes serrées appuyaient cette double ligne de bataille, qu’elles devaient soutenir contre le choc redoutable de l’armée française. Cette disposition, une forte réserve d’artillerie placée à quelque distance, la cavalerie disposée partie en arrière, partie sur les ailes, les Cosaques, ordinairement dispersés, rattachés cette fois au corps même de l’armée, tout, en un mot, annonçait que les Russes avaient voulu opposer à l’impétuosité française une masse compacte, inébranlable, une véritable muraille humaine lançant de toutes parts une pluie de feu.

 

Ce furent les Russes qui firent tonner les premiers leur artillerie, à laquelle les Français répondirent aussitôt par une effroyable canonnade, dont chaque décharge emportait des files entières ; la terre paraissait trembler sous ces détonations répétées, auxquelles préludaient de sinistres éclairs qui illuminaient l’horizon tout entier. La ville d’Eylau fut bientôt en flammes, et, à l’horreur du carnage vinrent s’ajouter les lueurs de l’incendie. Cependant les deux armées supportaient ce feu terrible avec une impassibilité héroïque, serrant leurs rangs à mesure que le canon y creusait des trouées sanglantes ; la garde impériale, immobile dans le cimetière, autour de Napoléon, au-dessus duquel sifflaient les projectiles, compta surtout beaucoup de morts. Les Russes parurent enfin éprouver un moment d’impatience ; résolus de se soustraire à tout prix aux coups terribles de l’artillerie française, qui leur enlevait des files entières, ils tentèrent de se jeter sur la droite pour enlever Eylau par la position du moulin à vent, situé sur la gauche de la ville ; mais la division Laval les repoussa de manière à leur ôter l’envie de revenir à la charge. Cependant Napoléon n’ordonnait aucun mouvement décisif ; il attendait, pour prendre l’offensive, l’arrivée de Davout sur le flanc des Russes ; lancer en ce moment ses divisions contre l’ennemi eût été s’exposer à les voir se briser contre un mur d’airain. Le maréchal Davout, aussi exact qu’intrépide, arriva à l’heure fixée au hameau de Serpallen, et prit aussitôt ses dispositions pour une attaque vigoureuse dans le sens des ordres qu’il avait reçus. Les Russes, voyant le danger, lancèrent sur lui des masses de cavalerie et d’infanterie, que le général Friant laissa arriver à une faible distance et qu’il fusilla à bout portant. A toutes leurs charges, l’intrépide général opposa son intelligence, son sang-froid, sa connaissance profonde des ressources de la science militaire, et il sut contenir tous les efforts, bien qu’il eût à peine le tiers de leurs forces, jusqu'à ce que les divisions de Moreau et Gudin, qui étaient un peu en arrière, fussent rendues sur le champ de bataille. Dès lors les Russes se virent forcés de replier leur gauche de Serpallen sur Klein-Sausgarten. Napoléon, jugeant alors que le moment d’agir était venu, donna des ordres pour que ses divisions se portassent en avant, et, en se donnant la main, formassent toutes ensemble une ligne oblique du cimetière d’Eylau à Serpallen ; mouvement qui devait avoir pour résultat de culbuter la gauche des Russes sur leur centre, et que la manoeuvre de Davout était destinée à favoriser.

 

La division Saint-Hilaire se déploya alors dans la plaine sous un feu épouvantable d’artillerie, tandis que les deux divisions Desjardins et Heudelet, du corps d’Augereau, franchissaient en colonnes serrées le défilé qui séparait Rothenen du cimetière et se formaient à leur tour en bataille. Malheureusement, un véritable ouragan de neige éclata alors et aveugla nos soldats, dent elle fouettait le visage ; les deux divisions  se trompèrent de direction et appuyèrent un peu trop à gauche, laissant un espace découvert entre elles et la division Saint-Hilaire, à laquelle elles devaient se relier. Les Russes, saisissant l’à-propos, démasquent subitement une batterie de 72 canons, qui vomissait une pluie de mitrailles si épaisse, qu’en moins d’un quart d’heure, la moitié du corps d’Augereau fut broyée et abattue. Le général Desjardins fut tué et le général Heudelet reçut une blessure presque mortelle. Augereau, atteint lui-même, fut porté dans le cimetière d’Eylau aux pieds de Napoléon, auquel il se plaignit amèrement d’avoir été laissé à la merci des canons russes. Une morne tristesse régnait dans l’état-major impérial, et Napoléon lui-même paraissait plus ému que de coutume, malgré les efforts évidents qu’il faisait sur lui-même pour conserver son impassibilité. Il fit venir Murat : « Eh bien, lui dit-il, nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ? » Puis il lui prescrivit de réunir toute la cavalerie, chasseurs, dragons et cuirassiers, et de se précipiter comme un torrent sur la ligne d’infanterie qui formait le centre de l’armée russe, laquelle commençait à se porter en avant après le désastre du corps d’Augereau. C’est alors que Murat, à la tête de 80 escadrons, exécuta cette fameuse charge qui traversa toute l’armée russe. Sous l’élan impétueux, retentissant, de cette masse d’hommes et de chevaux, la terre parut trembler ; jamais un tel ouragan ne s’était abattu sur une armée. Une fois que nos cavaliers se furent ouvert une brèche dans la ligne russe, ils se dispersèrent, sabrèrent à droite et à gauche et firent un effroyable carnage de l’infanterie ennemie, qui fut, pour ainsi dire, hachée sur place. La seconde ligne russe, voyant la première anéantie et redoutant le même sort, se replia alors vers un bois, qui formait l’extrême limite du champ de bataille, et où se tenait en réserve une dernière batterie, qui se mit à tirer confusément sur les Français et sur les Russes, s’inquiétant peu de mitrailler amis et ennemis, et ne vomissant ses feux que pour se débarrasser de nos redoutables cavaliers. Pendant cette lutte terrible, le général d’Hautpoul, qui commandait les cuirassiers, fut frappé à mort par un biscaïen. Cependant quelques tronçons de la première ligne russe se relèvent çà et là et font de nouvelles décharges ; alors les grenadiers à cheval de la garde, conduits par l’intrépide général Lepic, partent au galop, chargent des groupes isolés et en achèvent la destruction. Un de ces détachements, fort de 3 000 à 4 000 hommes, s’égara pendant cette dernière action et se présenta subitement devant le cimetière d’Eylau, où se tenait Napoléon. L’empereur ordonne alors au général Dorsenne de prendre un bataillon de sa garde à pieds, et de marcher sur l’ennemi, qui, à cette vue, s’arrête court, comme s’il eût vu apparaître tout à coup la tête de Méduse. Le bataillon du général Dorsenne aborde les Russes sans tirer un coup de fusil et les charge à la baïonnette, tandis que Murat, remarquant cet épisode imprévu de la bataille, lançait sur la colonne ennemie deux régiments de cavalerie conduits par le général Bruyère. Cette malheureuse colonne, serrée entre les baïonnettes de nos grenadiers et les sabres de nos chasseurs, périt presque tout entière sous les yeux mêmes de Napoléon.

 

La bataille durait depuis six heures, et 300 bouches à feu, tirant avec une précision meurtrière, avaient exercé dans les rangs de l’armée russe d’épouvantables ravages. Néanmoins, les Russes s’opiniâtraient dans leur résistance ; jamais Napoléon et ses soldats n’avaient engagé une lutte aussi terrible, aussi acharnée. Mais enfin, le maréchal Davout, continuant son mouvement, parvint à la hauteur d’un bois situé vis-à-vis d’Eylau, chassant toujours l’ennemi devant lui. Vers trois heures du soir, il enleva le plateau occupé par la gauche de l’armée russe et couronna toutes ses positions. Trois fois les Russes revinrent à la charge ; mais Davout était de ces hommes qui ne lâchent jamais prise ; il se maintint à force d’intrépidité et d’indomptable énergie. Non seulement ainsi nous occupions une position avancée sur le flanc gauche des Russes, mais le général Friant avait poussé des détachements jusque sur leurs derrières. L’armée russe était à moitié détruite, et l’on pouvait croire la bataille terminée, lorsque l’incident que redoutait le plus Napoléon se réalisa brusquement. Le général prussien Lestocq, poursuivi l’épée dans les reins par le maréchal Ney, parut tout à coup sur le champ de bataille, ayant une heure ou deux d’avance, c’est-à-dire juste le temps nécessaire pour changer la face du combat. Il avait avec lui 7 à 8 000 Prussiens pleins de haine et de colère contre nous, et un tel renfort, tombant à l’improviste sur des soldats exténués par une des luttes les plus sanglantes dont parle l’histoire, pouvait nous devenir fatal. Lestocq déboucha à Scmoditten, passa derrière la double ligne des Russes, à moitié broyée par nos artilleurs, hachée par nos cavaliers, et alla se placer en face du général Friant. Il obtint d’abord quelques avantages, puis il se porta en avant pour ressaisir les positions du matin. Mais alors nos soldats virent accourir les généraux Friant et Gudin, avec le maréchal Davout à leur tête, et cette vue leur rendit le courage ; car ils savaient qu’avec ces trois hommes on ne reculait pas. La division Friant tout entière et trois régiments de la division Gudin, se posent résolument en face de ce nouvel ennemi, couverts par toute l’artillerie du troisième corps. C’est en vain que les Prussiens et les Russes veulent forcer cet obstacle formidable, les Français résistent à leurs charges furieuses, désespérées. Le maréchal Davout ne cessait de parcourir les rangs de ses soldats, dont il soutenait la fermeté par ses paroles : « Les lâches iront mourir en Sibérie, disait-il ; les braves mourront ici en gens d’honneur. » Enfin, les Prussiens et les Russes, épuisés, ralentissent leurs efforts, puis ils se retirent sans avoir reconquis le terrain perdu sur leur flanc gauche. Cet incident fut le dernier de la bataille ; d’ailleurs, la nuit était venue, et les deux armées, accablées de fatigue, auraient été également impuissantes à continuer cette effroyable lutte. Près de 30 000 Russes, morts ou blessés, et de 10 000 Français jonchaient ce sol ensanglanté. Il ne restait au général Benningsen que 40 000 hommes en état de combattre, et cependant il délibérait avec ses lieutenants s’il ne tenterait pas un dernier effort, lorsqu’on vint lui annoncer que le maréchal Ney, arrivant le soir sur notre gauche, comme le maréchal Davout était arrivé sur notre droite, débouchait enfin vers Althof. Le général russe donna alors le signal de la retraite ; toutefois, pour ne pas être inquiété, il essaya de contenir le maréchal Ney, qui débordait son aile droite, et espéra le surprendre à la faveur de la nuit. Six bataillons de grenadiers russes marchèrent sur le village de Schmoditten. Nos troupes les laissèrent s’avancer jusqu'à une faible distance, puis les accueillant par une décharge terrible qui en coucha une partie à terre, elles s’élancèrent sur le reste la baïonnette en avant. Dès lors, Benningsen se hâta de se mettre en retraite dans la direction de Koënigsberg (8 février 1807). Napoléon restait donc maître de ce terrible champ de bataille, qu’il visita le lendemain. Il fut ému de cet horrible spectacle au point de laisser apercevoir dans le bulletin qu’il publia, bulletin qui causa en France une impression profonde de douleur. « Sur cette plaine glacée, dit Thiers, des milliers de morts et de mourants cruellement mutilés, des milliers de chevaux abattus, une innombrable quantité de canons démontés, de voitures brisées, de projectiles épars, des hameaux en flammes, tout cela se détachant sur un fond de neige (expression de Napoléon), présentait un spectacle saisissant et terrible ». (Ce spectacle, s’écriait Napoléon, est fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre.) Singulière réflexion dans sa bouche, et sincère au moment où il la laissait échapper. »