Les Huré

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

 

Cette œuvre inédite, écrite à Alger sous Napoléon III, formait, semble-t-il, un ouvrage destiné à l’édition (souvent nous y voyons figurer : « Cher Lecteur » ou seulement : « Lecteur »). Mais son auteur - notre aïeul - très pris par ses importantes fonctions n’a peut-être pas eu le temps de chercher en métropole la maison qui s’y serait intéressée.

Elle fut oubliée et égarée.

Cent trente ans plus tard, en Anjou, au fond d’un grenier, dans une malle rouillée, au milieu d’autres papiers jaunis par les années, nous l’avons retrouvée.

C’est nous qui lui avons donné le titre qu’elle n’avait pas. C’est nous aussi qui avons classé odes et prose dans l’ordre qui nous semblait le plus logique.

Certains de ces textes sont de premier ordre, d’autres ont moins d’intérêt, mais nous n’avons pas voulu faire de sélection. Tous ont été reproduits. A nos lecteurs d’apprécier.

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

I - Les amours de l’Ami Bouc

 

 

Le début de cette anthologie se compose de deux essais : « Les amours de l’Ami Bouc », et « l’Amour théorique et pratique ».

En deuxième partie, notre aïeul évoquera l’amour en vers, en prose, en maximes, en acrostiches et en vieux françois (comme disoient nos Anciens).

Enfin, il abordera, toujours avec autant de malice et d’habileté, les sujets les plus divers auxquels il n’était pas resté indifférent : l’homme, la religion, l’éducation, la politique, la science, la musique, le théâtre, la mode... Que sais-je encore !

 

Histoire lamentable mais véridique des amours de l’Ami Bouc et d’une jeune fille blonde, d’après des documents authentiques et inédits, augmentée de notes commentaires et réflexions morales et critiques, propres à former l’esprit et le cœur de la jeunesse.

Par le bachelier chérubin de touche-à-tout.

 

R

 

Ce soir-là, chère et blonde lectrice, je vaguais tristement, le cœur gros et plein de souvenirs, écoutant si le vent ne m’apportait pas encore un adieu, un dernier écho de notre dernier baiser.

Sous son bel uniforme, l’Ami Bouc paradait dans les salons de Son Excellence le Maréchal Gouverneur ; le cœur libre et insouciant, il guettait la ritournelle d’une quadrille ou les premières mesures d’une valse.

Quelques jours après, je recevais la lettre suivante :

 

Mercredi 10 mai 1865

 

Je t’avouerai, mon Cher Achille, que je t’écris sous une impression, comment dirais-je ? Sous une impression multiple.

Et d’abord, je suis excessivement fatiguée...

Ici une peinture du physique qui m’importe peu ; c’est le réveil qui suit les bals, - toujours la même chose.

Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre ! Adieu parure et danse et rires enfantins ! Aux chansons succédait la toux opiniâtre, au plaisir rose et frais, la fièvre au teint bleuâtre, aux yeux brillants, les yeux éteints.

 

Passons au moral.

Je crois, ma parole d’honneur, que le moral est aussi détérioré que le physique, allons il vaut mieux te narrer les faits sans plus de préambules.

Le bal a été ce que sont tous les bals officiels...

Quelques mots sur les bals ; toujours la même chose aussi.

Ce n’était que festons, ce n’était qu’astragales.

Toutes vos connaissances féminines s’y trouvaient.

Ici une énumération, une gerbe de fleurs déliées...

Enfin, Melle .....

Le nom y est en toutes lettres, un nom charmant, tout plein d’harmonie, et qui doit couler, plus doux que le miel sur les lèvres d’un amant. Malheureusement, je ne puis le dire ; ce secret n’est pas le mien.

 

 

Je ne saurais pour un empire te la nommer.

Pour moi je m’attendais encore à des dents de perle et à des lèvres de corail. Pylade a méprisé toute cette bijouterie de l’amour et je lui en sais gré.

Je connais de jolis vers de Musset qui auraient merveilleusement complété cette esquisse de mon amoureux :

 

… Elle était pâle et blonde, 

Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus près sondé la profondeur et réfléchi l’azur.

 

Mon Cher Achille, je te vois d’ici ; tu vas te moquer de moi...

D’abord je ne suis pas moqueur, et puis ensuite, ce serait malin à moi de rire de Pylade, un amour riant d’un autre, un bossu montrant en ricanant la gibbosité d’un confrère, un élu, admis dans le Paradis, sermonnant un malheureux qui voudrait entrer en lui disant : Mon Bouc, cher petit ami, je ne croyais pas qu’il fût possible de goûter une félicité aussi complète que la mienne, on est parfaitement heureux dans le ciel, c’est pourquoi je vous conseille de rester où vous êtes. Cela est délicieux d’aimer ; tout est bon dans l’amour, jusqu’aux souffrances ; donc vous ferez bien d’étouffer ce sentiment naissant, de prendre au collet l’image de votre belle et de la mettre joliment à la porte de votre cœur...

Hein, comme c’eût été logique ?

 

Je continue tout de même.

Une robe blanche décolletée avec goût, mais qui permettait à un curieux de mon espèce de voir ou plutôt de deviner...

Polisson !

 

Enfin, mon cher, elle était ravissante et si je n’étais un garçon sérieux et réfléchi, comme tu le sais, je craindrais fort de faire quelque grosse bêtise, celle de l’aimer par exemple, se tâcher de le lui faire comprendre et... de me casser le nez devant votre indifférence.

Paragraphe étrange et incompréhensible :

L’Ami Bouc affirmant que je le tiens pour un garçon réfléchi. Je veux bien être pendu, si je m’en étais douté !

L’Ami Bouc appelant aimer une bêtise ! Voilà une hérésie qui mériterait le feu. On eut brûlé vifs qui étaient moins coupables.

L’Ami Bouc avouant qu’il craint de se casser le nez devant l’indifférence de.... d’Elle. Je ne le reconnais décidément plus, on me l’a changé.

L’Ami Bouc, ... fait, faisant le modeste. Il prétend que ça lui a échappé et qu’il ne le fera plus. A la bonne heure, je lui rends mon estime.

Mais tranquillise-toi, je te l’ai répété souvent : on ne m’y prendra plus.

Il ne faut jurer de rien.

Je ne suis point du tout certain que Maître corbeau n’ait pas laissé tomber son fromage une seconde fois, voir même une troisième, malgré son serment.

L’amour, l’amour vrai, tel que je le conçois est une trop grande, trop sublime chose pour la terre ; on doit le conserver pour un monde meilleur.

Hum ! C’est bien long, s’il faut attendre pour aimer que nous soyons au ciel. Et puis, à quoi bon ? Lorsque les lèvres de deux amants s’unissent dans un baiser, si ces heureux ne sont pas encore au ciel, le ciel du moins est sur la terre.

Puis je me connais, elle m’a ravi transporté hier, y penserai-je seulement demain. Et si j’y pense demain, après-demain, bien sûr je l’aurai oublié !

Voyez un peu le vilain papillon !

Il tient à prouver par lui-même la vérité de la théorie : quel animal capricieux que l’homme !

Fi l’ingrat !

Que c’est laid de vouloir oublier si vite une douce jeune fille qui, un beau soir, le printemps aidant et le diable aussi, vous a laissé tremper les lèvres dans la coupe enchantée d’un amour naissant.

 

Tu as dû remarquer comme moi combien sa voix ressemble à celle de Mme... (Cherche !). C’est ce timbre sonore marqué, fait raisonner la syllabe et, pour ainsi dire, chante le mot.

Comment Bouc n’a-t-il point qualifié cette voix de musique céleste, d’accords de la lyre d’un chérubin égarés sur cette terre ?

Enfin on ne songe pas à tout.

 

Quelle conversation agréable ! Quelle facilité ! Je ne sais si elle a de l’esprit, mais quel jugement ! Quelle finesse d’expressions !

Quel cœur et quelle chaleur dans toutes ses paroles !

Et surtout que de points d’exclamations...

 

Elle était charmante ; je l’admirais.

Et franchement je n’ai jamais été aussi plat, aussi insignifiant que dans cette nuit du mardi au mercredi.

C’est toujours comme cela.

Il n’y a rien à ajouter à ce commentaire : c’est toujours comme cela.

 

 

Je m’aperçois un peu tard que ma lettre est bien personnelle...

Mieux vaut tard que jamais.

 

Parlons de toi ou du moins des choses qui te touchent...

Je saute tout ce qui a rapport à mon individualité et qui n’a rien à voir dans cette véridique histoire.

 

Je m’arrête pour aller dîner. On me crie de venir à table depuis cinq minutes

Je n’ai pas faim. J’aimerais mieux passer un quart d’heure avec... Elle ! Enfin !

Symptômes des plus alarmants ;

L’ami bouc est un garçon positif, qui fait ses quatre repas aussi consciencieusement que feu le bon roi d’Yvetot et qui ne perd un coup de fourchette que sur bonnes raisons.

Il fallait qu’il fût bien malade pour ne pas ressentir à l’épigastre ce délicieux chatouillement qu’on appelle appétit, et cela m’avait effrayé, car je sais que Pylade déteste le mensonge et qu’il n’est point de ces amoureux ridicules que l’on voit.

Pour des Iris en l’air faire les langoureux, leur prodiguant le nom de soleil et d’aurore et toujours bien mangeant mourant par métaphore.

Je t’envoie un baiser à travers les Océans.

Les zéphyrs doivent être chaque jour étrangement chargés de baisers que s’adressent ainsi à travers mes amis et amies, amants et maîtresses ; Je crois, ma foi, qu’on pourrait appeler les vents : Poste aux baisers.

Les beaux baisers qui courent ainsi les airs, baisers d’amour et d’amitié qui ont passé sans doute sur de bien jolies lèvres (Je ne dit point cela à propos des lèvres de Bouc).

Ce murmure qu’on entend, par les belles nuits étoilées, c’est tous ces petits fous de baisers qui jasent et se racontent leur histoire.

Et tous ces bavards, en volant autour de nous, secouent leurs ailes mouillées en glissant sur les lèvres qui se cherchent de loin, - et les savants appellent rosée cette fine humidité que nous sentons tomber sur nos fronts.

 

Brûle ces chiffons de papier que je viens de relire et qui ne contiennent que des sottises...

Si j’avais suivi la recommandation, je n’aurais jamais écrit ce premier chapitre.

A toi, Lectrice, de décider si c’eût été tant pis ou tant mieux.

Quand aux sottises, c’est toujours la suite de l’hérésie.

Bouc appelle l’amour une bêtise et qualifie les amoureux de sots.

Manière polie de me faire comprendre que j’en suis un de sot, en trois lettres.

Façon étroite de dire la vérité aux gens et digne des enfants de Loyola.

 

Cette Chère *** ! Si elle se doutait que j’ai écrit trois grandes pages sur elle...

Qu’aurait-elle dit ?

Sans doute elle aurait été indignée de l’audace de mon héros, car les jeunes filles n’aiment pas qu’un joli garçon, aimable, spirituel, les remarque, en perde la tête et l’appétit et écrive à un ami :

Mon cher, Elle est adorable depuis la plume qui voltige sur son chapeau jusqu’au bout de ses bottines. Je ne dors plus, je suis bête, je ne bois plus, je ne mange plus et... je l’aime.

 

Ecris-moi, à bientôt.

Après avoir lu, relu, retourné dans tous les sens l’épître qui précède, l’avoir pesée, disséquée, analysée, l’auteur de cette histoire en tira cette conclusion que ne désavouerait ni le roi Salomon, ni M. de La Palisse :

 

L’Ami Bouc est amoureux

Et il ajouta, comme dans la Bible :

Le Seigneur Dieu soit loué !

Oui, le Seigneur Dieu soit loué.

 

En dépit de tous les esprits chagrins et grognons qui maugréent contre l’amour,

En dépit du magister qui déclame

 

Amour tu perdis Troie !

 

En dépit de tous les vieux à lunettes d’os,

En dépit de ce croque-mitaine de Mentor qui jeta si brutalement Télémaque à la mer, pour l’avoir vu papillonner autour d’Eucharis.

Pauvre Télémaque ! Heureusement que les mentors sont rares aujourd’hui ; autrement une moitié du genre humain passerait sa vie à repêcher l’autre. Ce serait des plongeons à n’en plus finir.

Grâce aux progrès de la civilisation, les Télémaque d’à présent n’ont plus à redouter de prendre aussi un bain forcé pour les beaux yeux d’une nymphe... légère.

Aimer est quelque chose et le reste n’est rien.

 

R

 


15 mai 1865

Si tu savais comme je suis gai...

Ah ! Que n’es-tu ici, tu te moquerais de moi ; tu rirais de ma souffrance, je le sens, mais les heures me sembleraient moins longues avec toi et jamais quelqu’un pour me plaindre...

Comme les amoureux raisonnent juste !

Si je riais de sa souffrance, je ne la plaindrais pas ; Si je la plaignais, je ne rirais pas de sa souffrance.

 

....Pour causer d’elle à qui je pense toujours.

J’aurais rempli en cette occurrence l’office des roseaux du barbier sur roi Midas. Bouc ne savait à qui confier que son cœur avait des oreilles d’âne, et n’aurait point été fâché que je fusse là pour le décharger du secret qui l’étouffait.

 

... Et qui ne pense, sans doute jamais à moi...

Depuis que dans ses yeux ma peine a pris naissance, nul ne sait le tourment dont je suis déchiré. Elle-même  l’ignore - et ma seule espérance est qu’elle le devine, un jour, quand j’en mourrai.

 

Comme j’ai changé en huit jours !

Jamais conscrit tout frais arrivé de son village n’a été transformé aussi complètement par les ciseaux du tailleur du régiment que nous le sommes par un simple regard du petit dieu malin.

 

Et moi qui m’étais si bien promis de ne plus jamais aimer...

Serment d’ivrogne.

 

... et qui croyait avoir quelque expérience.

De l’expérience ? A vingt ans ? Déjà ?

Je ne veux pourtant pas avoir l’air d’en douter, il m’amuserait de ne croire à rien.

 

... et qui jurais, comme le bon La Fontaine, qu’on ne m’y prendrait plus !

Là ! Que disais-je, Maître Corbeau ?

 

Pourquoi suis-je allé à ce bal ?

Si l’on vous demandait : pourquoi allez-vous à la messe ? Vous répondriez naturellement : pour prier Dieu.

Si l’on vous demandait : pourquoi suivez-vous les cours de M. O. Mac-Carthy ? Pour apprendre la géographie, diriez-vous certainement sans hésiter.

Partant de là, il semble assez logique que la réponse à cette question :

 

Pourquoi suis-je allé au bal ?

Fut celle-ci :

Pour y danser.

Grave erreur.

On va au bal pour le buffet ou pour les femmes ;

Pour boire un verre de champagne ou dire à sa danseuse : Je voudrais, Madame, que cette valse,

comme celle de la légende, ne finît jamais.

Les mamans y vont pour marier leurs filles,

Les papas pour faire un whist,

M. X pour voir des épaules,

M. de St P. pour souper,

Mme Ph. Parce qu’elle a retrouvé les bras de la Vénus de Milo, et qu’elle est bien aise de le prouver aux

amateurs de statuaire,

Mme de G. pour y retrouver M. de P., et Mrs  Tu. B. et R. pour y rencontrer Melle F.

M. Z qui s’y ennuie, pour accompagner sa femme qui s’y.... amuse.

 

On va au bal pour conduire le cotillon, pour faire voir une robe neuve ou une nouvelle décoration, pour montrer son esprit qu’on en ait ou non, pour y étaler ses épaules si le ciel vous en a octroyé de blanches et potelées, pour renouveler sa provision de cancans et de petites méchancetés et pour une foule d’autres motifs aussi bons que ceux-là, mais pour danser : Jamais.

 

Pourquoi m’as-tu recommandé de danser avec *** ?

Ah ! Je suis bien coupable !

Le ciel pourtant est témoin de la pureté de mes intentions.

J’avais vu en Elle une danseuse charmante et j’avais cru donner à Bouc un bon conseil en lui disant de l’inviter.

Errare humanus est.

Il paraît que la danseuse était trop charmante.

Mais moi, amoureux cuirassé contre toutes les séductions, je n’avais pas prévu le danger. Je ne doutais pas que cette jolie fleur qui a nom ***, ce lys plus blanc que la neige, pût renfermer dans sa fraîche corolle un affreux serpent qui piquerait au cœur mon si plaintif ami.

 


 

Indifférente, mon cher, rien, rien ; c’est la mort.

Je crois que j’ai fait un mauvais rêve.

Il me semblait au contraire que le rêve était beau.

 

J’ai froid au cœur.

Heureusement qu’il faut peu de chose pour changer ce froid-là en feu dévorant

Une fleur qui tombe, une main qui s’égare sur les lèvres et s’en éloigne aussitôt, moins que cela, - un simple regard - et le miracle s’accomplit.

En amour les Tropiques et les Pôles se touchent.

 

Adieu, demain je t’en écrirai davantage. Aujourd’hui je suis malade.

Etrange maladie dont le cœur est le siège, qui bouleverse tout notre être et dont on ne voudrait pas guérir.

Le remède nous semblerait pire que le mal.

Ceux-là mentent qui jurent qu’ils donneraient tout au monde pour oublier leur amour.

Chérubin seul est sincère quant il dit à sa manière :

 

Je veux, traînant ma chaîne,

(Que mon cœur, que mon cœur a de peine),

Et non m’en consoler.

 

Pauvre Bouc ! Le plaignant sincèrement, je vais essayer de lui remonter le moral.

 

Dans cette charitable intention, je saisie ma meilleure plume, celle de Tolède, je griffonne en faveur de l’Amour, un éloquent plaidoyer, qui me valut la lettre suivante.

 

R

 

Alger, le 22 mai 1865

10 heures du soir.

Je ne suis pas content de toi, de ta lettre, mon cher Achille...

Ecrivez donc des plaidoyers en faveur de l’Amour.

Pour moi, je ne m’en mêle plus.

Cela est du reste parfaitement inutile. Le petit Cupidon sait fort bien se défendre lui-même et n’a nul besoin du faible secours de notre faible éloquence.

 

Connaissant ton caractère, j’espérais qu’en te révélant cette folie amoureuse qui m’a passé par le cœur.

Je crois, sauf meilleur avis, que cette folie n’a pas fait que passer, qu’elle a au contraire élu domicile dans le cœur de mon ami, - un beau logis où on la soigne, où on la dorlote, et dont on a bien soin de fermer les portes à double tour, pour qu’elle ne s’envole, tout en jurant qu’on voudrait la voir déménager.

 

... Tu te moquerais de moi, tu me plaisanterais, et, comme je suis très sensible à la raillerie, tu me dégoutterais de caresse, cette chimère qui finit par me faire souffrir.

On m’avait souvent dit que j’étais trop moqueur ; je ne le voulais pas croire et j’avais peur que ce ne fût vrai, car je hais les railleries de parti pris.

Je finirai pourtant par me persuader qu’on a raison.

Me voilà donc transformé en Méphistophélès.

Te figures-tu Chérubin enveloppé dans le grand manteau couleur de feu de ce vilain démon, se posant sur un pied et ricanant derrière le docteur Faust, sous les traits de l’Ami Bouc.

Quelqu’un m’affirmerait un jour qu’un blond, au nez aquilin, avec des yeux bruns et de grands sourcils noirs obliques ne pouvait être qu’un échappé de l’Enfer.

Si c’était vrai ?

Je vais me faire peur à moi-même...

 

J’espérais qu’avec ton bon sens...

Vous êtes bien honnête.

Tu me détournerais de poursuivre cette jeune et blonde fille qui, à cause de son âge, ne pourra jamais m’appartenir.

Eh ! Mon Dieu ! On a vu des rois épouser des bergères.

 

Il n’en a rien été, tu me pousses au contraire vers l’abîme... Tu me donnes des espérances, tu me laisses entrevoir un horizon plus riant... Que tu as tort, puises-tu n’avoir jamais à t’en repentir.

Mea culpa, mea maxima culpa !

Au fond, ce qui me console c’est que, quand bien même j’aurais dit tout le contraire de ce que j’avais dit, mon amoureux n’en aurait pas moins continué à marcher les yeux fermés vers l’abîme.

 


 

Du reste, tout est bien résolu à l’heure qu’il est : alea jacta est - en bon français : le vin est tiré.

Traduction libre qui ne serait pas du goût du beau et pédant M. Brédif, mon ex-professeur de rhétorique.

 

Sérieuse, mon cher, froide, jamais rien sur cette jolie figure que ce que *** veut bien montrer en jusqu'à présent, je n’y ai lu que de l’indifférence ou du moins la pensée bien arrêté de ne pas se laisser aller plus loin que ses devoirs le lui permettent.

 Mais, dame, elle a bien raison.

 

Tu me demandes dans ta lettre si elle paraît plus souvent qu’autrefois à sa fenêtre. Eh oui ! Mon cher Achille ; elle y est même très souvent.

Et tu n’es pas content ?

Sont-ils difficiles et exigeants les amoureux !

Voilà bouc qui se lamente quand il devrait être aux anges. Et pourtant je lui avais fait un petit bout de raisonnement bien clair.

Quand tu ne passais pas sous ses fenêtres, *** n’y était jamais ou presque jamais. Maintenant que tu y passes, elle y est toujours ou presque toujours. Donc etc., etc.

 

Mais je ne puis arracher cette pensée de mon esprit que c’est la curiosité, le désir de l’inconnu qui lui fait entrebâiller ses volets, ou peut-être, que le Bon Dieu m’en préserve ! Le plaisir de se moquer de moi, de mes allées et venues.

L’Ami Bouc est bien changé ! Je me rappelé un temps où il n’aurait pas fait toutes ces hypothèses. Et pourtant peut-être a-t-il raison. Je me souviens de ce que tu m’écrivais un jour à propos de Julie, ta jeune rivale, comme tu l’appelais. A l’âge de cette enfant, le désir de savoir se prend pour de l’amour.

 

Voici les habitudes qu’elle a prises...

Ici une page entière sur les habitudes de la jeune personne, de laquelle il résulte

 

Que soit faute de s’y connaître,

Soit qu’elle n’y vit pas de mal,

L’heure où devait venir Pascal,

Mettait Simone à la fenêtre.

 

Voilà ma vie, mon cher, depuis quinze jours ; elle n’a rien de rose ni même de vert ; couleur de l’espérance. Crois le bien, cette jeune fille est une énigme vivante...

Un sphinx dont tu voudrais bien être l’Œdipe pour le faire tomber, non pas des rochers du Cithéron, mais du haut de son indifférence dans tes bras, scélérat.

 

De temps en temps j’avale deux ou trois grands verres de rhum pour me remonter le moral.

 

Ce qui n’est pas moral du tout.

Un amoureux qui boit du rhum !

Infandemus, comme disait le pieux Enée, pater alma.

 

Je prends la ferme résolution de lui envoyer des baisers, de lui faire un signe, n’importe quoi. Ma résolution se sauve à tire d’aile, s’évanouit, lorsqu’elle m’apparaît si calme, si maîtresse d’elle-même, me fixant sans crainte et semblant me dire : Vil insecte qui rampe, tu veux monter jusqu'à moi...

Tu rampes, ver de terre, amoureux d’une étoile.

 

J’ai perdu ma hardiesse, mon savoir faire en matière amoureuse... et nous en restons là, elle sans doute très embarrassée que je ne prenne aucun parti, et moi timide, bête et honteux.

Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris.

 

J’ai déjà griffonné trois billets que je voulais lui montrer. Je n’ai pas osé et j’ai déchiré mes billets les uns après les autres.

Les amoureux gaspillent beaucoup de papier. Ils sont tourmentés d’une prodigieuse démangeaison d’écrire et ce qu’ils écrivent ne les satisfait jamais.

 

Demain j’en recommencerai un quatrième ; je suis bien sûr qu’il ira rejoindre les autres...

Alors à quoi bon l’écrire ?

 

C’est une démoralisation complète.

La retraite de Moscou. - Rien n’y manque, pas même les glaces (Cher Valentin).

 

Qu’y faire ?

?

 

 

A vrai dire, je crois sans fatuité que Melle *** s’intéresse un peu à ma personne... Tout me le dit.

 

Tout me le dit : son doux sourire

Ce doigt qui sur sa lèvre errait

Et sa rougeur et le délire

Qui m’agitait

                                                               Y***

 

... le changement de ses habitudes, la persistance des rendez-vous tacites et son regard qui, s’il n’indique pas de l’amour, ne marque ni de la pitié ni de l’indifférence.

Allons, voilà mon aveugle qui ouvre les yeux.

 

Je ne suis qu’un nigaud, mon cher A. ; je devrais tenter le sort, me hasarder, me risquer... et peut-être obtiendrais-je quelque chose de ma belle insensible.

Audaces fortuna juvat !

 

Ah ! Sans ces maudites convenances, sans cette peur qui me talonne d’être obligé de rengainer mon compliment, de m’avouer vaincu...

J’ai foi dans le temps.

Le temps est un galant homme, disait M. de Mazarin, qui n’était pas une bête.

 

Il est indigne de moi de faire ainsi l’imbécile sous ses fenêtres sans tâcher de m’expliquer...

 

Faire les doux yeux sans parler

C’est faire l’amour en tortue.

 

J’ai souvent des envies de me griffer... C’est lâche, c’est sot, - il faut que j’abjure mon titre de jeune homme.

Mon Dieu, tout le monde en est là ; les amoureux véritables sont timides et poltrons. L’amour leur coupe bras et jambes.

On parlait devant Charles Quint d’un vieux capitaine qui se vantait de n’avoir jamais eu peur : C’est qu’il n’a jamais mouché la chandelle avec ses doigts, répondit l’Empereur.

Il aurait aussi bien pu dire : C’est qu’il n’a jamais été amoureux.

L’homme le plus brave lorsqu’il se trouve en face d’une femme aimée voit tout à coup son courage s’évanouir et restant tout tremblant, tout interdit, penaud comme un écolier surpris volant une pomme.

 

Je le suis, mon cher A., un jour j’éclaterai il y a un terme à tout... et alors... à la grâce de Dieu !

Quel style !

Le digne et tendre ami était digne d’écrire la Tour de Nesle ou tout autre mélodrame du même goût.

 

Dimanche j’ai été bien heureux à l’exposition de peinture.

Il résulte de renseignements précis qu’on s’y est promené deux heures environs, sous prétexte d’examiner les

croutes exposées audit lieu. Mais on y devait avoir, j’en suis sûr, quelques légères distractions. Je suis sûr aussi que les regards de mes deux tourtereaux ont dû s’arrêter volontiers sur certains petits amours que je me rappelle y avoir vus. Je ne voudrais pourtant pas le jurer, car, si j’ai bonne mémoire, ces petits étaient assez légèrement vêtus et les jeunes filles rougissent si facilement, quand il y a quelqu’un pour les voir rougir !

 

Et le soir à la musique... lorsque nous sommes ainsi l’on près de l’autre, je m’imagine que nous ne faisons plus qu’un ; nos regards se croisent pendant des minutes et des minutes. Je crois qu’elle savoure goutte à goutte mon amour. Quels moments délicieux ! Oh ! Non, tu me l’as dit : je ne les oublierai jamais. Deux fois je me suis trouvé mal. Toute la place tournait autour de moi ; j’allais m’affaisser et tomber inanimé à ses pieds... Y songes-tu ?

 

R

 

Interrompu je ne sais plus pourquoi.

Je m’explique facilement aujourd’hui cette folle passion de Bouc. Pendant mon absence il ne savait que faire de son temps (nous ne nous quittions pas quand j’étais à Alger). Un beau soir une jeune fille lui plaît, il me l’écrit ; par désœuvrement il m’écrit souvent et de longues lettres, se grise de ses propres paroles, se croit amoureux et malheureux parce qu’il dit l’être et - huit jours après mon retour - quand il ne se veut plus seul, quand il trouve quelqu’un enfin à qui parler, quand l’ennui s’en va et que les vieilles habitudes reviennent, ce beau feu s’éteint.

Feu de paille !

 


 

II - L’amour théorique et pratique

 

 

 

L’amour théorique et pratique, ce titre vous semble un peu brutal.

J’en avais d’abord choisi un plus euphorique : L’amour comme il est, mais je me suis rappelé qu’il avait déjà servi et que M. Arsène Houssaye pourrait m’accuser de plagiat.

 

R

 

L’amour théorique et pratique, voilà, direz-vous, un mauvais livre : voilà un monsieur qui ne croit à rien.

Pardon, Cher Lecteur, ne vous hâtez pas, je vous prie, de nous condamner, mon livre et moi.

Je regarde l’amour, quand il est sincère, comme la plus grande et la meilleure chose qui soit sur terre. Malheureusement dans ce monde, sur dix amours, il y en a toujours au moins neuf qui sont feints.

Et l’amour feint est une comédie pernicieuse que je hais.

C’est contre lui surtout que ce petit volume est dirigé.

Je n’ai pas tant voulu ici apprendre à ceux qui attaquent la pratique de l’amour, qu’en dévoiler les pratiques à celles qui doivent se défendre.

Et à ce point de vue, je nous crois digne d’un peu d’indulgence, mon livre et moi.

Je voudrais pouvoir éviter à quelque jeune fille naïve, à quelque jeune femme étourdie, de tomber trop aisément dans les bras du premier officier d’état-major qui leur fera les doux yeux.

C’est une règle générale que l’on respecte plutôt la maîtresse que la femme d’un ami.

Quel en peut-être la raison ?

Est-ce l’attrait du fruit défendu qui nous pousse vers l’épouse légitime ? Quelle étrange fascination cause donc le mot d’adultère ?

La conscience ne serait-elle qu’un mot et pourquoi ne songeons-nous pas que lorsque nous violons l’amitié en séduisant la femme, notre crime est cent fois plus grand que lui-même et dans ses conséquences, que si nous souillons cette sainte affection en enlevant une maîtresse que le hasard, le caprice, la fantaisie ont momentanément unis à celui dont nous trahissons la confiance.

Si dans un salon on vient à vanter l’esprit, la beauté, la grâce d’une femme et qu’un monsieur qui n’est point trop vieux et qu’on sait être de ses amis, ne fait pas sa partie dans le cœur de louanges, il y a gros à parier que ce personnage muet a de bonnes raisons pour penser cent fois plus de bien que les autres, de la dame qui est sur la sellette.

Ce silence (maladroit et fort expressif) est du reste un des signes auxquels on reconnaît les amoureux.

La femme préférera toujours l’homme qui saura lui faire tout haut, devant du monde, un compliment bien fade sur sa robe ou son chignon, à celui qui lui exprimera, si personne ne peut l’entendre qu’elle, un sentiment noble, une pensée délicate, en fut-elle même l’objet.

Il faut pourtant lui rendre cette justice que si elle préfère le premier de ces messieurs au second cela tient uniquement à ce que personne ne put l’entendre. Mais que si ces belles choses étaient dites devant un cercle plus nombreux elle préférerait probablement le sentiment et la pensée à son chignon et à sa robe. Il est vrai que dans ce cas, le second monsieur ne croira      i pas un mot de ce qu’il dirait. Les trésors du cœur se cachent... Mais, bah ! Pourvu qu’il y ait l’apparence, n’est-ce pas, Mesdames ?

Dès qu’une femme découvre un défaut physique à son amant, elle est bien près de ne plus l’aimer, et si elle en

parle, elle n’aime plus.

Bien entendu que la fin de ma phrase ne s’applique qu’aux femmes encore simples, naïves, peu corrompues, peu au fait des manœuvres qui peuvent servir à dissimuler la vérité ou à celles sur lesquelles ne pèsent aucun soupçons qu’elles doivent détourner.

Ce que je dis est si vrai que toute femme habile qui veut donner le change sur ses sentiments, ses relations ne manque jamais d’amuser légèrement en public de quelque petit ridicule de son amant, sans insister cependant car ce serait se trahir. Qui veut trop prouver ne prouve rien.

Et le monde qui pourtant devrait avoir l’expérience de la chose, s’y laisse prendre bien souvent.

Que de gens pour qui leur femme cesse d’être une jolie femme !

 

Les serments de mains.

 

Ce n’est pas qu’elle voulût retirer sa main... non... mais la pensée aurait pu lui en venir, et je l’aurais infailliblement perdue si l’instinct plus que la raison ne m’eût suggéré, hors à propos une dernière ressource dans ces sortes de périls. Je tins alors sa main si légèrement qu’il semblait que j’étais sur le point de lui rendre sa liberté de mon propre gré. Et c’est ainsi qu’elle me la laissa.

Un calembour tristement vrai :

Neuf fois sur dix les serments de mains ne sont que de faux serments.

 

La danse.

 

Il est de fondation que Lui invite Elle pour le cotillon.

C’est un moment décisif.

 


 

C’est alors que chaque couple s’étant choisi s’occupe de son jeu et songe moins à regarder dans celui des autres ; C’est alors que, grisés par le bal, Lui sent croître son audace, Elle domine sa force de résistance ; C’est alors que les fleurs s’échangent, que les regards se caressent, que les mains se cherchent et que les anges gardiens cachent leurs têtes blondes sous leurs ailes.

Le cotillon, - c’est la fin d’une bataille. Lui c’est l’armée victorieuse, Elle un dernier carré qui résiste encore. Mais j’ai vu trop de ces derniers carrés enfoncés pour avoir la moindre confiance en eux.

Quelle est la femme qui oserait répondre comme Cambronne ?

Le cotillon est souvent un écueil ; il y faut déployer une certaine grâce qui n’est point donnée à tout le monde. Il y a pour les hommes, des figures, des positions ridicules qui peuvent, s’ils ne savent s’en tirer heureusement, leur nuire infiniment aux yeux de cette petite créature vaniteuse qui s’appelle la femme.

On se donne en spectacle, et l’on doit être en mesure d’affronter les critiques.

Il est inutile de prouver une grande force de poumons en éteignant une bougie élevée de trois pieds au-dessus de votre tête car les femmes estiment peu un souffle puissant et penchent volontiers vers les poitrines faibles, - mais il est indispensable de se montrer adroit, souple et leste, les dites femmes dédaignant les gens gauches et lourdauds, quelles que soient du reste les qualités solides qu’ils puissent avoir.

C’est une excellent chose si l’on peut, avec une apparence un peu frêle, déployer une certaine force musculaire. Cela fait rêver les danseuses à ces beaux héros de roman qui, avec des mains de femme et une taille de demoiselle, terrassent un rustre malappris et taillé en Hercule.

Il y a dans le cotillon une certaine figure assez difficile qui m’a souvent servi à vérifier l’exactitude de la règle que j’ai posée.

Cette figure consiste à ramasser avec ses dents, en se tenant debout sur un seul pied, un chapeau posé à terre. J’ai vu peu de danseurs en venir à bout et beaucoup l’égayer par des chutes ridicules. Elle nécessite une assez grande force dans les muscles de la jambe qui doit seule supporter tout le poids du corps et le maintenir en équilibre.

Je réussis facilement cette figure et ce succès m’a toujours valu des bravos publics et des félicitations intimes...

A quoi tiennent les conquêtes !

Qui sait ? J’ai peut-être enlevé le cœur de Mme X parce que j’avais le poplité plus solide que M. Y.

Les femmes savent très bien faire la différence entre le cocodès qui « conduit à merveille le cotillon » et l’homme de talent qui peut construire un pont, percer un tunnel, perfectionner une machine à vapeur, - mais la différence est tout en faveur du cocodès qui « conduit à merveille le cotillon. »

La valse est la danse par excellence, j’entends la valse à trois temps et non pas ces tourbillons échevelés sans grâce aucune, qui donnent aux gens l’air de fous échappés et que nos petits messieurs ont introduit dans les salons sous le nom de valse.

Pour peu que la danseuse ne soit ni trop vieille ni trop laide, la valse cause une espèce d’enivrement que je n’ai jamais pu bien m’expliquer, qui lui est propre et qui ravit. Jugez du degré d’intensité auquel peut-être portée cette ivresse quand la femme est jeune et jolie ou, ce qui revient au même, quand on l’aime.

Un tour de valse peut suffire à rendre deux jeunes gens amoureux l’un de l’autre.

Vous souvenez-vous de cette lettre de Werther où il dit à son ami Wilhelm :

« Je valsais avec Charlotte. Je n’étais plus un homme ! Tenir dans ses bras la plus charmante des créatures : Voler avec elle comme l’orage ! Voir tout passer, tout s’évanouir autour de soi !... Sentir... ! Wilhelm, pour être sincère, je fis alors le serment qu’une femme que j’aimerais, sur laquelle j’aurais des prétentions, ne valserait jamais qu’avec moi, dussé-je périr ! Tu me comprends ».

Comme Werther a raison.

Pauvres maris !

Que de jolies choses on peut murmurer à l’oreille d’une valseuse étourdie !

Exemple :

Oh ! Madame, je donnerais tout au monde pour que cette valse, comme celle de la ballade allemande, ne finît jamais...

Je ne sais pas s’il existe en réalité, dans quelque vieille balade, une valse éternelle ou si je l’ai rêvé, mais ce qui est positif, c’est que j’ai trouvé souvent des placements avantageux de la phrase susdite.

C’est une règle qui ne souffre pas d’exception, qu’il est bon de mêler à l’amour quelques grains de poésie, meilleur de glisser à tout propos les mots menteurs par excellence. - Toujours ! Jamais ! ! Éternité...

Il y avait autrefois à Interlaken deux jeunes gens qui s’aimaient d’amour tendre et que leurs familles ne voulaient pas unir. Ils étaient désespérés. Un jour de fête, ils valsaient sur la montagne, tout à coup un grand cri s’éleva... Les amants malheureux avaient voulu mourir ; ils s’étaient, en dansant, approchés d’un précipice où ils roulèrent enlacés.

Cette triste histoire est souvent une ressource précieuse. Placée à propos, elle ne manque jamais de faire sensation et l’on y peut joindre quelque touchante péroraison où l’on exalte le bonheur de mourir ainsi dans un baiser d’amour... Prenez garde, Mesdemoiselles, à l’histoire des amoureux d’Interlaken.

A propos de valses, une strophe charmante de Musset à réciter aux femmes qui aiment les vers (Je pourrais dire à toutes, car, s’il s’agit d’amour, toutes les femmes feignent de les adorer et de les comprendre et c’est les flatter que d’avoir l’air de croire à leur goût pour la poésie qu’elles sentent peu cependant, en général).

Voici la strophe :

 

Mais qui saura chanter tes pas pleins d’harmonie

Et tes secrets divins, du vulgaire ignorés,

 


 

Belle nymphe allemande aux brodequins dorés !

O Muse de la Valse, ô fleur de poésie,

Où sont de notre temps les buveurs d’ambroisie

Dignes de s’étourdir dans tes bras dorés ?

 

Qu’il vous sera facile de persuader à votre danseuse que vous êtes, elle et vous, de ces buveurs d’ambroisie ! Qu’il vous sera facile de vous griser un peu tous deux avec la divine liqueur.

J’ai dit que la valse était la danse par excellence. Après elle vient la mazurka dont le mouvement lent et gracieux berce mollement les danseurs dans une demie volupté.

La polka est bourgeoise, saccadée, fatigante, désagréable ; c’est une danse de collégiens et de petites pensionnaires. Les femmes de 25 ans doivent y renoncer et l’abandonner aux jeunes filles qui dansent pour le plaisir de danser.

La scottish ne se joue plus que dans les réunions intimes ; son allure bizarre rend la conversation difficile.

La redorva est oubliée.

La varsoviana, cette affreuse varsoviana, fait encore les délices des bals champêtres où elle s’est réfugiée. Bonne avec les modistes échappées de l’atelier, et les paysannes aux joues fraîches qui sautent en l’honneur du patron de leur village.

Le quadrille est ennuyeux généralement, surtout pour les amoureux, car il n’isole pas un couple de la foule, comme les danses dites tournantes, et ne permet pas de causer intimement ; on est trop en vue.

Les lanciers n’ont qu’un mérite, mais il est grand : ils se prêtent merveilleusement aux serrements de mains. Sans même danser avec la personne aimée on peut au passage lui glisser quelques mots à l’oreille et lui presser les doigts. Mais les figures compliquées que les Anglais ont imaginées ne laissent pas aux cavaliers le temps d’échanger avec leurs danseuses dix paroles suivies, sous peine de compromettre la marche du quadrille et de faire remarquer leur distraction.

Donc, en résumé, quand vous courtisez une femme, attachez-vous à danser avec elle le cotillon surtout, puis les valses, puis les mazurkas. Et enfin tâchez, à cause des regards et des serrements de mains, de lui faire vis-à-vis aux quadrilles et aux lanciers.   

 

Les fleurs.

 

Les riens sont tout puissants en amour, - les fleurs surtout.

Si vous faites la cour à une femme, tâchez d’obtenir d’elle une fleur par un moyen quelconque, si étranger qu’il semble à l’amour. Ne vous mettez pas même en peine de débiter de belles phrases sur le bonheur que vous éprouverez à posséder une marguerite, une rose que sa main aurait touchée - ayez la fleur - c’est l’essentiel.

Il est rare qu’une femme vous refuse, - vous paraissez demander si peu ! Et pourtant c’est à son insu un premier lien qui l’attache à vous, c’est un premier pas de fait, c’est une preuve palpable, réelle de sympathie, un merveilleux sujet de conversation qui vous conduira directement, par un chemin facile, à déclarer votre flamme, sans qu’on ait trop le droit de vous arrêter, puisqu’on aura paru vous donner un encouragement. Et du reste, vous imposât au silence, vous auriez alors la ressource de voiler tout à coup, vos yeux de tristesse, d’altérer votre voix, de porter la main au cœur, comme s’il se brisait, de pâlir si vous pouvez et de dire d’un air résigné en tremblant : « Pardonnez-moi, Madame, j’ai été fou ! J’ai fait un rêve, j’avais cru... Oh ! Cette fleur qui m’a rendu si heureux, me fait trop de mal maintenant, - je veux vous la rendre... ». Et en même temps, vous tendez la fleur à la cruelle. Du diable si elle la reprend !

 

Quand une femme consent à vous donner une fleur, si vous avez un peu de courage, n’oubliez jamais de la supplier (ces choses-là doivent être dites d’une voix très basse, faible comme un souffle) de poser un instant la fleur sur ses lèvres. Ne craignez pas que la femme se fâche. Ce qui peut arriver de pis c’est qu’elle vous réponde : « Vous êtes bien exigeant. »

En disant de pis, je me suis trompé ; car c’est souvent une chance favorable que cette résistance. Si vous n’êtes pas ridiculeusement timide, vous insistez, on résiste encore, vous insistez toujours... Et Dieu sait où cela peut vous conduire ! Bien plus loin peut-être que n’eût fait un petit baiser sur la fleur désirée.

Quand aux moyens d’obtenir les fleurs, ils sont nombreux.

En général le mieux est de n’avoir pas l’air d’agir par amour, quitte, la fleur obtenue à avouer que l’on a menti.

Les femmes du reste ne s’y trompe pas.

Revenons à nos moyens :

 

Première méthode.

 

Amenez adroitement la Dame de vos pensées à vous demander un petit service, cela est facile : « Je vous avertis, lui dites-vous ensuite, que je suis fort intéressé. Je voudrais être payé. » - « Que puis-je vous offrir ? » - « Je veux être payé très cher. Me donneriez-vous cette rose que vous portez dans les cheveux ? » - « Comment, si peu ? Vous appelez cela vous faire payer très cher[1] ? Eh bien, vous l’aurez. »

Le Monsieur alors d’une voix émue : « Merci... »

 


 

Deuxième méthode.

 

Faites un pari avec Elle.

Gages un gros bouquet officiel, contre une petite marguerite qu’elle tient à la main.

Ce moyen n’est pas des meilleurs.

 

III - L’Héliotrope

Comédie en 3 actes et en prose 

 

 

La scène se passe où vous voudrez et quand il vous plaira.

 

Acte premier.

 

Le théâtre représente un boudoir. Par une porte ouverte, au fond, on voit un grand salon plein de monde. Une dame est assise dans un crapaud ; auprès d’elle un monsieur prend des poses gracieuses. La dame tient à la main un bouquet d’héliotropes.

 

Scène première.

Monsieur, Madame

......  après quelques banalités.

Monsieur - Vous aimez l’héliotrope, Madame ?

Madame - Beaucoup.

Monsieur - Pour moi, je ne connais rien d’aussi charmant que cette fleur qui se tourne sans cesse vers le soleil. Et meurt les yeux fixés sur son astre chéri, comme mourut Léandre qui regardait encore, au milieu des flots en fureur, la tour où Hère tremblait pour lui.

Madame - C’est de la poésie, cela, Monsieur.

Monsieur - Madame, les fleurs et les femmes me font toujours perdre le peu de bon sens que le hasard a daigné m’accorder ; car c’est déraisonner, dans le siècle de prose où nous sommes, que de parler, même à une jolie femme, d’autre chose que de chiffons, de chevaux ou du cours de la Bourse. Je demande donc bien pardon de ma poésie à vos grâces et à votre héliotrope. Mais cette petite fleur sombre a un parfum qui vous monte à la tête...

Madame - Prenez garde, Monsieur le poète, votre imagination vous emporte. L’odeur de cet héliotrope est presque imperceptible.

Monsieur - C’est un trait méchant que vous me décrochez, Madame. Votre bouquet sent la vanille, comme c’est le devoir de tout honnête bouquet d’héliotropes.

Madame - Je vous assure que non. Êtes-vous entêté !

Monsieur - Je ne puis croire que je rêve pourtant et, jusqu'à preuve évidente du contraire...

Madame - Vous êtes incrédule ?

Monsieur - Comme Saint Thomas.

Madame - Eh bien donc, Monsieur Saint Thomas, touchez et sentez mon héliotrope...

Madame casse une petite branche de son bouquet et la donne à Monsieur.

 

Scène deux.

Monsieur ; Madame ; la Douairière entrant.

La Douairière - Eh ! Venez donc, Chère Belle ; je vous cherche depuis un siècle pour vous prier, vous supplier, au nom de tout mon monde de chanter encore une fois cette délicieuse romance qui vous a fait tant applaudir un dernier concert de charité...

Madame se lève et s’éloigne avec la Douairière, oubliant dans la main de Monsieur, la branche d’héliotrope...

 

Scène trois.

Monsieur, seul, souriant dans sa barbe d’un air satisfait.

Parbleu ! Je le savais bien qu’il ne sentait rien cet héliotrope... Allons écouter la romance.

 

Acte deux.

 

Scène unique.

Le théâtre représente un grand salon.

La foule entoure la Dame à l’héliotrope et la complimente. La Dame semble chercher quelqu’un. Tout à coup elle baisse les yeux et rougit ; elle vient d’apercevoir, appuyé à la cheminée, le Monsieur incrédule, portant une fleur à ses lèvres.

 

Acte trois et dernier.

 

Fin

R

 


 

J’ai indiqué quelques méthodes ; J’en passe et des meilleures, car le nombre en est grand. Mais je crois que ces quelques mots suffisent pour indiquer à peu près quelle est la marche à suivre. 

 

R

  

Feindre de croire aux marguerites, débiter quelque belle tirade dans le goût de celle-ci.

Quelle chose fragile que cette sublime raison humaine dont on fait tant de bruit ! Que deux yeux bleus vous lancent un regard, et c’en est fait de cette forme presque divine qui voudrait soulever le monde. Il y a quelque temps (la femme traduit avant que je ne fusse amoureux de vous, Madame), j’étais esprit fort, comme on doit l’être de nos jours. Cuirassé de philosophie, je riais des faiblesses des autres, de leurs folles idées, de leurs illusions, de leurs superstitions. Chimère, disais-je ! Et ce matin, le croiriez-vous ? Je me suis surpris, effeuillant une marguerite. J’en suis presque honteux. Malgré mes meilleurs raisonnements, en dépit de tous les sourires sceptiques que j’ai amenés sur mes lèvres, je crois à cet oracle, comme si j’étais encore au collège. S’il m’avait répondu « oui », j’aurais ri, peut-être ; mais il m’a dit « non » et, depuis ce matin, je suis triste et je m’efforce en vain d’imposer silence à une voix intérieure qui me répète sans cesse : les marguerites ne mentent jamais.

 

R

 

Renoncer aux marguerites à l’apparition du premier cheveu blanc.

 

R

 

Quand on veut plaire à une femme, il est bon de porter des fleurs à sa boutonnière et surtout une fleur de prédilection, - celle de la Dame si on lui en connaît une.

D’abord on peut avoir l’occasion de s’en servir et il ne faut jamais être pris au dépourvu ; et ensuite les femmes sont portées à prêter des goûts, des idées poétiques à l’homme qui aime ou semble aimer les fleurs.

Et la poésie est un reflet dont ces chères petites créatures colorent volontiers leur amour.

 

R

 

Qu’un amoureux, devant la femme aimée, comme par distraction, baise une fleur, en rêvant.

La femme prend le baiser pour elle et n’a garde de s’en fâcher.

 

R

 

L’article fleur est un de ceux qui ouvrent le plus aisément la carrière à toutes les divagations, à toutes les phrases creuses dont se compose une conversation d’amoureux qui préludent.

Il peut faire avantageusement concurrence à l’article Lune et Étoiles.

 

La théorie de la Châtaigne.

 

Il y a, dans certains dialogues d’amoureux qui jasent à l’écart, un je ne sais quoi qui s’élève comme une muraille entre eux et le reste du monde. Ce je ne sais quoi saute aux yeux des moins clairvoyants et les fait instinctivement respecter le tête-à-tête.

Je comparerais volontiers le couple de tourtereaux ainsi protégé par ce je ne sais quoi en question, à une châtaigne blottie dans sa coque comme un hérisson.

Un étourneau s’avance et sentant subitement son impudence, se recule vivement avec le geste de quelqu’un qui s’est piqué les doigts.

Que de fois je me suis plu à observer de ces duos d’amoureux ! Rien n’est amusant comme les airs indifférents qu’ils cherchent à se donner, rien n’est comique comme le mouvement d’effroi et la retraite précipitée de tous les étourdis qui, s’étant approchés d’un peu trop près, s’aperçoivent qu’en regardant voler les mouches, ils allaient mettre la main sur une châtaigne féroce hérissant tous ses piquants.

Ce je ne sais quoi c’est le cercle de feu que Méphistophélès, de la pointe de son épée, trace sur le sol autour de lui et que les étudiants n’osent franchir, ou bien c’est une convention tacite entre les hommes de se rendre la pareille, le cas échéant.

 

De l’influence des lunettes.

 

Ne riez pas, Lecteur, de ce titre.

Ce chapitre a bien son importance dans un siècle où la moitié du genre humain est myope.

 

Ah ! C’est un grand malheur, quand on a le cœur tendre que d’avoir la vue basse !

 

R

 


 

J’avais un bon ami que nous plaisantions souvent sur sa vie sage et réglée et sa timidité. Jamais on ne lui avait connu maîtresse, jamais on n’avait remarqué qu’une femme le distinguât. Et cependant c’était un garçon charmant, instruit, original, bon danseur et point du tout mal fait de sa personne.

Un soir qu’il se plaignait à moi de son peu de succès auprès des femmes et du poids de sa sagesse forcée, je ne pu m’empêcher de lui objecter qu’il y avait en cela beaucoup de sa faute, qu’il n’osait pas assez et qu’il en est des femmes comme des montagnes, qu’il faut aller à elles.

 - Eh ! Mon cher, me répondit-il, je sais cela comme toi. Mais, que veux-tu, je suis timide, parce que j’ai conscience de mon infériorité, parce que je ne pourrai jamais être aimé !

- Et pourquoi, s’il te plaît ?

- Parce que je porte un pince-nez.

Et je poussais une exclamation et me mis à crier au paradoxe.

- Paradoxe, continua-t-il d’un ton lamentable, non pas, mais vérité.

  Raisonnons :

  Avec quoi aime-t-on d’abord ? Avec les yeux, n’est-ce pas ? Ce sont les yeux qui les premiers font naître l’amour, ce sont les yeux qui les premiers en font l’aveu. Eh bien, le pince-nez supprime le langage des yeux, ce bégaiement dans lequel la femme trouve presque toujours plus d’éloquence qu’aux phrases passionnées comme la mère préfère les premiers mots de son enfant au discours fleuri d’un académicien.

 - N’as tu donc jamais ressenti le délicieux frisson que vous cause un premier regard qui trahit une affection naissante ? Point de frisson si le regard traverse des verres ou convexes ou concaves !

 - Voilà donc l’amour étouffé à sa naissance !

 - Et supposant même qu’il pût naître, pourrait-il vivre quelques jours seulement ?

 - La femme de mes rêves passera dix fois à côté de moi, dans la rue, sans que je la voie. Et c’est là une de ces choses qu’on ne pardonne pas. Ne pas voir la femme que l’on prétend aimer ! Mais votre cœur, Monsieur, ne vous disait donc rien ? Il ne vous criait donc pas que j’étais près de vous[2] ? Et vous osez jurer que je suis votre vie, que vous donneriez votre sang pour moi... Et patati et patata.

- Et si je regarde mon adorée, chacun s’en aperçoit, car je ne puis faire comme vous, les yeux en coulisse ; et tout aussitôt son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, ses cousins et ses cousines, ses amies et ses ennemies, tout le monde, jusqu’aux cuisinières, commence à m’espionner et à faire tapage.

- Et si je viens soupirer sous son balcon, suivant les règles, si je veux contempler son gracieux visage, impossible de tourner doucement les yeux en l’air comme vous, hypocritement, sans lever la tête. Il me faut prendre la position d’un Lavoisier à la recherche de sa planète, au risque de me faire remarquer et de compromettre une étoile, au risque de prendre la femme de chambre pour elle et de lui envoyer mon plus joli sourire.

- Sans parler de cent petits accidents ridicules comme de mettre le pied dans un tas de boue, marcher sur la queue d’un chien ou tomber dans les bras d’un gendarme...

- Vois-tu, mon pauvre ami ; quand on a la vue basse, le meilleur parti à prendre, c’est de renoncer au culte de la blonde Vénus. Cythère ne reçoit pas les gens à lunettes.... ».

Et ce disant, mon triste ami essuya son pince-nez que deux larmes avaient terni.

 

Myopie.

 

C’est une remarque curieuse qu’on a faite - que la myopie est un signe d’intelligence, un développement marqué des facultés intellectuelles et de la sensibilité.

Le docteur Réveillé-Parisse, savant oculiste, dit qu’il y a cent à parier contre un qu’un myope n’est point un sot.

Parmi les myopes célèbres on peut citer Delille, La Mothe, Piron, le chancelier de l’Hospital, Buffon, Voltaire, Montesquieu, Rousseau.

Napoléon et Frédéric étaient myopes.

 

De l’amour feint à l’amour vrai.

 

Règle générale - L’amour feint chez l’homme a plus de chance d’être payé de retour que l’amour sincère.

C’est une chose triste à dire, mais elle est malheureusement vraie et s’explique jusqu'à un certain point.

L’amour étant une de nos passions les plus violentes, la plus violente même peut-être, a nécessairement le caractère propre de la passion qui est de ne pas nous laisser maîtres de nous-mêmes.

L’homme amoureux obéira aux seules impulsions de son cœur, sans raisonner, sans résister, et le cœur est un mauvais conseiller ou plutôt un conseiller naïf et inexpérimenté, qui lui fera commettre un nombre infini de folies et (ce qui est plus grave au point de vue du résultat) de maladresses. Absorbé dans sa passion, l’homme amoureux échappera rarement, difficilement au ridicule qui tue. Au contraire, l’homme qui joue l’amour, en comédien consommé, saura tirer parti de toutes les ressources de son expérience, pour donner à son rôle un air de vérité et débarrasser, en même temps, son personnage de tous les accessoires qui prêtent à rire.

 

D’un autre côté la femme qui est un être léger, sans logique ; s’arrête à la surface et, soit inconscience, soit impuissance, ne cherche pas à aller au fond des choses. Elle est sujette par nature, à prendre du strass pour du

 


 

diamant, et ne saura pas faire la différence de l’homme qui aime et de celui qui n’aime pas.

Et du reste, distinguât-elle le vrai du faux, comme son esprit vaniteux lui fait aimer dans l’amant qu’elle choisit, plutôt l’homme apparent, extérieur que le monde prise ou dédaigne, que l’homme intime malgré tous les trésors que peut renfermer son cœur[3], elle préférera encore celui qui aime moins ou n’aime pas, mais qui sait donner à ses mensonges un tour agréable, dont les difficultés à vaincre stimulent l’esprit, qui se pique au jeu et veut briller à celui qui s’efface, se renferme dans son affection et croirait indigne de triompher par ces mille petits riens, ces niaiseries qui sont pourtant les armes de l’amour mondain.

Le premier n’a rien dans le cœur et serait incapable du plus mince sacrifice. L’autre aime de toute son âme, ne voit que son amour et donnerait gaiement sa vie pour l’être adoré.

Aussi ridicule celui-ci que ces numismates enragés dont l’existence entière se consume à la poursuite de quelques vieilles médailles introuvables, d’un Juba quelconque. Ils ne songent plus qu’à leur Juba, ces pauvres maniaques, ne parlent que de leur Juba, en rêvent toutes les nuits et se couperaient cinq doigts pour le posséder. Et la plupart du temps ils s’en vont dans l’autre monde continuer leurs recherches, n’ayant trouvé dans celui-ci, autre chose que des quolibets et des éclats de rire !

Autre raison à l’appui de ce que j’avance : est-ce que, dans notre société, en dépit des morales de [....], nous ne voyons pas que ce qui est mauvais l’emporte constamment sur ce qui est bon ? Est-ce que le vice n’est pas toujours récompensé ?

C’est peut-être à cette raison, que je suis tenté de regarder comme un axiome, que je m’arrêterai. Elle a du moins l’éminent avantage de nous épargner la peine d’élaborer péniblement de vaines théories.

Les théories sont toujours absurdes quand il s’agit de sentiments.

 

Silvio.

Jamais les imbroglios, ni les galanteries,

Ni l’art mystérieux des douces flatteries,

Ce bel art d’être aimé, ne m’ont appartenu :

Je vivrai sous le ciel comme j’y suis venu.

Un serrement de main, un regard de clémence,

Une larme, un soupir, - voilà pour moi l’amour

Et j’aimerai dix ans comme le premier jour.

J’ai de la passion et n’ai point d’éloquence.

Mes rivaux, sous mes yeux, sauront plaire et charmer

Je resterai muet Moi, je ne sais qu’aimer

 

Laerte.

Les femmes cependant demandent autre chose :

Bien plus. Sans les aimer, du moment que l’on ose,

On leur plaît............................

                                 Alfred de Musset. A quoi rêvent les jeunes filles.

Voilà la nature prise sur le fait.

 

Silvio a raison : c’est comme il le dit qu’on est amoureux.

Mais le vieux Laerte est dans le vrai : ce n’est pas comme aime Silvio que les femmes veulent être aimées.

De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace !

Mais un amoureux sincère n’osera jamais - Donc.......

Diderot a dit à propos du théâtre : Si le comédien éprouvait une émotion, une douleur réelle, il serait ridicule. Il faut que ses larmes soient feintes s’il veut faire pleurer ; si elles étaient vraies, on en rirait.

On a traité de paradoxe[4] cette théorie appliquée à la scène. Appliquée à l’amour, elle me semble une vérité malheureusement incontournable.

Quand je vois faire la cour à une même femme, deux hommes dont l’un feint l’amour et dont l’autre est sincèrement épris, il me semble assister à un duel où l’un des combattants, parfaitement calme et maître de lui, ne porte aucun coup qui ne soit calculé et n’ait chance d’atteindre le but, tandis que son adversaire, la tête troublée, emporté par la passion, ne sait plus, ne voit plus ce qu’il fait et se fie au hasard, au risque de s’emparer de lui-même. Il y a cent à parier contre un que celui qui est de sang froid sortira vainqueur du combat ; il y a cent à parier contre un que le pauvre amoureux sera battu par son rival.

 

Platonisme.

 

- Platonisme ? Qu’est-ce que cela veut dire, demanda Phénécie ?

- C’est la maladie des hommes qui n’osent pas embrasser les femmes, dit Mimi. J’ai eu un amant comme ça ; Je l’ai gardé deux heures.

 


 

- Des bêtises, quoi ! Fit mademoiselle Musette.

- Tu as raison, ma chère, lui dit Marcel ; le platonisme en amour, c’est de l’eau dans du vin, vois-tu. Buvons notre vin pur.

- Et vive la jeunesse, ajoute Musette.              

                                             Henri Mürger. Scènes de la Vie de Bohème.

 

Oui sans doute le Platonisme est absurde, ridicule, impossible, au-dessus de nos forces, mais on ne peut s’en passer.

Le Platonisme c’est l’antichambre de l’amour, et il n’est point de femme qui ne vous fasse faire antichambre plus ou moins longtemps.

C’est un goût qu’elles ont.

Elles veulent que nous parlions d’étoiles, d’union des âmes, d’amour pur, immatériel, éternel, avant d’atteindre l’amour réel, qui est impur et charnel, et ne vit qu’un temps.

Il faut passer par l’âme pour arriver au corps qui est en somme notre but, quoique nous en disions ; Il faut feindre de dédaigner la matière, de la fouler aux pieds, pour arriver jusqu'à elle.

L’homme est fait de chair et d’esprit : L’esprit anime la chair et la chair agit sur l’esprit et leurs actions sont simultanées ; Vouloir les séparer est insensé ; Elles sont fatalement solidaires l’une de l’autre.

Un désir naît dans mon âme ; Simultanément, spontanément il se produit dans mon corps un désir analogue qui est une attraction par laquelle tout mon organisme se sent entraîné vers l’objet désiré.

Je vois une pomme : Dans mon esprit s’éveille le désir de la manger. En même temps une attraction irrésistible s’exerce sur toutes les parties de mon corps et pousse tout mon être matériel vers la pomme pour qu’il la

saisisse et la mange.

De même en amour ; Que mon âme soit tout à coup attirée vers une femme, en même temps une attraction se produira dans ma chair et... à moins d’empêchements physiques, la femme subira le sort de la pomme.

Cette théorie résulte à peu près de celle que Malesherbes a émise à propos des rapports de l’âme avec le corps : Il suppose qu’à l’occasion des actes de la pensée et de la volonté, il se produit dans le corps des mouvements analogues qui ont ainsi dans l’âme leur cause occasionnelle et non efficiente.

Si donc l’âme n’est qu’une cause occasionnelle et non point une cause qui agisse, qui produis des effets, elle ne pourra jamais avoir qu’une puissance fort limitée et insuffisante pour contenir ou modifier les mouvements du corps. Ces mouvements existeront toujours, ils ne pourront qu’être un instant atténuées, masqués, par la force de la volonté, mais ils finiront enfin par se trahir et l’emporter et alors adieu le Platonisme !

Le Platonisme ne peut exister que momentanément comme transition.

Vouloir faire du platonisme, c’est vouloir nier qu’on ait un corps.

Il n’y a point d’amours platoniques. Il n’y a que des amours contrariés, contraints par des obstacles matériels.

De tels empêchements peuvent seuls retenir les amoureux dans les champs de l’idéal.

Quelquefois encore c’est un caprice de la femme de vouloir jouer au platonisme, une épreuve qu’elle veux faire subir à l’homme qui la recherche, un sacrifice qu’elle fait aux apparences poétiques dans lesquelles on aime voir envelopper une affection naissante.

Mais tous ces amours platoniques de fait, ne le sont certes pas de pensée.

La jeune fille par ignorance peut aimer platoniquement ; Mais elle se sent avec effroi tourmentée de désirs vagues et inconnus ; Un serrement de main furtif l’émeut, la trouble et la fait bientôt soupirer après un autre, et alors...

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 

 

 

Dans cette deuxième partie, notre aïeul évoquera l’amour en vers, en prose, en maximes, en acrostiches et en vieux françois (comme disoient nos Anciens).

Enfin il abordera, toujours avec autant de malice et d’habileté les sujets les plus divers auxquels il n’était pas resté indifférent : l’homme, la religion, l’éducation, la politique, la science, le théâtre, la mode... Que sais-je encore ?

R

 

A Mme L.P.

 

Il faut mettre, dit-on, une étiquette à tout, aux drogues et aux gens, aux vins, aux vers surtout : aussi, quelque ronflant que vous semble ce titre, je baptise les miens du nom pompeux d’épître.

 

N’est il pas vrai qu’il faut, ma chère,

Avoir tué ses père et mère,

Être affligé d’un cœur pervers

De deux ou trois grains de folie,

D’une violente maladie,

 


 

Être amoureux pour mettre en vers

Ce qu’en prose on pourrait écrire ?

Aussi, je vous permets de rire.

Mais entre nous, tout est commun,

A nous deux nous ne faisons qu’un ;

Or, en voyant tomber la pluie,

Comme un Saint, je baille et m’ennuie,

Et veux que vous baillez aussi,

En lisant cette épître-ci.

 

Dans une chambre solitaire,

N’est-ce pas qu’on est bien la nuit,

Loin de tout, du monde et du bruit ?

A l’heure où le Dieu somnifère,

Morphée, agite ses pavots ;

A l’heure où tous les yeux sont clos,

Fors ceux des chats et de leurs dames,

Des amoureux et des penseurs,

De la patrouille et des voleurs ;

Où les bourgeois, près de leurs femmes,

Rêvent, les sots ! Sous l’édredon

Des Chambres et du Ministère,

De la cannelle et du coton,

Ou des projets de l’Angleterre.

 

C’est alors que j’aime à rester,

Près des tisons, à feuilleter,

Seul avec votre image aimée,

Joyeux ou triste, jour par jour,

Tout le roman de notre amour.

 

Il naquit, trop douce folie

(Comme on disait), en carnaval,

Je crois, un lendemain de bal.

 

Ce roman que je lis, Madame,

Ce soir, que je lirai demain,

Il fut écrit de votre main,

Blanche et coquette, dans mon âme.

J’avais alors dix-huit printemps,

Air très grave, tête un peu folle,

Mais cœur tout neuf sur ma parole.

Rêveur et pour passer le temps,

Flânant et bayant aux corneilles,

Je m’en allais, le nez au vent,

En philosophe, ou poursuivant

Un sourire aux lèvres vermeilles.

J’écoutais au fond de mon cœur

L’amour bégayant son ramage,

Se plaignant de rester en cage...

Il ne pleurait ; mais par bonheur,

De vos yeux bleus une étincelle,

Enfin entrouvrit sa prison,

Et le captif, à tire d’aile,

S’enfuit, emportant ma raison.

A vos pieds, tout ému, ma belle,

En soupirant, il s’abattit...

Et chérubin alors perdit

Le peu qu’il avait de cervelle.

 

Chérubin. Dieu ! le joli nom

Qu’avait donné Laure la Brune

Au grand amoureux de la Lune.

Ce jeune chérubin, dit-on,

Fût fort épris de sa marraine.

Mais moi, c’est à d’autres genoux

 


 

(Ma marraine, m’en voulez-vous ?)

Que le blond Cupidon m’entraîne.

 

O mon amour, mon cher amour,

Jamais je n’oublierai ce jour

Où seuls enfin... Divin Platon,

Si j’ai violé vos lois - pardon.

A qui la faute ? A l’herbe tendre

A ma faiblesse, au vent du soir...

 

Vraiment, je voudrais bien vous voir,

Vous le sage par excellence,

Saint Antoine, en telle occurrence !

 

Et tous ces riens que j’aimais tant !

Vos longs regards, vos bouderies,

Vos baisers et mes jalousies

(Car je suis quelquefois méchant) !

 

En toi, ma pâle marguerite,

Que si souvent je baise encor ;

Va, je te garde, ma petite,

Pour l’avenir, comme un trésor.

Tu t’égaras ma pauvre tête ;

Quand sur mes livres l’humble fleur,

Me dit tout bas, chère indiscrète,

Le premier mot de mon bonheur.

 

Je garde tout, jusqu’aux fleurettes,

Roses, lilas ou violettes,

Même un petit caillou luisant,

(N’est-ce pas que je suis enfant ?)

Blanc et poli comme l’ivoire...

Vous me rappelez-vous l’histoire ?

Non - Laissez-moi vous la conter.

 

A Saint-Eugène[5], un jour de pluie

(Bien que l’on se grillât d’envie),

Nous ne pouvions nous embrasser,

Car le tyran que l’on révère

Ce monstre à l’œil dur et sévère,

A l’affût du moindre méfait,

Le monde enfin - nous surveillait,

Représenté par deux gendarmes,

Trois fantassins et un pêcheur

Une nourrice et son sapeur.

Le rendez-vous manquait de charmes ;

Et nos lèvres voulaient jaser

Autrement qu’en vaines paroles.

- Langage d’amour - c’est baiser.

Les contenter, ces lèvres folles,

Comment ? Grand était l’embarras,

Quand la dame que j’avais au bras

Se baisse alors et sur le sable,

Ramasse un caillou charitable :

« Ce caillou, c’est l’air de mer

Qui produit cet effet sans doute.

A, me dit-elle, un goût amer. »

 

« Voyons, donnez-le que je goûte

Amer ! Non pas, que dites-vous ?

Je le trouve, moi, des plus doux. »

« Il est salé, je vous assure. »

« Il est fort doux, je vous le jure. »

 


« Vous plaisantez, rendez-le moi

«  Ne faites pas le non apôtre ;

« Vous n’êtes pas de bonne foi... »

Ce caillou, d’une lèvre à l’autre

Quinze ou vingt fois alla son train

Passant ainsi de main en main ;

Et nous de rire - A votre face,

A votre nez, monde, on s’embrasse

Et vous n’y voyez que du feu,

Quand deux amoureux sont en jeu.

 

Je trouve encor dans ma mémoire

(Ne baillez pas) une autre histoire.

Avez-vous oubliée ce bois

(Il me semble que je le vois)

Tout frais et brillant de rosée,

Où je vous ai tant embrassée

Au doux murmure d’un ruisseau ;

Bois où je fis de mon manteau,

S’il vous souvient, un autre usage,

Que feu Joseph, c’était un sage

Que je n’imiterai jamais.

Ah ! Pourtant il faut nous entendre :

Ne me croyez le cœur si tendre ;

Car Joseph aussi je serais

Près d’une belle autre que vous.

Toutes y perdraient leurs yeux doux.

 

Mes souvenirs, que je vous aime !

Tenez, Madame, à l’instant même...

Diable ! J’entends sonner minuit.

Ah ! Voilà donc pourquoi je rime !

Minuit, parbleu ! L’heure du crime....

 

Mes chères amours, bonne nuit.

                                        Janvier 1868

 

Deux amours

A Mme L.P

 

I

 

Dans une vieille église et dans un vieux village,

Au fond du Dauphiné, blotti sur des coteaux.

Enfant, j’étais un soir, regardant des tableaux

Et m’en souciant peu, comme on fait à cet âge.

 

II

 

Entre nous, ces martyrs sont loin d’être attrayants,

Car jamais on n’a vu, de leur front trop sévère,

Un sourire un instant secouer la poussière ;

Et leur maintien grognon effrayait mes treize ans.

 

III

 

Le guide nous disait, de sa voix monotone,

Les noms et la valeur. Je n’y comprenais rien

Et cherchait dans ma tête un honnête moyen

D’aller voir le grand air et le soleil d’automne.

 

IV

 

Saint Pierre mis en croix, Saint Jean décapité

Sur les ordres d’Hérode, au milieu d’une fête ;

Madeleine au désert.... Je retournais la tête,

 


 

Pour la première fois m’apparut la beauté.

 

V

 

Alors j’oubliais tout, muet et sans haleine,

Je ne voyais plus rien que vous, ô Madeleine,

Suppliante, à genoux dans votre cadre d’or,

Offrant à l’éternel vos pleurs, comme un trésor.

 

VI

 

Je jure qu’il n’est rien d’aussi beau dans le monde

Que ces regards empreints d’une douleur profonde

Qui vous calment et font chercher Dieu dans le ciel.

C’est grand comme la main, mais signé Raphaël !

 

VII

 

Longtemps (c’était folie) à ce charmant visage,

Je rêvais chaque nuit ; et j’y pensais le jour !

               Et mon cœur caressa cette impuissante image,

Tout frémissant de joie à son premier amour.

 

VIII

 

A dix-huit ans, l’enfant semblait une âme en peine,

Mais je vous vis passer sur mon triste chemin,

Souriante et rêveuse, un bouquet à la main

Avec de grands yeux, comme la Madeleine.

 

IX

 

Tremblant, je m’arrêtai, croyant revoir encor

Plus belle qu’autrefois, la Sainte aux cheveux d’or,

Sentant le souvenir, comme une douce flamme,

Rallumant un amour, assoupi dans mon âme.

 

X

 

J’entendis une voix murmurer à mon cœur :

« Il faut aimer. Aimer sur votre pauvre terre.

C’est là, quoiqu’on ait dit, le secret du bonheur

Tout le reste n’est rien que mensonge et chimère »

 

XI

 

Et dans un seul amour sincère confondant

Mon amour de jeune homme et mon amour d’enfant,

Je suis entre vos mains alors toute ma vie,

Vous l’avez acceptée et je vous bénie.

 

XII

 

Et quand sur votre cœur vous m’avez attiré,

Je fis voeu de n’avoir qu’une seule pensée,

M’efforcer de vous rendre, ô chère bien aimée,

Un peu de ce bonheur que vous m’avez donné.

                                                      24 Janvier 1866

 

Ceci est une histoire vraie.

Chose étrange, cette ressemblance qui aurait bien pu n’exister que dans mon imagination, avait déjà été constatée – la dame en face du tableau – et je n’en savais rien de ce fait lorsque j’écrivis ces vers.

L’église en question est celle de Saint Nicolas près de Saint Marcelin.

 

 


 

A Mme L.P.

 

Ces vers ne valent pas grand chose,

Je vous les offre tels qu’ils sont.

Les bons auteurs de ce qu’ils font

Expliquent volontiers la cause :

 

Donc ces quatrains assez méchants

Furent rimés en pleine rue,

Tout en faisant le pied de grue,

Un jour qu’il pleuvait à torrent.

 

Et vous savez si je suis bête

Quand le ciel se revêt de noir.

Il m’aurait suffi de vous voir

Pour les mieux tourner dans ma tête.

 

Les parapluies

Bien souvent j’ai fait la sentinelle.

A. de Musset.

 

Brrr... Ce vent me fait frissonner ;

Par là morbleu que je m’ennuie !

Si j’avais pris mon parapluie...

J’étais si bien à tisonner !

 

Est-il permis, ô ma cruelle,

De condamner un bon chrétien

A compter, par ce temps de chien,

Les vieux pavés d’une ruelle ?

 

Le nez au frais, les pieds dans l’eau,

Surveillant en vain la fenêtre

Où le signale tarde à paraître,

Je grelotte sous mon manteau.

 

Je suis glacé jusque dans l’âme,

Il pleut ; pas un chat sur les toits ;

J’aurai beau souffler dans mes doigts,

Cette averse éteindra ma flamme.

 

Au moins si j’étais Castillan,

Je raclerais une guitare,

Cela ferait mieux qu’un cigare

Dans mon lamentable roman.

 

Aimer est une douce chose

Et le seul vrai bien ici bas ;

Mais il faut du courage, hélas !

Car en amour tout n’est pas rose.

 

Songez-vous à lui seulement

Au coin du feu, ma belle brune,

Tandis que dans la nuit sans lune

Se morfond votre pauvre amant ?

 

Je sais pourtant que par le monde

Un quidam qui me fait ma foi,

L’honneur d’être jaloux de moi...

Cette gouttière qui m’inonde...

 

Hier tu me glissas un mot,

Un seul, quelques pattes de mouche,

Et me voilà sous une douche...

Vrai Dieu, que l’homme est un grand sot !

 


 

Ne puis-je mettre un peu de suite

Dans mes raisonnements, ce soir ?

Hélas ! Non, ce ciel est plus noir

Que la calotte d’un Jésuite.

 

Il fait noir aussi dans mon cœur

Et dans mon esprit, car je pense

Au prix de combien de souffrance

Nous payons l’ombre du bonheur.

 

Je tourne à la mélancolie

Et j’ai le spleen assurément.

On à raison décidément :

Être amoureux, quelle folie !

 

Platon prétend... Le signal luit !

Enfin ! Et mon tourment s’achève !

Encore un nuage qui crève...

Ah bat ! C’est une belle nuit !

                                             23 Mars 1866

 

 

A Mme L.P.

Sur la première feuille d’un album où je lui avais recopié tous mes vers.

 

En auteur bien apprit, sans doute il me faudrait

A ce premier feuillet, mettre une dédicace,

Quelques mots bien sentis sur l’esprit et la grâce.

               De la muse qui m’inspirait.

 

Pourtant je me tairai. La Fontaine raconte

(C’est un avis du ciel) que maître Aliboran,

Pour former son talent, fût payé du bâton ;

Et, ma foi, j’en conviens, j’ai grand’peur de ce conte.

 

Dire aux gens, même en vers, certaines vérités,

Est chose difficile ; au lieu d’une caresse,

On ne fait trop souvent rien qu’une maladresse ;

Témoin âne et gourdin que je vous ai cité.

 

Aussi vous me voyez en une peine extrême

D’exprimer tout le bien que je pense de vous...

Je crois qu’il vaudra mieux, sans phrases, à genoux,

               Vous répéter que je vous aime.

                                                            2 Avril 1866

 

A Madame L.P.

 

C’est dans le langage des dieux

Que, par mépris de vile prose,

Je vous écris sur papier rose,

Couleur très chère aux amoureux.

La feuille est petite et j’espère

Ne pas vous ennuyer longtemps

De froids discours, de vieux serments,

De radotages de grand-père.

Pourtant je n’en veux jurer ; car,

Qui dit amoureux dit bavard,

Or Chérubin... Je vous fais grâce

Du syllogisme ; vous savez

Que sur mes lèvres quand il passe

Le nom charmant que vous avez,

C’est pour y laisser un sourire

Et comme un reflet de bonheur.

En bon français ce qui veut dire :

 


 

Douce pensée au fond du cœur.

Ne pas aimer serait folie,

En vous voyant, vous si jolie

Que l’amour se frottait les yeux,

Étonné de trouver sa mère

Dans un costume plus sévère

Que celui qui charmait ces dieux,

Quand il vous vit. Selon l’histoire

Le blond enfant ne pouvait croire

Que vous ne fussiez pas Cyprès,

Prenais les Grâces et les Ris

A témoins de la ressemblance.

« Tu te méprend, dit Aglaé,

Cette dame au gant parfumé,

Est un modèle de constance... »

Alors plus il ne s’y trompa,

Mon Cupidon, mais soupira :

« Ce n’est pas maman, quel dommage ! »

 

Cela sent le marivaudage,

Les mouches et la Pompadour,

La poudre et les abbés de cour,

De trente baisers à la ronde.

Quel beau temps c’était que celui

Des falbalas ! Alors le monde

Ne faisait pas comme aujourd’hui

Et de beaux marquis à paillettes,

Pirouettant sur un talon,

Sans crainte du qu’en dira-t-on ?

Prenaient la taille des soubrettes.

 

Hélas ! Cet heureux temps n’est plus

Où Watteau piquait des bergères

Agaçant en robes légères

Des amours on ne peu plus nus...

Pardon ; j’ai dit une sottise ;

Nus - C’est vraiment un vilain mot.

« Chérubin vous êtes un sot »

Est-ce ma faute si la bise,

En sifflant, ne fouettait jamais

Ces jolis polissons si frais

Dont le sourire aux lèvres roses

Faisait pâlir les fleurs écloses

Que foulaient sous leurs petits pieds

De belles nymphes à paniers...

 

Mais je bavarde sans rien dire

Depuis soixante vers déjà

Qui vont, boitant cahin-caha ;

C’est beaucoup, c’est trop, et le pire

(Je vous l’avouerai franchement)

Est que je ne sais pas comment

Je terminerai cette page.

Par une formule d’usage ?

« Je suis votre humble serviteur...

Votre valet de tout mon cœur...

Veuillez agréer l’assurance... »

Non c’est assez d’un mot, d’un seul,

Éternel refrain de romance,

Qu’à la Rosina son filleul

N’osait pas dire et que moi-même

J’ai tu bien longtemps : je vous aime !

                                                      22 avril 1866

 


 

Rondeau

A une indiscrète qui se donnait beaucoup de mal et me tourmentait pour voir des vers que j’avais dans mon portefeuille.

 

Mes pauvres vers, on vous fait trop d’honneur.

Vous que ma main, sans y songer, crayonne.

Vous qui naissez du cerveau d’un rêveur,

Si vous valiez la peine qu’on se donne,

Vous me verriez au comble du bonheur.

 

Un papillon peut briser une fleur.

Il suffirait (je crois que j’en frissonne !),

Pour vous tirer d’un sourire moqueur,

                              Mes pauvres vers !

 

Vous lira-t-on ? Entre nous j’en ai peur,

Car il ne faut se fier à personne ;

Et je suis sûr que, dans le fond du cœur,

On se dira : Ce garçon déraisonne,

En accueillant d’un compliment flatteur,

                              Mes pauvres vers !

                                                            Janvier 1866

 

 

Vieille histoire.

Cela ragaillardit tout à fait mes vieux jours,

Et je me souviens de mes jeunes amours.

Molière

J’avais alors dix-huit printemps,

Comme l’on dit ; tête peu sage

Mais cœur tout neuf, car de mon temps

On n’était pas vieux à cet âge.

 

Je m’en allais, le nez au vent,

Flânant et bayant aux corneilles,

En philosophe, ou poursuivant

Un sourire aux lèvres vermeilles.

 

J’écoutais au fond de mon cœur

L’amour bégayer son ramage

Et demander d’un air moqueur,

Si bientôt j’ouvrirais sa cage.

 

J’avais beau dire : calmez vous,

Ce petit lutin indomptable

Me……, faisait le diable,

Mettait tout sans dessus dessous.

 

De deux yeux bleus une étincelle

Enfin entrouvrit sa prison

Et la captif à tire d’aile,

S’enfuit, emportant ma raison.

 

Mon amour, aux pieds d’une blonde,

En soupirant tu t’abattit…

Elle était belle et j’aurais pris

Dans mes dix doigts, sa taille ronde !

 

A bras ouverts, ému, tremblant,

On t’accueillit, on te fit fête…

Hélas ! Il n’en fallait pas tant

Pour égarer ma pauvre tête !

 

C’était dans ce mois où les fleurs

Dans un rayon s’épanouissent ;

 


 

C’était dans ce mois où les cœurs

Sous un regard d’amour fleurissent.

 

C’était un matin dans les bois ;

Les fleurs égrenaient la rosée…

Il me semble encore que je vois

Les lieux où je l’ai tant aimé.

 

O mon amour, tu naquis

Et tu mourus avec les roses.

En pleurant, je t’ensevelis

Et dans mon âme tu reposes !

 

J’étais enfant ; je crus mourir,

Voyant ainsi couler mes larmes…

La douleur lointaine a des charmes

Et j’aime à m’en ressouvenir.

 

Oui, je donnerais tout au monde

Pour retrouver pendant un jour,

Ma souffrance et sa tresse blonde,

Mes dix-huit ans et son amour !

                                             5 février 1866

Meurt mon triste cœur quand ma pauvre cervelle

ne saura plus sentir la chaleur du passé.

Musset 

 

Un Clétandre de carnaval à un Scapin épris de Farina

 

Talons rouges,..., perruque et fatuité,

Cocottes de rubans, petit air éventé,

Dentelles au mollet, dentelles à la veste,

N’est-ce pas, cher Scapin, Clétandre que je vois ?

Hormis le marquisat, rien n’y manque, je crois...

Non, rien qu’un peu d’esprit pour excuser le reste.

               I                                            20 février 1866

 

A Mademoiselle Chouchou

 

Je ne vous dirai pas que vous êtes jolie,

Vous le savez trop bien, Chouchounette aux yeux bleus,

Vous qui cherchez déjà, dans la glace polie,

Comment se doit donner un regard langoureux.

 

Coquette, - un peu, beaucoup ; votre mine étourdie

Souvent se pare aussi de grands airs sérieux ;

Vous riez, vous jasez, c’est une mélodie

Qu’envieraient au printemps les oiseaux amoureux.

 

Si vous voulez charmer, imitez votre mère...

Mais ne répétez pas ce compliment : « Ma chère,

Vous dirait-elle, il ment. » J’en serais pour mes frais.

 

Non, vous ne pouviez pas être à meilleure école,

L’élève vaut le maître et de vous on raffole...

Ah ! Si j’avais sept ans, que je vous aimerais !

                                                            15 Mars 1866

 

R

 

Ce que c’est que l’amour ? Un sourire, une larme,

La joie et la douleur qui se tiennent la main,

Lien mystérieux dont on souffre et qui charme,

Une fleur que jeta Dieu sur notre chemin.

 


 

Ce que c’est que l’amour ? Un doux parfum, un songe

Qui vient nous consoler de la réalité

Dont il voile un instant la triste réalité !

Et nous endort heureux dans les bras du mensonge.

 

Ce que c’est que l’amour ? Un chant que l’âme au ciel

Jette comme une harpe émue, harmonieuse,

Unissant aux accents de l’hymne universel

De la création, sa voix mélodieuse.

                                                            15 Avril 1866

 

 

A L. Gasselin, qui, dans deux acrostiches me comparait à Apollon (ni plus ni moins) et assurait que Cupidon devait être jaloux de moi.

 

Je m’étonne que vous pensiez,

A mon sujet, tant de merveilles,

Cupidon, quoique vous disiez,

Peut dormir sur les deux oreilles.

D’honneur, je suis vraiment confus,

Ami, votre mythologie,

Votre Junon, votre Phébus

Ont fait rougir ma modestie.

Je rougis encore (à vingt ans !)

Quand je reçois des compliments,

Comme un simple jouvencelle

A qui l’on glisse un doux billet,

Tant la chose semble nouvelle

A votre très humble valet.

                                                            2 mai 1866

 

R

 

Enfant ! Toujours un mot que l’on jette en riant

A qui ne sait mentir aux genoux d’une femme

Et montrer, impassible, un masque souriant

Quand la douleur le mord et lui déchire l’âme !

 

Enfant ! Croyez-vous donc qu’à l’âge où du malheur

On n’a jamais senti l’haleine empoisonnée,

Un enfant pleurerait les larmes de son cœur,

Incliné comme moi, sur une fleur fanée ?

 

En voyant le ciel bleu, croyez-vous qu’un enfant

Puisse à ses premiers pas rencontrer la tristesse

Qui me courbe le front comme un fardeau pesant,

Si profonde, à vingt ans, que s’en meurt ma jeunesse !

                                                            15 mai 1866

 

Le rosier blanc

 

Un jour que j’allais en rêvant,

Je regardais faire un mage,

Quand j’aperçu un doux visage

               Dans les fleurs d’un rosier blanc.

 

Elle était pâle et si jolie !

Elle rougit en me voyant,

Et moi je m’éloignais en tremblant,

Oubliant ma rêverie.

 

Je revins, je ne sais comment,

Le lendemain... L’espoir peut-être.

Elle effeuillait à sa fenêtre

               Une fleur du rosier blanc.

 


 

Songeait-elle à moi, je l’ignore,

Mais ses yeux errant au hasard

Ayant remontré mon regard,

               Je la vis pâlir encore.

 

Et chaque jour, portant au cœur

Plus d’amour qu’on ne peut dire,

Je passai, guettant ce sourire,

               Qui m’apportait le bonheur.

 

Mais c’est la loi de la nature

Que tout n’existe qu’un instant,

Et le bonheur vit ce que dure

               Une fleur de rosier blanc !

 

La fenêtre demeura close

Un matin, et moi, tout le jour,

J’eus peur : pourquoi ? L’étrange .....

               Ces pressentiments d’amour !

 

Pendant une semaine entière,

Je l’attendis, le cœur saignant ;

Enfin, hélas !... Sur une bière

               Un bouquet de rosier blanc.

 

Perdue à jamais ! Belle aimée,

La mort l’a frappée à seize ans !

Sa pauvre âme s’est envolée,

               Fleur fanée avant le temps.

 

Morte encore je vis sa pensée

Suprême adieu. Lorsque du seuil

De sa demeure désolée

               On enleva le cercueil.

 

De la couronne virginale

Une fleur se détacha,

Puis à terre, à mes pieds tomba,

               Blanche comme son front pâle !

 

Et de tant d’amour maintenant,

Il ne me reste rien sur terre,

Rien qu’une tombe au cimetière,

               Qui dort sous un rosier blanc !

                                             2 décembre 1866

 

 

R

 

O cher petit bouquet oublié dans ma main,

Si frais ce soir encore et qui mourra demain,

Tu garderas pour moi, pour moi seul, la trace

De sa lèvre chérie ; et si le temps efface

De son souffle glacé, ta forme et ta couleur,

Garde avec tes parfums, le parfum de son cœur !

Mais le bonheur va vite et s’enfuit comme un rêve

Où les grands tourbillons que l’ouragan soulève :

La froide indifférence, hélas ! Peut-être un jour,

Dans votre âme, Marie, étouffera l’amour.

Alors, comme à la fleur dont la tige est brisée,

Survit un doux parfum, après qu’elle est fanée.

Dans mon cœur déchiré vivra le souvenir,

Triste et dernier parfum qui ne peut pas mourir !

                                                            Mars 1869

 


 

 

Les acrostiches du pique-nique

 

Vers d’amateur !

Et les gens à qui on les adresse sont contents !

 

A Melle Julie Pellissier.

 

Joli et bonne, une main blanche et fine,

Un pied chinois, des yeux de diamant

La taille souple et le cou blanc du cygne.

Il est connu, ce portrait ressemblant,

Et c’est Julie, oui, chacun le devine.

 

A M. Achille Huré.

 

Amour et poésie s’ennuient, occupent tout son temps :

Celle qu’il aimera d’un amour véritable,

Hélas ! Je le crains bien n’a pas encor deux ans.

Il promène son cœur sans sentiment durable

Le soir dans le faubourg ou bien dans l’aqueduc,

La canne sous le bras il admire Saint Luc

Et ces sages conseils le rendent raisonnable.

 

A M. Albert de Latour.

 

Aimable, plein d’esprit et pas du tout poseur,

Les heures avec lui sont trop vite passées,

Bien triste quelquefois on le voit moins causeur

Et tourmenté, dit-il, par de sombres pensées

Répandre bien des pleurs et mourir le plus tard

Tel sera notre sort s’il retourne au Challard.

 

A M. Gaston Thomson.

 

Grand, beau, bien fait, tel est le héros que je chante ;

A son noble visage on reconnaît son cœur,

Son doux et fier regard, tour à tour, nous enchante.

Toutes nous voudrions qu’il nous [....] sa sœur.

On a dû reconnaître à ce portrait qui frappe

Notre jeune Gaston, disciple d’Esculape.

 

A M. Octave Houdas.

 

O jeune professeur, espoir de la Science,

Compulse tes vélins, polis sur le sanscrit ;

Tes travaux assidus et ta persévérance

Auront leur résultat[6], charme te le prédit

Viens, en attendant mieux, avec nous chez Philippe

Et tout en discutant, tu fumeras ta pipe.

 

A M. Paul Coyne.

 

Pour peindre ce jeune homme en science si riche

A moi, quoi ! L’on s’adresse ? Oh ! Non, je ne le puis

Une autre mieux que moi fera cet acrostiche

L’inspiration manque ; Ô Muse, tu me fuis !

On s’en aperçoit.

 


 

Au même.

 

Persévérance, étude et grande intelligence

A mon héros présage un avenir brillant.

Un peu trop fanatique, en ce moment, je pense

Le scalpel lui paraît un joujou ravissant.

 

A Melle Elisa Pellissier.

 

Esprit vif et charmant, bonté que rien n’altère,

La douceur de ses yeux doux reflet de son cœur,

Inspireront toujours le désir de lui plaire ;

Sa verve, son entrain font tout notre bonheur.

Adorable Elisa, bienheureuse est ta mère !

Et ta sœur ! N’ont pas manqué de s’écrier les critiques

 

A Melle Emma Kœklin.

 

Espérance et regret, - c’est là la[7] destinée ;

Mais quel injuste sort nous faut-il supporter,

Mon Dieu ! Pour espérer, à peine une journée,

Alors que l’infini se passe à regretter.

 

A la même.

 

Ecrire en quatre vers ce que nous pensons tous

Me paraît difficile et bien fol qui s’en pique

Mais n’est-ce pas encor rêve plus chimérique

Aspirer au bonheur et vivre loin de vous ?

 

A Mme Emma Berthet.

 

Elle a ce qu’on aime sur terre,

Mains blanches, front pur, blond cheveu :

Mais il n’est rien que je préfère

A la douceur de ses yeux bleus.

Mirliton !

 

A la même.

 

Elle a de doux yeux, elle est blonde

Mais son cœur, hélas ! Est fermé...

Mes amis, buvons à la ronde

A qui pourrait s’en faire aimer.

Mirliton ! Mirliton ! !

 

A M. de Latour.

 

Auteur de très beaux vers, la sœur de Charité,

Le Sire de Latour possède en vérité,

Beaucoup d’esprit subtil et peu de patience ;

Evaporé souvent, mais épris de science,

Rarement il écoute et se fâche parfois ;

Toujours il prend plaisir à donner de la voix.

Ça n’est pas poli.

 


 

A Melle Julie Pellissier.

 

J’aime à voir sur votre figure

Un sourire frais et moqueur ;

La victime en vain se rassure ;

Il lui faut cacher sa douleur,

En enviant votre valeur.

Quel dommage qu’il y ait là ce maudit mot figure qui défigure cinq vers charmants.

 

A M. Achille Huré.

 

Amour et poésie occupent tout son temps :

Celle qu’il aime d’un amour véritable,

Hélas ! Je le crains bien,...

Pourquoi ? ... N ‘a pas encor deux ans.

Précision qu’on ne saurait assez louer : Deux ans et non pas trois, ni un, ni quatre - Deux ans sans plus

ni moins !

Il promène son cœur sans sentiment durable.

Sans sentiment - Heureuse rencontre !

Le soir dans le faubourg ou bien dans l’aqueduc

Voyez-vous cette idée d’aller se mettre dans un aqueduc...

La canne sous le bras, il admire Saint Luc

Et ces sages conseils le rendent raisonnable.

La chute en est jolie, amoureuse, admirable ! Raisonnable ! Qui l’eût cru ?

S’occuper uniquement d’amour et de poésie, prouvent un cœur sans sentiment durable et se fourrer

dans un aqueduc pour lire les Évangiles, la canne sous le bras encore - voilà ce qui s’appelle être

raisonnable.

Je ne m’y attendais pas.

 

A Melle Julie Pellissier.

 

Jolie et bonne, une main blanche et fine

Et l’autre ?

Un pied chinois...

Pauvre petite !

... Des yeux de diamant

La taille souple et le col blanc du cygne...

La taille du cygne ?

Il est connu ce portrait ressemblant

Et c’est Julie, - oui, charme la divine.

Oh ! Oui, va, qu’on le nommait !

Et puis, voyez-vous ces malins qui devinent de qui est ce portrait ressemblant. Mais s’il est

ressemblant, il n’y a pas à deviner...

En vous voyant sous l’habit militaire, j’ai reconnu que vous étiez soldat.

 

A M. Gaston Thomson.

 

Grand, beau, bien fait, - Tel est le héros que je chante.

A son noble visage on reconnaît son cœur,

Son doux et fier regard, tour à tour, nous enchante.

Vous comprendrez, il ne nous enchante pas toutes à la fois, mais tour à tour, successivement, comme

le soleil éclaire les différentes parties du monde. Et nous nous entendons entre nous pour n’être

 pastoutes enchantées simultanément - nous avons des numéros d’ordre…

Toutes nous voudrions qu’il nous nommât sa sœur

« Ma Sœur », s’il vous plaît, ou « Ses Sœurs », si vous préférez.

On a dû reconnaître...

Bien sûr ! ... à ce portrait qui frappe.  Qui frappe qui ? Qui frappe quoi ?

Notre jeune Gaston...

Jeune : heureux épithète. Disciple d’Esculape. Charmant, mais trop de reconnaître. Et puis encore fier

regard - rrrr... aggrave. De tour à tour - rrrr...

Et puis, pourquoi commencer par des vers de tragédie pour finir comme un couplet de vaudeville ?

 


 

A M. Paul Coyne.

 

Persévérance, étude et grande intelligence

A mon héros présage un avenir brillant.

Quand intelligence n’est point synonyme d’étude et de persévérance, que je sache, pour permettre ce

présage au singulier.

Un peu trop fanatique en ce moment je pense,

Le scalpel lui paraît un joujou intéressant.

Fanatique - qui ? Le scalpel.

 

R

 

C’est une chose vraiment bien étrange

Qu’aujourd’hui que l’on accorde généralement

Une âme aux bêtes, on soit tout disposé à en

Refuser une à l’homme

                                             4 mai 1867

 

R

 

Chez la femme, la pensée n’est jamais persistante : elle change de forme et d’objet brusquement, instantanément, sans transition.

La femme ne se laisse point absorber et l’on voit rarement une fille d’Eve tomber de la Lune, ce qui arrive si fréquemment aux fils d’Adam.

Vous êtes assis auprès d’une jolie femme dans le coin le plus obscur d’un salon, et vous lui parlez d’amour, d’étoiles, d’union des âmes, de marguerites effeuillées. La petite créature semble tout à vous, vous jugeriez que le monde n’existe plus pour elle, que vous êtes à ses yeux, l’univers tout entier, qu’un pan de mur s’écroulerait sans qu’elle détournât la tête. Bah ! L’illusion n’est pas de longue durée. Quel jour le bas de Mme Y, dit une voix auprès de vous ? Mardi, répond votre charmante interlocutrice, à qui personne ne demande rien, mais qui a l’oreille partout. En un clin d’œil elle oublie vos marguerites, vos âmes et vos étoiles et place son mot avec autant de calme que si elle eût suivi la conversation de vos voisins (dont elle n’a pas perdu un mot). Du reste, pour être juste, elle reprendra tout aussitôt, avec autant de facilité, son attitude attentive, en vous murmurant de sa plus douce voix : Vous disiez donc que Pétrarque…

L’homme n’est pas ainsi fait ; la pensée le domine, il s’y livre tout entier ; un effort seul de sa volonté peut en changer le cours. Ainsi que de fois ces messieurs vont-ils se perdre dans les nuages ! Et quand une circonstance quelconque les ramènent à la réalité, ils vous regardent d’un certain air, ahuri du plus comique effet. Ils semblent positivement être tombés sur la tête, du haut d’une maison, dans une meule de foin ; et il leur faut quelques instants pour se remettre de la secousse.

Ces dames ne sont pas exposées à de tels accidents. S’il leur arrive parfois de descendre des nuages, où elles s’égarent rarement, on croirait que leurs jupes se déploient en parachute, tant le trajet s’effectue doucement.

Aussi je comparerais volontiers la pensée chez la femme à un cheval, la pensée de l’homme à une locomotive.

Si bien lancée que soit sa monture, un cavalier l’arrête subitement ; mais le mécanicien a beau renverser la vapeur, la locomotive, en vertu de la vitesse acquise et de la force d’inertie, persévère un temps plus ou moins long, dans la direction première.

Quelle explication donner à ces différences évidentes ?

Est-ce vivacité d’esprit plus grande chez la femme que chez l’homme, ou simplement légèreté ! Manque de profondeur et de force dans le sentiment ?

That is the question.

                                                            3 février 1867

 

 

Philosophie sentimentale.

 

Pourquoi, s’il vous plaît, pale-t-on de femmes incomprises ? Pourquoi ne parle-t-on jamais d’hommes incompris ?

Il ne faudrait cependant pas que l’on crût, sur la foi des romanciers, que les âmes d’une certaine invitée du genre humain ont seules le privilège d’être douées de délicatesses si subtiles qu’elles échappent nécessairement à la grossière incompréhension des âmes de l’autre moitié.

L’artisan quel qu’il soit de notre triste machine ne peut avoir été si injuste ; et ce pauvre Adam, j’en mettrais la main au feu, est tout aussi souvent incompris de Mme Eve, que Mme Eve peut l’être de son époux.

Et pourtant émettez, pour voir , pareille idée devant un chapitre de chanoinesses : - Le chapitre en mourra de rire.

On fait vraiment trop bon marché de ces faibles hommes !

Ce rôle a-t-il des charmes pour vous ? Soyez, Mesdames, incomprises autant qu’il vous plaira, mais, de grâce, laissez-nous aussi incompris un peu de notre côté.

 


 

R

 

Souffririez-vous, dires-moi, Monsieur, que votre femme, le jour où elle reçoit, se vêtit simplement d’un corsage à peine aussi large que la ceinture de Vénus et s’exhibât ainsi à ses amis et aux vôtres ?

Souffririez-vous que chacun des jolis messieurs qui viennent la voir, la serrât dans ses bras ?

Alors pourquoi tolérez-vous au bal, à la lumière, ce que vous interdisez dans votre salon en plein jour ?

Répondrez-vous qu’au bal il y a cent autres femmes aussi nues que la vôtre et qui ne rougissent point de leur nudité ?

Alléguerez-vous pour cause que toutes ces filles d’Eve se laissent, sans vergogne, presser la taille par quelques douzaines d’habits noirs et que personne n’y voit à redire ?

Bien raisonné, Monsieur Tout-le-Monde !

C’est tout juste aussi logique que de trouver un gradin noir coupable parce qu’il aurait dévalisé une diligence sur la grand-route, en compagnie de dix gredins de son espèce, au lieu de s’en aller, tout seul, la nuit, attendre au coin d’une ruelle, une trique à la main, un bon bourgeois attardé.

Le code dit précisément le contraire.

 

R

 

Une femme ne manque jamais (c’est une tradition) de mettre au bas de la première page qu’elle vous écrit, ce post-scriptum hypocrite : Brûlez ce billet……

Elle serait pourtant bien fâchée que vous lui obéissiez.

Vous demande-t-elle après si vous l’avez fait, - répondez oui de façon à ce qu’elle comprenne non.

De deux choses l’une :

Ou elle fera semblant de vous croire,

Ou elle feindra de bouder et alors vous lui direz tout bas, d’un air convaincu : En aurais-je eu la force… et elle sourira.

Dans tous les cas elle sera enchantée.

 

R

 

Je viens de lire dans Le Figaro deux jolies pensées attribuées à un certain Lichtemberg, humoriste allemand du XVIIIe siècle.

Je ne connais pas même de nom ce Lichtemberg, qualifié d’humoriste à une époque où l’humour n’était pas encore inventé et je trouve à ces deux petites phrases une tournure plutôt parisienne que tudesque. Mais si leur origine me semble contestable, elles n’en sont pas moins vraies et je tiens à les conserver, quel qu’en soit leur père.

 

R

 

C’est grand dommage que ce ne soit un péché de boire de l’eau ; - quel plaisir on y prendrait !

 

R

 

Les saints en os et en pierre ont exercé, en ce monde, plus d’influence que leurs originaux ;

 

R

 

La vie n’est en somme que l’antichambre de la mort. Et quiconque a le cœur un peu haut placé ne peut aimer à faire longtemps antichambre pour se trouver confondu avec une foule de laquais et de pieds plats.

 

R

 

La mort est la seule chose qui puisse faire prendre la vie en patience.

 

R

 

........ Se consoler de vivre par l’espoir tant fêté du calme qui doit suivre l’orage de nos jours.

 

R

 

LA CRITIQUE D’ESTHER

de Voltaire

 

Un jour que je parcourais le Siècle de Louis XIV de Voltaire, je tombais sur ce passage :

« Le public impartial ne vit dans Esther qu’une aventure sans intérêt et sans vraisemblance ; un roi insensé qui a passé six mois avec sa femme sans savoir, sans s’informer même qui elle est ; un ministre assez ridiculement barbare pour demander au roi qu’il extermine toute une nation, vieillards, femmes, enfants, parce qu’on ne lui a

 


 

pas fait la révérence ; ce même ministre assez bête pour signifier l’ordre de tuer tous les juifs dans onze mois, ce qui leur donne apparemment le temps de s’échapper ou de se défendre ; un roi imbécile qui, sans prétexte, fait pendre subitement son favori, tout cela sans intrigue, sans action, sans intérêt, déplut beaucoup à quiconque avait du sens et du goût. Mais malgré le vice du sujet, trente vers d’Esther valent mieux que beaucoup de tragédies qui ont eu plus ou moins de succès. »

Jusqu'à quel point cette violente critique est-elle juste ?

Et d’abord Voltaire est-il aussi impartial que le public dont il parle ? Il ne faut pas avoir en lui une confiance illimitée lorsqu’il juge un ouvrage religieux. Le parti pris tient alors trop de place dans les appréciations.

Voltaire eût peut-être été moins sévère s’il se fût rappelé cette lettre que Madame de Maintenon écrivait à Racine pour lui demander « quelque espèce de poème moral et historique, dont l’amour fût entièrement banni et sans lequel il ne crût pas sa réputation intéressée puisqu’il demeurerait enseveli dans Saint-Cyr » ajoutant « qu’il ne lui importait pas que cet ouvrage fût contre les règles, pourvu qu’il contribuât aux vues qu’elle avait de divertir les Demoiselles de Saint-Cyr. »

Que de difficultés à surmonter ! Il n’est pas facile au poète d’attacher ses auditeurs à son œuvre, sans faire intervenir l’amour, cette passion qui, quoiqu’on dise, est à coup sûr le plus grand moyen d’intérêt dans les pièces de théâtre, et peut-être même le seul. L’expérience le prouve assez.

Cette lettre de la favorite aurait dû être mise en préface à Esther pour expliquer la pièce et disposer les critiques à l’indulgence.

« D’abord, dit Voltaire, on a été choqué de voir un roi insensé qui a passé six mois avec sa femme sans savoir, sans s’informer même qui elle est. » J’avoue n’être point choqué comme Voltaire. Sa remarque serait juste appliquée à un roi de France, à un tsar, à un empereur d’Allemagne ; - mais à un roi de Perse ! Voltaire oublie donc que ces heureux monarques comptaient souvent leurs femmes par centaine. Assuérus ayant chassé l’altière Vasthi, il fallut chercher dans ses nombreux États quelque nouvel objet qui pût le détacher du souvenir de la favorite déchue. Dans le concours des femmes qui s’efforcent d’attirer ses regards, de l’éblouir, le roi distingue Esther que ses larmes rendaient plus belle.

Il la choisit. Mais quel intérêt peut-il avoir à connaître la naissance de sa nouvelle épouse ? Que lui importe sa religion ? Elle lui plaît... cela lui suffit. Il ne songe pas seulement à lui demander si elle (est) égyptienne ou juive, si elle a vu le jour sur les bords de l’Euphrate ou de l’Indus, si sa race est obscure ou illustre. Et du reste Esther prend soin de nous avertir, dès la première scène, qu’elle cache à son époux « sa race et son pays » (Acte 1er Scène 1ère). Plus loin elle dit encore :

Le roi jusqu'à ce jour ignore qui je suis ;

Celui par qui le ciel règle ma destinée

Sur ce secret encore tient ma langue enchaînée. (Acte 1er Scène 1ère).

Quoiqu’il en soit, cette circonstance ne nuirait en rien à l’intérêt de la pièce.

Quant à ce qui est du « ministre assez ridiculement barbare pour demander au roi qu’il extermine toute une nation, vieillards, femmes, enfants, parce qu’on ne lui a pas fait la révérence » Voltaire aurait dû songer « qu’il n’est point ici question de la révérence qui, dans nos moeurs, est un usage de politesse. Il s’agit de la coutume servile des Perses qui se prosternaient, la face contre terre, et adoraient leurs maîtres. (Geoffroy) ».

Aman ne nous laisse aucun doute à cet égard.

.........

De la faveur du plus grand des monarques

Tout révère à genoux les glorieuses marques,

Lorsque d’un saint respect tous les Persans touchés

N’osent lever leurs fronts à la terre attachée.  (Acte 2 Scène 1). 

 

L’histoire, sinon la raison, est là pour justifier Racine.

Je ne sais par exemple pas sur quoi Voltaire base la critique du délai de onze mois. Il n’est pas question de cela dans tous le cours de la tragédie.

Mardochée dit au premier acte :

 

Et ce jour effroyable arrive dans dix jours. (Acte 1er Scène 3).

 

Plus loin Hydasque, parlant de Mardocchée, rappela à Aman :

 

Qu’il sera de sa vue affranchi d’encor dix jours. (Acte 2 Scène 1).

 

Et le ministre s’écrie :

 

Pourquoi dix jours encore faut-il que je le vois !  (id.).

 

Mais des onze mois, pas de trace. Et du reste les exemples ne manquent pas dans l’histoire de semblables délais accordés à tout un peuple pour quitter un pays sous peine de confiscation ou suivie de mort.

Mais on ne peut que se ranger entièrement à l’avis de Voltaire lorsqu’il traite Assuérus de Roi imbécile. C’est en effet un pauvre sire. Sans chercher aucune preuve de toutes les calomnies dont son ministre charge les Juifs, il lui donne subitement, sans balancer un instant, l’ordre cruel d’exterminer toute cette malheureuse nation. Il est vrai que le roi est prompt à signer cette sentence barbare, il n’hésite pas davantage à envoyer son favori à la potence. On ne peut au moins l’accuser de lenteur. C’est un roi qui expédie les affaires avec une rapidité à nulle autre pareille. Lorsqu’il trouve Aman aux genoux d’Esther, il peut bien s’indigner de voir :

 

Le traître porter sur elle ses mains hardies.  (Acte 3 Scène 6).

 

Mais faire traîner un homme au gibet sans autre forme de procès, sans laisser prononcer un seul mot de justification à un malheureux coupable seulement d’implorer la protection d’une reine toute puissante, c’est vraiment un excès de vivacité.

Et la tendre Esther qui voit toute cette scène sans s’émouvoir ! Elle entend le roi prononcer l’arrêt de mort de son favori et ne trouve pas une parole pour l’apaiser et fléchir sa colère. Il faut vraiment que cette reine soit bien peu femme pour entendre ainsi de sang froid prononcer la condamnation d’un homme qui se jetait à ses pieds pour implorer sa clémence. Elle ne montre pas un cœur aussi ferme lorsqu’il s’agit de sa propre existence ; Ses filles sont obligées de la soutenir quand elle joue sa vie en paraissant devant Assuérus. Elle est bien difficile à émouvoir cette tendre Esther ; Car en admettant même qu’elle ne veuille pas intercéder pour Aman, tout au moins devrait-elle remercier le roi qui fait grâce à ses frères, mais elle n’y songe même pas. La bonté du roi la laisse aussi froide que sa cruauté.

Quant à Assuérus, c’est un caractère par trop versatile. Il commence par signer l’arrêt de mort de tous les Juifs, et cela sans aucun motif raisonnable ; puis, tout à coup il comble d’honneurs celui qu’on regarde comme le Chef de la [....] proscrite ; mais tout aussitôt il trouve inouïs les honneurs qu’il a accordés à Mardoché et veut de nouveau perdre ce peuple abominable puis il se ravise reconnaît l’innocence de ces pauvres Juifs et leur fait grâce.

« Et tout cela, comme dit Voltaire, sans intrigue, sans action, sans intérêt. » Car en vain pourrait-on alléguer qu’il s’agit ici de l’existence de tout un peuple et qu’il y a dans un pareil enjeu les éléments d’un intérêt puissant. Franchement cette objection n’est point sérieuse. Comment s’attacher vivement à un être fictif qu’on n’a pas sous les yeux, dont on entend seulement parler, et en termes peu propices à la faire aimer.

 

Encore deux petites critiques.

 

Lorsqu’Asaph dépeint Mardochée en ces termes :

 

Assis le plus souvent aux portes du palais,

Il y traîne, Seigneur, sa vie importune,  (Acte 2 Scène 3).

 

Croirait-on qu’il s’agit d’un homme auquel tout un peuple obéit et qu’Hydaspe a qualifié de chef d’une race impie, abominable. Ce personnage a bien plutôt l’air d’un vieux mendiant qui tend la main au coin d’une borne et ce n’est vraiment pas la peine de faire égorger la triste nation si piteusement représentée.

 

Deuxième critique.

 

Par quel hasard n’a-t-on pas découvert que les compagnes d’Esther appartenaient à la race maudite ? Elles déplorent assez haut pourtant les malheurs de Dieu. Manque-t-il donc d’oreilles aux écoutes dans ce palais du Roi de Perse ?

C’est l’éternelle plaisanterie des choeurs d’opéra qui, dans les moments critiques, chantent à tue-tête : « Partons, partons sans bruit... » et n’ont garde de bouger ou simplement de mettre une sourdine à leurs voix.

Combien une des Israélites a raison (c’est une des plus jeunes pourtant quoique la plus prudente) quand elle donne aux étourdies qui l’entourent cet excellent conseil :

 

Parlons plus bas, mes sœurs. Ciel ! Si quelque infidèle

Écoutant nos discours nous allait déceler !  (Acte 2 Scène 9). 

 

R

 

A mon griffon.

 

Tandis qu’on bavarde à huit clos,

Et les deux coudes sur la nappe,

De Dieu, des femmes et du pape,

Croyez-moi, comme à ces propos,

Votre intelligence canine

Ne comprendra rien à coup sûr,

Allez, allez, ô jeune Arthur,

Lécher les plats à la cuisine.

 

Monsieur L.P. de l’Akhaba,

Avec son mot d’insenserie,

Peut aller à l’Académie ;

N’y songez pas, Maître Renard,

 


 

Vous y feriez trop triste mine.

Ce raisin n’est pas assez mûr...

Allez, allez, ô jeune Arthur,

Lécher les plats à la cuisine !

 

A mon chat.

 

Mon héros est un chat, un chat de bonne mine,

Tout de noir habillé, mieux fourré qu’une hermine,

Comme un vieux pacha turc, paresseux, indolent,

Un franc aristocrate, un fat, un insolent

Qui dédaigne les toits et de sa vie entière

Ne se mouillera les pieds dans l’eau d’une gouttière ;

Un chat très comme il faut : Arthur était son nom.

Il avait beaucoup vu, vivant dans un salon.

A le bien observer d’un profond philosophe,

Dans ce cerveau de chat, on eût trouvé l’étoffe.

 

On était en carême ; au coin d’un feu joyeux,

Arthur nonchalamment ayant fermé les yeux,

Roulé sur un coussin aux pieds de sa maîtresse,

Berçait de ses ronrons sa pieuse paresse.

La dame était coquette, avait le pied petit

(Arthur l’admirait fort, étant un chat d’esprit),

Vingt ans, les cheveux blonds, des vapeurs, la migraine,

Et de plus un mari frisant la cinquantaine,

Personnage muet dont je ne dirai mot,

Qui n’était ni ceci, ni cela, ni dévot,

Restait très peu chez lui, le dimanche à l’église

Accompagnait sa femme et vivait à sa guise.

 

Je saute une heure ou deux, si vous le voulez bien

Qu’employa mon héros à faire un léger somme

Et sa belle maîtresse à ne penser à rien.

C’était son habitude ; elle croyait qu’en somme

 

Penser à quelque chose est d’abord ennuyeux

Et puis pourrait ternir l’éclat de ses yeux bleus.

 

Arthur fut réveillé par un coup de sonnette

C’est le jour de Madame et petit à petit

De gens des mieux gantés, le salon se remplit.

On y cause, on bavarde, on y parle toilette :

- « Ma foi, se dit Arthur, j’aime assez les chiffons,

C’est un goût que je tiens de ma mère : écoutons. »

- « Un amour de chapeau, le chapeau le plus frais

Et le plus gracieux que l’on rêva jamais.

C’est un bijou sans prix. Comment elle pose,

Cela ne peut se dire. »

- « Ah ! Que de bruit, mon Dieu !

 

Je n’ai jamais ouï de chat, en aucun lieu,

S’enflammer de la sorte au sujet du pelage

D’une beauté féline en faire un tel tapage !

Votre robe est d’un goût !

- « Ah ! Monsieur le blondin,

Vous me faîtes l’effet d’une vieille dévote

Qui s’endort sur sa chaise, entre ses dents marmotte,

Sans y comprendre un mot, tout l’office en latin !

Le charme des rubans est pour vous lettre close ;

Ne vous en mêlez pas. »

On parle d’autre chose.

-« « Madame de Saint-B. me plaît assez le soir ;

Mais elle met du rouge et du blanc et du noir

Aussi son cher époux...

 


 

- Voulez-vous bien vous taire !

Ne mettez pas le nez où vous n’avez que faire.

En dépit des méchants les femmes se peindront.

Laissez les maris être... et tout ce qu’ils voudront

Ne saura-t-on jamais quelle mouche le pique,

Ce monde qui toujours se déchire et critique ? 

Aimez-vous les cancans ? On en entend partout ;

On s’abîme entre amis et les femmes surtout.

Médire du prochain est un mal à la mode :

C’est fort divertissant et rien n’est plus commode ! »

- « Quel est le beau muguet que l’on voit trop souvent,

Dans un certain endroit, passer le nez au vent ?

N’est-ce pas scandaleux ? »

- « Morbleu ! Que vous importe ?

Ceux-là sont des méchants qui jasent de la sorte,

Des sots ! Que n’est-ce vous pour qui l’on passe ainsi...

Vous employez, Maîtresse, un ton plus radouci

A l’égard d’un cousin pour qui votre fenêtre

S’ouvre malgré l’hiver, un peu beaucoup peut-être,

Hélas ! Je le vois bien, le conte est toujours vrai

De la poutre et la paille... Eh ! Je crois que je fais,

Comme les fils d’Adam, des cancans de portière !

J’enrage ! Si j’avais la plume de Molière... »

 

La maîtresse pourtant de sa coquette main,

Distraite, le flattait comme elle avait coutume,

Mais le chat indigné grommelait et soudain

Lui prouva que sa griffe à défaut d’une plume,

Pouvait, comme l’on dit, enlever le morceau.

C’était là sa façon de faire du Boileau.

 

R

 

On représente toujours la Vérité sous la figure d’une femme. A première vue cela semble une contradiction, une absurdité, - La femme étant la fausseté même et non la vérité ; Mais au fond, cela n’est pas si déraisonnable qu’on pourrait d’abord croire, - car la femme et la Vérité sont deux choses qu’on ne peut jamais connaître.

C’est sans doute ce qu’on a voulu figurer par cette allégorie.

 

Il me souvient que sur mon âme,

Je fis serment un certain jour

D’éteindre un vieux reste de flamme

Et d’en finir avec l’amour.

 

J’avais compté sur ma sagesse ;

Deux yeux noirs, je ne sais comment,

Ma foi, Messieurs, je le confesse,

M’ont fait manquer à mon serment.

Certes, voilà belle matière

Pour un sermon, mon peu de foi !

Me jeter la première pierre

Qui n’aura pas fait comme moi !

 

R

 

Le diable, qui protège les amoureux, inventa la danse pour mettre à mal leurs pauvres âmes, - Non par la danse comme la comprenait le Roi David qui fit gravement des pas devant l’arche, non pas non plus les danses antiques ou celles de l’Orient qui ne sont qu’un spectacle, - Mais la danse moderne, celle de nos salons. Dangereux et charmant plaisir qui lève tous les obstacles, tête à tête autorisé par père, mère et époux, isolement à deux au milieu de la foule, contact de la chair, perdition des âmes. 

 

R

 

On dit : Capricieux comme une jolie femme...

Croirait-on par hasard que les femmes laides n’ont point aussi leurs caprices ?

Alors pourquoi ne pas dire simplement : Capricieux comme une femme ?

C’est peut-être parce que la femme n’est femme qu’à condition d’être jolie, et que la femme laide ne compte pas

 


.

Ou parce que ce qu’on appelle caprice chez la jolie femme s’appelle mauvaise humeur, taquinerie, chez la laide.

 

R

 

Ce serait une question à résoudre à savoir :

Si l’influence de la femme croît avec les progrès de la civilisation,

Ou si la civilisation avance proportionnellement à l’influence de la femme.

Si le gland vient du chêne ou si le chêne vient du gland ?

 

R

 

Il n’y a rien dont on doive plus soigneusement éviter de parler, que de soi-même.

Pour plaire aux gens, vous n’avez qu’à leur parler d’eux, pour leur déplaire qu’à leur parler de vous.

Le moi est haïssable a dit Pascal.

 

R

 

Les notaires ne devraient pas aller à la noce des gens qu’ils marient, par cette raison que les médecins ne suivent jamais le convoi des malheureux à la mort desquels ils ont contribué.

 

R

 

Je suis bien étonné que ce ne soit pas une femme qui ait fondé l’ordre des Jésuites.

C’est une gloire que le sexe faible s’est laissé ravir par le sexe fort et qui revenait de droit à la plus belle moitié du genre humain.

 

R

 

Après la porte d’une prison, je ne connais rien de plus triste comme un jet d’eau un jour de pluie.

 

R

 

Âge de discrétion - Celui qu’il est par trop indiscret de demander.

 

R

 

Il y a dans Fontenelle une remarque fort juste au sujet de la différence du théâtre moderne et du théâtre antique.

Le public étant donné comme au tribunal qui juge les comédies, les femmes avaient à Athènes, que très peu de

 voix ; c’est précisément le contraire à Paris, où il est surtout question de plaire aux femmes.

Au lieu de Paris mettez le monde entier, au lieu de comédies mettez toutes choses - et vous aurez en trois figures l’explication des civilisations comparées du temps de Périclès et de Napoléon III.

 

R

 

A trez gracieuze, doulce et gentille Dame ***, en sa demeure à Vincesnes.

 

Aujourd’huy est dimanche, gente et doulce Dame ; aussy point ne vous escrivroy-je pour ce que me sens tout beste et empesché d’esprit que craindroys moult que feust ma lettre merveilleusement fastiguante, sorbonnique et soporifique. Point doncque m’en vouldra ma mie. Oncq ne feut aulcun tant choqué que moy d’elle, et gesté, et casliné, et traicté mignonement comme un petit dorelot ; et jamais homme ne fust plus ayse et heureulx que le feus près de ma mie.

 

Adoncq est une chose que redoubteroys plus que male mort, ce est asçavoir faire baisler sa gratienze bousche. Si tant fraische et suave comme roze, et clorre ses beaulx grands yeulx bleuz comme lapis. Bonne Sainte Laure,

sa patronne, bien humblement vous prie, dictes, les reverroy-je pas bientost les doulx yeulx de ma doulce amye, les baiseroy-je pas bientost ses lesvres vermeilles ? Las ! Comme est long le temps et musard. Il n’est pire mal qu’absence ; j’en suis tout marry et me sens ma paouvre asme emene de grande crainte, car tant suis esloigné de mon seul unicque thesaur ! Cruelle est ma souffrance, et vous supplye bien devotement Monseigneur Dieu, que vous me daigniez rassurer et affermir mon couraige. Et vous aussi, bonne Sainte Laure, faites qu’elle se soubvienne et guarde chièrement mon imaige en son cœur, comme fais-je moy de la sienne, et vous brusleroy ung beau cierge au jour de vostre feste.

 

Amoureulx serez donc tousjours dolens et plaintifs ? Dadvantaige ne fault chagriner ma Dame de regretz ny tristes lamentations. Mieulx ayme icy lui bailler ung baiser, - car, en amour, baiser est chouse incomparablement plus efficace, attractive et valable que parolles.

 

R

 


 

Nous en feusmes hyer à la campaigne, mon amy Pylades et moy, car ne savyons que faire de notre temps et avyons phantaisie de humer un peu l’aïr des champs. Et nous en allyons fredonnant tout le long le long du chemin, battant les buissons avecq nos bastons, devisant de chouses et aultres, arguant, disputant, philosophiant logicalement, joyeulx comme oisillons envoulés de la caige ou escholiers eschappés de classe et robbant des pommes. Ainsi arrivasmes au bourg qui ha nom de Saint-Eugène, et passant oultre, continuasmes nostre chemin. Mais moy, peu à peu, me sentoys devenir triste, mélancholique et songeur, et par moments poussoys des sospirs ; dont s’aperce Pylades et me dict : Amy, pourquoi respires-tu ainsy qu’on se diroyt que veulx fendre les oliviers ? - Las ! Mon petit Charlot, si doulce est la soubvenance, cruelle aussy est-elle : Il n’est, en ceste voie-ci, si chiétif arbuste, si méchant buisson, si petite pierre qui ne me rappelé on heur passé. Ah ! mes tant belles promenades, où vous en estes-vous allées ! Où sont mes beaulx baisers, si fols, si délicieux ? - Et sospiroys derechef et me sentoys le cœur tout contrit et saignant et les yeux pleins de larmes. Et pui arrivasmess au cap dit Pescade, où estant voulusmes descendre sur le rivaige de la mer, pour chercher quelques menus coquillaiges et nous reposer en quelque endroit à l’ombre des rochiers. Mais royde étoyt le chemin, ardu et tout pierreux, tellement que l’on eust cru ung vrai sentier de chièvres, escargots ou colimaçons. Incontinent voulsit descendre premier Pylades ; mais ne prit nulle guarde à la roideur du chemin, dont mal lui echeut, en franc estourdy, ésventé et écervellé ; car pour lors le pic lui manqua et tomba sur le dos à jambes rebindances, desboula et arriva si hastivement en bas que ung trait d’arbaleste ne va plus tôt. Là se releva tout penaud, se frouttant et tastant les reins, et entra en raige contre moy et me jecta [....] caillous, pour ce que je rioy comme ung fol. Car ces petits bouz d’hommes sont volontiers cholériques, comme dict Messir Françoys Rabelais, et la raison physicale en est parce qu’ils ont le cœur près de la rate. Le trouvoy si plaisant et comicque en sa cholère, que luy doy m’en crever de rire. Et puys m’engageoy dans ledit chemin à grandes précautions et circonscriptions, ne me soulciant que descendre à la Pylades et y laisser mes chausses.

 

Et m’acceuillist Pylades avecq force coups de poing et torgnolles que luy rendit aussi tost donnant, comme l’on dict, fesves pour pois et pain blanc pour fouace. Après nous estre ainsy cougné et donné nombre horions, par manière de passetemps, nous primes sous le bras et nous promenasmes le long de l’eau ; là trouvasmes bientôt bonne et joyeuse compaignie, beuvant et se rigoullant, faisant mille balivernes et droleries, garçns et fillettes, jouant ensemble, si chastouillant, tastonnant, poursuyvant, avecq des crys ensuy les rochers et tombant les uns sur les aultres à grands éclatz de rire. D’aulcuns par debattement jetaient des cailloux à la mer et prenoient singulier plaisir à veoir les rondz que faisoyent en l’eau les dicts cailloux ; - D’autres trinquoyent et choppinaient, ung autre dormoyt et luy faisoyont pour l’eveiglier des niches tant jolies et droslichonnes que s’en espanouissent la rate. « Par Mahon, vécy, dict Pylades, genz heureulx et qui ne complotent certes pas aulcun crime. Et puys advysant ung gros pasté bien fleurant et affriandant et aulcuns flacons qui nageoient en ung creult de rochier pour se rafreschir, se sentit eveigler en son estomach ung formidable appetit et me dicr : Amy, m’est avys qu’allyons quelque peu lopiner et humer ce piot, car me sent ung grand vide es régions épigrastrales et le gousier sec en diable, ayant respiré aïr très salé et saturé des acretes narines. -Allons, feis-je. Et remontasmes

 par ung autre chemin moins periculeux. Lors entrasmes en une hostellerie où nous resçoist l’hoste avecq profondes révérences, me cuy dans estre quelque mylord ; et ce luy tappant en la panse Pylades, lui commanda nous servir vitement soubs ung frais berceau de verdure où s’esbattoyt à grand bruit une bande de moyneaultx plus babillards que vieilles commères. Aussitost l’hoste de trotter et remuer brosches et casterolles. Et bailla ung grand coup de pié en ung certain endroict que ne nommeroy pas par espect, à ung petit marmiton qui laissoyt brusler les saules (soles ?), musardant en bayant aux corneilles, comme font souvent marmitons et aulniers autres, qui de ma cognoissance qui s’arrestent volontiers à voir vouler les mousches. Et bientost nous mismes à manger silensieusement car nous sentyons une faim de tous les diables, parce que l’aïr de mer est souverainement bon à stimuler l’estomach et mettre en bransle les sucs gastriques, plus qu’aulcun breuvaige apéritif. Et y passa en ung clin d’euil ung profond plat de ce qu’appellent les Marseillois bouillabaise, qui est ung mets tant délicieux, relevé et bien assaissonné de espèces de toutes sortes et condiments que reveigleroyent ung mort. Et estoyt y celle tant lélectable que j’en pourleschoyt les doigts. Pylades, de son naturel ung peu gourmande ; et m’en passoya moy aussi la langue sur les badigoines, et beuvimes une ample rasade pour reprendre haleisne et mangeasmes, pour le suer, une heure durant, devisant à la manière des héros d’Homères et lampant sec et sans eau, ung petit bordeau qui n’estoyt des pires. Puy, avant de quitter la table, partagea en mon intérieur la santé de ma dame, et bus dévotement un grand veyrre en son honneur.

Le ciel desja s’étoyt cœffé de nuit, quand ouyment soubdain joyeulx accords de musicque. Lors voulusment aller veoir ce qu’il en estoyt et s’espanouir les Hespaignoles, Italiens et Françoys qui entroient en une quinguette et là commençarent à danser allègrement au son des flageollets et violons ; et c’ettait un beau divertissement de les voir ainsy se tremousser, sauter et valser si baudement . Voulait conter fleurette aux filles mon ami Pylades qui est grand enjosleur. Cependant le resguardoyt faire du coin de l’œil, resvant à mes chers amours...

 

Et puys en fin montasmes en ung coche et cestuy-ci noud voitura à petit train et force cahots, jusqu’en cette bonne cité d’Algier où regagnasmes chacung notre logis après nous estre donné bonne et franche poignée de mains.

 

Et moy, me trouvant seulet en ma chambre prit le portrait de ma (belle) et luy donnoy ung long interminable baiser, comme cestuy-ci.   

 


 

Nota. Faute de connaître le vieux françois (... surtout, lorsqu’il est écrit, comme ici, en langage de cuisine), nous ne pouvons pas affirmer la parfaite interprétation des  textes ci-dessus.

 

R

 

N’est-ce pas, Cher Lecteur, une bonne fortune,

Dans ces jours de paresse, où l’on aime à flâner,

Quand on s’en va songeant aux hommes de la lune,

Sans souci des passants, cherchant à combiner

Les rêves du poète et l’humaine misère

D’apercevoir soudain, sous un jupon coquet,

Un mollet qui ramène aux choses de la terre.

L’esprit trop vagabond que sa fougue emportait ?

Adieu la rêverie, alors que l’œil caresse

Les contours délicats de la réalité,

Analyse une ligne, admire la finesse

D’un petit pied mignon élégamment botté.

Le mollet cependant, dans un tissu de neige,

Sur un fond rouge ou bleu, se découpe, éclatant,

Ainsi qu’un mont glacé, dans un ciel de Norvège

Au milieu de l’azur ou des feux du couchant.

 

R

 

Je viens vous remercier, en vers trop impromptus,

D’avoir si galamment et de votre main blanche

Tracé sur mon album, un nom ami de plus.

J’en voudrais faire autant. Hélas ! Mon front se penche

En vain. Et si je mets le pied à l’étrier,

De se voir enfourché mon Pégase s’étonne,

Lui qui d’un si grand cœur, dormait au râtelier !

Si ses vers sont mauvais, l’intention est bonne...

 

R

 

Haïda, que crains-tu ? Le regard d’une étoile

          Jalouse de tes yeux ?

Cache-toi sur mon cœur, - plus près. Etends ton voile

                         Entre nous et les cieux.

 

Une strophe à intercaler.

 

Pourquoi trembler ainsi ? Du chantre de la nuit

                         La voix harmonieuse,

Une rose qui tombe, un oiseau qui s’enfuit,

                         Ombre mystérieuse ;

 

Un jasmin qui se penche indiscret pour te voir,

                         O ma charmante fée,

Égrenant sur ton front à la brise du soir

                         Des perles de rosée ;

 

Puis jetant ses parfums, là-bas, un oranger

                         Qui tremble et se balance,

De notre nuit d’amour, bruit confus et léger,

                         Troublent seuls le silence.

 

Sur tes lèvres encor, ta voix vient expirer !

                         Entends dans le feuillage,

Blottis au fond des nids, les oiseaux soupirer

                         Leur amoureux ramage.

 

Vois cette jeune fleur aux caresses du vent

                         Tout fraîchement éclose ;

Son calice embaumé s’ouvre, déjà rêvant

                         L’amour d’une autre rose.

 


 

Un enlèvement.

                                     

En quel endroit se passe cette histoire ?

Point ne le sais ; j’ai si peu de mémoire...

Ici, si vous voulez ;

Partout ailleurs, si vous le préférez.

Quant à la date ; autre lacune ;

Dans mon pauvre cerveau jamais je n’en ai pu graver une.

 

Ceci dit, permettez, Lecteur, qu’en peu de mots,

Je vous présente mes héros :

               Il était brun, elle était blonde

Blanche et rose ; et pour ses yeux bleus,

               Qu’on aurait crus ravis, aux cieux,

               Tout était fête dans le monde.

 

R

 

Je sors de déjeuner... C’est peut-être vulgaire

Ce que je vous dis là ; mais, entre vieux amis

(De vieux amis d’un an), je crois qu’il est permis

D’avouer humblement qu’on ne vit pas d’eau claire.

 

Couché dans mon fauteuil comme un pacha d’Alger,

Cherchant en mon esprit à quoi peut bien songer

Une mouche pendue aux barbes de ma plume,

Je caresse à la fois, d’un regard paresseux,

Mon papier qui m’attend et mon café qui fume,

Et mon cœur, j’en conviens, balance entre les deux.

 

Malheureux Immortels, avec votre ambroisie,

Vous me faites pitié, ma parole d’honneur ;

Si vous aviez connu ce parfum d’Arabie,

 

Les rêves qu’il inspire et sa douce chaleur,

Jupin eût échangé sa coupe pour cette tasse

Et la charmante Hébé, malgré toute sa grâce...

Au diable soit Hébé ! Mon café refroidit !

Laissons ces pauvres dieux vieux bagage classique

pour mon nectar doré, car un Sage l’a dit (J’ai dû lire cela, je crois, en rhétorique,

Dans quelque bon auteur qui s’exprimait fort bien) ;

Le café refroidi ne valut jamais rien.

 

Mille et mille pardons ; j’ai fait une préface,

Une sotte tirade, insipide, à la glace !

C’est pour gagner du temps, je suis vraiment confus

J’en jure par Apollon, je n’y reviendrai plus.

Je voulais retarder le moment de vous dire

Que j’écris simplement pour le plaisir d’écrire,

Sans avoir une idée, un prétexte, un sujet.

 

C’est bête comme tout, mais c’est là le cachet

(Défaut de qualité) de la nature humaine

Ne parler sans motif et de manger sans faim...

 

De préface en préface et malgré moi ma main

(Je n’en sortirai pas) va, vient et se promène.

 

Ma foi, je suis en train ; si vous voulez causer.

Causer, oui ; mais de quoi ? Parlerons-nous chiffons ?

Hier je vis une blonde avec un chapeau rose,

Un amour de chapeau, le chapeau le plus frais

Et le plus gracieux que l’on rêva jamais.

C’est un bijou sans prix. Comment elle le pose,

Cela je ne peut dire...

- Ah ! Monsieur Chérubin,

 


 

Vous me faites l’effet d’une vieille dévote

S’endormant sur sa chaise et qui tout bas marmotte,

Sans y comprendre un mot, tout l’office en latin.

Le charme des chiffons est pour vous lettre close.

Ne vous en mêlez pas.

- Soit parlons d’autre chose.

Aimez-vous les cancans ? On en entend partout

On s’abîme entre amis, et les femmes surtout.

Médire du prochain est un mal à la mode.

C’est fort divertissant et rien n’est plus commode.

Mme de Saint-B. me plaît assez ce soir ;

Mais elle met du rouge, et du blanc et du noir.

Aussi son cher époux...

- Voulez-vous bien vous taire !

Ne mettez pas le nez où vous n’avez que faire.

En dépit des méchants, les femmes se peindront ;

Laissez les maris être... et tout ce qu’ils voudront,

C’est leur vocation, comme à vous la critique.

- Vrai je n’ai pas de chance. Un peu de politique.

Le vaisseau de l’Etat...

- Etes-vous ennuyeux !

 

- Vous par trop difficile ! Eh ! Je ne sais que dire.

Voudriez-vous me voir célébrer sur la lyre

Le doux parfum des fleurs, l’immensité des cieux,

Vos yeux bleus, mon amour, les bonheurs que je rêve,

Les flots harmonieux expirant sur la grève ?

J’en suis tout désolé, mais, hélas ! Sous ma main

Je n’entends raisonner qu’un modeste crincrin.

Si j’avais seulement, Chère et blonde Lectrice,

La moitié du talent de ma mère nourrice...

Il me semble l’entendre, assise à son rouet,

Me raconter tout bas l’histoire du rouet,

Ou du Prince Chéri. Moi, j’étais tout oreilles

Quand Justine le soir nous disait les merveilles du monde des sorciers, des géants, des péris...

Mes vers vaudraient bien mieux, si je contais comme elle !

 

Aussi c’est votre faute : « Il me faut à tout prix

Une lettre ou sinon... » La voilà telle quelle,

Se traînant lourdement et tirée aux cheveux,

Comme mon crâne vide et sonnant fort le creux,

Et réclamant enfin toute votre indulgence.

Quand sans doute avec vous, demain je danserai,

En polkant, aux lanciers, dans une révérence

(Vous les faites si bien) je vous la glisserai

Sous les yeux des jaloux, et votre main chérie

Alors pressant ma main en secret me dira :

« Vous êtes de parole et je vous remercie... »

J’écrirais nuit et jour, Madame, à ce prix-là.

Il est temps de finir. Ma quatrième page

Disparaît à son tour sous mon griffonnage.

Vous bavardez bien moins, lorsque vous m’écrivez.

 

Ah ! J’allais oublier une grande nouvelle :

Vous êtes paresseuse hélas ! Autant que belle,

Madame, et je vous aime autant que vous m’aimez.

 

R

 

Aujourd’hui je voulais écrire ;

Mais je suis de méchante humeur

Et ne saurais vraiment que dire.

J’attendais un peu de bonheur

Ce matin, je l’attends encore.

Point n’est venue au rendez-vous

Dame Cruelle que j’adore

 


 

Comme une idole, à deux genoux.

 

Je suis morbleu fort en colère

Et je vois tout le monde en noir ;

J’ai la migraine mais j’espère

Certain remède pour ce soir.

Songez-y bien, car je me fâche

A la fin de toujours poser...

Faut-il, mon Dieu, que je sois lâche

Pour vous mettre ici ce baiser !

 

 

                                *

R

 

Pour oser adresser de pareils vers aux gens

Il faut les supporter un peu trop indulgents ;

Mais si le hasard veut pourtant qu’il vous souvienne

D’un précepte souvent cité :

                         « Miséricorde à tout péché. »

Vous leur pardonnerez par charité chrétienne.

 

R

 

 

 

R

 

 

Un peu de religion à propos de... rats.

Voici un fait dont mon père a été témoin et qu’il m’a raconté quand j’étais petit.

L’histoire m’a singulièrement frappé. Elle résume en quelques mots tout ce qu’on pourrait dire en de gros volumes au sujet de l’influence du catholicisme et du protestantisme sur l’esprit humain ; elle suffit pour expliquer les différences de l’état social des races qui pratiquent l’une ou l’autre religion et peut faire présager l’avenir qui leur est  réservé.

C’était dans un petit village de l’Alsace, mi-partie catholique, mi-partie protestante, comme il arrive souvent sur les bords du Rhin, une belle année vers l’époque des moissons. Des bandes innombrables de souris, de mulots et de rats, se répandirent tout à coup dans les campagnes et les ravagèrent à belles dents. Inutile de dire que ces maudits animaux se multipliaient avec une rapidité effrayante, grâce à la prodigieuse fécondité qui caractérise la gent souriquoise. Les récoltes étaient menacées et le mal grandissait chaque jour.

Chacun s ‘y prit à sa manière pour conjurer le danger.

Sur le conseil de M. le curé, les bons catholiques organisèrent neuvaines et processions et promenèrent à travers la campagne les statues de la Vierge et des Saints et toutes les croix et bannières de la paroisse, en nasillant des cantiques.

Les rats, gens de peu de foi, n’en continuèrent pas moins à exercer leurs mandibules.

Quant aux huguenots, confiant dans la seule raison et le gros bon sens, ils s’y prirent d’une autre sorte. Ils se partagèrent simplement en deux bandes, l’une armée de bâtons, l’autre de grands arrosoirs pleins d’eau chaude. Ils se dispersèrent dans leurs champs. Là, ils allèrent d’un trou de rat à l’autre, sans en oublier aucun. Là, un des parpaillots à arrosoir versait dans l’ouverture un peu d’eau bouillante et, quand la souri échaudée s’enfuyait précipitamment de son terrier, les parpaillots à bâtons l’assommaient sans pitié. Ce fut une nouvelle Saint Barthélémy.

Par ces deux procédés, lorsque arriva l’époque de la moisson, ces hérétiques firent une ample récolte, mais leurs voisins les papistes, en dépit de leurs cloches et de leurs oripeaux, n’eurent point un boisseau de grain à mettre dans leurs sacs.

Il est vrai que les susdits hérétiques seront brûlés pendant toute l’éternité par le grand diable d’enfer ; - ce qui est une terrible compensation à quelques mesures de froment de plus et une douce consolation pour les cœurs bien pensants !

Morale : [......], quand on croit à l’Immaculée Conception, les mulots mangent votre blé. Et que si l’on emplit ses greniers, c’est qu’on ne peut s’imaginer qu’une femme reste vierge après avoir mis un enfant au monde.

Et voilà pourquoi les villages catholiques sont sales et misérables, quand les villages protestants sont propres et florissants.

Voilà pourquoi aussi la majorité des Protestants est intelligente, instruite et tolérante, et pourquoi le plus grand nombre de Catholiques sont niais, ignorants et fanatiques comme des capucins italiens.

Voilà pourquoi enfin les pays protestants mangeront les pays catholiques, comme les rats mangeaient le blé de ces naïfs Alsaciens, si les pays catholiques n’ont pas le bon esprit de se faire protestants.

Aide-toi, le ciel t’aidera ! 

 


 

Deux choses surtout à apprendre à développer chez celui qui apprend :

La mémoire qui rassemble les éléments,

Et le raisonnement qui les classe, les apprécie et tire des conséquences.

La mémoire est comme une force qui jette du grain sous la meule ; le raisonnement transforme la matière première et la rend assimilable.

Raisonner juste avec une mauvaise mémoire, - c’est presque broyer dans le vide.

Se servir d’une bonne mémoire et raisonner faux, - autant vaut à peu près jeter sa poudre aux moineaux.

 


 

Le veston-court.

 

J’ai tenu à conserver le dessin et les noms du surprenant vêtement qui permet au petit monsieur ci-contre de faire admirer, moulé dans un pantalon plus collant qu’un maillot de soie, certaine partie de son individu que Vénus seule et les Grâces avaient jusqu'à présent le privilège d’étaler aux yeux... en marbre encore.

Cet indécent petit paletot fit son apparition il y a huit ou neuf ans. Il s’appelait Solferino ou Saute-en-barque. Du moins alors couvrait-il ce qu’il découvre aujourd’hui, et ne s’en servait, ou que pour monter à cheval ou courir les champs.

Mais depuis deux ans déjà il est reçu dans les salons, - il est vrai qu’il vient à peine à la taille - mais c’est bien joli quand on salue !

La charmante idée qu’ont eu nos élégants ! Copier ainsi leur vêtement le plus habituel sur la veste d’écurie de M.M. leurs palefreniers. Malgré l’habitude que j’en devrais avoir maintenant, j’avoue que j’en suis choqué chaque fois que je rencontre une femme au bras d’un monsieur ainsi dévêtu.

Il paraît que ceux de nos concitoyens à qui le sort a refusé le bonheur de porter le spencer des chasseurs ou des hussards étaient jaloux de voir de beaux officiers de ces corps si coquets, si jolis... promener librement sans [....] à leurs vestes, leurs charmes secrets et qu’ils ont voulu prouver à l’univers que les formes rondes ne sont pas un apanage exclusif de la cavalerie.

Affaire de goût.

Cet individu est ridicule caraco porte des noms aussi ridicules et aussi indécents que lui, et en plus grand nombre, ma foi, qu’un vieil hidalgo.

Je cite ceux que je me rappelé. J’en passe sans doute, et des meilleurs :

Veston-court ;

Pet-en-l’air ;

Montretout ;

Pince-nez ;

Ah ! Gandin, je te vois ;

Club-club-club ;

New-market ;

Cucheval ;

Couche-avec ;

Suivez-moi, Mademoiselle ;

Ne vous gênez pas dans le parc ;

Rase-pierres ;

Tu sais qu’on le voit.

 

R

 

Les Républicains d’Algérie à leurs aînés d’Amérique

 

C’est avec un sentiment de profonde reconnaissance que l’Algérie vient joindre sa voix à celle de la Mère Patrie pour remercier les États-Unis d’avoir, au milieu de l’isolement dans lequel un régime détestable avait jeté notre chère France, la première, comme en 92, tendu la main à notre jeune République.

Merci donc à nos frères d’Amérique. Ils n’ont point oublié qu’un des premiers défenseurs de la grande idée dans la vieille Europe, un des nôtres, a combattu sous leur drapeau pour l’indépendance et la liberté, et que les citoyens français, au dernier siècle, seuls dans l’ancien monde, ont voulu partager avec eux les périls et les gloires d’une lutte féconde pour le bien de l’humanité.

 

R

 

Myosotis.

 

Quelle chose désespérante que la Science ! Et que la fille du bonhomme Chysah, Henriette, cette ravissante création de Molière, est heureuse de m’entendre parler le grec !

Plût au ciel que j’eusse oublié le peu que j’en ai appris de cette langue de maître d’école qui me poursuit sans relâche et défigure tant de jolies choses ! Hélas ! Les savants en ont mis partout.

Ces gens-là sont sans pitié et se soucient d’effaroucher la Poésie, comme de disséquer vif un pauvre petit lapin qui les regarde avec des yeux suppliants. Eh ! Peut-on rien attendre de bon des sans-cœur qui n’éveillent les fleurs que pour les faire sécher dans des herbiers, des barbares qui piquent les papillons avec de longues épingles, pour les laisser ainsi lentement mourir de douleur et de faim, étiquetés et numérotés, dans des boites pleines de camphre !

Un exemple, entre mille, de la cruauté de ces messieurs et des mauvais traitements qu’ils exercent à l’encontre de cette fragile créature qui sait faire une perle d’une larme, la Poésie

Est-il rien au monde de gracieux, de tendre, comme une petite fleur bleue qui croît dans les lieux frais et humides, au milieu des grandes herbes, sur le bord des ruisseaux ? Sa couleur est douce comme l’azur du ciel ; elle aime à se mirer dans l’eau et se plaît dans la solitude. C’est une enfant du Nord ; elle a des yeux de saphir comme les filles de Germanie. Il n’est personne dans le cœur de qui elle n’éveille tout un monde de souvenirs,

 


 

un dernier écho de la jeunesse envolée. C’est la fleur des amoureux. On l’a nomme en Allemagne de toute une phrase charmante : Ne m’oubliez pas, et nous autres Français l’avons baptisée naïvement, Souvenez-vous de moi et aussi Plus je vous vois, plus je vous aime. Son nom savant même, ô merveille ! Semble doux d’abord à prononcer et les lèvres formulent volontiers : Myosotis.

Mais que, pour vos péchés, vous ayez étudié, peu ou prou, la langue dont résonnaient les rivages de l’Hellespont, et qu’on vienne à prononcer devant vous ce mot qui charme les ignorants, - tout aussitôt un fantôme se dresse à vos yeux portant une plume d’oie pour lance, un dictionnaire en guise de masse. Ce monstre, c’est l’Etymologie qui vous déclame de sa pédante voix : Myosotis vient de deux mots grecs - pecÜs, rat, et c¨rÜs génitif d’o¨s, oreille : myosotis signifie : oreille de rat !...

Voyez-vous d’ici cette pauvre Poésie s’évanouir et vos souvenirs de jeunesse s’enfuir effrayés, comme une nichée de tourterelles ! Quoi, ces fleurs charmantes que je cueillais avec Elle, un jour de printemps, - oreilles de rat ! Quoi ? Cette petite couronne que je conserve précieusement dans le livre qu’elle aimait, à la page qu’elle préférait, - oreille de rat !...

Ah ! Maudit soit le grec qui m’enlève une illusion encore ! Mon ignorance retrouvait tant de choses pour ces fleurettes inodores et fragiles qui murmuraient à mon âme : Souvenez-vous de moi. Hélas ! En quatre mots, - je ne les entendrai plus. Elle parle grec aussi cette couronne tant chérie et quand je veux la contempler maintenant, quand mon cœur se gonfle à la souvenance du temps qui n’est plus, où nous l’avons tressé ensemble, quand je sent mes yeux devenir gros de larmes, - j’attends en vain le doux refrain d’autrefois. Ne m’oubliez pas ! et n’entendez plus, entre les feuillets, qu’une voix moqueuse qui ricane : oreille de rat !...Oh ! Trop heureuse Henriette !

 

Novembre 1870

 

Il y a parfois des hasards singuliers.

En feuilletant aujourd’hui l’Essai sur Mœurs et l’Esprit des Nations, mes yeux se sont trouvés attirés, je ne sais pourquoi, par un passage qui m’eût sans doute échappé en tout autre moment, mais qui tire des circonstances présentes un intérêt particulier.

Ce n’est vraiment pas la peine d’être Voltaire pour ne pas mieux lire dans l’avenir et faire preuve, en quelques lignes, de si peu d’esprit philosophique !

« Les Juifs, est-il dit au chapitre C III, furent même sur le point d’obtenir le droit de bourgeoisie en Angleterre vers l’an 1750, et l’acte du Parlement allait déjà passer en leur faveur ; mais enfin (que pensez-vous de cet enfin dans la bouche de Voltaire ?). Le cri de la nation et l’excès du ridicule jeté sur cette entreprise la fit échouer : il courut cent [.....] représentant Milord Aaron et Milord Judas séants dans la Chambre des pairs. On rit et les Juifs se contentèrent d’être riches et libres.

Et Maître Crémieux, Juif de nation et, qui pis est, rabbin, fait aujourd’hui partie du gouvernement provisoire et dirigeait, seul, les destinées de la France, il y a quelques semaines, quand il représentait à Tours ses collègues enfermés dans Paris bloqué.

Cela vaut bien Milord Aaron et Milord Judas séants dans la Chambre des Pairs.

Nos bons voisins d’Outre-manche ont un grand tort de tant rire, en l’an de grâce 1750. Ils n’y voyaient pas si loin que le bout de leur nez.

En dépit de ses ridicules, de ses vices, la race laborieuse, persévérante, tenace, d’Abraham et de Jacob devait finir à la longue par surmonter tous les obstacles que la société chrétienne élevait devant elle. Rien ne la rebute, cette nation de parias, ni avarices ni avanies. C’est l’araignée qui fait et refait sa toile aussi souvent qu’une mouche ou le vent la brise. Et ces bonnes gens avaient pour eux encore une clé qui ouvre bien des portes, un bélier qui renverse bien des murailles, - l’argent !

Aaron et Judas siègent aujourd’hui sinon à la Chambre des Lords, du moins à la Chambre des Communes, - ce qui vaut tout autant ; et M. de Rothschild est baron comme les Montmorency ; et ses frères en Israël ne sont plus roués, brûlés et pendus ; et, bien au contraire, les serviteurs du Christ leur tirent volontiers la révérence quand ils ont un besoin trop pressant d’argent à vingt cinq pour cent et ne leur remboursent plus leurs billets en coups de bâton, comme au bon temps !...

Sic transit gloria mundi !

                                                                                                                         

... Créatures à trouver des poux en tête chauve et des torts à Dieu. (Balzac).

 

L’homme est ainsi fait : il existe chez lui un penchant inné au dénigrement qui procède sans doute du besoin de domination qui lui est naturel.

Humilier le prochain c’est, lui paraît-il, s’élever d’autant. Il croit mettre de son côté, la raison et la justice, en morigénant les autres en que blâmer quelqu’un c’est se faire à soi-même son éloge.

Et en effet, puisqu’en ce monde tout est relatif, ne grandit-on pas de l’abaissement du voisin et n’est-on pas toujours assez sot, en général, pour croire tout d’abord que quiconque ose censurer autrui ne peut être lui-même, au moins, qu’un modèle de vertu.

Si l’âge et la raison parviennent, le plus souvent, à atténuer ce que ce sentiment aurait de trop brutal dans la forme, chez l’enfant, ce petit homme à l’état de nature, elle apparaît dans tout son éclat.

Tout moutard est parfait, à ses propres yeux, et c’est toujours le camarade qui a tort, ou les circonstances, ou le chat, ou les choses, - jamais lui.

 


 

Trouver son compagnon en faute, voilà pour le bambin le grand bonheur et quand par hasard il ne peut mettre la main sur cette réalité, son imagination sait lui fournir les moyens de faire briller sa vertu, même aux dépens d’un

innocent.

Mademoiselle Jeanne, grande personne de sept ou huit ans, rentre d’une promenade.

- T’es-tu bien amusée, fillette, dit la maman ?

- Oui, petite mère.

- Et, tu as été bien sage ?

- Oh ! Oui, très sage ; mais Mademoiselle Lili (Mademoiselle Lili, c’est sa poupée) a été bien sotte.

- Vraiment ?

- Oui, bien sotte. Je l’ai mise en pénitence, aussi ; c’est une vilaine fille, on ne peut rien en faire...

Et la conversation continue sur ce ton.

Or il semblerait que si Melle Jeanne a été sage, cela devrait suffire et qu’il était inutile d’accabler cette pauvre Lili. Mais Melle Jeanne ne pense pas ainsi ; d’instinct elle découvre une des règles de l’art et se dit qu’un peu d’ombre fera mieux ressortir les parties éclairées. Que les défauts de Melle Lili serviront à merveille de repoussoir aux qualités si brillantes de Melle Jeanne.

Et tout encore est pour le mieux, quand la bonne, consultée, ne vient pas déclarer que c’est au contraire Melle Jeanne qui n’a point suivi les bons exemples de Melle Lili dont la conduite, quoiqu’on en dise, a été à l’abri de tout reproche !

Il faudrait n’avoir jamais vu d’enfants pour ignorer que l’histoire de Melle Jeanne se réédite, depuis qu’il existe des petites filles et des poupées, à un nombre infini d’exemplaires, et se rééditera toujours dans les mêmes termes tant qu’il restera des poupées et des petites filles.

Ceci, Cher Lecteur, vous semblera peut-être une niaiserie, un rien ; mais ce rien est copié sur la nature, et j’y vois, quant à moi, l’homme tout entier, à l’état rudimentaire !

 

Égoïsme.

 

Un enfant unique en général devient un égoïste.

Et cela se comprend.

S’il n’y a qu’un enfant dans une maison, cet enfant est gâté presque infailliblement et qu’en résulte-t-il ? Accoutumé à voir l’affection de ses parents se concentrer sur lui, et sa petite personne passer avant tout ; accoutumé à énoncer comme des ordres ses volontés auxquelles on désobéit rarement, il contracte peu à peu la triste habitude de rapporter tout à lui ; il lui semble que l’univers a été créé pour lui seul, que tout doit y céder à ses goûts, à sa fantaisie, être à sa dévotion, choses et gens, et contribuer à lui faire sa vie douce, s’y empresse à enlever de son chemin ronces et épines comme cela se pratiquait dans la famille. Il a vu ses caprices supporter, ses fautes excusées trop facilement, ses désirs satisfaits, ses défauts même applaudis parfois. Il en conclut qu’il en sera toujours ainsi et va droit son chemin, sans dévier d’une ligne, qu’il gêne ou non les passants. Son père et sa mère se sont sacrifiés pour lui. Il croit que cela lui est dû et que tout le monde est dans l’obligation d’en faire autant. Incapable lui-même de sacrifices, parce qu’il n’est habitué à partager avec personne, parce qu’on ne lui a pas laissé l’occasion de pratiquer le dévouement, parce que, dans leur affection aveugle, ses parents s’imposent toutes les privations pour éviter un léger ennui, une souffrance insignifiante au cher objet de leur tendresse.

Et c’est ainsi que l’oubli de soi-même dans deux personnes engendre l’égoïsme chez une troisième et qu’un vice naît d’une vertu.

  

Préface à la Révolution française

 

Le besoin de liberté croît avec les lumières ; plus les hommes sont éclairés, plus le joug leur pèse. L’invention de l’imprimerie en répandant l’instruction dans la masse, amena fatalement les réformes qui firent du XVIIIe siècle une époque illustre entre toutes.

Dès le début du siècle, l’esprit public s’agite ; si l’on ne peut excepté l’Espagne dominée par l’Inquisition, le Portugal, - cette colonie anglaise, sans initiative personnelle et la Turquie pliée sous le despotisme, tous les Etats de l’Europe demandent des réformes et les souverains sont forcés de céder, devant cette volonté ferme et unanime des peuples. Les lois sont modifiées, les privilèges en partie détruits, le clergé et la noblesse sont obligés de faire d’importants sacrifices, l’autorité royale s’accroît, se substituant à l’anarchie d’une société aristocratique. Le commerce, l’industrie, l’agriculture, sont encouragés ; les lettres et les arts jettent un nouvel éclat ; la tolérance s’établit et la philanthropie commence à devenir une mode. Les relations entre les peuples s’étendent ; on comprend enfin que toutes les nations sont solidaires.

La Révolution française va bientôt éclater, inonder l’Europe de ses principes nouveaux et achever l’œuvre qu’avaient commencée Joseph III en Autriche, Frédéric II en Prusse, Catherine en Russie et Gustave III en Suède.

C’est la France qui avait donné le signal de la guerre contre ces vieux préjugés et c’est en France aussi où peut-être le mal était le plus grand. Les idées et la constitution sociale s’y trouvaient en désaccord complet ; par les usages et par beaucoup d’institutions on se serait cru encore en plein moyen âge et déjà cependant on pensait comme Voltaire, Montesquieu ou Rousseau. Pendant la Fronde, on se consolait d’une iniquité par une chanson ;

 


 

mais au XVIIIe siècle on chantait mois - l’esprit devenait sérieux, on interrogeait les droits, on étudiait les titres des puissances jadis si redoutées ; on commençait à être choqué des inégalités révoltantes qui séparaient du peuple, la noblesse et le clergé. On se demandait si l’intelligence, la science, l ‘honnêteté n’étaient pas d’aussi bons titres pour l’administration de l’Etat qu’un vieux nom porté trop souvent par un homme sans mérite.

Pourquoi la roture était-elle réduite au commerce, à l’industrie et à la finance ? Pourquoi la renfermer dans ces bornes étroites, si elle se sentait de grandes idées et la force pour les accomplir ?

Tous les hommes ne doivent-ils pas être égaux devant la loi ? Un homme est-il plus ou moins coupable de frapper son semblable, selon qu’il est noble ou vilain ? Pourquoi donc, pour un même délit, la pénalité était-elle différente suivant qu’on appartenait au peuple ou à la noblesse ?

N’est-il pas juste que tous les citoyens contribuent aux charges de l’Etat, chacun dans la mesure de ses moyens ? Pourquoi alors le riche payait-il si peu d’impôts, tandis que la taille et la corvée laissaient à peine au pauvre laboureur du pain pour ses enfants ?

Pourquoi ces entraves mises au commerce et à l’industrie par les jurandes, les corporations et les maîtrises ?

Et combien d’injustices encore ! La liberté individuelle et la propriété étaient mal garanties, - les lettres de cachet mettaient l’une et l’autre à la discrétion des ministres et de leurs amis. On refusait la liberté de conscience et les règlements les plus sévères restaient en vigueur contre les dissidents. A l’égard de la Presse, on montrait tour à tour une excessive rigueur ou une tolérance aveugle.

Tels étaient les principaux abus qu’avaient signalés les philosophes et les économistes ; telles étaient les principales questions qu’ils posaient, que tout le peuple répétait avec eux et que la Révolution devait résoudre.

La Nation entière, sauf les classes privilégiées, s’unissait pour demander des réformes : tolérance religieuse, loi fondée sur les principes du droit naturel et rationnel ; unité de poids et de mesures ; impôt payé par tous ; émancipation du travail ; libre admissibilité aux charges publiques, - en un mot - Egalité devant la loi et liberté réglée suivant de droit.

Lorsque Louis XVI monte sur le trône, ces réclamations étaient si vives, si générales, si pressantes que la nécessité d’y faire droit frappait tous les yeux, même les moins clairvoyants. Aussi le nouveau roi s’empressa-t-il d’appeler au ministère deux partisans des idées nouvelles - Malesherbes et Turgot.

Lamoignon de Malesherbes, un des plus hommes de bien du XVIIIe siècle, ancien président de la Cour des Aides et directeur de la Librairie, avait mérité, par sa tolérance et ses idées libérales, une grande popularité parmi les gens de Lettres qui applaudirent unanimement à sa nomination au Ministère de la Maison du Roi.

Turgot, ancien intendant à Limoges, y avait fait bénir son administration. Esprit supérieur, - le nouveau ministre projetait l’accomplissement de toutes ces réformes que nécessitaient l’état des esprits. Il voulait faire élire des municipalités de communes, au-dessus de celles-ci il eût érigé des municipalités d’arrondissement, puis ensuite de province et enfin une municipalité du royaume.

Il demandait encore l’abolition des corvées qui pesaient sur le pauvre, l’établissement sur le clergé et la noblesse de l’impôt territorial ; la suppression de la plupart des monastères ; l’amélioration du sort des vicaires et des curés ; la liberté de conscience et le rappel des Protestants ; le rachat des rentes féodales ; un seul code ; l’unité des poids et mesures ; la suppression des jurandes et maîtrises ; enfin une réforme dans l’instruction.

C’était là de bien grandes nouveautés. Ces réformes touchaient à trop de privilèges ; aussi les intéressés formèrent-ils bientôt une ligue contre le ministre. Ses moindres actes soulevaient une opposition formidable ; ses tentatives des réformes étaient l’objet d’attaques injustes et violentes. Quand il s’agit de faire enregistrer l’édit qui remplaçait la corvée par un impôt que payeraient les propriétaires, il fallut que le roi tînt un lit de justice pour obliger le parlement à remplir cette formalité.

Louis XVI avait d’abord soutenu son ministre ; mais le pauvre monarque était trop faible pour résister longtemps. La reine, M. de Maurepas, toute la Cour enfin attaquait un contrôleur général qui ne parlait que d’économie. « Je vois bien qu’il n’y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple, avait dit Louis XVI. » et bientôt cependant, fatigué de lutter, il céda à l’insistance de la reine, aux petites intrigues d’une cour frivole et aveugle. Le 12 mai 1776 Turgot reçu l’ordre de quitter le ministère.

Malesherbes, en but aux mêmes haines avait déjà donné sa démission.

Turgot éloigné, rien ne pouvait plus retenir la tempête. Le ministre le sentait bien, lorsqu’en se démettant de sa charge, il écrivit au roi cette lettre prophétique : « Tous mon désir est que vous puissiez toujours croire que j’avais mal vu et que je vous montrais des dangers chimériques. Je souhaite que le temps ne me justifie pas et que votre règne soit aussi heureux, aussi tranquille que vos peuples se le sont promis d’après vos principes de justice et de bienfaisance. »

Quand Turgot et Malesherbes arrivèrent au pouvoir, il était temps, en écoutant leurs sages conseils, de sauver la monarchie ; on eût pu conjurer le danger, donner satisfaction à des exigences trop légitimes, en faisant, comme on a dit, la révolution par ordonnances. Maintenant il est trop tard ; c’est aux années sanglantes qui vont suivre, à punir le roi de sa faiblesse, la noblesse et le clergé de leur aveuglement et de leur attachement obstiné à de prétendus droits que les idées du temps réprouvaient comme de criantes injustices.

 

L’œuf et la poule. (Scolastique).

 

On s’est demandé souvent qui fut créé le premier de l’œuf ou de la poule. C’est une de ces graves questions qui ont agité les écoles du Moyen Âge ; savants et théologiens se sont même à ce sujet, lancé à la tête de gros volumes et des injures.

Les fats !

 


 

C’est la poule évidemment, ne vous en déplaise, Messieurs les Savants et les Théologiens, qui a précédé l’œuf, car un œuf ne peut éclore qu’à la condition d’être couvé par une poule.

Et le Bon Dieu se trouvant dans l’alternative de tirer du néant une poule ou un œuf, a formé d’abord la poule qui pouvait renfermer en elle les germes de l’œuf, plutôt que l’œuf qui, la poule n’existant pas, se serait certainement gâté sans donner jamais le plus petit poussin.

Je parierais qu’au jour, ce fut ce raisonnement qui se développa dans le cerveau de l’Eternel, et point un autre : une cuisinière, en telle occurrence, n’eût pas pensé différemment.

Car enfin si le Bon Dieu en question avait d’abord formé un œuf, que serait-il arrivé ?

Il se serait vu forcé, le pauvre diable, ou de le couver lui-même, ou d’inventer, en même temps qu’il le façonnait, les étuves pour l’éclosion artificielle des petits poulets, et de charger un de ses anges de surveiller l’incubation.

La création eût été singulièrement compliquée !

 

Le joueur d’orgue.

 

Le jour où je toucherai un traitement de cent mille francs comme ministre de l’Intérieur, mon premier acte sera de prescrire une statistique pour connaître le chiffre comparé des joueurs d’orgues séquestrés dans les asiles d’aliénés.

La proportion doit être effrayante.

Et en effet il n’y a point d’intelligence humaine assez bien constituée pour éviter l’abrutissement qui doit résulter de l’abus de cet instrument de Barbarie que des paresseux promènent en boitant dans nos rues.

Raisonnons un peu.

On peut bien admettre qu’en moyenne un joueur d’orgue répète trente fois par jour (quatre fois par heure, à peu près) la série des airs qui sont notés à l’intérieur de son coffre à musique. Trente fois par jour font 900 fois par mois et 10 800 par an ! 10 800 fois dans une année, Il Bacio ou Léonore mon amour, bravo ! ! ! Je deviendrais furieux avant le sixième mois...

Si le sort m’avait fait Grand Inquisiteur, c’eût été là mon petit supplice de prédilection et j’aurais condamné les grands criminels à dix ans de Bacio forcé ou au Miserere à perpétuité. Il n’y a point de tourments à comparer à ceux-là. Il est vrai que par malheur au temps de la Sainte Inquisition les orgues ne couraient pas encore dans la rue.

Mais si je n’ai pas revêtu autrefois le froc de Saint Dominique, le hasard peut bien un jour me mettre sous le bras le portefeuille de l’Intérieur, comme je le supposais en commençant, et alors j’interdis formellement l’usage de l’instrument prétendu de musique dont il s’agit.

Par cette simple mesure, je rends à la société un nombre effrayant de paresseux qui consomment sans produire, se servent pour tourner une insipide manivelle, d’un bras vigoureux, qui serait mille fois mieux employé à bêcher la terre ; Je fais des agriculteurs, des artisans. De vagabonds, sans domicile fixe, sans liens qui les retiennent ici plutôt que là, qui errent de ville en ville est deviennent pour la plupart de mauvais garnements quand ils auraient pu être d’honnêtes travailleurs si le hasard de leur naissance ne leur avait pas pendu au cou ce maudit instrument.

Et je suis bien sûr que je ne trouverai pas d’opposition chez M. le Surintendant des beaux-arts car l’orgue de Barbarie n’est bon qu’à vous faire prendre à tout jamais un dégoût des œuvres de Meyerber ou de Rossini.  

 

 

 

 

Nous ignorons le titre du journal qui a publié ce texte daté du dimanche 1er avril 1866.

 

 




[1] - Les femmes ont toujours la naïveté d’estimer peu des riens qui valent beaucoup.

[2] - Les femmes ont toujours l’air de croire que le cœur peut remplacer les yeux. Cela serait pourtant bien fâcheux pour elles, si le cœur y voyait clair.

[3] - Qu’il me soit permis de citer à l’appui de mon opinion une pensée de Chamfort : « une femme d’esprit me disait un jour un mot qui pourrait bien être le secret : Son sexe. C’est que toute femme, en prenant un amant, tient plus de compte de la manière dont les autres femmes voient un homme, que la manière dont elle le voit elle-même. »

[4] - Consulter pour les termes le paradoxe sur le comédien.

[5] - Saint-Eugène est une commune située dans la proche banlieue d’Alger.

[6] - Résultat : mot charmant en vers.

[7] - La là - c’est bien gentil...