PROMENADE À SAINT-AUBAN-SUR-L’OUVÈZE
OMNES GENERATIONEL, pour chœur.
M. Rochas est maire de Saint-Auban-sur-l’Ouvèze (Drôme), berceau de notre famille en France.
Allez donc un jour en pèlerinage ou en touriste dans ce petit village de Haute Provence, c’est à deux pas d’ici.
En partant de Paris, tôt le matin, par la porte d’Orléans et l’A6 vous y serez pour le déjeuner. Rendez vous directement au restaurant La Clavelière. Faites vous connaître, M. Meffre vous y attend. Il vous servira un repas dont vous me direz des nouvelles.
Ensuite, allez faire un tour dans le bourg. Saluez ses habitants. Mieux, serrez leur la main, ce sont peut-être de lointains cousins...
Car Saint-Auban est le berceau de notre famille. C’est là que se trouvent nos plus profondes racines. Pendant des siècles nos ancêtres y ont vécu, y ont trimé, y ont été heureux. Passez à la mairie et n’hésitez pas à consulter les registre de l’état civil, les plus anciens bien sûr. A chaque page vous y retrouverez des Fort, les Laurens (Laurans ou Laurent), les Tesse, les Crozet, les Arnoux, les Barrot, les Tourniayre (ou Tourniaire), les Bernard, etc. ce sont nos ancêtres directs et leurs alliés.
Saint-Auban, maintenant que nous l’avons retrouvé, nous en revendiquons la citoyenneté.
le château
On peut penser que l’Ouest de l’éperon rocheux sur lequel est bâti le village a été habité dès la préhistoire (ce site perché qui domine les vallées du Charruis et de l’Ouvèze devait être aisément défendable). Au fil des siècles des cabanes, puis des maisons ont dû être construites en progressant vers l’Est.
Finalement un château fort a été érigé à l’est de ce groupe de maisons pour le protéger. Il est flanqué de 5 tours.
La position stratégique du château permettait de surveiller les éventuels ennemis arrivant de Buis, du col de Perruèrgue, du col de Perty ou de la Rochette, de contrôler le passage des commerçants, des pèlerins et des voyageurs éventuels.
L’absence de créneaux, de fenêtres à meneaux, de terrasses amènent à penser qu’il ressemblait plutôt à une maison forte qu’à une bastille.
On ignore la date de sa construction, par contre on connaît celle des remparts, sans doute postérieure.
Citons le livre de l’abbé Armand : « Une autre préoccupation des consuls vers la fin du XIVe siècle fut de mettre le village à l’abri d’un coup de main, chose fréquente à cette époque et ils donnèrent en 1396, l’adjudication de 134 cannes de rempart à Raymond Doni, prêtre, et Guillaume Martin, moyennant le droit du socquet ou vente du vin pendant quatre ans. Trente trois cannes par an devaient être construites, et les habitants devaient fournir la chaux et les matériaux nécessaires ».
L’abbé Armand précise que la canne ou la toise valait à Saint-Auban 1,949 ml. -134 cannes font environ 260 ml, ce qui correspond à la longueur des remparts N.-E. et E. du village.
Depuis sa fondation, au gré des mariages ou des ventes diverses, il a appartenu successivement aux familles nobles Pons, Montauban, Pape et Sade. Comme ces familles étaient riches et possédaient, par ailleurs, plusieurs châteaux, le seigneur habitait peu souvent Saint-Auban.
D’après la notice sur Saint-Auban dans « Histoire de l’arrondissement de Nyons », d’André Lacroix, ancien archiviste de la Drôme, on apprend les démêlées du seigneur du lieu avec les habitants du village au sujet du mauvais état des chemins et des ponts. En 1407, on y trouve trace d’un procès contre les Pictavin, qui en leur qualité de nobles, ne voulaient pas participer à la surveillance du village. En 1412, on les oblige à garder les portes du village comme les autres habitants lorsque le bailli des Baronnies l’ordonnerait et à monter la garde sur les remparts en cas de danger.
Pendant les guerres de religion, le fait que le seigneur de Saint-Auban soit passé dès le début au service de la Réforme, a valu une sauvegarde au bourg, car les archives ne mentionnent pas de faits sanglants.
A la révolution de 1789, le château appartenait à la comtesse de Sade. Il fut vendu comme bien national en 3 lots pour les bâtiments pour la somme globale de 700 livres. En 2 lots pour les écuries et greniers, 450 livres. Cette division du château, encore augmentée par différents partages lors de successions, explique le nombre élevé des propriétaires actuels et le fait que bien qu’il soit, de nos jours, en grande partie restauré et habité, l’aile Nord revêt toujours l’aspect de ruines dangereuses.
les fermes
Saint-Auban est construit, nous l’avons déjà dit, sur un éperon rocheux et escarpé, sec, qui lui donne un aspect rude. Il surplombe la haute vallée de l’Ouvèze. Cette dépression forme un bassin elliptique de 15 km de long sur 2 à 3 de large, se développant d’Est en Ouest à une altitude de 700 à 500 m. Le fond de la vallée est assez verdoyant et relativement plat.
De la place Péquin, en direction du Nord, on jouit d’un panorama sur la vallée où de nombreuses fermes sont disséminées. Au Nord-Ouest nous avons le plateau des Moures, deux fermes exploitent ce plateau mais la plus grande partie des terres appartient à la commune de Sainte-Euphémie, le nom des deux fermes sur Saint-Auban est Aguzon : elles sont situées de chaque côté de la route du col de Peyruèrgue.
Devant nous, au Nord, le Chatelard, le Serre, la Truchière, La Galenne, plus loin Le Pouzet (ancien prieuré), légèrement sur l’Est, le quartier du Pont, la Ciresse (monticule marneux), Douas, la Tuilière, et plus haut sur la colline, le col des Aros sur la commune de Montguers. Dans les près, les fermes du Palais, Chantemerle, Grédelin, Saint-Pierre (ancien prieuré). Enfin plein Est les cinq fermes de Saint-Roman ; une chapelle devait desservir ce quartier sans que l’on puisse en situer l’emplacement aujourd’hui. Récemment des tombes et ossements ont été mis à jour lors de travaux.
Les fermes et le quartier où elles se trouvent conservent leur nom à travers les siècles indépendamment des changements de propriétaires, des ventes ou des mariages des filles héritières. Il n’y a que les toponymistes-cartographes - moins sages - qui mettent des noms de familles pour désigner des fermes : Gueyte pour Aguzon, Rochas pour la Galenne. Pour désigner une terre disséminée ou une ferme en ruines, on emploie localement l’expression : « à ça de... » et suit le nom du dernier propriétaire. Qui n’a pas entendu : « à ça de Rabel » ou « à ça de Simon » ou encore « à ça de Cazaux », « à ça de Charles » etc...
Le plateau des Moures cité plus haut doit son nom selon la tradition orale à l’invasion Mauresque. En 215 avant J.C., Annibal avait établi un camp-bivouac pour ses 38 000 hommes, 8 000 chevaux et 37 éléphants lors des guerres Puniques que Carthage livrait à Rome. L’itinéraire d’Annibal passait approximativement par Cavaillon et Embrun. Des pièces de monnaie grecques et romaines, des objets d’étain, des poteries des trois premiers siècles ont été trouvés à l’occasion de labours ainsi que des tombes et des ossements de la même période.
En ce qui concerne la ferme de Saint-Pierre un article de l’abbé Malbois expose que l’église Saint-Pierre est donnée à l’abbaye Saint-Victor de Marseille en 1060 par Ripert évêque de Gap. Ripert Ier est un des fils de Dame Percipia à l’origine de la famille de Mévouillon. Il donne l’église avec une dotation comprenant des mansus, des terres, des récoltes situées à Saint-Auban et dans les communautés avoisinantes. En échange l’abbaye de Saint-Victor doit entretenir deux religieux dans le prieuré pour assurer le service de l’église et du pays. L’article dit que Ripert, les deux Pons (Pons de Caderousse et Pons de Mévouillon) approuvés par Percipia et ses autres fils donnent à Saint-Victor l’église de Saint-Pierre de Riona.
L’abbé Armand parle de son côté de la ferme Saint-Pierre sous le nom de prieuré de Saint-Pierre d’Achaix relevant de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille. Ce prieuré existe déjà au XIIIe siècle : « une charte de 1250 confirme la donation qu’avait faite au prieuré Draconnet de Montauban de toutes les terres qui l’environnaient ». Ce prieuré portait en 1708 le nom de Saint-Pierre-de-Chais de l’ordre de Saint-Benoît. Les revenus en avaient été abandonnés en 1693 au curé de Saint-Auban qui était alors à la tête d’un prieuré-cure recevant 428 livres de portion congrue et 120 du prieuré de Saint-Pierre.
agriculture
Nos informations les plus anciennes remontent au moyen-âge. A cette époque tout l’espace cultivable semble appartenir au seigneur du village. Ses ouvriers, les serfs, qui travaillent la terre habitent à l’intérieur des remparts. Par la suite, il loue aux paysans les champs exploitables mais ceux-ci habitent toujours à l’intérieur des remparts pour avoir une protection contre les pillards, le cas échéant contre les bêtes sauvages et aussi une sauvegarde contre les épidémies. Petit à petit, chaque locataire construit un bâtiment pour déposer les outils, se mettre à l’abri en cas de mauvais temps rentrer les récoltes et même y laisser vivre les bestiaux, lapins, volailles, chèvres : C’est le grangeon.
On peut imaginer que de longs siècles durant, les cultures se sont limitées à la production des céréales, base des échanges, des trocs et des paiements, aux légumineuses, au fourrage pour les animaux et la vigne. Elles étaient des cultures de service. Ce n’est qu’à la fin des grandes pénuries où même des famines disparues, à la suite de la culture de la châtaigneraie et plus tard de la pomme de terre attestée en 1798 et grâce à un cadre socialo-politique plus libre et plus stable que les cultures à caractère plus industriel ont pu se développer : garance, soie, lavande. Ces nouvelles cultures ont déterminé alors le rythme et le type de travail de générations entières avant de disparaître à la suite de décisions administratives et emploi de produits de remplacement : cas de la garance, ou de crises économiques qui touchent en premier lieu les productions non vitales de luxe comme cela a été le cas de la soie remplacée par des fibres synthétiques.
Avant 1900, on extrayait la racine de garance des montagnes, du reste la montagne au Nord de la commune s’appelle garancier, on utilisait la pioche à deux grandes dents appelée béchard. cette racine servait à faire des teintures rouges pour les textiles ; le grand consommateur était l’armée. C’est après la guerre de 1870 et la certitude que les uniformes rouges, étaient des cibles trop visibles que l’armée a choisi d’autres couleurs excepté pour les pantalons de zouaves.
Jusqu’en 1900 la région a cultivé et tissé le chanvre pour faire des cordages et de la toile, les jardins actuels sont souvent dénommés chanebiers, le fait de brûler les herbes en février se dit : faire des chanebières, près de la plupart des fermes on trouve une serve ou essueye que l’on peut traduire par écluse, sorte de grand caniveau où on mettait le chanvre à rouir, sorte de trempage, avant de pouvoir en filer les fibres.
De 1800 à 1930, la sériciculture a constitué un revenu appréciable dans chaque foyer. C’était la première rentrée d’argent de l’année. La foire aux cocons avait lieu au Buis le premier mercredi de juillet.
Il ne reste que très peu des milliers de mûriers de cette époque. La difficulté était d’avoir des mûriers à feuilles précoces ; on entend dire qu’en cas de retard de la végétation par rapport à l’éclosion des vers à soie, les gens de Saint-Auban allaient en jardinière jusqu’à Pierrelongue, à 25 km, pour cueillir des feuilles de mûriers plus grosses. Les plus grandes salles chauffantes des fermes - souvent la cuisine - étaient transformées en magnaneries pendant deux mois de début mai à fin juin. Il fallait que la température des salles soit assez haute (22/23° C) et relativement constante. La graine ou les œufs de vers à soie était couvée par une grand-mère, les œufs de la grosseur d’une tête d’épingle étaient vendus par once, on les disposait dans une boite en fer plate. Pour les garder à température constante, la grand-mère portait jour et nuit cette boite dans une poche sous ses robes ou dans son lit. Au cours de la journée elle ne devait pas faire de mouvements brusques, le silence et le calme étaient la règle constante pendant trois semaines.
Après l’éclosion des œufs de vers à soie, la chenille nouveau-née se nourrissait de jeunes feuilles de mûrier et après quatre mues (une par semaine) et une consommation de feuilles toujours plus grande, elle pouvait monter sur les branches de genêts placées à cet effet pour filer son cocon.
Vers 1920, la vallée devait produire 10 tonnes de cocons par an. Au Buis se trouvaient d’autres négociants qui se partageaient 20 à 30 tonnes de cocons par an. En 1910, un kilo de cocons valait 2,50 à 3 Fr. plus une prime comptabilisée par les mairies de 25 centimes par kilo. Une tradition voulait que lorsque la récolte était bonne les producteurs en reconnaissance décorent l’autel des églises avec des branches bien chargées de cocons ; par la suite les enfants de chœur récupéraient les cocons et les vendaient pour leur propre compte ; un de ceux-ci nommé Eysséric, de Buis, avait conservé les cocons et les avait fait grainer. Par la suite, il s’est révélé qu’il avait en mains une variété de vers à soie très résistante aux maladie et très intéressante pour le climat des Baronnies.
Et bien sûr, nous retrouvons ce même Mr Eysséric quelques années plus tard à une place prépondérante dans le négoce des cocons.
Depuis 1973, la lavande connaît une crise tant sur sa santé phytosanitaire que sur ses cours, la production s’est réduite de moitié en 10 ans.
La place Péquin
Mais comment parler de Saint-Auban sans évoquer la place Péquin ?
Cette place située en dehors des remparts du village médiéval servait de place d’armes et recevait soldats et cavaliers au service du seigneur propriétaire du château contigu.
On peut penser que cette place hors les murs, hors le village fortifié, hors du château occupé par des soldats en armes était plutôt la place des gens non armés, des paysans, des artisans. En un mot, la place des péquins. Il nous plaît de rêver que cette place était leur place et qu’ils lui ont donné leur nom : « place péquin ».
La tradition orale est toute autre et sans doute non moins fausse. N’importe lequel des péquins du village vous dira : « Ah ! oui, la place péquin ! c’est un souvenir de Chine du nom de sa capitale Pékin ». L’orthographe à partir de là est fort controversée et vous verrez par la suite qu’un doute important subsiste. On dit que le chevalier d’Albert de Rions, Jean Pierre Henri (1733-1818) à moins que ce ne soit le contre-amiral d’Albert de Rions, François Hector (1728-1802) aurait guerroyé en Chine et aurait rapporté des plants de mûrier - pour pratiquer l’élevage des vers à soie - dans sa canne ; une canne creuse bien sûr, et les aurait plantés sur la place hors les murs. Au XVIIIe siècle la place aurait donc été plantée avec des mûriers de Chine et par association d’idée comme pour mieux frapper l’imagination, la place serait devenue la place Pékin avec un K comme on se souvient de l’avoir vu écrit en grosses lettres noires sur fond jaune sur la carte de géographie Vidal de la Blache suspendue au mur de l’école du village.
Or, actuellement, cette place possède quatre marronniers énormes, mais pas un seul mûrier.
Et sur un vieux terrier antérieur au XVIIIe siècle, on retrouve le mot de péquin pour désigner les terres hors les murs du village médiéval.
Qui croire ? Il faut croire les deux traditions orales ne serait ce que pour alimenter la chronique. Mais j’allais l’oublier, ne dites pas « je vais à la place péquin » mais « je vais sur péquin ». Les péquins de Saint-Auban ne comprendraient pas.