Appendices Fort

 

 

A BERLIN

 

 

ESURIENTES IMPLEVIT BONIS, pour alto.

 

Alt-Landsberg, district de Niederbarnim, à peine à une trentaine de kilomètres à l’est de Berlin.

 

Celui qui, vers la fin du XVIIe siècle se rend en carrosse aux bains de Freienwalde y fait halte. La ville possède un relais faisant à la fois office de bureau de poste et de maréchalerie, et elle héberge dans ses murailles un hôtel de ville, un hôpital de même qu’une pharmacie, un établissement pour les pauvres et les orphelins, plusieurs moulins et distilleries de schnaps, ainsi que l’église luthérienne municipale, simple bâtisse en pierre du bas Moyen Âge autour de laquelle se serrent une centaine de maisons bourgeoises.

 

Devant la ville, sur les terres franches, s’élève en face du château des comtes Schwerin l’église réformée. Le comte Otto, grand président électoral et seigneur à Alt-Landsberg depuis 1654, en a posé la première pierre et a fait venir un pasteur payé sur ses propres deniers. Cette nouvelle construction baroque est une attraction. Déjà en 1670 près de 90 fidèles s’y retrouvent pour la Sainte Cène, et parmi eux un groupe particulier composé de douze Français de confession réformée. L’année suivante, le registre paroissial consigne la présence de quatorze Français à Pâques et à la Pentecôte, et en septembre leur nombre s’élève déjà à dix-huit.

 

Comment et quand ces Français sont-ils arrivés dans la ville ? Déjà les Pasteurs berlinois Erman et Reclam étaient incapables de l’expliquer clairement. Dans leur ouvrage destiné à commémorer le centenaire de l’Edit d’accueil de Potsdam, ils relatent que le fils du comte Schwerin aurait vraisemblablement, au cours d’une mission diplomatique à Versailles, engagé sept ou huit familles françaises de confession réformée à s’établir sur les terres de son père et réglé leurs frais de voyage sur sa cassette personnelle. Cette première colonie huguenote sur le sol brandebourgeois aurait néanmoins tôt fait de disparaître parce que ses voisins allemands ne se seraient pas abaissés pour tout l’or du monde à porter vivres et assistance à ces étrangers. Finalement, selon le rapport d’un contemporain, les nouveaux arrivés en auraient été réduits à l’idée douteuse de défendre leur existence quotidienne en volant des vivres, ce qui d’un côté n’aurait guère été en leur faveur, mais qui d’un autre côté aurait en fin de compte incité le comte Otto à leur accorder le droit de partir vers un lieu de leur choix.

 

Quoi qu’il en soit, la dernière mention relative aux Français dans les registres de l’église réformée du château à Alt-Landsberg se trouve dans une notice concernant la Sainte Cène de Noël en 1671. Et peu de mois plus tard, au printemps, quelques-unes des familles nommément citées là apparaissent à Berlin.

 

Dans la capitale, existe déjà depuis les années 60 une petite colonie française composée d’officiers de la cour, de fournisseurs de l’électeur, et aussi d’un certain nombre de militaires réputés. Ceux qui, parmi eux, sont calvinistes prennent part aux offices divins de la paroisse allemande réformée du Dôme. Mais, après l’arrivée des huguenots de Alt-Landsberg, qui n’appartenaient ni à la cour ni à l’armée, besoin se fait sentir, pour ces Français exilés au Brandebourg d’une église réformée proprement française, de prédication en langue française et d’une liturgie semblable à celle de leur patrie. Cette aspiration bien compréhensible trouva rapidement un avocat influent auprès de la cour : Louis de Beauvau, comte d’Espence, lieutenant général et grand écuyer de l’Electeur, gentilhomme d’Anjou qui avait quitté la France en 1668 et était parvenu à Berlin par la Hollande.

 

Durant l’été 1672 le souhait des huguenots berlinois est exaucé. Ils obtiennent l’autorisation de former une communauté séparée des Allemands. La première inscription au « Registre des Actes consistoriaux de l’Eglise françoise réformée de Berlin » est la suivante :

 

Le 10e de Juin 1672 Dieu, par sa providence et dans ses grandes compassions, ayant mis au cœur de tres haut, tres puissant, et tres serenissime Prince Frideric Guillaume Electeur de Brandebourg le dessein pieux et charitable d’établir une Eglise françoise dans cette ville de Berlin, il a choisi Monsr Fornerod pour y faire les fonctions de Pasteur, et cela par le ministere du tres pieux, et tres illustre seigneur de Beauvau Conte d’Epense, qui par ses soins et sa charité, s’est appliqué d’un franc courage à cette œuvre du seigneur, et a voulu mettre la premiere pierre à cét édifice spiritual.

 

Il manque cependant encore à cet édifice spirituel une façade séculière adaptée. La jeune communauté se retrouvait pour l’office divin chez le baron Pöllnitz, officier de l’état-major du comte d’Espence, et dont la demeure se situait dans la Breite Strasse, au-dessus des écuries électorales. Et aussi spacieux que l’on puisse imaginer ces appartements, ils ne devaient guère pouvoir contenir plus de cent personnes.

 

De toute façon il s’agit d’un abri provisoire. Dès juillet 1672, les Français se voient attribuer ″une chambre″ au second étage des écuries. Ils s’installent là pour une période plus longue. Pour leur nouveau centre de réunion, ils font faire une chaire et des bancs, payés par leur propre caisse des pauvres. Les premiers enfants reçoivent le baptême ; des bans sont publiés. Après un an et demi, en janvier 1674, ils redéménagent, cette fois vers l’étage inférieur, et aménagent les locaux du baron Pöllnitz, récemment décédé, en ″salle des exercices″. C’est en ces lieux que le pasteur de cour, Bergius, célébra pour les Français, le premier dimanche de septembre 1680, la Sainte Cène ″en françois″, pour procéder ensuite, dans l’église du Dôme, en présence de la communauté réformée allemande et des ministres Schmettau et Ursinus, à la cérémonie d’ordination du nouveau pasteur Jacques Abbadie ″en allemand″. David Fornerod, le premier pasteur des huguenots berlinois, quitta la ville quelques neuf mois plus tard pour une chaire de professeur de théologie à Lausanne.

 

Entre-temps, la communauté française s’était considérablement agrandie. La salle de Staaplatz était devenue trop exiguë. Et une fois de plus ce fut le comte d’Espence qui se mit en peine de découvrir des remèdes : en accord avec le Ministre d’État Paul von Fuchs, il sollicita de l’Electeur l’utilisation pour les Français de la chapelle du château. Le dimanche 9 avril 1682 se tint en ces lieux le premier culte réformé français.

 

Les Français possèdent donc enfin une véritable église. Mais cependant ils n’ont toujours aucune constitution ecclésiastique propre. Ils sont, après comme avant, sous la gouverne du Consistoire supérieur allemand et dépendent de ses instructions et résolutions canoniques. En novembre 1682 le pasteur Abbadie apprend officiellement par le ministre Fuchs que l’Electeur leur a permis de nommer des diacres et d’installer des représentants de la communauté (presbytère), afin de pourvoir aux moyens d’administrer correctement la caisse des pauvres et de veiller à la bonne vie et aux mœurs des Français. Cette affaire doit néanmoins être traitée discrètement, eu égard aux compétences administratives de l’Eglise réformée du Brandebourg, et il ne doit en aucun cas être officiellement question d’un consistoire français. De fait, ce titre juridique n’apparaît à cette époque dans aucun texte administratif. Abbadie et ses anciens - nommés tacitement depuis des années dans le cercle des notables de la colonie - se désignaient toujours eux-mêmes comme les ″conducteurs″ ou la ″compagnie de l’Eglise française de Berlin″. Mais il n’y eut en aucun cas à Berlin d’élection primaires, comme l’exige la Discipline ecclésiastique pour chaque fondation d’Eglise.

 

Si l’indépendance juridique et canonique de son Eglise reste strictement refusée à la communauté réformée française, l’organisation interne réalise cependant d’évidents progrès. Les premiers règlements communautaires intérieurs de mai 1684 répartissent l’ensemble des huguenots vivant à Berlin en trois districts d’inspection. A chacun de ces ″quartiers″ sont attachés deux anciens de l’Eglise, qui doivent être les responsables auxquels leurs protégés peuvent s’adresser pour tout ce qui concerne leurs soucis et inquiétudes. Tous les trois mois, ceux-ci doivent, avec un pasteur - entre-temps Gabriel d’Artis avait été ordonné second ministre -, rendre visite à toutes les familles françaises. Le 25 mai 1684, la communauté assemblée dans la chapelle du château apprend de la bouche du pasteur d’Artis :

 

Ces avertissements vous sont faits, Mes Freres, premierement en general, afin que chacun s’étudie à vivre saintement, à edifier ses prochains par sa conduite, à aimer la paix et la concorde, et à éviter toute sorte de scandale : afin aussi que les chefs de famille s’appliquent avec soin à y entretenir un bon ordre, et à instruire et bien élever leurs enfants, ou ceux qui se trouveront sous leur direction ; C’est là le principal but des visites qui ont été résolues par le premier règlement.

Secondement, afin qu’on sache à qui s’adresser directement dans les occasions, où il sera nécessaire d’avoir recours aux anciens, pour l’édification, pour la paix, et pour le soulagement des particuliers ; C’est pour cela qu’on a crû qu’il était nécessaire d’assigner des quartiers aux anciens pour une plus grande commodité.

 

Troisièmement - c’est ainsi que d’Artis conclut son exhortation - on a décidé d’instaurer, en plus des cultes dominicaux habituels, des heures consacrées à l’explication de la Bible, qui débuteraient à l’avenir tous les jeudis matin, au dernier coup de cloche de l’église du Dôme. Enfin, chaque samedi précédant une célébration de la Sainte Cène, aurait lieu une méditation accompagnée d’un enseignement catéchistique pour les familles.

 

Les visites à domicile régulièrement effectuées par les pasteurs et les anciens depuis le début du mois de juin de la même année et, par ailleurs, toujours accompagnée d’une collecte, suscitèrent, malgré leurs bonnes intentions, des troubles importants au sein de la communauté et provoquèrent une vive opposition. Un bon nombre de Français installés à Berlin se sentirent espionnés, menés en laisse, étroitement limités dans la façon de conduire leur vie par ceux qui s’étaient attribué la qualité de gardien des mœurs. Et pourtant leur conduite était souvent bien légère ! Dans la colonie française régnait un va-et-vient continu, et parmi ceux qui demeuraient dans la capitale, il s’en trouvait bien quelques-uns qui avaient beaucoup à redouter d’une enquête approfondie sur leur compte. Non seulement des mendiants et des vagabonds, des domestiques déserteurs et des compagnons fainéants se mirent à fuir la vigueur menaçante des semonces morales de leurs directeurs de conscience, mais les chevaliers d’industrie et les escrocs, les tricheurs et les ivrognes, les souteneurs et les prostituées, ainsi que ceux qui vivaient dans l’adultère, n’apprécièrent que très médiocrement la vue d’un index dressé et ne supportèrent guère d’intrusion moralisante dans leur vie privée et intime. Les visites de quartiers des pasteurs et des anciens se transformèrent assez fréquemment en un véritable camouflet : plus d’une porte fut claquée au nez ; dérision et railleries furent parfois les seuls échos à leur pieuse exhortation.

 

Il fallait y mettre un frein. La conduite douteuse d’une poignée de fortes têtes menaçait de couvrir d’opprobre l’ensemble de la colonie, et faisait des Français les cibles de rumeurs fâcheuses et de propos malveillants. Tout cela met finalement en péril la position particulière, de toute façon précaire de la communauté, qui ne peut en aucun cas se prévaloir de privilèges écrits, mais dépend uniquement du bon vouloir de la cour. C’est la raison pour laquelle, le 11 août 1684, « les tres humbles, tres obeissants et tres fideles serviteurs et sujets, les Pasteurs et anciens de l’Eglise françoise » se tournent vers l’Electeur et lui font transmettre une requête par l’entremise du ministre Fuchs, dans laquelle on relève entre autres :

 

Nous prennons la hardiesse de representer tres humblement à V.A.E., que la compagnie de notre presbitere, composée de Pasteurs et d’anciens, et de Monsr Bergius qui y assiste toûjours, n’ayant êté établie que par la permission de Votre Serenité Electorale déclarée par Monsieur Foux son Ministre d’êtat, nous nous sommes toûjours tenus dans les termes d’une soûmission respectueuse pour les ordres de V.A.A., nous n’avons point pretendu regler les choses qui regardent le droit ecclesiastique comme la validité et individualité des mariages, et autres telles choses qui appartiennent au consistoire Alleman : Mais nous avons voulu nous conserver le droit qu’il a plû à V.S.E. nous donner, comme étant notre Evesque et nôtre Souverain, d’empécher les scandales, et les actions de méchant exemple par des censures publiques et particulieres. Monsr Foux nous declara lors qu’il nous obtint de V.A.E. la permission d’avoir des anciens, que lors qu’il s’agiroit de la correction des vicieux et des méchans, nous pouvions agir selon la rigueur de la discipline, et que nous serions toujours autorisez. Depuis, V.S.E. a euë la bonté de le confirmer, et de le repeter au sieur Abbadie un de nos Pasteurs.

 

Dans les derniers temps - ainsi s’exprime la requête -, il serait arrivé cependant à plusieurs reprises que les brebis galeuses du troupeau aient refusé tout bonnement de paraître devant leurs bergers spirituels. Leurs arguments - sans doute inspirés par les papistes ou autres du même genre - répétaient qu’en ces cas-là la ″compagnie″ n’était absolument pas compétente pour les citer à comparaître ou pour prononcer des ″censures″ ecclésiastiques, puisque jamais aucune élection d’anciens n’avait été faite par l’ensemble des membres de la communauté et que, dans la mesure où aucune église régulière n’existait, cette procédure était privée de tout fondement légal. De ce fait, on priait instamment l’Electeur.

 

Qu’il lui plaise réprimer une telle licence qu’on n’a jamais tolerée nulle part, en nous donnant par écrit l’ordre verbal quelle a eüe la bonté de nous donner, et faisant un commendement general à tous François reformés de venir devant notre compagnie lors qu’ils sont dûement cités.

 

La réponse de l’Electeur, donnée à Schönebeck le 11 septembre 1684, fut rédigée dans le style allemand de l’époque et se doit d’être lue de manière circonstanciée. Les Français enregistrèrent le rescrit dans les termes suivants :

 

Son Altesse Electorale de Brandebourg nôtre Souverain Seigneur ayant de sa grace accordé aux Pasteurs et au troupeau de l’Eglise françoise de Cologne et de Sprée, que selon la tres humble requéte qu’ils luy en ont faite, ils puissent, de toute l’assemblée, élire des anciens devant lesquels assistés d’un des Ministres de la cour, les affaires qui concernent ne bonne discipline soient, selon la coutume de France, evoquées et terminées ; Que donc chaque membre de cette assemblée se règle et se soumette à cette ordonnance, comparoisse devant ses Pasteurs et anciens, quand il sera cité, et obeisse selon son devoir à leurs decrets et réglemens.

Signé Frédéric Guillaume et scellé avec le grand sceau de cire rouge.

 

Il fut désormais procédé selon ces bases légales. Mais les difficultés internes, contre lesquelles la communauté eut à lutter, augmentèrent cependant. Les premières vagues de ce puissant courant de fugitifs qui, pendant l’année, allaient chercher refuge dans toute l’Europe du Nord, atteignaient déjà Berlin. Et ce furent des êtres profondément affligés qui s’assemblèrent devant la chapelle du château et implorèrent l’aide de leurs compatriotes. Les quelques biens qu’ils avaient pu conserver au début de leur fuite clandestine devant les dragons du roi de France, ils les avaient perdus en route, ou avaient dû les donner à de cupides propriétaires de navires ou à de louches passeurs, en échange de pain et d’un toit, de vêtements d’hiver et de bottes solides. Même les plus robustes d’entre eux étaient en péril, eux qui avaient réussi à survivre malgré les marches forcées, des mois durant, jusqu’en Brandebourg : les réfugiés apportaient le choléra avec eux ; la fièvre froide sévissait ; beaucoup étaient épuisés à en mourir ; les nourrissons enveloppés de hardes avaient des ventres gonflés par la faim.

 

Les Français de Berlin retroussèrent leurs manches. Plus d’un découvrit parmi les fuyards des visages familiers, des amis et de vieilles connaissances du pays natal, des parents même, auxquels aussitôt une petite place douillette était aménagée près du poêle. Quant à ceux qui avaient entrepris l’exténuant voyage vers le Brandebourg, sans adresse où aller, portés seulement par de vagues espoirs, on mit rapidement à leur disposition un lieu pour s’abriter. On leur octroya des secours sous forme de bois de chauffe, de paillasses et de couvertures ; on leur prépara du bouillon, on collecta des vêtements, on soigna les malades et on procura un nouveau foyer à des enfants sans parent.

 

Mais ce fut à la longue une lutte contre des moulins à vent. A peine l’un était-il casé que déjà le suivant frappait à la porte. Les œuvres caritatives ecclésiales ou privées, même si elles arrivaient à soulager la misère dans des cas particuliers, n’arrivaient plus à faire face à la détresse générale. Car c’étaient vraiment les plus pauvres parmi les pauvres qui s’amassaient sans discontinuer à Berlin. Leurs compatriotes mieux lotis avaient préféré un exil plus conforme à leur rang, comme la Suisse, proche mais coûteuse, la Hollande ou l’Angleterre. Mais le simple quidam émigrait vers le lointain Brandebourg. Là, le coût de la vie était encore accessible. Cela les récompensait de ce lointain voyage et opérait comme un aimant. Par ailleurs, il se transmettait de bouche à oreille parmi les réfugiés qu’il existait depuis des années déjà une église française à Berlin qui pourrait faciliter à tous le départ vers une vie nouvelle.

 

Ce départ, l’Eglise peut effectivement le leur faciliter. Elle apporte de l’aide afin qu’eux-mêmes puissent se prendre en charge par la suite : les nouveaux arrivés sont habillés et dans un premier temps l’on pourvoit à leurs besoins : on les place, on leur accorde le gîte et le couvert auprès de maîtres artisans français - tailleurs et brodeurs, ″faiseurs″ de bas et passementiers, cordonniers, chapeliers et gantiers - et l’on prend bénévolement sous protection les veuves et les orphelins, les malades et les infirmes. La caisse des pauvres de la communauté ne suffit pourtant pas, loin de là, à assurer à la longue l’entretien de chaque immigrant qui en fait la demande - ou qui même de temps à autre le réclame ou essaye de l’obtenir frauduleusement.

 

Le vendredi 25 septembre 1685, la ″Compagnie″ s’assemble pour une session extraordinaire. On y délibère sur les moyens d’agir en faveur des fugitifs qui, jour après jour, affluent à Berlin en nombre toujours croissant et qui comptent presque aveuglément qu’on les aidera bien d’une manière ou d’une autre. Le pasteur d’Artis se charge de mettre au point une requête à l’Electeur. Dès le lendemain il la confie en main propre au baron Knyphausen, futur président du ″Commissariat françois″ qui lui fait la promesse de le présenter le jour même à la cour. La requête débutait en ces termes :

 

Les conducteurs de lEglise françoise et administrateurs des deniers qui s’y recueillent pour les pauvres representent tres humblement a Vostre Ser. El. Que les persecutions qu’on fait endurer aux Reformés de leur nation en font arriuer icy un si grand nombre qu’en donnant a ceux qui se presentent ce qui leur est necessaire pour leur nourriture, pour leur logement, et bien souvent pour des habits, ils sont obligés de debourser toutes les semaines beaucoup plus qu’ils ne recoivent dans leurs boëtes, en sorte que, si ce temps dure, comme il a apparance qu’il ne durera que trop, et que l’affluence des pauvres persecutés s’augmente comme elle saugmente tous les jours ils se verront bien tost epuisés de ce quilz avoient de reserve, et hors destat de soulager beaucoup de pauvres familles ou particuliers qui ont besoin de secours qu’ils tirent d’eux. Cette necessité les oblige à penser de bonne heure aux moyens de faire vivre leurs pauvres à meilleur marché.

 

L’Eglise - ainsi d’Artis arrive-t-il de façon détournée au cœur du problème - priait l’Electeur de bien vouloir lui octroyer un bâtiment vacant, de préférence vaste, dans ou hors de la ville, afin qu’un refuge d’urgence puisse y être aménagé, avec un local pour les premiers soins de tous les exilés.

 

En fait, cette idée fit son chemin. Une telle maison, la ″Maison″ ou ″Hôtel de Refuge″, fut effectivement fondée quinze ans plus tard, en faveur des réfugiés français émigrés en Suisse. Mais pour l’heure, l’Electeur avait d’autres grands projets. Tout d’abord, il prescrivit une collecte auprès de toutes les églises aussi bien réformées que luthériennes dans l’ensemble de la marche de Brandebourg au bénéfice du denier des pauvres de la communauté française. Le conseiller de la cour et précepteur du prince Christian Louis, Claude du Bellay, d’Anché, devait veiller à ce que les sommes perçues par les trésoriers de la communauté fussent correctement gardées et, plus tard, redistribuées aux fugitifs selon les indications de l’Electeur. Pour les besoins immédiats des réfugiés, une collecte de porte à porte fut prévue dans Berlin. Le double décret du 1er octobre 1685 ordonna la création d’un registre des collectes dans lequel les noms des donateurs et le montant de leurs versements devaient être consignés. En conséquence, la communauté fut tenue de produire dès lors un registre exact des dépenses, dans lequel toutes les participations de soutien, tant en argent qu’en nature, devraient être notées.

 

Tels étaient les ordres directs de l’Electeur. La misère des huguenots en France lui était évidemment tout aussi connue que leurs besoins d’aide dans ses propres territoires. Et il lui apparaissait clairement que ce problème ne pouvait être maîtrisé par la seule voie caritative, mais les intégrer dans l’économie locale. Cet ″Edit de Sa Sérénité Electorale contenant les droits, franchises & privilèges accordés aux François de la Religion Reformée qui s’établissent dans ses Etats″, signé à Potsdam le 29 octobre 1685, coïncide, à quelques jours près, avec l’annonce de l’Edit de Fontainebleau par lequel Louis XIV révoque sans contrepartie l’Edit de Nantes de 1598 et interdit définitivement l’exercice du culte réformé sur ses territoires.

 

Si la communauté réformée française de Berlin avait espéré que l’Electeur lui reconnaîtrait enfin par l’Edit de Potsdam sa propre organisation et lui conférait le statut juridique d’une Eglise indépendante du Consistoire supérieur allemand, elle en fut pour ses frais. L’article 11 - seul paragraphe de politique ecclésiale parmi les quatorze prescriptions incluses dans cette ordonnance - précise uniquement :

 

Nous entretiendrons un Ministre dans chaque Ville & ferons assigner un lieu propre pour y faire l’exercice de la Religion en françois selon les coutumes, & avec les mesmes ceremonies qui se sont pratiquées jusques à present parmi eux en France.

 

On voudrait ajouter : et comme elles se sont pratiquées dans l’Eglise huguenote de Berlin depuis treize ans, car l’Edit de Potsdam ne fait que confirmer un droit coutumier local qui avait conféré aux Français, en 1672, l’autorisation d’exercer leur culte en leur propre langue et selon la liturgie réformée. Mais il passe sous silence - et manifeste ainsi un recul par rapport à la pratique antérieure - le décret fondamental promulgué au mois de septembre précédent en faveur de l’Eglise de Berlin et relatif à l’élection des anciens, à la compétence du consistoire et au devoir d’obéissance des membres de la communauté. La question de savoir si ce règlement local pourrait être généralisé à l’ensemble des Eglises françaises nouvellement créées dans la zone d’application de l’Edit restait donc par la force des choses en suspens.

 

Les réfugiés arrivés en masse dans ce pays avaient assurément d’autres préoccupations que de se tracasser avec ce genre de subtilités juridiques. Ils placèrent davantage leur confiance en l’esprit qu’en la lettre de l’Edit de Potsdam ; ils n’apprirent d’ailleurs à le connaître que par l’intermédiaire d’une traduction. Dans les pays de l’Electeur, dans les villes et les villages de la basse Rhénanie jusqu’en Poméranie et en Prusse en passant par les marches du Brandebourg, ils commencèrent à fonder leurs propres Eglises et à se fixer dans les lieux qui leur avaient été assignés. Une communauté réformée française se forma déjà à Clèves en décembre 1685 pour célébrer son premier office divin. L’année suivante ce fut le tour d’Emmerich et Wesel, Magdebourg et Halle, Francfort-sur-l’Oder, la ville de Brandebourg, Köpenick, Ziethen et Schwedt, Rheinsberg, Kagar, Vierraden et, finalement, Königsberg en Prusse. En 1687, c’est le tour des colonies et églises de Burg, Gramzow, Potzlow et Prenzlau, Bergholz et Angermünde dans l’Uckermark, de même que Stargard en Poméranie Ultérieure.

 

Toutes ces communautés règlent leurs affaires spirituelles et séculières sous leur propre responsabilité. Il existe sans doute entre elles un échange de correspondance très actif et des voyages fréquents, ne serait-ce qu’en raison de l’intérêt que présente la réunion des familles. Il n’y a cependant guère de relations sur un plan institutionnel. Il manque aux églises françaises nouvellement fondées une organisation spécifique. Personne ne savait si elles pourraient un jour s’unir dans le cadre de districts ecclésiastiques régionaux (colloques) ni s’il leur serait permis d’adopter, pour l’ensemble du territoire, la constitution synodale calviniste observée en France jusqu’alors.

 

Dans ce domaine, il n’y avait plus rien à espérer de Frédéric Guillaume, glorifié comme « Grand Electeur » à titre posthume. Il mourut le 29 avril 1688 et laissa à son successeur et fils Frédéric, issu d’un premier mariage et âgé de 30 ans, tout un ensemble de problèmes de politique intérieure non résolus. La condition juridique de l’Eglise réformée française en Brandebourg-Prusse ne fut que l’un de ceux-ci.

 

Mais elle était de ceux qui se laissent assez facilement régler d’un simple trait de plume. Dès les premiers mois de son règne, l’électeur Frédéric III ordonna aux réformés de ne plus l’importuner à l’avenir avec leurs controverses et sollicitations, mais de s’adresser directement pour toutes ces questions au conseiller privé et grand maréchal Joachim Ernst von Grumbkow ou à son ambassadeur, récemment rappelé de Paris, Ezechiel von Spanheim. Pourtant, même ces deux directeurs des établissements français - en service depuis mai 1689 et assignés aux Français comme ″chef de la nation″ - se virent confrontés à des problèmes techniques d’administration, qu’ils ne purent surmonter de leur propre autorité. Un conflit au sujet de bancs d’église à Magdebourg, en soi peu significatif, mais qui entraîna néanmoins une querelle tenace et menaça de diviser en deux camps hostiles les membres de la communauté locale déclencha finalement une réorganisation fondamentale des ″affaires françoises″. A l’occasion de l’évocation de cette affaire, Frédéric III exposa le 7 décembre 1689 dans une déclaration additive à l’article 11 de l’Edit de Potsdam que :

 

pour maintenir L’uniformité d’ordre entre les Ministres & dans l’administration des affaires ecclesiastiques des François Š... on gardera non seulement dans la ditte Eglise de Berlin, mais aussy dans touttes les autres Eglises françoises, qui sont dans ses Estats, le mesme ordre qu’en france Š... & que la Discipline Ecclesiastique sera observée & reglée au nom de Sa Serenité Electorale, selon l’usage, qui s’observoit dans les Eglises Reformées de France.

 

Par cette ″Déclaration de Sa Sérénité Electorale de Brandebourg au sujet du Gouvernement des Eglises françoises recueillies dans ses Etats″, la ″Discipline ecclésiastique des Eglises réformées de France″, dans la version reconnue au synode de Saumur en 1666, fut introduite comme ″loi-cadre″, en même temps que la ″confession de foi″ de 1559 qui lui est indissolublement liée ; elles devaient réglementer l’organisation intérieure de toutes les Eglises françaises existant en Brandebourg-Prusse.

 

En qualité de ″loi cadre″ - mais non en tant que loi d’État, valable pour l’ensemble de ses articles. Car l’Electeur se prévalait sans aucune ambiguïté de ses droits seigneuriaux, ce faisant, les larges dispositions contenues au sein de la discipline ecclésiastique française :

 

Reservant neant moins sa ditte Altesse Electorale la punition des Excés enormes aux Magistrats seculiers, comme aussy les cas, qui selon la disposition de son Altesse Electorale dependent purement & absolument d’Elle.

 

Les consistoires français - la notion émergeait ici pour la première fois dans un texte officiel - devaient par ailleurs être renvoyés à une autorité administrative encore à créer, en ce qui concernait la clarification des questions litigieuses qui pourraient se poser lors de l’application de la Discipline. La ″Commission ecclésiastique″, mise en place en mai 1694, après des années de conflits de compétences, fut chargée, en plus de l’inspection de toutes les colonies françaises, des visites de chaque communauté. Les quatre membres de la commission furent incapables à la longue de faire face aux charges sans cesse grandissantes. Le baron Spanheim et le conseiller du consistoire allemand réformé Neuhausen, ainsi que les pasteurs berlinois François Bancelin et François de Gaultier croulèrent bientôt sous des montagnes de dossiers poussiéreux et certains cas épineux traînèrent tellement en longueur, qu’au bout de quelques sessions on ne sut plus comment s’en sortir.

 

Frédéric - couronné entre-temps roi de Prusse sous le nom de Frédéric Ier - les fit assister par ses juristes de cour. Le 26 juillet 1701, il signa l’″ordonnance du Roy qui etablit la Commission Ecclésiastique françoise sur le pied du Consistoire Royal allemand″. Dans le même temps, l’autorité changea de nom. Elle fut confirmée en qualité de ″Consistoire français supérieur″. Sa Majesté précisait :

 

Que ci apres Š... la dite Commission soit le supreme Tribunal Ecclesiastique et Consistorial establi sur les Colonies Françoises, de sorte que quand les Parties ou seulement le Defendeur ou la Defenderesse seront membres des Colonies Françoises, la dite Commission soit à leur égard considérée comme son Consistoire Allemand ; qu’ainsi toutes les causes ecclesiastiques et consistoriales excepté seulement les contestations sur la Religion & les matieres du foi, dont sa Majesté se reserve seule la connoissance, y soient portées, examinées & pleinement decidées, sans qu’il puisse en etre appellé à aucun Tribunal, & que nul appel n’en puisse être admis, à moins que dans les causes difficiles & douteuses, sa Majesté ne l’ordonne specialement.

 

En d’autres termes : l’ancienne commission ecclésiastique était dorénavant, en tant que consistoire supérieur, élevée au rang d’administration judiciaire royale : en dernière instance, elle devenait compétente pour tous les différends juridiques de nature ecclésiastique, dans la mesure où ils se produisaient parmi les membres ou entre les consistoires inférieurs de la colonie française ou bien encore quand ils les concernaient directement ou indirectement en tant que partie plaignante.

 

Toutes sortes de questions de religion ou de foi ne relevaient pas de la compétence de cette juridiction, mais du roi ; il se réservait également la législation ecclésiastique supérieure qui devait toujours être harmonisée avec la discipline ecclésiastique française introduite depuis 1689. Mais, là encore, le souverain ne manqua pas, comme on l’a vu, de confirmer par écrit sa réserve épiscopale.

 

Le roi était alors, d’après cette constitution ecclésiastique (elle se maintint jusqu’en 1809 sans grandes modifications), le Summus Episcopus, l’autorité suprême de toutes les églises réformées françaises de ses Etats. L’organisation synodale, qui s’était développée autrefois en France sous l’influence de la doctrine calviniste, ayant été au moins formellement respectée par les autorités souveraines de ce pays jusqu’à la révocation de l’Edit de Nantes, avait permis à l’Eglise réformée de connaître, un temps donné, une autonomie quasi sans limites ; mais cette organisation ne fut jamais introduite en Prusse. L’administration des églises du royaume dépend beaucoup plus du Consistoire supérieur de Berlin qui - autant qu’on puisse en comparer la structure à celle du synode national français - surveille les inspections ecclésiastiques installées depuis 1737 et contrôle les différents consistoires locaux, ainsi que, d’autre part, leurs filiales assujetties à des règlements particuliers.

 

De même qu’au cours des générations les Français immigrés dans les Etats de l’Electeur se sont adaptés à leur nouvel environnement, ont changé de langue et de manières, de mœurs et d’habitudes, de même le visage de leur Eglise s’est transformé. A l’origine, Eglise des exilés français de Berlin, elle a vécu sa plus rude épreuve comme Eglise des réfugiés brandebourgeois. En tant qu’Eglise du Refuge prusso-brandebourgeois, elle est devenue le point de mire de la vie huguenote et, finalement, Eglise d’État prussienne de confession réformée française, elle a été le centre spirituel du retour aux valeurs réformées fondamentales et à l’authenticité de traditions huguenote.

 

Ces Eglises, que les réformés français avaient dû laisser en ruines derrière eux dans leur patrie perdue, ne pourront cependant jamais être réédifiées, telles qu’elles étaient, dans la diaspora.1

 

 

La colonie française de Berlin2

 

 

La communauté française de Berlin possédait un orphelinat mais elle manquait de moyens pour aider les enfants dont les parents n'étaient pas aptes à les élever. La misère à Berlin, au début du règne de Frédéric II, du fait de la guerre, était grande, spécialement à Friedrichstadt. C'est donc à ce moment, sur l'initiative du pasteur d'Asnières, qu'une école de charité a été fondée. Elle ne devait pas seulement donner une instruction élémentaire, mais présenter pour les plus nécessiteux un lien d'éducation.

 

Retour de la direction de l’école de la charité après l’incendie qui venait de la détruire

 

 

Le marché des Gendarmes, la maison française de la Comédie et l’église du Dôme

(aujourd’hui la cathédrale française de Berlin).

Huile de Carl-Traugott Fechkelm 1788.

 

 

La rue Française à Berlin et la maison des veuves des prédicateurs.

Lavis de Leopold Ludwig Müller 1820.

 

 

L’hôpital français, situé avenue Friedrich à Berlin, a été logé de 1733 à 1878 dans les bâtiments ci-dessus.

Dessin aquarellé de Muret 1884.

 

 

Le nouvel hôpital français de Berlin, réalisé en 1877/78 d’après les plans de G.A. Gaillard.

Dessin aquarellé de Muret 1882.

 

Cette école, financée par souscription et par les collectes d'église, ne comptait que douze enfants lors de son ouverture, alors qu'une école normalement constituée pouvait en accueillir une centaine. Elle se montrait cependant, grâce à sa direction et au soutien de la commune, viable et recevait l'appui du roi. Le développement de la colonie française justifiera par la suite la transformation de cette petite école en collège, le ″Collège royal françois″, aujourd’hui le ″Französisches Gymnasium″, sur lequel nous allons revenir.

 

D'Asnières, qui méritait l'admiration et la confiance de toute la communauté, comme fondateur de l'Ecole de la Charité, suggéra la création d'un séminaire pour combler le manque de pasteurs français, et il le mis également sous la direction du pasteur Erman. Cet établissement ouvrit ses portes en 1770 avec trois élèves.

 

Les candidats qui recevront leur enseignement au séminaire, et qui resteront à Berlin, auront le devoir de remplacer les pasteurs malades pour les prédications, mais aussi ils devront se montrer charitables en apportant leur aide pour les répétitions, l'enseignement du catéchisme et la préparation de la confirmation. Ceux qui se mettront, bénévolement et avec ferveur, à la disposition de l’église pourront recevoir plus facilement une bourse d'études.

 

Il est souhaitable que ceux des anciens séminaristes qui recevront une nomination en province reviennent de temps en temps à Berlin pour prêcher dans une paroisse française et puissent aussi, le cas échéant, remplacer des pasteurs se trouvant en vacances.

 

Dans la liste des élèves séminaristes, nous relevons, Jean-Charles-Henri Fort, entré le 18 avril 1782. C’est le fils de notre ancêtre le pasteur Daniel Fort. C’est un frère de Marianne Auschitzky.

 

En 1779, on y adjoignit une école de formation des professeurs et de chantres, appelée "La Pépinière", qui recevait un versement annuel du roi. Le gymnase français recevait, par l'appui du roi et l'effort de son directeur, une nouvelle organisation. Le roi donnait des subventions et augmentait les gains des professeurs. On pouvait donc élargir le plan d'études

 

Quelques autres bâtiments indispensables furent construits grâce à cet appui. Mais le souverain fit édifier une tour, dans l'enceinte, à côté de l'église de Friedrichstadt. En compensation, la communauté reçut, en 1780, un autre emplacement, porte d'Asnierburg. La boulangerie y sera installée, ainsi que le consistoire. D'autres locaux devaient être aménagés à cause de la transformation de Friedrichstadt et la construction de plusieurs autres tours. A cette occasion, on haussa l'orphelinat d'un étage et sa façade fut décorée avec goût.

 

A travers toutes ces années s'épanouissait le charisme de la communauté qui donna lieu à plusieurs autres fondations

 

En première ligne, il y eut la fondation de la ″Société des bois à livrer″. Trouvant qu'il fallait non seulement soutenir les vieux, les malades, les orphelins et les enfants nécessiteux, mais aussi ceux qui étaient à la limite de la pauvreté, si on ne leur venait en aide en distribuant du matériel de combustion. Cette Société des bois fut approuvée par le roi en 1776. Les fondateurs donnaient 110 thaler et recevaient par souscription 408 thaler. 133 familles, et d'autres personnes (dont 25 qui n'appartenaient pas à la commune) reçurent ainsi l'aide de la société.

 

Durant l'hiver 1777/78, elle put distribuer pour 878 thaler de bois. D'abord pour la communauté, bien sur, mais aussi pour des femmes qui, par mariage avec un Allemand étaient sorties de la communauté. Ceux qui souscrivaient en payant 15 mark par an, pouvaient obtenir le droit de proposer une personne ou une famille pour recevoir 1/8ème de tas de bois. La société était au début une société sans capital et sans profit. Mais cela changea par le fait que le roi fit don de 6 000 thaler avec obligation d'utiliser les intérêts pour acheter le bois.

 

Puis une ″boulangerie″ qui fabriqua et livra gratuitement ses produits aux malades, aux infirmes et aux nécessiteux. D'où, peut-être, l'explication de la fonction de "porteur de pain" de Jacques Fort.

 

En 1874, le séminaire français s'installe dans le nouveau bâtiment consistorial, 9 Adlerstadt. L'Institut possède alors un capital de 23 100 mark et reçoit, en dehors de quelques versements des communes de province, 300 mark du gouvernement et 600 mark du dépôt pour les bourses.

 

 

Französisches Gymnasium Berlin

 

 

Berlin était devenu, dans les dix années suivant l’Edit de Postdam, le pôle d’attraction principal des émigrants français, originaires principalement des villages du sud de la France. La colonie française de Berlin avait rapidement pris de l’ampleur et était bientôt devenue une communauté indépendante possédant son administration en propre. L’école de la Charité évolua et dès avril 1687 on posa les premiers jalons pour la construction d’un collège de langue française. Ce projet attira un nombre croissant d’érudits français dans la capitale brandebourgeoise, si bien que celle-ci, dès les années 1690, devint un centre d’intellectuels issus de facultés différentes et nombreuses.

 

C’est l’une des fondations qui a le plus efficacement contribué à donner de la solidité à tous les arrangements destinés à soutenir la colonie française. Il fut formé sur le modèle des collèges de France. Les patentes de sa fondation sont du 1er décembre 1689 et les statuts qui en déterminent la constitution du 14 mai 1703.

 

En raison de sa structure, organisée selon le principe des chaires (Philosophie, Rhétorique, Humanités et Histoire classique), le ″collège royal françois″ devint un établissement de type plus universitaire que  scolaire et se distinguait en cela des deux autres lycées de Berlin.

 

L’institution en 1754 d’un ministre catéchiste paraissait nécessaire. Celui-ci devait transmettre l’instruction religieuse aux élèves du collège françois et de l’orphelinat, et célébrer l’office une fois par semaine, pour les catéchumènes. Ce poste exista jusqu’en 1839. Daniel Fort remplira cette fonction de 1755 à 1759 avant d’être nommé à Königsberg.

 

La nécessité de maintenir le français comme langue d’enseignement et de communication au collège françois se confirma lorsque, pour la seconde fois, du fait de la Révolution Française et des guerres napoléoniennes, des Français obligés de quitter leur pays, cherchèrent refuge à Berlin. Leurs enfants y trouvèrent la possibilité de continuer et de terminer leur scolarité interrompue par la fuite en exil. Ce lycée français fonctionnera sans discontinuité jusqu'à nos jours. Il est aujourd'hui le plus ancien établissement d'éducation de la ville et vient de fêter avec éclat son trois centième anniversaire.

 

A cette occasion un important volume de 663 pages, écrit par Christian Velder, "300 Jahre Französisches Gymnasium Berlin" a été édité en 19893.

 

 

Berlin

 

 

Berlin se trouve au centre du Brandebourg, au nœud d'un réseau de voies navigables (rivières et canaux) qui en font un port fluvial de premier ordre sur la route commerciale de Leipzig à Stettin, et de Hambourg à Breslau. C'est aussi un nœud très important de voies ferrées vers les ports de la mer du Nord et de la Baltique du nord, ainsi que vers le Danube, au sud. Une étape sur la route de l'Europe orientale en direction de Varsovie, de RÌga et de Petrograd. Berlin est devenue la capitale de la monarchie des souverains prussiens puis de l'Empire allemand.

 

Frédéric-Guillaume y installa, en 1658, un gouverneur militaire qui, en tant que représentant suprême du Prince Electeur, était investi de fonctions dans la gestion municipale, à côté de son rôle policier. Frédéric stimula l'activité de construction à Berlin et à Cöllin par une nouvelle réglementation des réductions d'impôts, et fonda même, pour ses officiers, deux nouvelles villes indépendantes au sud-est de Berlin : Friedrichswerder et Dorotheenstradt. A cause de ces travaux coûteux, il dût instaurer, en 1667, un impôt général sur la consommation, l'octroi. L'économie prospérait dans ces villes, les premières manufactures selon le modèle français apparurent, l'artisanat étant de plus en plus spécialisé.

 

En 1669, un nouveau canal fut construit pour relier la Spree et l'Oder à la mer Baltique. La circulation des marchandises entre les villes côtières et la riche Silésie pouvait désormais passer par Berlin.

 

Le Grand Electeur, grâce à son adroite politique de l'immigration, sut donner une nouvelle impulsion à l'économie. A partir de 1671, il invita de riches familles juives de Vienne (qui ne pouvaient exercer leur religion à Berlin que sous certaines conditions) et à la suite de l'édit de Postdam, en 1685, principalement des Huguenots. Vingt mille de ces protestants français avaient fui leur pays catholique vers le Brandebourg et six mille s'installèrent à Berlin, surtout dans les deux nouvelles villes. Les Huguenots formaient une société indépendante. Pourtant leur culture, leur langue et leur talent artisanal eurent une grande influence à Berlin. Leurs traces subsistent encore aujourd'hui avec la cathédrale française et le lycée français.

 

Frédéric encouragea aussi les arts et les sciences : sa collection de tableaux a été la base des futurs musées berlinois : il érigea la première bibliothèque publique qui, déjà en 1686, contenait vingt mille ouvrages. Quand il mourut, en 1688, il laissa derrière lui quatre villes prospères au bord de la Spree, parmi lesquelles Berlin qui, à elle seule, comptait déjà vingt mille habitants.

 

Par sa politique, Frédéric-Guillaume avait engagé Berlin sur la voie de future capitale. Son successeur, Frédéric III, poursuivit la même politique.

 

En 1709, après être monté sur le trône de Prusse sous le nom de Frédéric Ier, ce dernier réunit les quatre villes, Berlin, Cölln, Friedrischwerder et Dorotheenstadt, en une seule commune. Il s'employa à restreindre les anciens privilèges en donnant à cette ville unique une nouvelle constitution. Il la fit restaurer par les architectes les plus éminents de son époque qui lui donnèrent une nouvelle empreinte baroque. La vie culturelle aussi se transforma, plus digne d'une capitale.

 

A sa mort, en 1713, Frédéric laisse derrière lui une ville peuplée de 60 000 habitants, en pleine expansion, avec des bâtiments prestigieux, imités souvent (mais de façon peu heureuse) des édifices français.

 

En 1786 Berlin compte 150 000 habitants. C’est une ville de population foncièrement protestante, où catholiques et surtout juifs ne constituent qu'une infime minorité relative.

 

Les Fort ont longtemps résidé à Berlin et s'intégrèrent à la colonie française. Beaucoup y sont nés, s’y sont mariés ou y sont morts, comme nous l’avions vu dans un chapitre précédent.

 

 



1 - Eckart Birnstiel, Commission historique de Berlin.République Fédérale d’Allemagne.

2 - Ce texte, comme celui qui suivra, consacré à la colonie française de Königsberg, est extrait de "Geschichte der Franzöhlchen Kolonie in Brandenburg-Preuhen", du Dr Edouard Muret, professeur à la Luisenschule à Berlin. Ouvrage rédigé à l'occasion du deuxième centenaire de la Colonie Française (29 octobre 1885), à la demande du consistorium de l'Eglise française à Berlin, avec le concours d'un comité spécialement constitué et se basant sur les sources officielles. Il nous a été communiqué par le Dr. Jürgen Voss du Deutsches Historisches Institut. Il a été traduit par Christa Le Tanneur.

3 - Cet ouvrage peut être consulté dans la bibliothèque du Deutsches Historisches Institut (cote DN 1129), Hôtel Duret de Chevry, 8 rue du Parc-Royal à Paris.

 

<p></p>