Alliances Flinoy

 

 

 

LE CHÂTEAU DE PARDAILLAN

 

 

 

 

On ne saurait parler de la terre de Pardaillan sans évoquer sa dimension culturelle, car cette terre outre ses vertus géologiques à une âme ! Elle est riche d’un immense passé humain que nous évoquerons ici pour comprendre Pardaillan.

 

Dire que Pardaillan fût le berceau de l’humanité serait sans doute excessif, mais la présence de l’homme à l’endroit qui allait devenir Pardaillan remonte à la préhistoire. Pour preuve, les nombreux bifaces, grattoirs, pierres taillées du Paléolithique, et haches polies du néolithique, trouvés avec émotion dans les labours des vignes, et qui permettent de penser, que dès l’origine, l’homme trouva les éléments et les conditions nécessaires à sa survie, sur la terre de Pardaillan.

 

Quelques années plus tard, les lointains descendants des hommes préhistoriques, décidèrent que le difficile et coûteux travail préparatoire à l’établissement d’un vignoble de qualité, valait la peine d’être entrepris dans une région bordée et bercée par de grands fleuves (Garonne et Dordogne) propices à la navigation et au commerce. C’est ainsi que l’on trouve trace dans la littérature gréco-romaine des vignobles de la rive droite, qui furent les tout premiers et dont la réputation ne cessera de grandir.

 

Si la présence de la vigne dans la région de Pardaillan ne fait aucun doute à l’époque Romaine, ce n’est qu’au XIIe siècle que l’on trouve les premiers écrits concernant directement Pardaillan qui s’appelait alors Château de Neyrac.

 

En 1475 la "Terre de Pardaillan" passe aux mains de Grimon de Gassies jurat de Bordeaux en 1483-1486-1498. Sa petite fille, Marie de Gassies, dame de la maison noble de Pardaillan épouse le 28 juillet 1568 Geoffroy d’Aulède, écuyer, Seigneur du Cros et de Castelmoron et de Jeanne de Millac. C’est ainsi que la maison noble de Pardaillan, entre par contrat de mariage dans la puissante famille des d’Aulède décrite comme l’une des plus anciennes et des plus importantes de la Guyenne, tant par ses alliances que par ses possessions. Ecoutons Guillaume duc d’Aquitaine qui dans une lettre de 1027 nous dit :

 

« Qu’Alexandre d’Aulède son chevalier et grand écuyer l’a sauvé des embûches normandes au péril de sa vie, que les d’Aulède étaient des gens illustres et belliqueux, originaires de la Grèce d’où ils étaient venus par la grande mer se fixer en Aquitaine depuis l’an 800 et qu’ils portaient sur leur bouclier un écu dans lequel était un Lion Couronné ».

 

De naissance en naissance, Pardaillan reste entre les mains des d’Aulède, jusqu’à la Révolution. Pendant ce temps, et de mariage en mariage, Pardaillan "s’étoffe" et participe modestement à l’histoire. C’est d’abord la rencontre avec Sainte Jeanne de Lestonnac. En effet, Geoffroy d’Aulède veuf se remarie le 13 janvier 1585 avec Jacquette de Lestonnac, nièce de Montaigne et sœur de Jeanne connue sous le nom de "Vénérable Mère de Lestonnac", Marquise de Montferrand de Landiras. Veuve, elle fonde à Bordeaux en 1608 l’ordre des religieuses Filles de Notre Dame qui existe toujours. En 1826 le Pape Léon XII prononcera sa béatification.

 

La plaque portant son nom que l’on trouve sur la tour Sud-ouest du château permet de supposer que Sainte Jeanne rendit visite à sa sœur et que Pardaillan lui fut un lieu de repos, où elle aimait avec son oncle Montaigne disserter philosophie, religion ou poésie.

 

Mais Pardaillan n’était pas seulement une demeure familiale ouverte et paisible, c’était aussi une maison sûre et prospère où l’on cultivait toujours la vigne.

 

 

 

 

On comprend mieux ce que fut Pardaillan dans une description datée de 1690 où Pierre d’Aulède déclare posséder :

 

« La maison noble et repair de Pardaillan, anciennement appelée de Neyrac, vieille maison bastie de …. ses tours, pavillons girouettes, guérites, basse cour, portal, fossés, pont-levis, …. colombier, granges, chais, écuries, jardins, verger, eysines, forêt, garennes, pesquey, terres labourables et non labourables, vignes, près, pasturages, padensages et autres légitimes possessions situées dans la paroisse de lugon… »

 

Un autre document témoigne, pour la dernière fois, de la fortune des d’Aulède : c’est celui de l’inventaire des biens familiaux de la famille d’Aulède mis sous séquestre à la Révolution :

 

« Car, Blaye, St Androny, St Genès de Fours, Périssac, Lugon (147 journaux estimation 121 800 livres dont 6 000 livres de mobiliers), Villegouge, St Romain, Castillon, Belvès, Bordeaux, estimation d’ensemble : plus de 500 000 livres ».

 

Ainsi Pardaillan était encore à la fin de l’ancien régime une propriété viticole qui constituait le fleuron d’une famille noble, brillante et socialement dominante. Mais les temps changent… l’hiver 1789 a été rude, le pain manque dans le royaume, la révolte gronde et éclate le 14 juillet 1789. Pardaillan et les d’Aulède allaient eux-aussi entrer dans la tourmente d’une façon dramatique.

 

Revenons aux faits : après la nuit du 4 août qui avait mis fin aux droits seigneuriaux, le décret du 23 juin 1790 prononce l’abolition de la noblesse en tant qu’ordre. Désormais la survie de la noblesse ne peut devenir que problématique dans une révolution dont l’un des moteurs est d’être antinobiliaire. Voici en témoignage un récit que l’on trouve dans les notes de Léo Drouin :

 

« Dans des visites domiciliaires dans le bourg de Lugon on tenait des propos menaçants contre les d’Aulède habitant le Château de Pardaillan, à la suite de ces propos on brûla les deux bancs que les seigneurs d’Aulède avaient dans l’église de Lugon. On les mis eux-mêmes à la porte en les menaçant de faire brûler le château, comme on avait brûlé les bancs, ce qui les obligea d’abandonner la campagne et d’aller à Bordeaux. Qu’à peine, ils étaient éloignés qu’on se transporte à mains armées à leur domicile, qu’on défonce les portes et qu’on y établit les quartiers. Le sieur d’Aulède jeune voulut reprendre domicile, mais il fut obligé de l’abandonner à cause des tracasseries qu’on lui suscita. »

 

Voici un placard qui avait été alors affiché :

 

 

BONS CITOYENS

 

Soyez unis ensemble, les bancs de Pardaillan sont réduits en cendre, malheur aux aristocrates, bien connus on pourrait, subir le même sort qu’eux.

 

 

Les pressions physiques et morales s’intensifiant, l’insécurité était telle qu’après avoir quitté Pardaillan pour Bordeaux, Gabriel Louis Frédéric d’Aulède de Pardaillan, Chevalier de Malte, et sa femme Marie d’Aulède du Pizou décidèrent de quitter la France et d’émigrer à Coblentz en 1791, pour rejoindre le Comte d’Artois. Apprenant là-bas la mise sous séquestre de ses biens, il rentre à Bordeaux, mais ne peut empêcher la perte de ses biens. La violence antinobiliaire s’accroissant encore, il passe avec toute sa famille en Espagne pour servir dans la Légion du Marquis de St Simon, corps dont la formation ne s’effectue pas. Le témoignage de Marie d’Aulède sur les conditions de vie en exil à cette époque est particulièrement poignant :

 

« Par suite de malheurs nous avons été en butte aux angoisses les plus cuisantes, les plus contagieuses, où la détresse où nous nous trouvons nous a causé des maladies presque continuelles et m’a en peu de temps enlevé 6 enfants en bas âge, une sœur qui m’était chère et une femme de chambre ».

 

Pardaillan est alors vendu comme bien national le 16 messidor an II (4 juin 1794). Les bâtiments et 34 journaux de terres estimés 34 700 livres sont adjugés 45 000 livres à Auguste Decazes, jeune agriculteur et sans doute ancien fermier de Pardaillan. Il passe ensuite aux mains des Lacaze par contrat de mariage le 3 mars 1802, entre M. François Vincent Lacaze et Mme Catherine Decazes, fille de Pierre François, Président du Tribunal de 1ère Instance de Libourne.

 

En 1862, M. Pierre François Eugène Lacaze devient propriétaire à la suite d’une donation effectuée par Mme Marie Catherine Decazes, veuve. C’est à cette époque qu’Eugène Lacaze décide d’entreprendre les grands travaux :

 

·        Suppression de la cour fermée et des communs,

·        Démolition de la tour d’escalier,

·        Transformation de la plupart des ouvertures,

·        Adjonction des deux corps de bâtiments,

·        Nouveaux aménagements intérieurs.

 

Heureusement, la forme des toits, les rampants décorés et quelques ouvertures gardent encore les caractères du XVIe siècle.

 

Le 8 janvier 1889, Pierre François Eugène Lacaze, Conseiller Honoraire à la Cour de Bordeaux décède à Pardaillan, laissant pour héritiers : M. Albert Lacaze, une fille religieuse et trois petites-filles héritières par représentation de leur père décédé, M. Ernest Lacaze.

 

Et c’est donc le 4 octobre 1909 que mon grand-père et ma grand-mère achètent Pardaillan aux héritiers de M. Albert Lacaze et malgré une dernière modification architecturale de mon grand-père qui, en bon breton et à la mode de l’époque, remplaça les tuiles par des ardoises. Pardaillan garde toujours son caractère noble et accueillant et surtout sa vocation viticole que les Roquefeuil s’emploient depuis trois générations à perpétuer le mieux possible.

 

© Thierry de Roquefeuil