LE CHÂTEAU FERRIÈRE A MARGAUX
Le premier propriétaire fut Gabriel Ferrière (1721-1792), célibataire, né à Saint-Antoine-du-Breuilh, fils de Jean (aîné) 1694-1748, et de Jeanne Faure. Il vint s’installer à Bordeaux et fut courtier maritime avec son oncle Jean (junior) 1704-1779. On ne parle pas à cette époque du château mais du « Cru Ferrière ». Pour une grande famille, il était de bon goût d’avoir un vignoble. Gabriel a-t-il acheté une vigne ou l’a-t-il plantée ? Je pense qu’il acheta de nombreuses parcelles déjà plantées, disséminées sur plusieurs communes.
Il s’agit d’une simple maison bourgeoise, probablement bâtie sur les fondations d’une maison plus ancienne et successivement agrandie.
Gabriel vend la propriété le 26 juin 1777 à son cousin germain Gabriel 1747-1828, lequel achète à M. de Bouscaud de Bousquet, le 19 septembre 1784, d’autres terres, ainsi qu’à Jean-François Moulinié, 14 rue Sainte-Croix, le 15 Brumaire an IV, à Mme Apolline Chantal marquise d’Alesme, le 15 Messidor an VII, à Halvor Sollberg (propriétaire du « Marquis de Terme »), le 8 août 1811. Le domaine prend de l’ampleur mais reste toujours très morcelé.
Le 24 juillet 1823, Gabriel vend le château à son fils Jean (1774-1841) pour la somme de 60.000 fr. Jean continue de l’agrandir par plusieurs acquisitions : le 19 novembre 1825, à Paul Guerye Conquère de Maubrison, pour fr. 10.982,50. Le 17 décembre 1825, à Guillaume Laurent. Il fait aussi des échanges de terres pour remembrement avec Jean-Baptiste, comte Saint Exupéry, le 9 décembre 1832.
A la mort de Jean, la propriété est vendue au tribunal, le 27 avril 1841, pour cause d’indivision et héritiers mineurs. Elle est rachetée par sa veuve, née Marie Commet, pour la somme de fr. 41.000.
Elle meurt le 24 janvier 1857. Elle a trois héritiers : Gabriel, Michel et Rosa. Ils habitent tous 5, rue Duplessis à Bordeaux.
Michel reste seul propriétaire du domaine et échange certaines parcelles, notamment la pièce de Cenot. Il meurt à Margaux le 7 août 1884, laissant pour héritiers, son frère Gabriel et sa sœur Rosa, veuve de Jacques Castaing, propriétaire du château Chasse-Speen, au Grand-Poujeaux, commune de Moulis.
Afin de rester seul propriétaire, Gabriel 1818-1895, verse à sa sœur Rosa, la somme de fr. 59.053,32. Pour réunir cette somme, il vend une pièce de 30.000 pieds de vignes dite des « Fonds du Marin », à la comtesse de Robien demeurant à Nevers.
Cette pièce représentait le tiers de la superficie de son domaine qui comprenait alors 90.000 pieds, plus les palus de Monadey à Soussans, et de la Mariotte à Margaux. Ce qui explique l’importance du cuvier.
Gabriel habite 30, rue Vital-Carles à Bordeaux.
Le 18 février 1888, étant célibataire, il vend le château Ferrière en rente viagère pour fr. 5.000 par an à son cousin Henri Ferrière (1852-1934), mon grand-père, qui habite 5, allées de Chartres. Il ne paya que sept annuités. Gabriel est mort en janvier 1895.
Henri Ferrière se sentant vieillir – il n’a pourtant que 61 ans – vend le 20 janvier 1913 la propriété à M. Armand Feuillerat. Elle comprend à cette date : 7 hectares de vignes, soit 56.306 pieds. La production est de 21 tonneaux, 10 hectares de bois et 5 hectares de prairies.
Elle s’étend sur Margaux : enclos, Petite Lande, pièce de Corneillan et prairie dite Barrail de Paris, derrière la gare. Sur Soussans : vignes de Virefougasse, Cenot, Canteloup, Bois du Sable, Bois du Châtaignier. Sur Cantenac : pièces de vignes de Bilbrane, Laumond, Maucaillou, Jeanfort, Kirwan, Capdebos, Guinot, Bois de Monteil, de Benqueyris et de Richenède. Sur Arsac : Bois de Villeneuve et de Bernada. Il faut aussi y ajouter les palus de la Mariotte.
Henri Ferrière s’était attaché à l’embellissement du château de Ferrière. Il fit agrandir la maison de maître par l’adjonction du salon, de la salle à manger et de trois chambres supplémentaires au premier étage. Il a lui-même sa chambre au rez-de-chaussée. Il a fait tracer l’allée des marronniers, planter quelques beaux-arbres, entouré tout l’enclos d’un mur de pierre. Tout le long de ce mur, côté enclos, des arbres fruitiers en espaliers. Une autre allée court à travers les vignes jusqu’au portail Nord et à la maison du régisseur. Le long de cette allée, un rosier au début de chaque rège de vignes.
Il y a un jardinier qui habite la petite maison en façade de la maison de maître. Le régisseur habite la maison de l’enclos. Les vignerons et charretiers sont logés dans la maison jouxtant les chais, ainsi que dans deux échoppes voisines et les deux chalets face au château Lascombes.
Henri Ferrière vend donc le château Ferrière, 3ème grand cru du Médoc, pour fr. 63.000. C’est la plus mauvaise affaire que les Ferrière n’aient jamais faite. L’acte de vente ne sera passé qu’après la guerre, le 27 janvier 1920, mais l’exploitation est faite dès 1914 par le nouvel acquéreur.
La récolte 1914 est vendue fr. 70.000. Henri Ferrière ne sera payé qu’en trois échéances, les 1 mai 1920, 1921 et 1922, avec des francs qui ont fait la guerre et ont perdu une partie de leur valeur.
Henri Ferrière était-il un brillant homme d’affaires ? Il nous a laissé une charge de courtier maritime, que son fils André nous a transmise après l’avoir sagement rétablie. André a été très surpris à la mort de son père de ne trouver qu’un monceau de titres russes qui ne valaient plus rien. J’en ai encore quelques uns en souvenir ! Je ne voudrais pas critiquer mon grand-père, il va me passer un bon savon lorsque nous nous retrouverons au ciel. Heureusement là haut on est dégagé de tout souci terrestre. Il s’est ruiné en passant des ordres en bourse très importants, aidé par son neveu Charles Brousse, qui travaillait avec son cousin André Levassor qui avait pris la suite de la charge d’agent de change de la famille Brousse.
La fille de M. Feuillerat, Mme Durand, hérita du château qu’elle laissa à ses enfants. Je dois à M. Jean Durand les renseignements ci-dessus, ainsi que le dessin de l’ancien château et la photo du château actuel prise après les améliorations d’Henri Ferrière ; qu’il en soit remercié.
Les héritiers Durand ont loué les vignes à la Maison Lichine qui en assure l’entretient et l’exploitation et dispose de la récolte qui est vendue avec celle du château Lascombes. J’ai appris que l’on pouvait obtenir des bouteilles avec l’étiquette château Ferrière en le demandant aux Lichtine. Aux dernières nouvelles, la famille Durand serait en pourparlers pour vendre la propriété à Lichtine.
Etant à Londres en 1951, je déjeunais avec un ami anglais dans un restaurant chic du centre. Sur la carte des vins, il y avait un château Ferrière. Ce devait être une année juste avant la guerre 1936 ou 1937. Nous l’avons dégusté, il était excellent. J’étais très fier d’annoncer à mon ami Trevor, que c’était le vin de mon grand-père. Heureusement, quand il est venu me voir à Bordeaux quelques années plus tard, il ne m’a pas demandé de visiter les vignes de mon grand-père.
Yves Teisseire. Extrait de la Généalogie des Ferrière.