Maisons Danglade

  

 

 

ROUET

 

 

 

 

Cette propriété fut acquise par Firmin Bloy (1809-1888). Parti de peu et très adroit en affaires, il fit fortune.

Il aurait acquis une partie importante des vignobles du duc de Richelieu situés dans le Fronsadais. Ils connurent la gloire car ce vin était servi au roi Louis XIV qui le trouvait délicieux.

Sur ses terres se trouvait, parmi plusieurs châteaux,  une chartreuse appelée Rouet. Bâtie, dit-on, par Louis, l’architecte du Grand-Théâtre de Bordeaux, qui a oeuvré dans le Libournais.

Firmin Bloy avait fait de Rouet son ″vaisseau amiral″. Il trouvait cette maison trop modeste à son goût et il la suréleva d’un étage et de combles partiellement habitables surmontés d’une curieuse toiture d’inspiration chinoise qui écrasa cette si belle demeure.

A sa mort, Gabrielle Bloy (1852-1933), sa fille, mariée à Georges Ayguesparsse (1844-1954), en hérita et la donna en dot à sa fille aînée, Eugénie (1872-1943) épouse de René Danglade (1862-1945).

Rouet fut occupé après la deuxième guerre mondiale par les troupes allemandes qui en partant y mirent le feu. Les pompiers de Libourne immédiatement alertés, avant de se rendre sur le sinistre, avisèrent nos grands-parents déjà très âgés, qui partirent avec eux, dans leur camion, pour voir le toit de leur château tant aimé s’écrouler, dévoré par les flammes.

Suivi alors un problème : pour être indemnisés devaient-ils faire appel à leurs assureurs ? Mais Rouet était très insuffisamment couvert, ou attendre les dommages de guerre. C’est la première solution qui sera retenue. Elle motivera bien des sacrifices.

Après le décès de nos grands-parents, leur fils aîné, Roger Danglade en héritera, puis à sa mort, son fils Patrick qui s’efforce avec succès d’améliorer la qualité de son vin.

 

 

Madame Danglade reçoit le mardi

 

 

Tôt ce matin là, à Rouet, les bonnes s’agitaient pour obtenir de Jeanne, la cuisinière, une casserole d’eau chaude pour la toilette des petits.

Nous étions mardi. Ce jour était important pour mes grands-parents Danglade, car c’était leur "Jour".

Nounou s’attaquait à Claude, Maurice, François et Odile Laporte-Bisquit, qui se retrouvaient tous quatre ensemble dans un tub. Dans la chambre à côté, c’était Andrée qui décapait Béatrice et Patrick Danglade, tandis qu’un peu plus loin, Baptistine nous essorait déjà. Nous, c’est-à-dire, Michelle, Christian et moi. La grande maison sentait le savon de Marseille. Elle était emplie de nos cris. A l’écart, nos tante et ma mère s’aspergeait de poudre de riz, et les hommes en pestant ajustaient leur cravate.

Au dehors, sur la terrasse d’où l’on a cette magnifique vue sur la vallée de la Dordogne, Edouard, le chauffeur, sous la conduite de ma grand-mère, installait des tréteaux, des planches et une nappe en lin damassé sur laquelle notre fidèle Marie allait disposer les verres à pied, des tasses, des assiettes et fourchettes, etc. sans oublier le bouquet de dahlias, enfin tout le bazar indispensable pour affirmer le standing de ce genre de manifestation. Ensuite, les plus pieux priaient  pour qu’il ne pleuve pas tandis qu’un guetteur placé au bout de l’allée devait signaler les premiers arrivants. Alors, à son appel, sortaient de la cuisine, les cakes, les pains d’épice, l’orangeade et le vin de la propriété.

Traditionnellement les Horeau arrivaient les premiers. La voiture de tête, avec Monsieur Horeau et tante Nénette. Une deuxième renfermant Jacques de Lavaux, tante Guiguite et parfois Nadette, Michel et Fanfan. La troisième voiture était conduite par René de Conninck. Il était accompagné de tante Zizi, sa femme, et de Jean, parfois de Jacques. Louis Horeau était une figure légendaire du Tout-Libourne. Un redoutable homme d’affaires un peu maquignon. Il avait doublé sinon triplé le nombre de ses propriétés. Il avait même étendu son emprise jusqu'à Paris où il venait d’acheter un important immeuble, à deux pas de l’Etoile, 37 rue Washington. Il présidait toutes les œuvres de bienfaisance de Libourne et il adorait les banquets. Il était "capitaine d’honneur des pompiers de Libourne ».

Ensuite, arrivaient de Thouil, les Ayguesparsse, de proches cousins. Je me souviens surtout de Georges et de ses histoires grivoises. Il s’attribuait une grande fortune et lorsque les parents lui demandaient où il l’a mettait, il répondait : "dans une lessiveuse, et j’ai tant de sous que je prends ma Jeanne par les bras et je me sers de ses fesses pour les tasser ».

Françoise et Henriette Lanore, deux vieilles filles charmantes, venaient du Gua à bicyclette. Le Gua, une délicieuse chartreuse perdue dans les bois, a mi route entre Libourne et Rouet.

Hippolyte Danglade avait une longue barbe blanche. Il arrivait de Plainpoint, un château produisant un vin assez réputé. Parfois, il emmenait avec lui nos cousins Arnaud et Murielle qui était déjà bien jolie.

Puis venaient les Corre, les Despujol (château Nénin), les Fourcaud-Laussac (Cheval Blanc), les Giraud (Corbin), les Nicolas (la Conseillante), les Ducasse (l’Evangile). Encore des oncles et des tantes, des cousins ou cousines. Nous avions pour instruction d’embrasser la main des dames et de dire poliment : "Bonjour mon Oncle, bonjour ma Tante", et ma mère ajoutait ingénument : "Il y a neuf chances sur dix pour que ces personnes soient des parents. Si elles ne le sont pas, elles seront fières que vous les considériez  comme tels ».

Enfin, arrivait Monsieur Courreau, dans sa minuscule petite voiture qui dénotait parmi les monstres de nos invités. On se moquait un peu de lui car il était mal fagoté dans son éternel complet trois pièces en velours côtelé. Mais il a bien pris sa revanche depuis car c’est lui qui a fondé la FNSEA, ce puissant syndicat. C’est lui qui ira discuter sans céder avec le général De Gaulle, pour défende ses pairs.

On papotait dur. Les enfants tétanisés par les recommandations se tenaient à l’écart.

A 19 heures 30, le dernier invité parti, les parents se retrouvaient entre eux et se réjouissaient de la réussite de leur Jour, certainement ce qu’il y avait eu de mieux depuis longtemps.

Le lendemain à 16 heures 30, la grosse Talbot renfermant mes grands-parents, suivie de la Peugeot des Joppé, de la Renault des Roger Danglade, d’une somptueuse voiture Laporte-Bisquit, et de la Citroën de mes parents, quittaient Rouet pour Junayme où les Horeau recevaient le mercredi, leur Jour. Le buffet avait été aménagé devant le château et l’on y servait du cake, du pain d’épice, de l’orangeade pour les dames et le vin de la propriété pour les messieurs. On était heureux car on y retrouvait les Ayguesparsse, les Lanore, les Corre, etc. (voir plus haut). A 19 heures 30, nos cinq voitures regagnaient Rouet.

Le jeudi, le vendredi, le samedi, étaient le Jour d’une autre propriété. On y retrouvait les mêmes personnages autour du même buffet... Mais les vins, d’après mon grand-père, étaient de plus en plus ordinaires : "C’est misérable d’offrir une bibine pareille. Ils couleront la région. Ils vont nous ruiner". Mais chaque propriétaire devait tenir le même raisonnement.

 

publié dans  le 29 juillet 1993.

puis dans la Revue historique et archéologique du Libournais et de la Vallée de la Dordogne 1er trimestre 2001 (Tome LXVIII n° 259).

 

 

La crypte de Saint-Aubin

 

 

La crypte dans le jardin bas de Rouet nous a toujours fascinés. Enfants, durant nos vacances, nous y avons célébré des messes noires, l’enterrement de malheureuses grenouilles au cours de belles cérémonies. Jamais nous n’avions imaginé que nous profanions un Monument historique !

 

Cette crypte a été protégée M.H. par arrêté du 24 décembre 1924 (n° notice : PA00083747). Elle a été définitivement classée en 1972. 

 

 

 

 

Cette crypte appelée aussi l’Ermitage de Saint-Aubin se situe dans la propriété du Château Rouet, dans la commune de Saint-Germain-la-Rivière. Cette commune implantée sur la rive droite de la Dordogne est située à égale distance (10 km) entre Libourne et Saint André de Cubzac.

De tous temps, l’homme a habité ces coteaux calcaires, et a su développer des communautés qui remontent aux temps les plus anciens. Notons rapidement la découverte, la plus ancienne et la plus importante de la commune, d’une implantation humaine. En 1933, Monsieur R. Blanchard procéda à des fouilles préhistoriques dans deux terrasses de la falaise et le 15 décembre 1934, il découvrit le squelette humain d’une jeune femme, qui reposait sous des dalles de pierre, dans un abri sous roche nommé Pille-Bourse. Une des plus belles découvertes préhistoriques en Paléolithique supérieur qui permet de situer l’occupation de cet abri à l’époque du Magdalénien ancien ou moyen  (16 000 ans) et suivie par une occupation Magdalénienne un peu plus tardive associée à la sépulture (d’après M. Michel Lenoir C.N.R.S. Institut du Quaternaire, Université de Bordeaux I). La reconstitution de cette sépulture est visible au musée national de la Préhistoire des Eyzies en Dordogne.

La commune de Saint Germain-la-Rivière, riche en patrimoine historique n’a pas encore révélé tous ses secrets. Voici cette crypte, creusée par l’homme, dans la falaise de calcaire, à Astéries, orientée Sud, qui domine la vallée de la Dordogne.

 

 

Pour accéder à cette crypte, toute proche du Château Rouet, on rejoint, à l’ouest de celui-ci une terrasse à mi-pente du coteau calcaire. On pénètre dans un long couloir rectiligne parallèle à la falaise pour terminer dans deux salles souterraines parfaitement bien taillées dans le roc et aménagées de différentes maçonneries antiques.

 

 

Ce long couloir d’entrée était jadis couvert d’une voûte ou de dalles de pierres ajustées sur les encrages qui apparaissent, comme une longue feuillure longitudinale, en paroi rocheuse.

En bout de ce couloir, d’une vingtaine de mètres, la crypte était formée de trois travées carrées et voûtées en plein cintre par une maçonnerie alternée de rangées de briquettes et de rangées de pierres. Malheureusement, il ne reste que deux salles voutées et ceci depuis bien longtemps. Ces deux voutes maçonnées d’un particularisme typique au Gallo-romain, ont pu subsister jusqu’à nos jours grâce à leur protection naturelle à l’intérieur de la cavité. Les parois intérieures de ces deux salles étaient recouvertes d’un revêtement de maçonnerie qui, comme les plafonds voutés, était composé de rangées de briquettes rouges alternant avec des rangées de pierres en petit appareil (maçonnerie typique de l’époque gallo-romaine). Malheureusement, ces revêtements de paroi ont subi le vandalisme ou la détérioration due au temps.

Il est naturel d’imaginer que cette cavité a été creusée de mains d’homme comme l’indiquent les traces d’outils en paroi, avant l’aménagement esthétique intérieur fait par les autochtones gallo-romains.

L’origine de ce creusement pourrait remonter à l’époque celtique, comme le pensait un archéologue des années 60, l’Abbé Boudreau. Ce site, comparable au sanctuaire celtique de Bisqueytan (dans la commune de Saint Quentin du Baron), était vraisemblablement un vestige du culte des divinités protectrices des eaux. En effet, en fond de la crypte, on trouve une résurgence fossile où jaillissait, dans des temps anciens, une source dont l’eau s’écoulait tout au long de la galerie d’entrée formant ainsi, pour la circonstance un aqueduc. On retrouve toujours cette source avec son eau limpide mais, actuellement, elle resurgie en contrebas de la crypte dans la pente du coteau rocheux. La découverte, il y a quelques années, d’une rouelle gauloise dans cette crypte, atteste bien d’une occupation celtique autour du culte des eaux. Manifestement, ce site a subi une succession d’occupations à but culturel. A l’origine, la résurgence d’une source, avec certainement une petite galerie naturelle en paroi rocheuse incite les autochtones celtiques à creuser pour établir un lieu de culte païen primitif. Vient ensuite la période gallo-romaine où le site est réaménagé avec un goût esthétique plus prononcé. Camille Jullian, dans ses écrits, avait mentionné cette cella gallo-romaine et estimé sa datation aux abords de l’an 200. Il existe d’ailleurs sur le plateau et dans le vignoble, de nombreuses traces d’occupation romaine (tuiles à rebord, tessons de poterie, etc.). Il est fort probable que ce lieu de culte dépendait de diverses habitations proches du site.

En dehors et à l’entrée du site, plusieurs niches creusées dans la paroi rocheuse attestent une grande activité autour de ce lieu de culte.

Après de nombreuses années de culte païen, le site fut réutilisé à l’époque du Haut Moyen Age comme ermitage et repris en mains par les Cénobites ou moines du VIe siècle. Il trouva alors une autre vocation paléochrétienne et le lieu fut baptisé ermitage de Saint Aubin grâce à la popularité du Saint et à sa fontaine miraculeuse.

 

Saint Aubin.

 

Evêque d’Angers au Vie siècle. Il eut très vite une grande renommée. Ce fut, nous disent les Bénédictins (la Vie des Saints), l’un des Saints les plus populaires du Moyen Age. Ce très digne prélat français naquit en Basse Bretagne, au diocèse de Vanne. Son père appartenait à l’une des plus nobles maisons de la paroisse de Languidic à deux lieues de la ville de Hennebond.

Tout jeune, il se retira au monastère de Nantilly près de Saumur sous la règle de Saint Augustin. Sous le règne du Roi Childebert Ier, fils aîné du grand roi Clovis, Aubin accepta de devenir évêque d’Angers en 529 et d’assumer la pesante charge de la volonté de Dieu.

Il sera l’auteur de nombreux miracles. Par la force de ses prières, il ressuscita un jeune enfant du bourg de Géné, et rendit la vue à cinq aveugles et l’usage des membres à plusieurs paralytiques. Dieu lui avait donné un pouvoir tout particulier pour la délivrance des prisonniers.

 

Culte de Saint Aubin.

 

Son corps fut solennellement inhumé dans une chapelle de l’église de Saint Maurille à Angers. Quelques temps après, Saint Germain, évêque de Paris, lui érige une église en son honneur pour le tirer de ce lieu et l’installer dans ce nouveau lieu de sépulture. Il fut porté, avec une allégresse générale de toute la ville d’Angers, en cette nouvelle église le 30 juin 556. Cette translation fut célèbre par plusieurs miracles qui s’accomplirent : trois paralytiques furent guéris et deux aveugles retrouvèrent la vue.

Au Moyen Age de nombreuses églises, monastères ou villages voulurent avoir ce saint pour patron. Tous les martyrologues font mention de lui et son nom se trouve inscrit dans les plus anciennes litanies connues.

Il serait trop long d’énumérer les paroisses des divers diocèses de France qui sont, encore aujourd’hui, sous le vocable de Saint Aubin. En Anjou, seulement, on en compte plus de vingt cinq, en Gironde nous avons Saint Aubin de Blaye, Saint Aubin de Branne, Saint Aubin de Médoc, et les paroisses de Saint Aubin de Blaignac, Saint Aubin de Blanquefort, Saint Aubin de La Lande, ainsi que Latresne le reconnaît comme titulaire de son église.

On retrouve quelques reliques de Saint Aubin au Louvencourt d’Amiens, à Plessiers-Rozainvillers, à Saint Aubin Rivière et à Saint Aubin de Moeslain (Haute-Marne).

Non loin de la chapelle de Saint Aubin de Moeslain se trouve une fontaine d’eau vive, cette source n’a jamais tari. Les mères de famille assurent que leurs enfants malades sont au prélude de leur guérison au moment où l’on trempe leur langue dans la fontaine. Dans les chroniques légendaires du Blayais, le lieutenant de Charlemagne, Landry, est tué en combat singulier par l’émir Agolant, aux environs de Blaye, en un lieu dit « les Trois Fontaines ». Charlemagne se rend sur le lieu du combat et après un grand deuil le fit reposer dans la chapelle où il aurait déposé la relique de la tête de Saint Aubin dans l’autel de la chapelle funéraire qu’il venait de fonder. Le sépulcre de Saint Aubin était encore à Angers en 1151, époque où il fut séparé de sa tête, laquelle fut déposée dans un reliquaire en or. La plus belle relique dont ils aient pu rêver en ce temps où Saint Aubin était le saint le plus à la mode. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que des moines du Moyen Age, voulant accréditer un ermitage, oublié et un ermite sorti de leur monastère, aient placé l’un et l’autre sous le haut patronage de Saint Aubin.

Stéphane ROUSSEAU.

 

Bibliographie.

-Léo DROUYN : 1847. Compte rendu de la commission des Monuments historiques. 1859. Guide du voyageur à Saint-Emilion.

- R. GUINODI : Histoire de Libourne et des autres villes et bourgs de son arrondissement. 1876, tomme III, page 219.

- Chanoine F. LEMOING : Ermites et Recrus du Diocèse de Bordeaux.

 

© Extrait de "Aquitaine Historique" n° 9. Novembre 1994