Appendices Danglade

 

 

 

LES CORSAIRES

 

 

Nos ancêtres, dès le XVIIIe siècle, à force de travail et de persévérance, s’élèveront dans l’échelle sociale et deviendront corsaires, puis capitaines de navire. Razziant l’ennemi jusqu’aux Amériques où ils feront souche. Seuls maîtres à bord après le diable, ils y feront régner une discipline barbare.

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Il faut se garder de confondre les corsaires avec les pirates et de les englober dans la même réprobation. Les pirates étaient de véritables brigands qui opéraient en temps de paix comme en temps de guerre, qui pillaient leurs compatriotes comme les étrangers, et qu’animait seul le désir du butin. C’est sans doute ainsi que commencèrent les corsaires. Après la découverte de l’Amérique, de hardis marins anglais et hollandais pour la plupart, coururent sus aux galions espagnols, en enlevèrent un grand nombre et réalisèrent de gros bénéfices. Du moins eurent-ils presque toujours scrupule d’attaquer les bâtiments qui battaient pavillon de leur pays d’origine. A ces premiers corsaires vinrent bientôt se joindre les flibustiers, association de pirates intrépides qui dévastèrent la mer des Antilles pendant tout le XVIIe siècle. Aidés par les boucaniers (chasseurs de bœufs sauvages de Saint-Domingue), que les Espagnols avaient pourchassés, les flibustiers établirent leur quartier général dans l’île de la Tortue au nord de Saint Domingue, et sous la direction de chefs intrépides enlevèrent tous les navires de commerce qui passaient à leur portée, osant même parfois s’attaquer aux vaisseaux de guerre et engager avec deux ou trois de ces bâtiments des batailles disproportionnées.

Mais peu à peu, le métier de corsaire devint un métier régulier, consacré par l’usage et garanti en quelque sorte par les souverains. Aussitôt que la guerre était déclarée entre deux puissances maritimes, les plus hardis des marins recevaient, pour la durée des hostilités, les marchandises enlevées, ce qui engendrait de gros bénéfices.

Les corsaires furent alors non seulement tolérés mais honorés pour leurs exploits. Ce métier formait d’excellents marins, car il exigeait une énergie, une activité, un déploiement d’adresse exceptionnels.

Duguay-Trouin, Forbin, Pointis, Jean Bart, étaient des corsaires. Rien qu’en 1689, ils enlevèrent aux Anglais plus de 4.200 navires. Seignelay et Louvois firent faire, pendant toute la guerre d’Augsbourg, la course pour leur compte, et encaissèrent les bénéfices.

Pendant la guerre de l’Indépendance d’Amérique, sous la République et le premier Empire, la guerre de course fut largement employée. Au premier rang de nos corsaires de cette époque on doit citer Surcouf, dont les exploits sont restés légendaires. C’est seulement au congrès de Paris, en 1856, que furent universellement abolis les corsaires. Seuls les Etats-Unis, l’Espagne et le Mexique refusèrent de prendre un engagement à ce sujet. Depuis cette époque on n’a plus vu de « corsaires » au sens exact du mot. En 1914-1918 la guerre de course fut faite par des navires de guerre ou par des bâtiments de commerce militarisés.

Les Basques, avec leur goût pour les aventures, ne pouvaient que se passionner pour un tel métier. Cette passion se généralisa à ce point qu’en 1692, Louis XIV se plaignait à son ministre Pontchartrain que l’envie de la course fit fuir son service aux matelots basques.

 

la formation des capitaines corsaires

 

L’école navale qui a été créée en France vers 1828 ne forme que les officiers servant dans la marine de l’Etat. Les capitaines marchands, appelés à commander des navires destinés, soit aux pêches lointaines des morues ou des baleines, soit aux voyages au long cours vers les colonies françaises d’Amérique, recevaient une éducation et une formation, notamment dans l’école d’hydrographie de Bayonne où ils apprenaient la navigation. Mais la plupart d’entre eux commençaient à naviguer jeunes, vers l’âge de 12 ans en qualité de mousse, puis de pilotin. Sur les navires corsaires, ils passaient aussi matelots, et franchissaient les divers grades : enseigne, lieutenant, premier lieutenant et deuxième capitaine. Pour être reçu capitaine, il leur fallait subir un examen devant d’autres capitaines confirmés, sous réserve, qu’ils justifient avoir antérieurement effectué deux campagnes de deux à trois mois sur les vaisseaux du roi.

D’autre part, les capitaines, en principe, n’exerçaient pas d’autre activité. Ceux qui commandaient pour les pêches lointaines restaient absents de leur foyer durant huit mois de l’année en moyenne. Il en était de même pour ceux qui effectuaient des voyages au long cours. Cependant, certains capitaines, parallèlement à leur activité de marin, étaient armateurs, c’est-à-dire propriétaires d’un ou plusieurs bâtiments. Ce fut le cas de David Danglade et de Dominique Lissabe qui naviguaient sur des navires leur appartenant, sauf durant la guerre de course.

 

Corsaires basques et gascons au XVIe siècle

 

Au XVIe siècle, ces grands pêcheurs, habitués aux longues courses en mer dès le temps de paix, sont devenus corsaires en temps de guerre ; la transition était des plus aisée.

Cela était vrai, d’ailleurs, des marins espagnols de la côte Cantabrique. A cette époque les guerres entre les deux pays voisins, France et Espagne, furent fréquentes et un document des archives de Bayonne, extrait des registres gascons, nous prouve que la guerre de course battait son plein.

Ce document est une requête adressée par des corsaires de Capbreton au Conseil de la ville de Bayonne en 1528. (Nous traduisons le texte écrit en gascon.) :

 A vous, très honorables seigneurs, messeigneurs les lieutenants, échevins et conseillers de la ville et cité de Bayonne.

Remontrent en suppliant très humblement Etienne de Glayeac, Bertrand de Pujols, Raymond de Cazenave, Arnaud du Bataillé et Etienne du Roy, maître et compagnons de la chaloupe ou galère de Capbreton, disant que depuis vingt jours ou environ ils ont, en compagnie des galères de Saint-Jean-de-Luz et de Biarritz, fait course sur les Espagnols et ennemis du Roy sur la mer. Tellement qu’entre eux tous ils ont pris deux gros et magnifiques navires des dits ennemis, chargés de froment et autres marchandises, lesquels navires et marchandises ont été conduits et menés au lieu et paroisse de Saint-Jean-de-Luz, etc. »

 

Sur la vie pénible des marins

 

Les contrats établis en début d’année prévoyaient que l’équipage parte en mer au premier beau temps. les départs se situant en général en avril. La pêche prenait fin le jour de la Saint Michel, le 29 septembre. Le retour au port d’attache était prévu vers la fin du mois d’octobre, mais avait lieu le plus souvent dans le courant du mois de novembre et même de décembre, notamment lorsque les produits de la pêche devaient être livrés dans d’autres ports. Pour chaque saison de pêche, l’absence hors du foyer familial pouvait alors durer sept à huit mois. les conditions de travail étaient particulièrement pénibles, dans un climat froid et humide, surtout pour la pêche des baleines. En outre, les conditions de logement sur les navires n’étaient pas idéales.

Les marins devaient affronter les dangers de la mer. Au cours de très grandes tempêtes ou d’ouragan, des navires disparaissaient en mer. Plusieurs bâtiments corsaires de Bayonne ou de Saint-Jean-de-Luz ne revinrent jamais au port. Nombreux furent aussi les navires corsaires capturés par des bâtiments anglais plus puissamment armés. Fait prisonnier, l’équipage était conduit dans des geôles anglaises. Les conditions de captivité y étaient difficiles ; beaucoup de marins y moururent.

D’autre part, pris probablement par des corsaires de Salé ou d’Alger, certains furent esclaves en Barbarie. Ils ne pouvaient retrouver leur liberté qu’après paiement d’une rançon.

 

Quelques statistiques.

De diverses études effectuées, il ressort que la durée de vie des marins était environ de 42 ans en moyenne, alors qu’elle était de 52-53 ans pour la population masculine non maritime. Par ailleurs 60 % des marins mouraient hors de leur village - de maladie ou de noyade au cours de violentes tempêtes ou d’ouragan sur les corsaires, ou prisonniers en Angleterre ou aussi sur les vaisseaux du Roi -, et à un âge moyen de 30 à 35 ans suivant les paroisses.

 

Méthode de combat des corsaires basques et bayonnais aux XVIIe et XVIIIe siècles

 

La méthode principale de combat des corsaires basques et bayonnais comportait surtout l’abordage et souvent aussi l’usage de l’artillerie dont ils portaient sur leur bord du fort calibre. Ce ne furent cependant qu’au cours du XVIIIe siècle qu’ils combattirent sous voiles, c’est-à-dire avec les ris pris dans les huniers, ces manœuvres exigeant un très grand nombre de matelots. Leurs légères frégates avaient des canons moins nombreux et moins forts que la plupart des navires qu’ils attaquaient. Leur coque était plus frêle et pouvait recevoir des blessures mortelles. En outre, la frégate était une propriété privée, elle représentait un capital qu’il fallait ménager avec soin. Le corsaire préférait payer de sa personne en épargnant son navire. Souvent, enfin, il devait livrer une lutte courte, décisive, silencieuse pour ne pas attirer sur lui des ennemis qui pourraient rôder dans les mêmes parages. D’ailleurs son équipage était nombreux et composé d’une forte troupe qui peut se battre corps à corps et ne demande qu’à donner de grands coups. Aussi, le premier soin du corsaire, dès qu’il apercevait l’ennemi, était de préparer l’abordage. On dispose sur le pont une grande quantité de grenades. Les soldats se groupent sur les gaillards, plates-formes élevées aux deux extrémités du navire, d’autres se placent dans les vergues ou dans les hunes, citadelles aériennes. Les canonniers sont à leurs pièces, mèches allumées. On s’approche de l’ennemi, quelquefois en se couvrant d’un pavillon étranger, pour qu’on puisse le saisir avant qu’il ait le temps de se mettre sur la défensive.

L’abordage se fait de long en long en joignant le navire par le côté, ou mieux de bout à bout en venant reposer l’avant de son navire sur l’arrière de l’ennemi. Au moment où il va toucher le bâtiment qu’il attaque, le corsaire fait feu de ses pièces de l’avant pour nettoyer le pont ennemi. Alors les grappins sont jetés et unissent les deux navires par leurs crochets de fer. Les vergues s’abaissent et servent de pont-levis aux combattants avides de carnage. Ils bondissent, ils se suspendent aux cordages pour s’élancer, ils tombent au milieu des ennemis prêts à les recevoir. Une horrible mêlée commence, on se fusille à bout portant, on s’ouvre la poitrine avec de larges lances en forme de croissant. Les longues piques clouent les corps sur le pont, les haches d’abordage abattent des membres entiers ; les blessures sont béantes et mortelles. Les grenades éclatent et mêlent leurs sifflements aux cris de ces furieux. Sur terre, le poltron peut fuir. Ici, tout soldat devient brave, la mer l’environne, il ne peut reculer. Il n’a, pour champ de bataille que le pont étroit de ce navire encombré par la foule des combattants. Peut-être même le capitaine a-t-il fait clouer les écoutilles pour fermer toute communication avec l’intérieur du vaisseau et tout refuge aux fuyards.

 Sa Majesté me faisait souvent l’honneur de m’interroger, disait Forbin dans ses Mémoires. Un jour Elle souhaite de savoir la manière dont je me conduisais dans les abordages et comment je disposais mes attaques. Je lui répondis que je commençais par distribuer des soldats et des matelots à chaque canon, autant qu’il en fallait pour le servir. Que le reste de l’équipage, armé de fusils et de grenades, était posté : partie sur le gaillard d’arrière, partie sur la dunette. Que je faisais ensuite mettre les grappiers au bout des vergues et que, dans cet état, j’avançais sur l’ennemi. Au moment où les vaisseaux se joignent, continuai-je, on lâche les grappins, attachés à une grosse chaîne amarrée, de telle sorte que les bâtiments ne sauraient se séparer sans un accident imprévu. Alors nos soldats font feu sur l’avant et l’arrière de l’ennemi, dans lequel ils font pleuvoir un orage de grenades jetées sans interruption et en si grand nombre qu’il ne saurait le soutenir. Dès que je m’aperçois qu’il commence à être ébranlé, je m’élance le premier en criant à l’équipage : « Allons, enfants, à bord ! ». A ces mots , les soldats et matelots, pêle-mêle, sautent dans le vaisseau abordé et le carnage commence. Pour lors, je reviens sur mes pas pour obliger tout le monde à me suivre et à soutenir les premiers et tous combattent jusqu'à ce qu’ils se soient rendus maîtres du vaisseau. Ce qui rend ces combats si sanglants et si meurtriers, c’est que personne ne peut fuir. Il faut nécessairement ou vaincre, ou mourir.

 

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