Un peintre romantique oublié, Théophine Lacaze[1]
AVERTISSEMENT.
Théophile Lacaze est un de ces artistes dont la vie se passe sans bruit, sans événements, et dont on retrouve à peine, quand ils ne sont plus, les deux points extrêmes de leur existence : la naissance et la mort, et qui ne laissent d’eux d’autres souvenirs que les ouvrages qu’ils ont produit dans la retraite et le silence.
Dans ces conditions, on comprendra facilement la difficulté de la tâche du biographe.
Je ne cacherai pas les imperfections de mon travail. Deux obstacles m’ont empêché de préciser certains points : en premier lieu le manque de documents, mais surtout les erreurs et les contradictions de toutes sortes qui abondent dans les livres mentionnant l’artiste. Au cours de mes recherches, j’ai pu rectifier quelques-unes de ces dernières. Cependant, je ne saurais prétendre les avoir toutes corrigées. S’il en subsistait, elles seront rectifiées dans mon prochain ouvrage « Catalogue descriptif et chronologique de l’œuvre de Théophile Lacaze ».
LES ORIGINES ET
C’est à Libourne (Gironde) que naquit, le 15 juin 1799, Pierre Théophile Lacaze.
Son
père, Mathieu Gaston Lacaze[2], était un des négociants en vins les
plus importants de la région libournaise. La maison de commerce, dont il était
le chef, avait été fondée part ses parents en 1780. Très vite, elle prit un
développement considérable et bientôt elle compta parmi les plus renommées
du département. Durant toute sa vie, Gaston Lacaze s’occupa de politique.
Emprisonné sous
CONTACTS ET FORMATION.
Dans les familles bourgeoises du XIXe siècle, il était de coutume de pratiquer un art. Le dessin était particulièrement à l’honneur chez les Lacaze, c’est ainsi que dès son plus jeune âge Théophile fut entouré de peintres amateurs qui possédaient, sinon un grand talent, du moins une manifeste bonne volonté. Voulant imiter ses aînés, il se mit lui aussi à dessiner.
Ici réside la particularité de Théophile Lacaze : il devint peintre de talent, sans le secours d’aucun maître. C’est dans son atelier, penché sur son chevalet, qu’il fait l’imaginer pour comprendre ce qu’il y avait en lui de courage et d’enthousiasme. Seul, privé des enseignements élémentaires de la science et des ressources matérielles qu’elle comporte, il se prit corps à corps avec toutes ces difficultés et le terrassa. Guidé par cet instinct supérieur qu’on nomme le génie, il marcha d’un pas ferme et avec éclat, sur ce terrain inconnu où son aventureuse imagination l’avait jeté.
Sa jeunesse fut certainement banale, car aucun document ne nous signale un fait intéressant, pour cette période de sa vie. Sans doute, partagea-t-il l’existence paisible de son entourage.
De la mère de Théophile, nous ne savons que très peu de choses. Elle s’appelait Marie Victoire Fournier et dût mourir avant 1822[5], comme nous le prouve un acte notarié daté de cette année, précisant qu’à cette époque Gaston Lacaze[6] était déjà veuf. Peut-être était-elle un des membres de cette famille Fournier, qui vécut à Libourne au XIXe siècle et dont nous retrouvons la trace aux Archives de la Gironde[7]. Mais ceci n’est qu’une hypothèse qu’aucun document ne vient confirmer.
Durant
toute la seconde moitié du XIXe siècle, les Lacaze occupèrent d’importantes
fonctions en Gironde, notamment Eugène, cousin de Théophile qui, nommé Procureur
de
UNE VIE LABORIEUSE.
En 1824, Théophile Lacaze tenta, pour la première fois, la grande épreuve de l’exposition. Il envoya une peinture au Salon. Non seulement son tableau fut admis, mais encore il obtint un honorable succès. Heureux d’avoir été accepté parmi l’élite de la peinture, il redoubla d’efforts ; de nombreuses études en témoignent.
Trois
ans plus tard (en 1827) il envoya deux gouaches et plusieurs miniatures à
l’exposition de
Vers 1830, Lacaze exécuta un grand nombre d’aquarelles de caractère purement romantique. Une ce celle-ci Macbeth et les Sorcières témoigne nettement de l’influence qu’Eugène Delacroix exerça sur lui. Ce n’est pas seulement dans ses premières œuvres que l’on retrouve l’emprise du grand maître. Jusqu’à sa mort, le peintre libournais admira sans réserve son aîné d’un an, alors déjà célèbre.
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Le 7 juillet 1833, Théophile Lacaze se maria. Son épouse, Anne-Marie Louise Laure Bourges-Saint-Genis, appartenait à une des principales familles de la bourgeoisie libournaise. Cet événement marque une nette évolution dans la carrière de l’artiste.
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Dès lors, nous voyons apparaître dans ses œuvres, des scènes inspirées de la vie familiale où se reflète toute entière, l’âme de leur auteur. De cette époque, datent aussi de ravissants dessins qu’il exécuta sur ses albums de poche, au cours de ses promenades dans Libourne et les environs.
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En
1834, il participa à l’Exposition au profit des pauvres qui se tint en janvier
à Bordeaux et y présenta sept œuvres (six aquarelles et un dessin). Encore
une fois, son envoi fut très remarqué. Ecoutons le chroniqueur du journal
« Les délicieuses compositions de M. Lacaze ont vivement attiré le public. Une couleur chaude et vigoureuse, un dessin incorrect parfois mais toujours spirituel, une grande naïveté dans les poses, une composition sage, une entente parfaite des ombres et de la lumière classent M. Lacaze comme un des plus distingués. »
Après ce nouveau succès, il envoya au Salon de l’année suivante le portrait de son père. C’est incontestablement une de ses meilleures toiles. Deux ans plus tard, il était représenté au Salon par sa première grande composition historique : Le baptême de Clovis. En leur temps ces deux tableaux passèrent totalement inaperçus ; aujourd’hui ils comptent parmi les plus beaux du Musée de Libourne.
Depuis
la fin de 1836, Lacaze travaillait avec ardeur à une toile de grande dimension.
Cette composition avait pour sujet : Jésus
bénissant les enfants. En 1837, l’œuvre fut terminée ; exposée au
Salon l’année suivante, elle remporta un très vif succès.
Jésus bénissant les enfants n’est malheureusement pas parvenu jusqu’à nous. Entré au Musée du Louvre (inventaire L.P.4984 INV 5530), il fut mis en dépôt à la chapelle de l’école militaire de Saint-Cyr, le 21 juin 1890, où il fut détruit lors de la seconde guerre mondiale.
Pour Théophile Lacaze, le succès obtenu en 1838 fut déterminant. A partir de cette date, son nom commença à circuler dans les milieux artistiques de la capitale. Dès lors, chaque exposition fut pour ce consciencieux artiste, l’occasion d’un nouveau triomphe, et plus d’une fois les critiques de Paris saluèrent cette gloire timide qui se cachait au fond d’une petite ville de province.
Toujours
en 1838, il participa encore une fois à l’exposition de
« Deux toiles principales sont dues au talent de M. Lacaze. L’une d’elles représente "Richard et le docteur maure". Ce sujet a été traité avec une vigueur et une richesse de pinceau remarquables. Il y a dans ces lignes un calme, une largeur qui annoncent une puissance réelle en même temps que d’excellentes études. L’expression de chaque physionomie est variée sans être heurtée. Tout cela est harmonieux et plein de vie. "Le message" quoique la pensée en soit plus vague, est une toile qui se distingue par les mêmes qualités. Les pastels de M. Lacaze sont d’un goût moins sévère que ses tableaux à l’huile, mais il y a dans ces choses une grâce infinie. Nous citerons entre autres "le bracelet".
Lors de la remise des prix, le jury lui décerna deux médailles d’argent, l’une pour ses pastels, l’autre pour son tableau Richard et le docteur maure.
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Malgré
tous les succès qu’il obtint, jamais Lacaze ne négligea le commerce de vins
dont il était propriétaire, ce qui faisait dire à un critique bordelais de
l’époque : Combien il est fâcheux que M. Lacaze ne consacre pas tous
ses instants à cet art merveilleux dont il connaît si bien les secrets !
M. Lacaze quitte ses pinceaux pour ce qu’il y a de moins poétique, de
moins artistique au monde : pour écrire des chiffres. Après avoir longtemps
travaillé à cette œuvre toute matérielle, il reprend sa palette, et, sous
son magique pinceau, il voit naître les conceptions les plus suaves que l’on
puisse imaginer. Laissez, je vous en conjure, à ces intelligences vulgaires
qui ne peuvent s’élever plus haut, laissez, vous le pouvez, le soin de calculer
le prix de quelques misérables denrées : ce labeur ne va pas à votre
taille ! Livrez-vous à des études continuelles, et vous deviendrez bientôt
un des peintres les plus distingués que
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Le salon de 1839 vit un nouveau succès de Lacaze. Comme l’année précédente, il obtint une médaille. Son envoi comprenait notamment deux grandes toiles : La mort de Suénon et Richard et le docteur Maure, dont nous avons déjà parlé. Ce dernier fut acquis par le Roi pour sa collection personnelle.
Aujourd’hui, il est impossible de préciser l’endroit où se trouve cette peinture. Monseigneur le Comte de Paris ayant eu l’amabilité de nous faire savoir que cette toile ne figurait plus dans les collections de la famille d’Orléans, nous pouvons penser qu’elle fut vendue lors de la dispersion des collections royales. Mais, en ce cas, pourquoi ne figure-t-elle pas au catalogue de vente ?
Vers la fin de 1839, le Duc d’Orléans, de passage à Libourne, tint à rendre visite à l’artiste dont il avait admiré tant d’œuvres. Un témoin oculaire nous signale que le Prince adressa à Lacaze les compliments les plus gracieux sur son talent, et causa peinture avec lui pendant un long moment. Lacaze, heureux et confus à la fois de tant d’honneur, offrit au Duc une de ses plus jolies aquarelles. Très touché de cette délicate attention, le Duc, quelques jours plus tard, fit parvenir à l’artiste, en gage de remerciements, un magnifique porte-crayon en or.
Toutes
ces succès, toutes ces récompenses, firent de Lacaze une personnalité dans
le monde des arts. C’est ainsi que le 17 août 1840,
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En 1841, il obtint une nouvelle récompense. Une médaille de bronze lui fut décernée pour son envoi à l’exposition de peinture de Boulogne-sur-Mer.
De cette époque datent de ravissants pastels. A ce sujet il est curieux de constater combien la facture de ceux-ci est éloignée de celle de ses peintures. Dans ces dernières, Lacaze emplois souvent des tonalités sombres qui lui permettent d’exprimer avec puissance l’intensité dramatique de la scène représentée ; dans ses pastels le peintre délaisse un moment les grands faits de l’histoire et de la religion, tout n’est plus que vie et couleur.
Toujours
en 1841, Lacaze participa une nouvelle fois à l’exposition de
Voici un extrait des délibérations du Jury :
« M. Lacaze, dont les beaux dessins et les poétiques compositions ont déjà été l’objet de tant de suffrages, a élevé ses efforts aux proportions de la peinture historique. M. Lacaze possède le sentiment artistique à un haut degré ; et parfois, le bonheur de son exécution révèle tout ce qu’on doit attendre d’un talent dont les premiers essais, dans la voie si difficile de la peinture historique, ont déjà obtenu la faveur unanime du public ».
D’une
façon générale la presse locale, de nette tendance académique, ne réagit qu’assez
peu favorablement devant les œuvres de l’artiste. Seul le critique de
« M. Lacaze a envoyé à l’exposition deux tableaux d’histoire et quatre tableaux de genre : "Marie Stuart" et "Le roi Lear" sont les sujets des deux premiers. C’est la touchante entrevue du roi Lear et de Cordélia que M. Lacaze a représenté. Le roi est assis dans son fauteuil ; sur ses traits on lit les souffrances qu’il éprouve. Cordélia est auprès de son père et lui prodigue ses soins. La composition de ce tableau est simple et noble à la fois ; le dessin est élégant ; nous n’aimons pas toutefois, la teinte violette que M. Lacaze a répandue à profusion sur les deux principaux personnages.
Le sujet de "Marie Stuart" est emprunté à l’Histoire de France. Ce tableau est, sans aucun doute, la meilleure production de M. Lacaze ; c’est aussi le chef-d’œuvre de l’exposition. Dans cette composition remarquable à plus d’un titre, M. Lacaze a déployé toutes les richesses de son talent. Le plan est habilement conçu, mais c’est surtout par la vigueur de son coloris que M. Lacaze se distingue. Ses draperies sont disposées naturellement, sans affectation ; le poses des personnages sont heureuses ; en un mot l’ensemble est satisfaisant. »
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En 1844, il présenta trois œuvres au Salon. Une de celles-ci avait pour sujet Jésus apparaissant à saint Thomas, elle fut très remarquée par les critiques. Le feuilletoniste du journal Le Globe consacra un article entier à ce tableau. Ecoutons-le :
« Le Christ apparaissant à saint Thomas par M. Lacaze est un tableau qui dénote chez l’artiste qui l’a signé, un mouvement de progrès très sensible. Toutes les figures ont ce cachet sacré que leur a inspiré le génie divinateur des maîtres de l’art. Cette composition nous a d’ailleurs semblée comprise dans un sentiment nouveau, et ce n’est pas peu de chose avec tous ces "saint Thomas" qui nous entourent, et dont la main touche invariablement la plaie divine. Ici saint Thomas n’hésite plus, il croit, il est fidèle, il ne demande plus à être convaincu, mais il s’écrie : Mon Seigneur et mon Dieu ». M. Lacaze a saisi avec un rare bonheur ce moment ineffable de réconciliation ; l’expression touchante du Christ, la contemplation calme et réfléchie des apôtres, ont été rendus par l’artiste avec un charme tout angélique. »
Quelques
mois plus tard, quand le Salon eût fermé ses portes, Théophile Lacaze envoya
Jésus apparaissant à saint Thomas à l’exposition
de
Dès qu’il rentra en possession de Jésus apparaissant à saint Thomas, Lacaze en fit don à l’église Saint-Jean-Baptiste de Libourne, où cette œuvre se trouve encore. Cette toile est actuellement très sale ; elle est à la fois noircie par la fumée des cierges et la poussière ; de plus elle est fort mal éclairée. Il serait souhaitable qu’elle soit exposée dans un endroit plus propice, où cette peinture, une fois restaurée, retrouverait son éclat primitif et pourrait être appréciée à sa juste valeur.
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En
août 1845, Lacaze put de nouveau se rendre compte combien la famille royale
le tenait en haute estime. Au cours de leur voyage dans le Sud-Ouest, le Duc
et
Un
peu plus d’un mois après la visite princière, une nouvelle joie l’attendait.
Le 25 septembre, il était fait Chevalier de
UN HOMME AUX GOÜTS SIMPLES.
Il y a aujourd’hui, plus de cent vingt ans, les libournais pouvaient voir un homme de taille moyenne, élégamment vêtu, se promener tranquillement dans les rues de la ville, un album de croquis sous le bras. Ce personnage aux longs cheveux, à la figure rêveuse et mélancolique, vous l’avez reconnu : c’est Lacaze, le peintre aux délicieuses inspirations.
Né
au cœur d’une des familles les plus illustres de
« M. Lacaze est un homme grave sans austérité, solitaire sans sauvagerie, d’un abord timide et simple, mais plein de cette bonté attrayante qui rend l’hospitalité plus fraternelle et la cordialité plus expansive. Il parle peu, mais les idées qu’il exprime ne viennent que de lui-même ; parfois, le souvenir des grands maîtres sans qu’on puisse jamais dire qu’une tête ou une attitude ont été copiés. M. Lacaze habite une maison tranquille et presque isolée dans le silencieux jardin, orné d’un grand catalpa aux longs fruits et aux larges feuilles, est fermé par les murs d’une chapelle gothique. »
D’une grande bonté, Lacaze n’hésita jamais à faire don d’une de ses œuvres pour qu’elle soit vendue au profit des pauvres. Il exécuta ces actes de charité avec un tact et une délicatesse digne d’éloges. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard sur la lettre suivante[9] :
Libourne, 9 Février 1837
Madame,
Monsieur Davesies m’avait bien transmis la demande que vous l’aviez chargé de me faire d’un dessin pour une vente au profit des pauvres ; mais à cette époque j’étais fort souffrant et il m’avait été impossible de m’en occuper. Ce n’est que depuis peu de jours que j’ai pu me remettre au travail et un de mes premiers soins a été de remplir la demande que vous m’avez faite dans un but louable.
Malheureusement, ce n’est qu’avant-hier que j’ai pu me mettre à l’œuvre, et le dessin que je vous envoie se ressent beaucoup de la précipitations avec laquelle il a été exécuté. Le temps ne fait rien à l’affaire, mais dans cette circonstance il fallait nécessairement se hâter sous peine d’arriver trop tard. J’espère, Madame, que mon humble offrande arrivera à temps pour être comprise dans cette vente, mais j’ai cru devoir vous prévenir à l’avance, ayant remis mon dessin à Monsieur Beylot qui envoie demain la voiture à Bordeaux et qui m’a promis de vous le faire tenir à deux heures et demie au plus tard.
Recevez….
Il est difficile d’ajouter un détail à ce court chapitre. Signalons seulement, pour bien préciser la personnalité de Théophile Lacaze, que selon son propre aveu, il aimait par dessus tout sa ville natale, sa famille et sa maison où il pouvait travailler dans le silence et la retraite.
Théophile Lacaze avait trois enfants en qui il avait mis toutes ses espérances et tous ses trésors d’affection. Soudain, le plus jeune de l’un d’eux fut atteint par une de ces cruelles maladies qui, à l’époque, ne laissaient aucun espoir. Malgré les soins vigilants qui lui furent prodigués, la malheureuse petite fille mourut le 19 août 1846 au château de l’Escarderie à Saint-Germain-la-Rivière, en Gironde.
Déjà épuisé par son immense labeur, Lacaze ne résista pas à un coup aussi douloureux. Le chagrin développa bien vite les germes de la dangereuse affection contracté au chevet de sa fille. Après de longues souffrances, il s’éteignit le 5 septembre de cette même année.
Ce fut un jour de deuil et de désolation pour la ville qui l’avait vu naître, où il comptait autant d’amis que d’habitants et où il avait toujours vécu.
Dès que la nouvelle de sa mort fut connue, les navires du port abattirent leurs vergues en croix, nous rapporte un journal du temps. Tous ceux qui l’avaient connu pleurèrent cet être charmant dont la simplicité et la bonté avaient gagné tous les cœurs. Une foule énorme l’accompagna à sa dernière demeure.
Tout au long de la route qu’il suivit pour se rendre au cimetière, le cortège funèbre trouva une double haie de libournais venus rendre un dernier hommage à leur illustre concitoyen.
Lors de l’inhumation le Sous-préfet prononça une allocution qui traduit bien la personnalité de Théophile Lacaze. Cve discours simple et émouvant mérite bien d’être reproduit ici :
Messieurs,
Le deuil d’une famille est aujourd’hui,
le deuil de la ville entière : témoin la foule qui entoure cette tombe
de si unanimes regrets. C’est que Monsieur Lacaze n’était pas seulement l’espoir
de ses enfants et l’orgueil de son vénérable père, il était aussi l’honneur
de la cité qui l’a vu naître et au sein de laquelle, sans maître, par la seule
application d’une faculté bien rare, il avait acquis un talent dont les progrès
l’avaient placé au rang des maîtres de la peinture. Comme tous les artistes,
vraiment dignes de ce nom, on le retrouve tout entier dans ses œuvres. Ses
sujets favoris : des scènes de
Combien de boudoirs sont ornés de ses gracieux tableaux qui ont porté l’espérance et la vie dans la maison du pauvre. Homme du monde et homme d’études, son érudition s’enrichissait chaque jour, et sa modestie la faisait tellement oublier, que malgré tous ses succès il n’a jamais eu d’envieux.
Père, fils, époux, Monsieur Lacaze était le modèle de toutes les vertus privées ; sa mort elle-même est le résultat de sa tendresse paternelle. Une enfant, qu’il faisait coucher avec lui pour mieux la soigner,, l’a précédé de quelques jours dans cette sépulture, en lui transmettant le mal auquel il vient de succomber.
Le louer selon son mérite, ce serait, Messieurs, dire les larmes de sa famille et de ses amis, le désespoir d’une veuve digne de lui, la stupeur de ce vieillard qui conserve, dans un âge octogénaire, toutes les facultés pour pleurer un fils dont il avait toutes les raisons d’être fier.
La religion seule peut modérer de telles douleurs. Emportons avec nos regrets, cette pensée qui adoucit l’amertume : le ciel a des océans de bonheur pour ceux qui sont tant regrettés sur la terre.
Malgré la solitude dans laquelle vivait Théophile Lacaze, sa mort ne passa pas inaperçue. Tous les journaux de la région lui consacrèrent une notice nécrologique. Les Parisiens, eux, n’apprirent la triste nouvelle que le 10 septembre par un article du Moniteur Universel.
Arrivé à l’automne de sa vie, Delacroix disait avec amertume : « Je possède un rare génie, mais qui n’arrive pas à me faire vivre paisiblement comme un commis. » Si Lacaze n’avait pas possédé une fortune personnelle, il aurait pu faire sienne la phrase du grand maître.
Comme
lui, Lacaze de son vivant ne vendit ses œuvres qu’à des prix dérisoires. Si
malheureusement nous n’avons pu trouver trace du prix des tableaux qu’il vendit
au profit des pauvres, nous savons qu’en 1838
L’année suivante son Richard et le docteur maure lui était acheté pour le même prix.
(Rappelons que cet ouvrage a été écrit en 1969, les chiffres ci-après auraient donc besoin d’être revalorisés ! Nous recopions cependant le texte original sans le modifier.)Si aujourd’hui ces deux peintures passaient en vente publique, il n’est pas douteux qu’elles trouveraient acquéreur pour au moins 1 000 NF. Il est évident que ce prix, relativement faible, doublera ou triplera dans les années à venir quand Théophile Lacaze sera plus connu qu’il ne l’est maintenant.
Voulant connaître la cote actuelle de ses œuvres, nous avons interrogé le propriétaire d’une des plus grandes galeries de Bordeaux. D’après lui, il ressort que le prix d’un dessin ou d’une aquarelle de l’artiste, se situe entre 200 et 300 NF. Le prix de ses peintures oscille aux alentours de 700 NF.
Empressons-nous de signaler que les sommes citées sont évidemment approximatives. Depuis la mort de Lacaze, aucune de ses œuvres n’a été livrée au feu des enchères. Seules quelques œuvres secondaires ont été vendues chez divers antiquaires bordelais.
EXPOSITION POSTHUME DE THÉOPHILE LACAZE.
En
Comme nous l’avons fait pour les expositions précédentes, voici les commentaires d’un critique régional.
« Théophile Lacaze n’est pas un peintre dont on s’essouffle à chercher les qualités : après plus d’un siècle, il s’impose par la pureté du dessin, le sens de l’équilibre dans la composition, la science instinctive de la couleur dont il joue avec tant d’heureuse sobriété. Le romantisme qui imprègne ses toiles, ses aquarelles et ses pastels, peut sembler désuet à d’aucuns, le procédé technique peut être jugé hors de notre temps par l’école abstraite qui a créé ce qu’un très illustre confrère nommait "la géométrie du désespoir", en dehors de quoi il n’y a point de salut à ses yeux. Lacaze ne nous en a pas moins laissé une belle œuvre picturale, devant laquelle on ne saurait rester indifférent. Et cette subtile fraîcheur d’inspiration, cette sérénité dans l’expression répondent à ce que Léonard de Vinci donnait comme définition da la peinture : « Elle saisit la beauté du monde qui se trouve dans les surfaces, les couleurs et les figures de toute chose créée par la nature. C’est un plaisir sans fin que celui de stationner devant les œuvres de Lacaze et surtout devant ses portraits, dont certains s’apparent à l’école flamande par la consistance d’une pensée qui va au-delà des apparences et, au travers des qualités de la technique, puise dans l’émotion personnelle le pouvoir d’exprimer et d’émouvoir parce qu’un visage vient de livrer au regard attentif et quelque peu halluciné une parcelle de sa vérité vivante… Impression que l’on éprouve pleinement, pour ne citer que lui, devant le portrait de l’artiste par lui-même.
Plaisir sans fin, aussi que celui d’étudier le jeu si sobre des couleurs qui ne trahit jamais l’accord subtil et harmonieux de leurs rapports.
Signalons pour terminer ce chapitre, que le succès de cette magnifique exposition, aurait pu être encore plus grand, si le public libournais ne s’était pas montré aussi réservé.
THÉOPHILE LACAZE DANS NOTRE TEMPS.
Après le décès de Théophile Lacaze, son épouse conservera soigneusement les tableaux et les esquisses qui se trouvaient dans son atelier. En 1890, quand elle mourut les peintures de l’artiste furent réparties entre ses deux enfants.
Il y a encore quelques années, le principal ensemble de son œuvre appartenait encore à sa famille. Aujourd’hui, grâce à la générosité de Mme d’Allibert, une de ses parentes, le Musée de Libourne possède ses toiles les plus importantes. Parmi ces dernières le portrait de son père : Le Roi Lear, Marie-Stuart, La mort de Suénon, et un charmant autoportrait du peintre, se distinguent par leur beauté.
Les
autres tableaux de l’artiste sont disséminés dans sa famille et chez les collectionneurs
du Libournais. De ce fait, ses œuvres ne circulant pas, il reste un peintre
qu’il est impossible d’étudier hors de
De plus, il est possible que certains de ses dessins soient classés comme étant l’œuvre d’un anonyme du XIXe siècle. En effet, grâce à l’obligeance de la famille de l’artiste, j’ai pu admirer longuement les dessins et les croquis qui, à sa mort, se trouvaient dans son atelier. J’ai constaté alors, qu’en majeure partie, ceux-ci n’étaient pas signés.
Il est regrettable que les précédentes municipalités libournaises, n’aient pas cru devoir s’employer à mettre en valeur l’œuvre de leur concitoyen. Si l’effort nécessaire avait été réalisé, Théophile Lacaze serait célèbre depuis déjà longtemps. Heureusement pour la postérité de l’artiste, M. Martrinchard, le dévoué conservateur des Musées de Libourne, s’est fait un devoir de faire connaître son œuvre au public.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, M. Matrinchard fut l’organisateur de la rétrospective de 1963. Aujourd’hui, de nouveau, grâce à lui, nous pouvons espérer que le Musée de Libourne possèdera bientôt une Salle Théophile Lacaze parfaitement organisée.
Cette dernière initiative devrait placer Théophile Lacaze au rang qui lui revient : celui des grands peintres.
[1] - Par Jean F. FOURNIER, Juin 1969. Plaquette communiquée par le Musée de Libourne.
[2] - Né à Libourne le 12 février 1768.
[3] - Jacques Lacaze, député de
[4] - NOTA. Lire aussi sa biographie plus complète dans la généalogie.
[5] - Nous savons aujourd’hui qu’elle est morte le 22 décembre 1818 à Libourne.
[6] - Archives de
[7] - Archives de
[8] - Les lignes qui suivent parurent dans le Courrier de Bordeaux du 29 août 1839.
[9] - Archives municipales de Bordeaux. Collection des Manuscrits 133. Collection Roullet (100-101).