(SUITE ET FIN)
Pour répondre à la question, efforçons-nous dans un premier temps, de saisir la mentalité des vicaires généraux d’Auch en ce début du XVIIIIe siècle. Dans quel état d’esprit vont-ils examiner la demande de chapelle présentée par le curé de Puntous ?
Le nombre considérable de copies de procès de tout genre, collationnés dans les « Mémoires » de l’archidiacre Louis d’Aignan du Sendat prouve, à l’évidence, que nous sommes en présence d’hommes d’Eglise rompus à la jurisprudence de l’époque, soucieux d’appliquer à toute affaire qui leur est soumise la législation en vigueur, et ce, dans un cadre de pensée préétabli.
En ce sens, l’application des décrets du Concile de Trente demeure, au premier chef, la ligne de conduite à respecter.
Par ailleurs, depuis sa condamnation en juillet 1723, lors du procès contre le sieur de Beauregard, le curé Abbadie est jugé ecclésiastique peu scrupuleux, capable de tirer parti d’une situation au mieux de ses intérêts.
Les motifs avancés par le curé de Puntous pour justifier sa demande de construction d’une chapelle devront donc être de grand poids, surtout si l’on songe au contexte local.
En effet, il ne s’agit pas d’une simple chapelle de dévotion dont la demande d’érection est conditionnée seulement par un élan de piété.
Répondre favorablement à la requête de l’abbé Abbadie, c’est,
depuis l’intervention de noble Arnaud de Sariac, apporter la caution de l’Eglise
en faveur des « miracles » obtenus par l’intermédiaire de la « Peyrette »,
c’est encore provoquer le regain des pratiques de dévotion dont la pierre
demeure l’objet, « et d’autant que le peuple, tant dudit lieu que des
environs y font des vœux et des dévotions sans Approbation ».
Inéluctablement, la construction de la chapelle de Puntous dépend du jugement
porté par l’Officialité d’Auch sur la valeur des « miracles » attribués
à la pierre de Puntous.
Or les enquêteurs diocésains n’ignorent pas les principes très stricts édictés à ce sujet par le Concile de Trente en sa vingt cinquième session (3 décembre 1563) : on n’admettra de nouveaux miracles… que lorsque l’évêque, après avoir constaté la certitude ou l’authenticité, y aura donné son approbation. Pour prendre une telle décision, l’évêque doit s’entourer des conseils de théologiens et autres personnages pieux. Lorsque l’affaire est grave, difficile, il convient d’en référer à l’évêque métropolitain et aux autres évêques de la province. Rien de nouveau, d’inusité ne doit être établi sans que le Pape fût consulté.
Pour les amateurs de latin, voici d’ailleurs la teneur du décret en sa version originale :
« … nulla etiam admittenda esse nova miracula, nec novas reliquias recipiendas, nisi eodem recognoscente et approbante episcopo, qui simul atque de lis aliquid compertum habuerit, adhibitis in consilium theologis et allis plis viris ea faciat, quae veritati et pietati consentanea judicaverit. Quod si aliquis dubius aut difficilis abusus sit extirpandus, vel omnio aliqua de lis rebus gravior questio incidat, episcopus, ante quam controversiam dirimat, metropolitani et comprovincialium episcoporum in concilio provinciali sententiam expertet, ita tamen, ut nihil inconsulto sanctissimo Romano Pontifice novum aut in Ecclesia hactenus inusitatum decernatur. »
Dès le début du XVIIe siècle, ces prescriptions furent mises en vigueur dans le diocèse d’Auch grâce au zèle apostolique de Monseigneur Léonard de Trappes. Témoin à l’adresse du vertueux évêque, ce texte de Pierre Geoffroy, daté du 10 juillet 1629 et publié à l’occasion de la première édition du « Lys du Val de Guaraison » par E. Molinier, Toulouse, 1630 :
« .. Outre que les decrets du S. Esprit prononcez au
sacré Concile de Trente, n’advoüent pas la publication des nouveaux miracles,
s’ils ne sont munis du sceau et de l’approbation de l’Evesque dans la juridiction
duquel ils ont esté produits : et quoy que ceux qui sont escrits en ce
livre, ne puissent souffrir le reproche de la nouveauté, pour l’antiquité
de la chapelle, où
÷
Ceci posé, rappelons quels motifs allègue le curé de Puntous pour obtenir sa chapelle :
« … Mais pour vous faire connoitre Monseigneur que ce n’est pas icy une nouveauté que l’avarice du suppliant ayt immaginée, que ce sont des motifs de religion, et des véritables miracles que l’on voit depuis tout temps auprès de cette pierre qui l’ont engagé a vous presenter sa premiere requete et qui le fortifient dans le dessein qu’il a eu de la soutenir et de la deffandre vivement a celle du sr Bouris, il aura lhonneur de vous exposer encore une foix et de le prouver a meme temps ;
Que cette devotion auprès de la pierre de Bartere étoit en vigueur et que l’on y faisoit des offrandes en 1578 cella paroit par une Letre ecrite par le seigneur de Bartere aus consuls de Puntous ;
Qu’elle continuoit en 1579 ainsi que l’on voit dans un acte fait par le seigneur de Bartere a la dame seigneuresse de Puntous et aus consuls de meme lieu ;
Que cette devotion s’étant ralantie pendant quelques annees elle reprit ses premieres forces suivant le procès verbal qui en fut dressé en 1636 par Mr Daignan archidiacre de Maignoac dans le cours de sa visitte
Qu’elle a repris aujourd’hui son ancienne vigueur veue des miracles qui sy font de temps en temps dequoy les certificats remis ne permettent de douter ;
Après cela le sr de Bouris pretandra t’il encore qu’il faut banir cette devotion ; qu’il faut exterminer ceux qui l’entretiennent, si son objet était suivi, il faudrait par la meme raison supprimer et interdire toutes les chapelles repandues dans la chretienté ou l’on void tant de miracles ; on sçait bien que ce n’et ny le bois ny la pierre qui font les miracles, que cét Dieu seul, mais on ne peut pas dissimuler que Dieu ne veuille etre honoré de certaines manieres et que les secréts de sa providance ne soient impénétrables, cét donc a ces prieres que l’on fait devant ce bois, devant cette pierre par rapport au Seigneur soutenue par la foy que Dieu attache ses graces et qu’il les repand comme il luy plait, qu’il sy manifeste par des miracles, et cét ce qu’on epprouve bien souvent auprés de la pierre de Puntous… »
L’argumentation du curé de Puntous repose donc sur la mise en valeur de considérants que l’on peut résumer en ces termes :
- La dévotion à la pierre de Puntous est fort ancienne. Elle est attestée par des actes publics remontant à 1578 et 1579 ; de surplus, par le Verbal de Visite dressé en 1636 par l’archidiacre Etienne d’Aignan du Sendat.
- Les miracles opérés autour de cette pierre prouvent que Dieu se plaît à être honoré en ce lieu. Puisque les desseins de Dieu sont impénétrables, mieux vaut s’incliner devant les faits.
- Les dévotions auprès de la pierre de Puntous se justifient tout autant que celles permises en bien des chapelles.
Quel effet ces arguments ont-ils produits sur les vicaires généraux chargés de l’enquête ?
Négatif, pour la bonne raison que le curé de Puntous n’obtiendra pas sa chapelle.
Certes, nous ignorons si le dossier fut simplement classé ou si le curé eut droit à une lettre officielle de non recevoir.
Toutefois, compte tenu de certains indices, il est possible
de conjecturer à quel point l’officialité d’Auch fut peu sensible à l’argumentation
du curé.
Etudions, en ce sens, la valeur des diverses allégations.
La dévotion à la pierre de Puntous remonte à 1578. Soit, mais, à condition que fut authentique la lettre présentée, de quel genre de dévotion s’agit-il : une dévotion marginale, :« sans Approbation ».
Si elle avait été aussi importante et alimentée par autant de « miracles » que le soutient le curé de Puntous, comment cette dévotion aurait-elle pu échapper à l’attention vigilante de Monseigneur de Trappes, cet évêque si soucieux de réparer les ruines causées en son diocèse par les guerres de religion ; cet évêque qui vint si souvent à Garaison, pèlerinant, parfois même, d’Auch à Garaison à pied.
D’ailleurs « l’antiquité » de la dévotion à la pierre de Puntous est toute relative : elle est seulement attestée après la date de clôture du Concile de Trente. L’argument « de l’antiquité » est donc irrecevable dans le cas présent.
A titre de comparaison, lorsque Geoffroy, au sujet de Garaison,
parle de « l’antiquité de la chapelle, où
Outre l’acte de 1536 qui atteste « l’antiquité »
du sanctuaire, Molinier et Geoffroy insisteront sur le fait que la dévotion
à Notre-Dame de Garaison débute dans le temps, à une date précise : les
Apparitions de
Ceci, vraisemblablement, pour bien démarquer Garaison d’avec quantité de petits pèlerinages locaux des environs, plus ou moins suspects de pratiques « superstitieuses », on le verra plus loin.
Pour preuve de leurs affirmations, les deux chapelains invoqueront, outre la tradition populaire, le témoignage écrit de contemporains de la voyante, dont la situation sociale impose, au XVIIe siècle, le respect.
÷
Puisque le curé de Puntous ne peut, juridiquement parlant,
faire valoir l’antiquité de la dévotion à
Ceux-ci sont à ranger en deux groupes : ceux mentionnés dans le Verbal d’Etienne d’Aignan du Sendat et ceux, récents, attestés par les « certificats » dont le curé fait état dans sa demande.
Nous ne possédons pas la liste des « miracles » avec « certificats » ». Simplement, dans la liste des « interrogats qui doivent etre faits aus deposans », texte que l’on peut dater de 1718 environ, l’on relève : « Si on sçait que lannée dernière il y arriva deux damoiselles inconnues qui y laisserent deux yeux de sire en reconoissance de ce que l’une avoit recouvert la veue avec assurance que si l’on y bâtissait une chapelle elles vouloient faire un don considérable.
Si cette dévotion continue actuellement et si ces fetes dernières de pantecote on n’y a veu un grand concours de monde qui ont fait des dons considérables ».
Ces brèves mentions laissent entendre que si le curé de Puntous a vraisemblablement les moyens matériels de faire construire la chapelle demandée, il n’a pas pu produire beaucoup de miracles récents, outre le Verbal de visite, établi en 1636.
Or, nous l’avons déjà dit, le constat de l’archidiacre Etienne d’Aignan du Sendat ne constitue pas un véritable procès verbal de miracle.
Il suffit pour mieux s’en convaincre de lire dans le « Lys du Val » la relation d’un procès-verbal établi en présence de Monseigneur de Trappes.
L’an 1616, le 18, Octobre, Monsieur Simon Legier secretaire
ordinaire de la chambre du Roy, estant venu dans Guaraison a declaré. Que
depuis trente mois, il estoit travaillé d’une vehemente douleur en la jambe
gauche, provenant d’une defluxion, qui lui estoit tombee sur ceste partie
dans la ville de Bourdeaux où il habitoit pour lors. Defluxion qui ayant commencé
de paroistre par une marque noire, indice de l’inflammation, avoit aussitost
produit une rougeur viue et bruslante, tout à l’entour de ce noir, comme un
feu caché qui jette la flamme au dehors. Ce qui avoit esté suivi d’une douleur
si violente et si continuelle, que la rigueur en estoit insupportable, et
la perseverance encore plus, ne luy donnant ny relasche, ny repos en ses tourmens,
mais s’augmentant d’heure en heure, et prenant nouvelle force du temps, qui
soulage et adoucist d’ordinaire les maux les plus obstinés. Et le pis estoit,
qu’apres avoir tenté toute sorte de remedes, et appellé à son ayde les plus
expers Medecins de
On pourra lire en outre la « Relation véritable du miracle
Daict a Gondrin dans le diocese d’Auch par l’intercession de S. Pierre d’Alcantara
le 10. du mois de Mars 1670 avec
Dans les deux cas, l’on constate que selon la procédure d’examen mise au point au XVIIe siècle, l’intervention de l’autorité épiscopale cautionne au moins la publication du miracle, même lorsqu’elle ne reconnaît pas explicitement la guérison « véritable et miraculeuse ».
Le curé de Puntous ne peut faire valoir de telles garanties.
En 1723, le « miracle » de la demoiselle inconnue qui laisse en ex-voto deux yeux de cire, relève encore du fait divers aux yeux de l’officialité diocésaine.
Et le « Verbal sommaire des miracles arrives à la pierre qui est à la paroisse de Punctous… ». Pourquoi, en 1716, n’a-t-il pas été imprimé chez Destadens, imprimeur de l’évêché et du clergé d’Auch depuis 1695, mais chez J. Duprat ?
Au surplus, pourquoi l’opuscule n’est-il pas revêtu de la « Permission d’imprimer » délivrée en de telles circonstances par l’évêque ou ses vicaires généraux, comme c’est le cas pour les écrits de Geoffroy, Molinier, la relation du miracle de Gondrin, mentionné plus haut…
Jusqu’à preuve du contraire, le curé de Puntous donne l’impression d’avoir abusé de la faiblesse du vicaire général Laffont pour obtenir la possibilité de faire imprimer chez un artisan dans la gêne un libellé de facture populaire semblable aux « canards » des XVIe et XVIIe siècles.
Mais dans quel but exactement ?
Il est difficile de le préciser. Peut-être tenter de créer
un courant d’opinion dans le Magnoac et le Gers, attirer pèlerins et curieux
à
Mais en l’occurrence, ce sont des arguments d’un tout autre ordre qui eussent été capables de faire pression sur les vicaires généraux.
Il est remarquable en effet de trouver dans les papiers de Louis d’Aignan du Sendat, outre la relation du miracle de Gondrin, déjà mentionnée, le récit d’un miracle survenu à Paris en 1725.
Retenons la date, en nous souvenant qu’en 1723 l’on enquêtait
encore à Puntous, qu’en octobre 1724 le chanoine Laffont est mort. Le cas
de
Il est bien évident que si l’archidiacre du Magnoac et vicaire général d’Auch, Louis d’Aignan du Sendat voulut conserver dans ses archives la relation de ces deux miracles, c’est que, surtout le second, lui semblait être, à l’époque qui nous occupe, revêtu de toutes les garanties possibles.
A ce titre, nous citons ici la conclusion du Mandement de l’archevêque de Paris.
« … A ces causes, vü
Signé, † L.A. Card. DE NOAILLES, Ar. De Paris.
Et plus bas, Par son Eminence.
Chevalier.
Pour juger « que la guerison arrivée à
- le jugement des Médecins, des personnes capables et pieuses à propos d’un fait récent, précis, dont l’action s’est déroulée de manière spectaculaire, longue maladie antérieure, guérison soudaine, le tout, en présence de très nombreux témoins :
- la moralité, au-dessus de tout soupçon, de la miraculée, de son entourage : « Nous devons ajouter pour votre édification, que Dieu n’a pas permis que la moindre apparence d’intérêt ait pû faire soupçonner de l’art et de l’industrie dans ce qui s’était passé. »
- le contexte apologétique du miracle : « Dans le fait miraculeux dont il s’agit, Dieu a récompensé sa foi (de la miraculée), la patience de la malade éprouvée depuis tant d’années ; mais en même temps, dans ces jours de licence et de corruption, où l’irréligion fait tant de progrès, Dieu a voulu confondre les incrédules, donner pour la consolation des Fideles et pour la pleine conviction de nos Frères réünis (les Protestants), une preuve sensible et éclatante des grandes veritez, que les premiers sont assez heureux pour croire d’une foi ferme, et dont les seconds ont tant de peine à se persuader. »
Ces vérités rejetées par les Protestants, sont : la réalité
de la présence eucharistique, la légitimité du culte d’adoration rendu à l’eucharistie,
la légitimité des processions de
« Trois veritez que Dieu a voulu démontrer d’une manière visible, trois erreurs opposées au dogme et au culte de l’Eglise que Dieu a voulu détruire par le miracle sous nos yeux. »
Il semble que nous abordons ici le nœud de la question. Aux yeux d’un intellectuel catholique du début du XVIIIe siècle, et Louis d’Aignan du Sendat est du nombre, le miracle de Paris prend valeur de signe de Dieu, à l’usage des élites cultivées.
Le ton apostolique de l’archevêque de Paris pour exploiter le miracle au bénéfice des thèses de l’Eglise, issue du Concile de Trente, face aux controverses de l’époque est très significatif : « C’est ainsi que dans un siècle où l’on veut douter de tout, Dieu a voulu que tout concourût pour mettre dans une pleine évidence un miracle si avéré. »
Oui, en 1725, le miracle du Faubourg Saint-Antoine démontre péremptoirement (on veut au moins nous le faire entendre ainsi) : l’Eglise catholique est toujours assistée de Dieu ; donc, implicitement, se vérifie l’adage : « Hors de l’Eglise pas de salut. »
÷
Au regard, quel bénéfice spirituel pourrait retirer en 1725
le diocèse d’Auch de l’exploitation des faits « miraculeux », même
« authentifiés », attribués à
N’y a-t-il pas déjà Garaison ?
Il y a plus grave. Le malheureux curé de Puntous met trop en avant « cette Pierre miraculeuse », symbole de paganisme ancestral, de pratiques superstitieuses, de mentalité qui ne sait pas encore ce qu’est le doute rationnel hérité de Descartes.
Le seul titre du libellé : Verbal Sommaire des Miracles
arrives à
Le début de
Ce que le curé de Puntous n’a pas compris, c’est qu’il se trouve devant un fait d’évolution des structures mentales, fort bien caractérisé par Lucien Febvre.
Les milieux cultivés de Paris, d’Auch, ne pensent plus comme pense encore le milieu rural du Magnoac.
Face à l’officialité, le curé Abbadie argumente constamment en porte à faux : il donne l’impression d’en rajouter au chapitre des superstitions populaires, alors que justement, l’on essaie, en haut lieu de les épurer, vainement d’ailleurs.
Le pauvre curé pourra donc s’efforcer de démontrer que le cas
de
En d’autres termes, le curé de Puntous, dans sa demande de chapelle, fait figure aux yeux d’un Louis d’Aignan du Sendat, par exemple, de représentant attardé d’une mentalité révolue, préjudiciable même, aux intérêts de l’Eglise de 1725. Répondre victorieusement aux attaques des protestants d’une part, au scepticisme affiché, à l’appétit de jouissance mis à la mode par le Régent Philippe d’Orléans, donc « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle », voilà ce qui importe et non favoriser un type de dévotion basé sur les dérèglements de l’imagination, la soif du merveilleux, attitudes peut-être valables au XVIe et XVIIe siècles, mais que d’aucuns taxent aujourd’hui « une idolâtrie affreuse dans le lieu de Puntous ».
La réaction de cet Arnaud de Sarriac est à bien mettre en valeur : « … il vous plaise, Monseigneur, couper chemin a un mal si pressant et qui n’est allé déjà que trop loin ; les prêtres du lieu alléchés par les dons et les offrandes que des pauvres paysans ignorans portent tous les jours a une pierre dont ils font leur idole, bien loin darreter leur idolatrie animent par leur exemple ces miserables de rendre a cette pierre un culte qui n’et deu qu’a Dieu seul ; nous ne sçaurions Monseigneur vous exprimer laffiction que tous les bons chrétiens ont ressenti d’un pareil abus… »
« Le scandale que cette malheureuse pierre cause parmy les chretiens » entendons, le scandale que provoque dans l’élite cultivée de l’époque de telles pratiques, voilà ce que l’autorité diocésaine est priée d’enrayer : « … tout cela dis-je Monseigneur nous a portés de vous prier très humblement d’interposer lauthorité que Dieu vous a donné sur son troupeau, et vouloir deffandre au curé de Puntous… »
÷
Certainement, la requête du seigneur de Sariac fut entendue
avec grande compréhension lorsqu’il fallut trancher le cas de
C’est dire que l’argument « miracle » n’étant pas retenu pour les motifs précédemment exposés, l’argument « Dieu se plaît à être honoré en ce lieu » demeura sans effet par voie de conséquence.
Toutefois, au passage, signalons que le curé de Puntous, en soumettant un tel argument ne faisait que suivre un schématisme stéréotypé, bien antérieur au fait de la demande de la chapelle.
Il est piquant en effet, de lire dans le « Lys du Val » un thème d’argumentation identique :
« … Je dis que quand Dieu, ou par soy-mesme, ou par
Molinier ne semble-t-il pas développer ce qu’écrivait le curé Abbadie : « … on ne peut pas dissimuler que Dieu ne veuille être honore de certaines manieres et que les secréts de sa Providence ne soint impenetrables… cét donc a ces prieres que l’on fait devant ce bois, devant cette pierre par rapport au seigneur soutenue par la foy que Dieu attache ses graces et qu’il les repand comme il luy plait, qu’il s’y manifeste par des miracles et cet ce qu’on eprouve bien souvent auprës de la pierre de Puntous ».
La partie est donc perdue pour le curé de Puntous et le dernier argument qu’il présente ne fait que le desservir :
« … s’il faut banir cette devotion… il faudrait par la même raison supprimer et interdire toutes les chapelles repandues dans la chrétienté où l’on voit tant de miracles. »
Peut-être qu’en rédigeant ces lignes, le curé de Puntous songe à Notre Dame de Garaison, à Notre Dame de Biran, à Notre Dame de Bétharram, mais rien n’empêche de croire que, lisant le même texte, Louis d’Aignan du Sendat ou tel autre vicaire général ne pense à d’autres dévotions populaires du diocèse d’Auch. Un siècle plus tard, l’abbé Cazauran citera encore bien des exemples significatifs en ce sens :
- « L’église paroissiale de St-Jean Baptiste, patron de Laas, se trouvait jadis, sur le plateau de Molon, à un kilomètre au Sud-Ouest du village. Il ne reste plus rien de cet édifice sur l’emplacement duquel on a une croix où la paroisse fait tous les ans un petit pèlerinage, en procession, le jour de la fête de Saint Jean Baptiste. Près de la croix de fer, qu’on aperçoit en cet endroit, se montre une seconde croix en pierre, très basse, que tous les pèlerins de Saint Jean Baptiste vont toucher de la main, et à laquelle on attribue des propriétés merveilleuses pour la guérison de diverses maladies. La croix a sa légende populaire : on a vainement essayé de la déplacer ou de la faire disparaître, raconte la multitude. Elle est toujours revenue au même endroit. »
- Guizerix, à côté de Puntous : « … fontaine
célèbre dans le pays pour la guérison des enfants, surtout. On s’y rend en
foule, principalement le jour de
- Chapelle votive de Saint Christophe, commune de Sauveterre, près Lombez : « A trois kilomètres du village et à l’ouest, se dresse, sur un plateau entouré de cyprès, la chapelle votive de Saint Christophe qui attire un grand concours de visiteurs pour la guérison des croûtes laiteuses des enfants, dites cristailles, dans la contrée. La poussière qu’on détache des murs de l’oratoire est, dit la foule, d’une parfaite efficacité contre les cristailles. La paroisse de Sauveterre se rend en pèlerinage à Saint Christophe le 25 juillet de chaque année et on y dit la messe tous les samedis du mois de mai. »
- Chélan… « Sainte Gemme est patronne de la paroisse… Les fidèles
de la paroisse ont un culte particulier pour Sainte Gemme dont l’image a disparu.
Une statue de
Elle ne quitte ce poste que le dimanche après la fête de Saint
Clair. Alors on dresse un petit monument dans la chapelle de
Tous les malades de la paroisse ou des localités voisines, qui sont atteints d’ophtalmies, viennent à Chélan, ce jour-là, pour se laver les yeux avec l’eau bénite du petit monument et laisser leur aumône. Bien des prodiges attestent, dit-on, l’efficacité de cette pieuse pratique. »
L’on pourrait encore allonger la liste, tout en précisant qu’à l’époque il en était à peu près partout de même en France, surtout dans les campagnes retirées.
Témoin, par exemple, le cas de la chapelle de
÷
Pour conclure, laissons une question prendre forme :
Au XVIIIe siècle, l’Eglise n’a pas voulu permettre l’érection d’une chapelle à Punctous, dans le souci de ne pas encourager une dévotion populaire considérée comme trop favorable à la survivance de pratiques païennes ancestrales.
Mais deux siècles plus tôt, la demande du curé Abbadie aurait-elle essuyé le même refus ?
Supposition gratuite, certes, mais qui ne manque pas de susciter quelques points d’interrogation.
Lorsqu’il s’agit, en effet, de se prononcer en faveur d’un « miracle authentique », dans quelle mesure l’autorité diocésaine n’est-elle pas toujours fortement conditionnée par des facteurs psychosociologiques, étrangers au fait lui-même ?
Sur un plan strictement sociologique, dans quelle mesure, alors, le « miracle authentique » ne risque-t-il pas d’apparaître comme le résultat d’une interprétation, d’un jugement, plus ou moins sujet à caution pour les siècles ultérieurs ?
Cette opinion est renforcée lorsque l’on constate à quel point le contexte de merveilleux qui entoure tout « miracle » varie d’une époque à l’autre, d’un milieu social à l’autre, souvent même reflète une situation économique précise.
Cette opinion est renforcée lorsque l’on constate à quel point le contexte de merveilleux qui entoure tout « miracle » est étroitement apparenté au socioculturel, donc à un certain type de structure mentale.
Mais alors, jusqu’à quel point, le « miracle » n’est-il pas l’aboutissement d’un inconscient « besoin de croire au miracle ? » Et le recours à un péremptoire « jugement de Dieu » ne traduirait-il pas en fait, un désir collectif de sécurisation ?
Préciser l’exacte portée de ces questions ne permettrait-il pas de saisir pourquoi certaines époques, certaines régions furent ou demeurent plus propices que d’autres à la floraison des miracles.
Préciser l’exacte portée de ces questions ne permettrait-il pas encore de saisir pourquoi tel fait attesté « miracle » à une certaine époque, perd, à une époque ultérieure, dans l’esprit des foules, son caractère de manifestation du surnaturel.
Qui, par exemple, admettra aujourd’hui qu’un mort, bien enseveli, puisse à deux reprises être rejeté de sa sépulture, sous le prétexte que la terre n’a pas voulu d’un pécheur ?
Père Xavier RECROIX, "GARAISON, bulletin de l’amicale des anciens élèves de Garaison, n° 139"