Appendices Brusaut

   Fac-similé

Le précédent chapitre a publié la copie d’un procès-verbal des miracles attribués à la Pierre de Puntous.

Rappelons tout d’abord les quelques données fournies :

A la suite d’une « délibération publique et authentique » du 21 septembre 1715, le sieur Abadie, curé de Puntous, écrit en 1716 à l’archevêque d’Auch pour demander la permission d’élever une chapelle dédiée à la Vierge, et ce « dans un endroit où est … une pierre de marbre elevée de terre, d’environ trois piés ». De temps immémorial, la pierre est l’objet de la dévotion populaire en raison de faits miraculeux attribués au monolithe.

Toujours en 1716, le curé de Puntous fait imprimer à Auch le document publié dans le précédent chapitre. Depuis peu, en effet, le prêtre a reçu de Simon Rouëde, Chapelain de Garaison, le procès-verbal établi par Etienne Daignan du Sendat, alors archidiacre du Magnoac, lors d’une visite de paroisses, en 1636. Le document de trouvait dans les archives de Garaison. Allégation vraisemblable, puisque Etienne Daignan du Sendat fut élu Supérieur des Chapelains de Garaison en 1662.

÷

Le vicaire général Laffont examine la demande d’érection de la chapelle, mais somme bientôt le curé Abadie de répondre aux accusations portées par Noble Arnaud de Sariac, contre un projet favorisant le lucre et la superstition

Après enquête la chapelle, finalement, ne sera pas érigée.

÷

Quelle valeur accorder à cette longue relation de miracles publiés en 1716 par les soins du curé Abadie.

Par souci de clarté, quelques précisions tout d’abord, sur :

- la visite des paroisses par l’archidiacre au XVIIe et XVIIIe siècles, dans le Magnoac en particulier.

- la mentalité religieuse et profane de l’époque,

- les principaux acteurs de l’affaire qui nous intéresse.

Cet éclairage permettra de mieux situer la portée du texte attribué à Etienne Daignan du Sendat, texte à étudier par la suite en le confrontant notamment avec la relation établie par Pierre Geoffroy sur les débuts du Sanctuaire de Garaison et les miracles obtenus par l’intercession de N.D. de Garaison, avant 1606.

En conclusion, il sera loisible de mieux prendre conscience de l’œuvre des premiers Chapelains de Garaison, face à un contexte psycho-social bien déterminé.

÷

L’archidiocèse d’Auch, avant la Révolution, était divisé en plusieurs archidiaconés, dont celui de Magnoac.

Ce dernier comprenait, en gros, les paroisses englobées par les actuels doyennés de Castelnau-Magnoac et Galan.

Puntous dépendait ainsi de l’archidiacre du Magnoac.

Charge purement honorifique réservée aux chanoines de la cathédrale d’Auch sur promotion de l’archevêque, l’archidiaconat implique le droit annuel de visite des églises relevant de l’archidiaconé, moyennant, à charge du curé visité, une taxe fixée de temps immémorial.

Dans ses « mémoires », Louis Daignan du Sendat, archidiacre du Magnoac au XVIIIe siècle, fait ainsi état d’un document, daté de 1434, qui précise le montant des redevances exigibles de chaque curé du Magnoac, à la suite de telles visites.

Depuis Géraud Daignan du Sendat, nommé archidiacre du Magnoac en 1629 par Monseigneur de Trappes, les Daignan du Sendat vont se succéder sans interruption à la tête de l’archidiaconé du Magnoac, ainsi que le précise, vers 1742, Louis, dans ses « Mémoires » :  

« L’archidiacre de Magnoac a l’avantage d’avoir dans le district de son archidiaconé la célèbre chapelle de Garaison, fameuse par les guérisons miraculeuses que Dieu y oppère, tant de l’âme que du corps, et il ne manque pas de la visiter toutes les années, de mesme que le reste de l’archidiaconé. On trouve dans les archives de l’archeveché, que les églises de cet archidiaconé ont été visitées avec exactitude, surtout depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu’à présent par les archidiacres Géraud, Orens, Estienne, Pierre et Louis Saignan du Sendat. Et lorsqu’ils n’ont pu faire la visite par eux-mêmes ils ont commis un autre pour cette fonction, entre autre Guillaume de Junca doyen du chapitre de Castelnau de Magnoac qui fit sa visite en 1624 en qualité de commissaire du susdit Géraud et Jean Carlès chapelain de Garaison par le susdit Louis Daignan du Sendat en plusieurs églises où il ne peût aller en 1739 et 1740 pendant le cours de sa visitte. »

Ces visites qui s’effectuaient en présence du seigneur du lieu, des consuls, du clergé, de la population, suivant un cérémonial précis, devaient permettre à l’archidiacre de répondre à un long questionnaire établi à l’avance.

Non seulement il fallait rendre compte de l’état des lieux de culte, du linge, du mobilier, mais encore de la pratique religieuse des habitants, de l’assiduité du curé à s’acquitter de ses diverses fonctions, des mœurs de la population…

Un questionnaire du début du XVIIIe siècle comporte ainsi soixante des articles parmi lesquels on peut lire :

«  XVI – Les noms des saints et les approbations ; par qui et quand elles ont été données ;

XXVI – S’il n’y a point de peintures, de statues indécentes ;

XXVIII - … s’il y règne des superstitions, et quelles…

XXXI – Si les filles vont avec les garçons ;

XXXVIII – Si les pères et mères couchent avec leurs enfants après l’âge de dix ans » ;

÷

Après ces lignes, il est donc raisonnable de penser que l’archidiacre Etienne Daignan du Sendat a officiellement enquêté en 1636 sur le culte rendu à la Pierre de Puntous. Reste à expliquer pourquoi le texte de ce procès verbal a été si longtemps perdu avant d’être exhumé des archives de Garaison par Simon Rouëde, à la grande satisfaction du curé Abadie.

L’examen du registre des comptes rendus de visites de paroisses, effectuées par l’archidiacre de Magnoac Louis Daignan du Sendat de 1731 à 1724, prouve que le procès verbal de toutes les visites n’a pas été consigné par écrit. Dans d’autres cas, simplement en quelques lignes, mention est faite de la visite.

Ailleurs, Louis Daignan du Sendat justifie incidement ses dires : « Voyez une partie du verbal de visite qui fut faite le 31 juillet 1644 par Monsieur Etienne Daignan du Sendat, grand vicaire de Monseigneur de Vic, archevêque d’Auch, dans l’église de Sainte Dode… ».

Partant de ces constatations, il semble vraisemblable d’avancer faute de documents plus explicites : en 1636, Etienne Daignan du Sendat, après sa visite à Puntous demande à son secrétaire de rédiger la pièce officielle à conserver aux archives de l’archevêché (?) et de conserver dans les archives de l’archidiacre le texte de notre verbal de visite à la Pierre de Puntous.

Etant donné l’exceptionnelle personnalité de l’ecclésiastique, le rôle de premier plan qu’il joue dans le diocèse, Etienne Daignan du Sendat sait en effet être le seul à devoir trancher ultérieurement, si nécessaire sur les « miracles » de la Pierre de Puntous et se réserve le loisir de statuer après complément d’enquête.

Si, par la suite, il ne sera plus question de ce texte jusqu’en 1716, c’est peut-être tout simplement parce qu’au XVIIe siècle le cas de la Pierre de Puntous est banal. Dans tout le diocèse d’Auch les lieux de dévotion près d’un arbre, d’une source, d’une pierre réputés miraculeux abondent. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les savantes monographies de l’abbé Cazauban, par exemple.

Ce phénomène religieux s’explique d’autant mieux que la mentalité de la population d’alors est encore très fortement marquée par le paganisme ancestral.

Louis Daignan du Sendat a des pages fort suggestives à ce propos : dont voici quelques extraits, rédigés vers 1740 :

«  Les esprits follets… Le peuple dans le diocèse d’Auch est si infatué de ces opinions qu’il ne doute pas qu’il y ait de ces esprits…

On ne peut douter que cette superstition qui n’est pas prête encore à finir ne soit un reste de paganisme qui n’a pas été déraciné…

Il est évident que ces esprits folets ne sont autre chose que les Lemures des Romains… Les Romains avoient institué des fettes pour apaiser les lutins. Ces fettes s’appelèrent Lemuries. Les Lemuries se célébraient au mois de may. Tous les temples étoient fermés à Rome pendant les Lamuries. Il n’était pas permis de se marier pendant ces fettes comme nous le dirons dans un autre article sur les superstitions ».

« Des fées. On appelle en gascon les fées las hades suivant l’idiome gascon qui met toujours un h à la place de la lettre f…

Cette croiance des fées a été assez universelle en Europe mais elle paroit avoir été particulièrement établie dans la Gascogne, il n’est point dandroit dans la province où l’on ne sache par cœur  un grand nombre de vieux contes de fées du païs et qui se perpétuent par une tradition.

Beaucoup de fontaines sont célèbres par les fées qu’on a souvent vues autour de leurs rives.

Mais la plus célèbre de toutes est sans doutte la fontaine de Carles qui a sa source à une petite demi-lieu d’Auch. Les paisans du voisinage de cette fontaine disent qu’on les a souvent veues autre fois et qu’elles se montroient avec des habits d’une blancheur plus éclatante que la neige, ce qui est conforme à l’opinion qui les appelle les Damos blanquos.

Ces fées de Gascogne semblent avoir quelque rapport aux nayades des Romains qu’ils croiöent présider aux fontaines… »

« De la répugnance à se marier au mois de may. Le peuple du diccèse d’Auch est dans l’usage constant de ne point se marier au mois de may. C’est une délicatesse que rien ne seroit capable de guérir, on aurait, dit-on a craindre les plus grands malheurs. On assure que ceux qui se marioient dans ce mois risquent pour leur vie et ne sauroient éviter une mort prochaine.

Le mois de may, ajoutte ton ne peut être qu’un mois funeste dans le mariage. C’est dans ce temps la surtout que le coucou, triste oizeau, simbole de l’infidélité fait entendre sa voix.

On allègue mille contes ridicules de cette espèce sans être en état de rendre aucune raison solide à la conduite qu’on tient. Tel est l’usage qu’on a vu pratiquer à ses ancêtres, tel est l’usage dont on n’ose s’écarter soy même sans scavoir pourquoy. Il ne faut pas être fort versé dans la théologie payenne et dans les coutumes des Romains pour juger que c’est d’eux que cette pratique est venüe… »

« De la coelle des enfans nouvellement nés… Le peuple du diocèse d’Auch se persuade que cette pellicule (la membrane qui entoure le fœtus) portée sur soi, porte bonheur. Cette superstition luy vient sans doute du paganisme. »

÷

Posons quelques jalons susceptibles d’éclairer le lecteur sur le mentalité de nos campagnes au XVIIe et XVIIIe siècles, esquissons à grands traits la figure des principaux acteurs de l’enquête sur les « miracles » de la Pierre de Puntous.

Place tout d’abord à Etienne Daignan du Sendat, et ce, afin de mieux comprendre pourquoi le curé de Puntous, en 1716, a voulu appuyer sa demande de chapelle sur le témoignage de cet archidiacre.

Une fois encore laissons la parole à Louis Daignan du Sandat :

« Etienne Daignan du Sandat, chanoine de l’église métropolitaine d’Auch et archidiacre de Magnoac est un de ces hommes si singuliers par leur mérite qu’on parlera à jamais dans le diocèse d’Auch de l’étendue de ses rares talens. Les messieurs de Ste Marthe en parlent avec un grand éloge dans leur gallia Christiana, dans la vie de M. de Lamothe Haudencourt, archevêque d’Auch.

La province ecclésiastique d’Auch l’avait député à Paris l’an 1665. M. de Gondrin archevêque de Sens et Président de l’Assemblée Générale du Clergé de France connoissoit la réputation d’Etienne Daignan, il le nomma secrétaire de l’Assemblée Générale du clergé de France. Il alloit remplir les fonctions de sa charge lorsqu’il devint aveugle en chemin. Tout le clergé fut sensible à cet accident funeste ; il eut pourtant, aux fonctions près, tous les avantages attachés à cet emply. Il revint dans sa patrie. Un homme qui auroit eu moins de talens eut été désormais inutile au dioceze, mais il devint dans son aveuglement même le flambeau de l’église d’Auch. M. de Lamothe Houdencourt, archevêque d’Auch le fit son Vicaire Général, il lui confiait mesme dans son absence le gouvernement de son diocèze et jamais diocèze ne fut mieux gouverné que lorsqu’il fut conduit par les lumières de cet aveugle.

Etienne Daignan herita pour Mrs les Pénitens de tout le zele de son oncle Geraud Daignan, leur fondateur. La confrairie doit à ses soins et à ses veilles le bel office de Nôtre Dame de Pitié avec les méditations qu’il a composées pour leur usage. C’est lui aussi qui a dressé les sages statuts de cette confrairie, aujourd’hui si négligés par la pratique…

Précédemment, à l’occasion de la notice biographique sur Mgr de Lamothe Houdencourt, le même Louis Daignan du Sendat avait dit :

« … Ce fut du temps de ce prelat que les temples des prétendus Reformés furent détruits dans ce diocèze. Le nom de temple est pris pour les Batimens où les protestans s’assembloient pour les exercices de leur religion. Par les édits de pactification, les prétendus Réformés de France devoient avoir un certain nombre de temples dans chaque province. Il y en avoit plusieurs dans le diocèze d’Auch. On en voyait à Euze (Eauze), à Manciet, à Vic Fezensac, à Puicarquié, et il y eu divers arrests du Parlement de Toulouse qui en ordonnérent la démolition, malgré toutes les pièces que les prétendus Réformés de ces divers endroits montroient pour se maintenir dans l’exercice de leur Religion prétendue Réformée. Le zèle et les soins d’Etienne d’Aignan alors Vicaire général et Archidiacre de Magnoac contribuèrent beaucoup à hâter la destruction des temples et à établir l’unité de Religion dans le dioceze… »

Vicaire Général pendant cinquante ans, Etienne Daignan du Sendat eut l’occasion de manifester sa sollicitude à l’égard de plusieurs sanctuaires mariaux du diocèse d’Auch.

L’archidiacre du Magnoac aime s’appeler « le premier chapelain de Cahuzac » et dote les chapelains de N.D. de Cahuzac de la Règle qu’ils observeront jusqu’à la Révolution.

Le 20 juin 1678 le même Vicaire Général compose les statuts de la Conférie de la chapelle de N.D. de Biran.

Rappelons enfin qu’Etienne Daignan du Sendat est élu Supérieur des chapelains de Garaison en 1662, tout en demeurant Vicaire Général.

L’homme a beaucoup écrit en prose et en vers, en latin comme en français. Citons simplement une lettre circulaire parue en 1671. Le texte reflète bien le personnage conscient de sa valeur et la mentalité d’une époque :

« Estienne d’Aignan prestre ancien archidiacre de Maignoac, et Vicaire Général de monseigneur l’Illustrissime et Reverentissime Archevesque d’Auch à tous les Sieurs Archiprestres, Curés, Vicaires, Confesseurs et autres prenants part à la Direction et Charge des Ames de ce Dioceze, Salu en nostre Seigneur.

MESSIEURS. Les relations, que nous avons de quelques Diocezes de la Province sur le sujet de la descouverte de la Sorcelerie, et celles, que depuis peu quelques-uns de Vous, Nous ont envoyées à l’occasion de pareilles descouvertes, qui se font dans leurs Parroissent, Nous font voir par experience en nos jours, qu’à l’exemple des crimes abominables, que le Prophete reproche au peuple d’Israël, pour avoir quitté Dieu son Createur, et s’estre esloigné de Dieu son Salutaire, deut. 32. Les Sorciers d’a present se trouvent engagés en des crimes non seulement semblables à ceux des Israëlites, mais en d’autres si horribles ; qu’ils semblent exceder toute pensées humaine, à cause que ces personnes malheureuses ont renoncé à Dieu et à Jésus-Christ nostre Sauveur, et se sont donnés au Diable, s’obligeants à faire par sa suggestion toute sorte de maux. Nous en avons touché quelques espèces dans l’Ordônance que nous avons renduë contre les Vevins diaboliques et leurs Partants, à la releve de la garde des gages que le Demô leur donne., qui sont pour l’ordinaire une Medaille, un Chapelet sans Croix, des cheveux et un crapaut que la Sorciere nourrit quelque fois de sa propre substance. Mais ce qui encherit sur les pechez des Israëlites, qui estoient tombés dans l’idolatrie, de ceux qui sont encore dans le Paganisme qui ne connoissent pas Dieu, de ceux des juifs qui ne veulent pas croire en Jesus-Christ, et ceux des Heretiques et Shismatiques, qui croyent en Dieu et en Jesus-Christ : au regard de tous lesquels l’erreur et l’ignorance peuvent diminuer les pechez : Et au contraire la malice des Sorciers, qui nonobstant la lumiere de la foy et de l’Evangile renoncent volontairement à Dieu et à Jesus-Christ, pour se donner au Demon, ne peut recevoir aucune d’iminution, et estant accompagnée de l’apostasie que le Prophete apelle fornication spirituelle, augmente la grandeur de leurs crimes. En voilà assez sur le sujet de leur enormité. Et ce qui reste à considerer de funeste en cette abominable Secte, c’est le grand nombre de personnes qui en sont infectées, et la grande difficulté qui paroist de toutes parts pour leur sincère conversion. Neanmoins c’est vostre devoir et le Nostre de l’entreprendre avec les Armes de l’Apostre, qui sont plus fortes que toutes celles de l’Enfer, contra spiritualia in Coelestibus, proptera accipite armaturam Dei, ut possitis resistere in die malo. Ephes. 6. et affin de le pouvoir faire avec quelque méthode, Vous observerez ce qui suit :

1. Tous Curés et Vicaires tairont durant plusieurs mois leur Catechismes et exhortations sur le sujet de la Sorcelerie et des autres crimes qui suivent : ils discouvriront l’artifice du Diable, qui tâche de persuader aux Sorciers quand ils sont en santé, que l’Enfer n’est pas un lieu de tourments de feu et combustion eternelle, et qu’au contraire c’est un lieu de délices pour en jouyr après l’estat de cette vie ; et qu’au regard des malades, il l’est jette dans le desespoir de la misericorde de Dieu : leur faisant entendre que Dieu ne peut ou ne veut pas leur pardonner leurs pechez a cause de leur grand nombre et malice ; ils instruiront les Parroissiens de l’efficacité des Sacrements, et des merites et valeur infinie de la vie, Passion et mort de nostre Seigneur et de la fidélité de sa parole : et à la fin de châque Catechisme, il leur fairont faire des actes de foy, d’esperance, de charité, d’adoration de Dieu, de renonciation au Diable et à toute sorte de ses pactes exprez ou tacites.

2. Comme l’oraison et le jeusne sont des remedes que nostre Seigneur nous donne dans l’Evangile contre le Demon, châque Curé et Vicaire exhortera ses parroissiens de les pratiquer chascun selon son pouvoir, et d’assister à la Messe que Nous desirons estre célébrée en châque Eglise Parroissiale le jeudy ou autre jour de la semaine, à l’intention d’obtenir de Dieu l’extirpation de la Sorcelerie et des crimes qui la suivent, et la conversion de ceux qui sont engagés en ces malheurs. Les autres remedes pour préserver ou guerir de ces maux, sont les croix que les Curez ou Vicaires après les avoir benites par le pouvoir que Nous leur en donnons, fairont planter en tous les cantons de leurs Parroisses, et recommanderont à tous d’en porter sur soy, et d’en tenir avec l’eau benite aux costez des licts de leurs maisons, affin que les domestiques y fassent leurs prieres au matin et au soir, des Agnus Dei, invocation des Noms de Dieu, de Jesus Maria, de l’Ange Gardien, des Saints Patrons, et autres Saints du Paradis, les actes frequents de foy, esperance, charité, religion et renonciation à toute sorte de suggestions, ou pactes du Demon, et sur tout la participation des Sacrements.

3. Tous Confesseurs fairont difference des penitents. Il y en à qui volontairement et sans avoir esté indiquez ou diffamez, se confessent au Sacrement de penitence des crimes de Sorcelerie : il y en à d’autres qui ne vont au Sacrement, et ne s’y confessent qu’après avoir esté indiquez ou diffamez : et il y à des penitents d’une troisiesme classe, qui nonobstant l’indication ou diffamation de Sorcellerie ne s’en accusent jamais, quelques grandes que soient les remontrances du confesseur : Enfin ceux du dernier ordre sont, qui estant convaincus de ces crimes ou mesme condamnez à mort par la justice, ne veulent les confesser au Sacrement.

4. Au regard des premiers on à sujet de croire que la penitence est sincere : au regard des seconds elle est suspecte : il est dangereux que ceux du troisiesme rang sont sans penitence ; et il est constant que ceux du dernier n’en ont pas du tout.

5. Le conduite du Confesseur au regard de toutes ces personnes est très difficile, et quoyque nous devions nous confier en sa prudence, supposée la faculté qu’il ait d’absoudre de ces cas reservez, neanmoins nous avons jugé à propos de luy donner quelques advertissemens.

1. Qu’avant de commencer aucune de ces administrations il s’unisse fort à Dieu et à Notre Seigneur, et implore sa misericorde pour la conversion fidèle des penitents.

2. Qu’il oblige les penitents de luy declarer s’ils ont aucun gage du Diable : s’ils ont fait aucun pacte par escrit avec le demon, auquel cas le Confesseur avant d’ouyr la confession obligera les penitents de luy apporter ces gages et escrits, pour les faire brûler en leur presence.

3. Les Confesseurs examineront les penitents sur les motifs de leur conversion : et tascheront de descouvrir avec adresse, si ce qu’ils en disent part du fonds du cœur, sans s’arrester aux larmes feintes parce que s’ils descouvrent que la confession ne se fit que par grimace, ils devront renuoyer le pretendu Penitent : comme ou en à trouvé, qui n’alloient à confesse que dans la croyance qu’ils avoient, qu’au moyen du sacrement ils se metraient à couvert de la diffamation du public, de la descouverte des Devins, de l’accusation de leur complices, et de la recherche et condemnation de la justice Seculiere.

4. L’experience nous fait voir que pour l’ordinaire les diffamez qui vont a confesse, ne s’accusent pas du peché de Sorcelerie ni des autres crimes qui la suivent : et il sera de la prudence des Confesseurs de differer l’absolution des pechez confessez : et affin de rendre capables les penitents de la raison de ce delay, ils les instruiront de l’integrité necessaire de la confession, leur proposeront l’horreur qu’ils doivent avoir de la Sorcelerie, la facilité d’en estre absous, les moyens pour obtenir la grace d’une sincere conversion et la malice, tromperie et l’impuissance du Diable.

5. Pour le regard des convaincus et condamnez, d’ont les uns n’advoüent qu’une partie de ces crimes, les autres n’en confessent aucun, à cause des menaces que le Diable leur fait de les mal traitter, au cas qu’ils confessent tout : ou des complaisances qu’il excite en eux pour les pechez commis, des asseurances qu’il leur donne que l’Enfer est un lieu de delices pour ceux qui le servent, et que les tourments sont pour ceux qui luy ont desobei : ou enfin du desespoir dans lequel il les jette de la misericorde de Dieu, leur faisant entendre que Dieu ne peut ou ne veut leur pardonner : les confesseurs tâcheront de descouvrir ses tentations, proposeront les motifs des vertus contraires qu’ils confirmeront par exemples, ils les asperseront d’eau benite, fairont le signe de Croix sur eux, invoqueront sur eux les noms de Dieu, Jesus et Marie, les Anges Gardiens, Patrons et tous les Saints du Paradis, et s’il est mesme besoin, useront secretement de quelques uns des exorcismes que le rituel met contre le Demon.

6. Au cas de malefice qui aura porté dommage, la reparation estant necessaire suivant la faculté des penitans, les Confesseurs les obligeront à la faire avant l’absolution, s’il se peut, ou bien apres.

7. Les Confesseurs n’obligeront aucun de leurs penitents d’avouër devant le juge  aucun des crimes susdits, à moins que la procedure soit faite juridiquement, ce qui s’entend lors qu’il y à diffamation publique, fondée sur le témoignage de deux ou de trois personnes sages et bienconnoissante du crime commis, où qu’il y ait semipleine preuve, ou des presomptions du troisiéme ordre qui equivalent cette preuve : et les Confesseurs observeront en toute leur conduite l’obligation du sceau de la confession, pour être de droit divin, et dont toutes les loix humaines de peuvent dispenser.

8. Que si toutes ces precautions sont necessaires ou utiles, pour empescher qu’au tribunal de la penitence on fasse un sacrilège au lieu d’un Sacrement : elles devront estre observées avec plus d’exactitude au regard du Sacrement adorable de l’Autel : que son excellence est plus grande : et que la malice des Sorciers est quelque fois si horrible, qu’au lieu d’avaler le S. Sacrement à la Ste. Table, ils le conservent pour l’aporter au Sabat. Vous sçaurez que par les relations susd. Est constant que ce transport a esté à la confusion du Demon, et sujet de conversion des Sorciers à l’occasion de miracles qui y ont esté faits : le feu dans lesquels on avait voulu jetter les saintes especes s’estant retiré et quelque fois y ayant esté jettées, elles n’ont peu estre consommées. Ainsi les Confesseurs plustôt que d’admettre les penitents à la Sainte Table, seront moralement persuadez de leur sincere conversion : En leur administrant la sainte Eucharistie ils s’arresteront jusqu’à ce que le communizant ait pris et avalé du vin et de l’eau, affin que les especes Stes. Ayant passé avec l’une de ces liqueurs. A l’occasiö de cet abominable sacrilege qu’on fait envers de S. Sacrement, quand on le porte au sabbat, les Confesseurs examineront les penitens sils ont creu, que le S. Sacrement fust institué pour porter le dommage, que par le moyen des charmes que les Magiciens et Sorciers font, portent au prochain. Car en ce cas il y auroit heresie : comme il y en aura aussi au regard des autres choses Saintes dans le cas d’une creance semblable ; et les Confesseurs detromperont ces malheureux et leur fairont connoittre que le S. Sacrement et les choses saintes ne causent pas de dommage en vertu des charmes Diaboliques : mais que c’est le Diable ou ses suppots, qui pour deshonorer le S. Sacrement et les choses saintes causent en leur presence les dommages.

Prions le bon Dieu qu’il benisse tout ce dessus, affin que vous en puissiez faire bon usage. Nous recommandant à vos saintes prières.

Donné à Auch ce 26, jour du mois de Juin 1671.

Comparé à Etienne Daignan du Sendat, le Vicaire Général Laffont qui instruit l’affaire du curé Abadie, manque de relief.

Datée du 13 octobre 1724, la lettre circulaire faisant part du décès du personnage mentionne seulement, outre ses vertus habituellement attribuées à un vénérable ecclésiastique, que depuis 1722… « Ses infirmitez l’obligèrent à discontinuer et ne lui aïent presque permis de sortir de chez lui, il n’a pas laissé que d’y recevoir et d’entendre tous ceux qui avoient quelque affaire et quelque difficulté à lui proposer ; en sorte que sa maison étoit comme un espèce de tribunal domestique de charité, dans lequel il a répandu jusqu’au dernier moment sur les autres les lumières que sa longue expérience lui avoit acquise… Signé (Louis) Daignan du Sendat Vic. Gen. »

Intéressante précision qui explique en partie combien le curé Abadie fait appel aux sentiments dans ses lettres de justification au Vicaire Général Laffont.

C’est qu’en effet le curé Abadie suscite l’étonnement, la suspicion.

« Le Verbal sommaire des Miracles arrivés à la Pierre qui est à la paroisse de Punctous » se termine par les mots : Et plus par mondit Archidiacre n’a été procédé au fait de la verification de ladite Pierre »

Ce qui signifie en clair : le procès verbal en question n’est qu’un simple constat de relations orales, non vérifiées dans les faits.

Or, à propos de ces mêmes dépositions, dans la Préface de son opuscule, de même que dans la lettre de 1717 au Vicaire Général Laffont, le curé n’hésite pas à écrire : « la vérité qui est confirmée par Messire Etienne d’Aignan… », « les faits furent vérifiés par feu M. Daignan… »

Une conclusion s’impose : nous sommes en présence d’une brochure tendancieuse qui, à partir d’un texte d’Etienne Daignan du Sendat, cherche à justifier, à promouvoir une dévotion chère à un prêtre. Mais ce dernier fait preuve d’une conception assez particulière de la notion de vérité : le constat de relations orales ne prouve pas nécessairement que de tels dires garantissent la réalité des faits invoqués.

La remarque prend de l’importance lorsqu’on fait état d’un jugement rendu le 27 juillet 1723 par Louis Daignan du Sendat, alors « official général » d’Auch.

A la suite d’un long procès intenté par « noble Sébastien de Beauregard, habitant du lieu de Trébons en Bigorre », le curé de Puntous s’est vu condamné pour avoir confondu « prêter » avec « donner ».

Voici d’ailleurs l’essentiel de la sentence : « … avons condamné le dit Abadie de rendre au dit sieur de Beauregard le bréviaire et le diamant monté sur l’anneau d’or, dont s’agit, dans le delay d’un mois ou a luy en payer la legitime valeur suivant l’estimation qui en sera faite par des experts… » Si, par ailleurs, le curé de Puntous a prêté une somme de trente livre au sieur de Beauregard, dit qu’il le prouve… De toute manière le curé est condamné « … en la moitié des depens (à) liquider à la somme de vingt et six livres y compris les frais de l’expedition de la présente donnée, l’autre moitié demeurant reservée en fin de cause. »

Un prêtre beau parleur, intriguant, peu scrupuleux, tel apparaît désormais le curé Abadie de Puntous.

Ce qui donne du relief aux plaintes adressées le 1er septembre 1717, à l’Archevêque d’Auch par « noble Arnaud de Sariac, seigneur de Bouris habitant du lieu de Puntous ».

Pour l’essentiel, la requête supplie l’évêque de « couper chemin a un mal si pressent et qui n’est allé déjà que trop loin ; les prêtres du lieu alléchés par les dons et les offrandes que des pauvres paysans ignorans portent tous les jours a une pierre dont ils font leur idole, bien icin darreter leur idolatrie animent par leur exemple ces misérables de rendre a cette pierre un culte qui n’est du qu’à Dieu seul… et vouloir deffendre au curé de Puntous de conduire le peuple en procession a cette pierre pour y allumer le brandon de la St Jean… »

Faut-il conclure que la brochure publiée par le curé de Puntous est l’œuvre d’un faussaire ?

Conclusion hâtive.

Certes, il est curieux de constater que le procès-verbal des visites à Puntous de Louis Daignan du Sendat, Archidiacre du Magnoac durant la période qui va de 1731 à 1738, ne fait aucune mention de la pierre, encore moins des miracles.

Tout de même, la permission accordée par le juge-mage et l’avocat du roi, en 1716, en faveur de la fameuse brochure, n’a pu être octroyée qu’à la suite de garanties fournies par le curé de Puntous.

Il était facile d’ailleurs de s’informer auprès des chapelains de Garaison.

Enfin, si en 1723, le curé de Hachan est encore chargé par le vicaire général Laffont d’enquêter sur le sujet de la pierre de Puntous, c’est que malgré le procès avec le sire de Beauregard, procès qui dessert le curé de Puntous, l’argumentation de ce dernier concernant la pierre de Puntous revêt une certaine consistance aux yeux de l’officialité. Or le curé fait du procès-verbal d’Etienne du Sendat l’une des pièces maîtresses de sa thèse en faveur de la pierre aux miracles, on l’a vu.

Admettons donc, jusqu’à preuve du contraire, que le curé Abadie a publié, non pas un procès verbal d’Etienne Daignan du Sendat, autifiant en 1636 une série de miracles attribués à la Pierre de Puntous par la population du lieu, mais le constat de relations orales établi par Etienne Daignan du Sendat, à tout le moins, l’essentiel de ce constat.

Indirectement, cette prise de position est corroborée par deux lettres inédites, résultat d’une enquête menée au XXe siècle par l’abbé Cézerac, alors vicaire capitulaire à Auch. L’on retrouve en effet dans la tradition orale de 1905 l’essentiel de ce qui est dit de la pierre dans la brochure analysée plus haut.

Ponsan Soubiran, le 28 juin [19]05.

Monsieur le Vicaire Capitulair (sic),

J’ai eu le plaisir de visiter la Pierre, du quartier de La Pierrette, sur le chemin de Puntous à Hachan, accompagné de M. l’abbé Dastugue curé de Puntous depuis une 10e d’année, et de M. l’abbé Dupin, ex-Père de Garaison, Vicaire à Hachan. Ni l’un ni l’autre n’ont pu me donner des renseignements intéressants.

La Pierre est dans un champ semé d’avoine a 20 pas du chemin de Punct. A Hachan, entourée d’un petit mur de 0,60 ou 0,75. Elle est plantée en terre, je ne sais à quelle profondeur. C’est un bloc de pierre, dite de Lourdes – brut – mais forme carrée, non dégauchi, La dimension est de 0,40 à 0,50 de coté. La hauteur un peu moindre 0,35 environ. La surface supérieure est creusée en cuvette. Les personnes qui viennent en dévotion, mais toujours privatim, à la St Jean et à la St Pierre, particulièrement, ont le soin de porter un peu d’eau ou vont en puiser à la rivière qui est à proximité. Elles versent de cette eau sur la Pierre et avec un petit caillou, qui reste sur la pierre, elles frottent la surface supérieure. Par le frottement l’eau blanchit. C’est avec cette eau qu’elles font le signe de croix sur elles, qu’elles lavent leurs yeux, qu’elles rincent leur bouche. Car on y vient surtout pour la guérison des yeux et le soulagement des maux de tête.

 

Photo Jean Nicolas

 

Il n’y a pas de vestige de tumulus et personne n’a souvenir de ce tumulus.

Espérant avoir quelque renseignement utile, j’ai vu Mr Baudens, ancien Sénateur, qui avec Mgr de Carsalades en particulier, s’est occupé d’Archives. Il n’a pu me renseigner malgré sa meilleure bonne volonté.

Sur son indication j’ai causé avec Melle Baudens, 75 ans, propriétaire du Champ où est la Pierre. Elle n’a pas non plus de données intéressantes. Elle m’a bien dit que l’on croyait que Ste Radegonde avait visité ce lieu, mais c’est peu probable. Ce qu’il y a de sûr c’est que le père de Melle Baudens (cousine de l’ancien sénateur) a fait construire le tout petit mur, afin que les bouviers ne s’approchassent pas, en labourant, de la Pierre en question.

Mr le Curé de Punctous n’a rien dans les archives de la paroisse. Dans la localité on visite peu cette pierre. A ma connaissance il n’y a pas eu de pèlerinage, à vrai dire.

J’ai causé avec un vieillard de 84 ans et une bonne femme de 85 ans. Le premier m’a dit que jamais on n’avait pu la couvrir, que ce qu’on avait élevé au-dessus avait toujours été rejeté par une force surnaturelle. La bonne femme de 85 ans, mais très saine d’esprit et très bonne chrétienne, m’a dit qu’un bouvier l’avait heurté avec sa charrue et qu’elle avait donné du sang. Qu’on croyait parmi les Ancêtres qu’une Sainte Fille avait été ensevelie en cet endroit, que dans sa jeunesse elle y avait vu une croix en bois, disparue depuis de longues années.

Mr Baudens croit que dans les Archives de sa mairie on pourrait trouver quelque renseignement.

M. l’abbé Labat, natif de Punctous, curé de Savournin par Trie, Htes Py. Pourrait être un peu au courant de la légende.

Très disposé à continuer les investigations, si vous le jugez utile, je regrette d’être si peu heureux jusqu’à ce moment.

P.-S. – J’ai emporté un petit flacon d’eau blanchie par le frottement. La pierre est grise mais la surface supérieure creusée en cuvette est blanchâtre et l’eau blachit naturellement.

Tout à votre disposition. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Vicaire Capitulaire, l’expression de mes bien respectueux sentiments. Arrouy.

D’après la bonne femme de 85 ans, assez voisine du quartier de  La Pierrette. On vient assez souvent du Gers, mais toujours privatim. Un, deux, trois personnes à la fois.

Sadournin, le 4 juillet 1905.

Monsieur le Curé,

En recueillant mes souvenirs, voici ce que je puis vous dire sur « la Peyrete » ; et je ne vous apprendrai rien sans doute de plus que ce qu’on a pu vous dire.

Un laboureur rencontra avec sa charrue un obstacle irrésistible ; c’était le sommet d’une pierre. Changeant d’instrument, il fit le vide tout autour et mit à découvert une pierre haute d’environ 0,60 cm de forme conique quadrangulaire. La présence d’une telle pierre en ce lieu avait de quoi étonner, attendu qu’il n’y en a pas de semblable dans les carrières du pays ; c’est une pierre de montagne d’un beau grain blanc avec des veines bleues. Le propriétaire l’entoura d’un mur et voulut même la mettre à l’abri des injures du temps. La tradition rapporte qu’on ne put jamais faire tenir une couverture dessus.

Dès lors, elle devint sacrée pour le peuple. On lui attribua des vertus curatives. Quiconque était atteint d’une affection obstinée venait lui demander guérison.

Voici comment on s’y prenait. On apportait une bouteille d’eau, bénite ou non, on se mettait à genoux ; on versait quelques gouttes d’eau sur la surface plane de la pierre. On frottait avec les doigts jusqu’à ce qu’on obtienne un liquide laiteux en quantité suffisante pour frictionner la partie malade. Certaines personnes prétendirent avoir trouvé un soulagement…

Alors la reconnaissance populaire s’affirma par des manifestations publiques. On s’y rendait en procession avec des lumières, particulièrement la veille de la Saint Jean.

La légende s’en est emparée et y a mêlé son côté pittoresque.

Voici ce qu’on pratiquait en cas de fièvre.

On prenait un bouquet de « mandras », sorte de menthe sauvage ; on le plaçait sur la pierre avec un morceau de pain à droite et du sel à gauche et l’on disait aussi dévotement que possible :

                                                                Aci, que soy, praoubé mandras ;

                                                                Jou qu’ey la frébé, tu nou l’as pas.

                                                                Aci qu’ed porti pan et saou ;

                                                                Qu’et dechi la frébé é qué m’en baou.

Je ne voudrais cependant pas vous dire du mal de la Peyrete, même en plaisantant, car personnellement je lui dois de la reconnaissance. En 1852, à l’âge de 11 ans, j’étais atteint de rhumatisme articulaire aux genoux. Je n’avais pas marché depuis longtemps. On me porta à la fameuse Peyrete où je pratiquai les frictions ci-dessus. Le lendemain matin je recommençai à marcher et cette même année je pus entrer au collège de Garaison.

Je n’ai jamais compris que l’Eglise ait donné son caractère religieux au concours qui s’est fait autrefois autour de la Peyrete. De là le silence des archives paroissiales et l’absence du prêtre aux processions qui se faisaient encore au commencement du XIXe siècle.

Tels sont, Monsieur le Curé, les renseignements que je puis vous donner sur la Peyrete. Je regrette qu’ils ne soient pas suffisants pour alimenter une chronique, surtout une chronique religieuse.

Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous renouveler, l’expression de mes meilleurs sentiments. L. LABAT, Curé.

÷

L’actuel dossier de la Pierre de Puntous refermé, que conclure ?

- La Pierre de Puntous a permis l’allègement de certaines douleurs ? Admettons le fait.

- La puissance mystérieuse qui se dégage de la Pierre ? Ne faut-il pas déceler dans le récit de ces manifestations une inconsciente interprétation provoquée par la survivance, dans l’esprit des témoins, d’une croyance religieuse archaïque attribuant à tel objet des pouvoirs extraordinaires parce que siège ou émanation de la divinité locale.

Si, par exemple, le hangar de la tuilerie de Mademoiselle de Puntous ne peut tenir debout tant qu’il renferme des matériaux provenant de l’édicule couvrant la Pierre, c’est, peut-être, que des gens, blessés dans leur foi par les agissements de la demoiselle se livrent à des déprédations occultes et répétées, sans plus.

L’on aurait ainsi une preuve supplémentaire du fréquent procédé de substitution : dans un contexte de merveilleux, est attribué à la Pierre un fait banal, dû à autrui.

Par comparaison, l’histoire du « crocodile » de Saint Bertrand de Comminges milite en faveur de cette opinion.

L’on sait que selon une légende, saint Bertrand, nommé évêque de Comminges en 1073, mort en 1123, aurait délivré la contrée voisinant avec son siège épiscopal, d’un monstre semant la terreur. D’où la dépouille d’un crocodile suspendue près du portail d’entrée de la cathédrale.

En fait, cette « relique » est exposée seulement depuis le XVIIIe siècle. C’est aussi seulement au XVIIIe siècle qu’un écrit fait allusion pour la première fois, au monstre vaincu par Saint Bertrand.

Ne faut-il pas voir, par contre, dans la pierre qui proémine sur le pourtour extérieur, face Est de l’église Saint Juste de Valcabrère, le point de départ de la légende.

Un monstre enserre dans ses griffes une tête d’homme.

Matériau de réemploi utilisé vers la fin du XIe siècle lors de la construction de l’édifice chrétien, l’ensemble sculpté fait songer, par sa facture, à la Tarasque de Noves, invite à évoquer pendant longtemps, dans ce lieu, la survivance d’un culte en l’honneur d’une divinité archaïque, d’origine celte.

De fait, la ville de saint Bertrand fut d’abord un opidium celte avant la romanisation. Par ailleurs, les sondages effectués par Monsieur Sapène autour de Saint Juste de Valcabrère, prouvent que nous sommes en présence d’une très ancienne nécropole.

La pierre qui nous occupe ne serait-elle pas la fruste représentation, mutilée, de la divinité tutélaire habilitée à veiller autrefois sur le cimetière de Valcabrère ?

Ce ne serait qu’à la fin du VIIe siècle, après le passage du saint évêque Donadieu de Griet, en particulier, que, définitivement vainqueur des « superstitions » - entendons le paganisme ancestral -, le clergé aurait célébré à sa manière la lutte du christianisme contre le paganisme, au bénéfice du saint évêque Bertrand ; d’où la légende du « crocodile », concrétisée plus tard, par une effective dépouille de saurien dans la cathédrale.

÷

Si nous nous interrogeons maintenant sur ce qu’était la Pierre de Puntous, nous maintiendrions les conclusions déjà avancées.

Il s’agirait vraisemblablement d’un autel votif gallo-romain, très mutilé, semblable par exemple à celui de Belloc-Clamens.

Quant au tumulus visible au XVIIIe siècle, près de la Pierre de Puntous, trois hypothèses retiennent l’attention, par référence à ce qu’apprend l’histoire locale, dans le cas de dévotions populaires semblables à celle dont il est question dans ces pages :

- Un tumulus comme il en existe tant dans la région,

- Une chapelle ruinée depuis longtemps,

- Une pile romaine.

Il reste à nous demander pourquoi au XVIIIe siècle, le curé de Puntous n’a pas obtenu la chapelle qu’il demandait.

Le prochain article s’efforcera de répondre à cette question.

 

Père Xavier RECROIX, "GARAISON, bulletin de l’amicale des anciens élèves de Garaison, n° 138"