Histoire des Boué

 

 

 

JACQUES BOUÉ

 

Jacques était taillé à facettes.

 

L'une : Un travailleur acharné. Ingénieur, le premier de notre famille, il n'était que second dans l'agence bordelaise de Jeumont. Une vaste entreprise d'électricité industrielle, ou quelque chose comme ça.

 

Il espérait mieux car c'était lui qui menait cette importante agence, mais voilà, il y avait un directeur et ce directeur s'accrochait. Enfin, un jour, ses mérites ont été reconnus en haut lieu et on lui confie la direction de l'affaire. Le saura-t-il ? Je ne le pense pas. Il est déjà très malade ; dans un coma qui précède la mort. Plus jamais il ne retournera cours Tournon où était situé son bureau.

 

Une autre facette ? Son humour (parfois un peu graveleux diront les méchantes langues).

 

A cette époque, le Tout-Bordeaux ne pensais que revues. Ecrites souvent par oncle Abel, elles étaient interprétées par les amateurs du "meilleur monde". Elles se jouaient salle Franklin (rue Vauban), dans un petit théâtre qui appartenait à ma tante Seignouret, ou à l'Alhambra de Bordeaux et faisaient, chaque fois, salles combles.

 

Les répétitions se déroulaient dans le mystère (assez relatif) et la joie la plus débridée, dans les salons du splendide hôtel de Madame Prom, 25 cours de Verdun.

 

Le gag qui se répétait chaque fois sous une forme nouvelle et sans lequel la revue aurait été un bide était la prestation de Jacques Boué. Toujours déguisé en bébé : une fois, il arrivait, les bras, les jambes et la tête dégoulinant d'un landau trop petit, poussé par un gros bonhomme velu, habillé en nurse grotesque (... Mais oui, cette nurse là était papa). Une autre année, faisant scandale, aux premiers rangs des fauteuils d'orchestre, en vidant goulûment un biberon rempli de vin. Aussi, poussant un rot bruyant sur les genoux d'une bordelaise, la plus belle du moment, exigeant qu'elle change ses couches : Inénarrable ! Le plus angoissant, ce fut la séance où il est apparu, accroché par des ficelles au cintre du théâtre, quels risques il avait pris ce jour là pour plaire à son public.

 

Tous les ans, il fallait trouver une nouvelle idée, mais il n'en manquait pas le bougre pour amuser.

 

Une autre facette ? La dernière parmi bien d'autres : L'amour qu'il avait pour sa famille, sa mère, son épouse et ses enfants. Le moindre problème, le moindre bobo le révoltait et il n'avait de cesse qu'il y soit porté remède.

 

Le 21 mai 1945, Jacques Boué est décédé à Bordeaux, en son domicile 7 rue de Cheverus.

 

Nous avons tous ressenti avec une peine immense sa mort prématurée.