Maisons Ayguesparsse

 

 

 

HISTOIRE DE L’HORPHELINAT FRANÇOIS CONSTANT

 ET DE L’ARCHITECTE ANDRÉ GILLY

 

 

 

 

André Gilly[1], dit La Jeunesse[2] ou plutôt Elies La Jeunesse[3] naquit vers 1736[4] à Bonnieux, ″en la comtat d’Avignon″, c’est-à-dire dans une commune de l’actuel arrondissement d’Apt, (à quelques 45 km d’Avignon, et non à Avignon même). De Melchior Gilly, maçon, et Marie Tours?, habitant alors Lauris, diocèse d’Aix en Provence (même arrondissement actuel).

 

C’est sans doute au cours de son  ″Tour de France″ de compagnon maçon qu’il reçut, ou prit, le surnom de La Jeunesse et même Elies La Jeunesse, sous lequel il sera connu et dénommé même dans les documents officiels de la Jurade, où son véritable nom est orthographié de toutes les manières sauf la bonne. Sa signature, fort lisible, serait plutôt d’ailleurs Gillij...

 

Habitant Libourne depuis trois ans, Gilly demanda à son père une autorisation pour convoler, en décembre 1760, ce qui prouve qu’il n’était pas encore majeur des 25 ans habituels. Nanti de ce document, il passa contrat de mariage le 18 mars suivant[5] avec Jeanne Frappier, fille d’Arnaud Frapier, taillandier, rue Périgueux, et de défunte Marie Mutuel.

Comme souvent, le futur marié ne se constitue rien, son père s’étant sans doute contenté de lui envoyer sa bénédiction ! Le père de la future promet de loger le jeune ménage pendant deux ans ″dans la chambre haute qui est sur la boutique et prend jour sur la rue de Périgueux et sur celle de la rue Neuve″[6]. Du chef de sa défunte épouse, mère de la future, il constitue à celle-ci une petite dot en nature, mobilier, linge et vaisselle, évaluée 180 livres l’ensemble.

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Les trois bans dûment publiés à Libourne et à Lauris, où habitaient ses parents, André Gilly épousa Jeanne Frappier le 27 mai 1761[7].

 

Le 27 février 1762, naissait Suzanne, mais, le 8 mars, la jeune mère succombait[8], en un de ces accidents post-natals qui n’étaient pas rares à cette époque.

 

Un an et demi plus tard, le 23 novembre 1763, André Gilly épousait Catherine Gueyrard, troisième fille de Samson Gueyrard, marchand et aubergiste, et Françoise Avril[9], âgée de 28 ans.

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André Gilly qui s’est targué du titre de ″maître entrepreneur″ le 3 novembre lors de ses fiançailles, se fait appeler plus simplement le jour de son mariage ″tailleur de pierre″, ce qui est certainement son véritable métier. Deux compagnons tailleurs de pierre se sont joints à sa nouvelle famille : Melchior Ycard, qui portant le prénom de son propre père est peut-être de son pays d’origine, et Pierre François l’Official qui sera plus tard en concurrence d’adjudication avec lui, et qui est, lui, dit ″La Franchise″. Signent avec lui, son beau-frère Jean Gaston Grolier, et le père de celui-ci, Jean Grolier, maître en chirurgie.

 

Lors de la naissance de son premier enfant, il s’intitule Tailleur de pierre[10]. Mais dans les actes suivants, il sera dénommé architecte ou maître architecte et parfois entrepreneur. A partir de 17656, on relève dans les registres paroissiaux le signe de distinction habituel de ceux qui ont été reçus bourgeois par la Jurade : Sieur. Ces nominations sont généralement mentionnées dans les registres de délibérations, on ne l’y a pas retrouvée, si elle a eu lieu.

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Contrairement à ses beaux-parents et beaux-frères, André Gilly ne s’est pas installé dans le quartier des Fontaines, mais près de la porte Saint-Emilion, également hors les murs[11].Son habitation existe toujours et a pu être heureusement identifiée. Il s’agit de l’actuel orphelinat François Constant, l’aïeul du donateur ayant acheté la maison d’André Gilly à ses héritiers en 1817[12].

 

Notre architecte (ou son épouse) y tenait Cabaret ″près les Cazernes″[13]. Il y avait forte concurrence, car à deux pas de chez lui, la veuve Porge s’était installée dans la célèbre baraque dénommée ″la cantine″, connue par diverses gravures. Elle y écoulait couramment vingt barriques de vin quand il en vendait deux, mais la qualité qu’il débitait était de 10 sols le pot, quelquefois à 12 et 14 sols, tandis que les gros buveurs se contentaient de vin de 6 ou 8 sols[14]. Il ne faut pas s’étonner de cette double activité. La chose est courante au XVIIIe siècle et nul n’y trouvait à redire. La considération restait la même.

La preuve en est que, lors de la première élection municipale, en février 1790, il fut parmi les plus souvent choisis par les électeurs et, nommé le septième, l’un des premiers ″Officiers municipaux″, ainsi que nous le verrons plus loin.

 

André Gilly et sa nombreuse famille se trouvent certainement bien dans cette maison très bien située, faisant le coin des allées de Tourny et du chemin de la Belotte, avec, attenant, un grand jardin et une terre labourable

 

 

Lorsque après la disparition de ses beaux-parents, sa femme et ses belles-sœurs feront, le 23 avril 1777, le partage de la grosse maison de la place de la Verrerie, Catherine cèdera sa part moyennant 2 000 livres, à Marguerite, épouse de Jean Grolier, souffleur de verre, selon un accord conclu la veille du tirage au sort des lots, entre les cinq sœurs héritières de Samson Gueyrard et Françoise Avril.

 

Cependant, à la Belotte sont nés de Catherine, à cette date, en 14 ans de mariage, onze enfants, et une douzième viendra, l’année suivante, faire treize à la douzaine, en comptant Suzanne, la fille aînée, née du premier mariage avec Jeanne Frapier.

 

Quelques deuils ont déjà fait les vides alors habituels, mais six enfants de Catherine seront encore vivants en 1810 lorsque s’ouvrira la succession d’André Gilly[15]. Les quatre filles survivantes seront alors toutes bien mariées.

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[1] - Son nom est écrit de diverses autres façons dans les divers documents d’époque : Gelly, Geli, Gili, voire même « Elies La Jeunesse ». Il ne faut se fier qu’à sa signature : Gilly.

[2] - Le registre des Cabaretiers 8 J 213 (1787-1789) le dénomme ainsi plusieurs fois.

[3] - C’est un surnom de compagnonnage, de même que, par exemple, Pierre Byot était dit L’Espérance. Un lieu-dit La Jeunesse, situé sur le bord de la Dordogne à l’emplacement de l’entrée du pont de Bordeaux, où existait un chantier de construction de bateaux, figurait sur les anciens plans et cadastres, et est encore employé par quelques vieux Libournais. Ce n’est qu’une coïncidence, ce lieu étant ainsi désigné depuis la nuit des temps.

[4] - Il est mort en 1809, âgé de 73 ans, et en 1760 n’était pas encore majeur, n’ayant donc pas 25 ans.

[5] - A.D. 3E 26983 - folio 146 (François Decazes, notaire). L’autorisation paternelle, annexée à l’acte, est datée du 23 décembre 1760.

[6] - Premier coin des rues Gambetta et Président Doumer actuelles, à droite, en montant la rue (d’après un plan du qyuartier des anciennes casernes émanant de Gilly).

[7] - AM GG 35 - folio 94. A. Gilly y est dit Garçon maçon. Ces deux actes portent la signature d’André Gilly mais aussi de Jeanne Frapier.

[8] - GG 35 - folio 123. A. Gilly est dit tailleur de pierre dans l’acte de baptême de sa fille et l’acte de s&pulture de son épouse. Dans ce dernier, il est dénommé Gily La Jeunesse.

[9] - GG 36 - folio 9 (fiançailles 3 nov.) : Maître entrepreneur - folio 10vo. (mariage) Tailleur de pierre.

[10] - GG 36 - folio 29. C’est le métier qu’il s’engagera plus tard, à apprendre à ses apprentis.

[11] - « au dehors et près de la porte St-Emilion » est-il précisé dans deux contrats d’apprentissage du 18 Sept. 1769 (AD 3E 18690/2).

[12] - Archiv. Municipales - Actes conservés dans le carton Legs F. Constant.

[13] - Registre des droits perçus sur les cabaretiers de la banlieue (1787 - 1789).

[14] - La veuve vendait aussi une qualité supérieure allant jusqu'à 14 sols le pot, mais seulement « à la maison », c’est-à-dire à son domicile, qu’une clientèle plus raffinée et ayant plus de moyens devait fréquenter assidûment.

[15] - Partage du 25 avril 1810 (Noël Janeau et Chevalier, notaires à Libourne).