Nos Maisons

 

  

 

 

LE 6, COURS TOURNON

 

 

Charles Auschitzky, après son mariage, a longtemps habité cours Tournon.

 

Savez-vous quel en a été, depuis, l'un de ses principaux occupants ? Vous allez être surpris.

Le cours Ruello.

Ce fameux cours dont tous les enfants des bonnes familles bordelaises ont franchi la porte.

Moi-même, il y a bien longtemps de cela, j'y suis allé chez les "petits".

Ma classe était-elle située dans l'ancienne salle à manger ou dans une chambre ? Je choisis la chambre et même une chambre d'enfants tant elle était exiguë.

Au fond, une table et une chaise paillée pour les maîtresses : Mlle Lamberti, une vieille fille toujours vêtue d'une robe noire agrémentée d'un col blanc en dentelle. Très mai­gre, je crois qu'elle était atteinte de diabète sucré. L'autre maîtresse, Madame Lanacastèxe (or­thographe phonétique), surnommée intelli­gemment "Ma­dame la Casquette", était toute en ron­deur, mais elles avaient un point en commun : leur patience avec les mè­res et leur par­faite éduca­tion.

Devant la table et la chaise paillée, trois ran­gées de bureaux, puis une ran­gée de chaises sans bureau. Les places les plus convoitées étaient au deuxième rang. Le premier était trop près de la maîtresse, le troisième trop près de nos mères.

Il faut préciser que dans les petites classes du cours Ruello, à cette épo­que, les parents étaient autorisés à suivre l'instruction de leurs chers bambins. Les mères s'y bouscu­laient le mardi, à moins que ce ne fut le mercredi ? Je ne sais plus très bien, mais il y avait un jour chic. Les autres fois, elles se faisaient rempla­cer par nos institutrices. Les mères devaient se taire pen­dant les cours, alors elles tricotaient rageusement pour la ker­messe de Grand-Le­brun, du Sa­cré-Cœur ou pour la crèche de Saint-Louis. Elles haussaient les épaules ou pi­quaient traîtreu­se­ment leur gamin s'il n'avait pas bien répondu. Moi, j'étais le plus brimé car maman tricotait des gants, sa spécialité, avec quatre ai­guilles et quand elle me piquait les fesses, toutes m'attei­gnaient comme une rafale de kalash­nikof. Un jour néanmoins, elle m'a secouru : "Les en­fants, dit la maîtresse, nous allons faire une dictée très utile : vous allez écrire votre nom sur votre petite ardoise". Alors maman s'est levée puis s'est écriée : "Pas mon fils ! Avec un nom pareil il aurait zéro" et, par dis­pense ne pouvant constituer un précédent, je n'ai écrit que mon pré­nom. Ah ! Si cette fois j'avais mis un T à Hubert, j'au­rais eu un bon point : celui qui me man­quait - le cinquième - pour avoir une image.

Les récréations se déroulaient sur le minuscule palier : surtout pas trop près du poêle situé au centre. Pas trop près des escaliers. Pas trop près non plus de la porte du bu­reau de Ma­demoi­selle Robert, la directrice. Nous étions tassés, bloqués les uns contre les autres, ter­rorisés par les consignes de pru­dence.

A Paris, dans le R.E.R., ligne A, aux heures d'affluence on est aujourd'hui aussi serré, mais quelle am­biance ! Là on peut s'injurier, se bousculer, pincer des fesses et puis il y a les odeurs ! C'est le must comparé à nos récrés de l'époque au cours Ruello.

Cette promiscuité favorisait la transmission de toutes les maladies. J'ai ainsi collé à ma vieille amie Chantal de Boussac la coqueluche que je te­nais de Patrick Schÿler et depuis ces temps re­culés, Chantal et moi, nous nous appelions mutuellement "Coqueluche". "Comment vas-tu Co­queluche ?", ou bien : "Je t'aime Coque­luche", ou encore : "Je ne t'ai pas vu à la messe Co­queluche". Mais j'arrête là cette énu­mération, vous ne vou­driez tout de même pas que je vous dé­voile tous les secrets que nous avions en commun lorsque nous avions cinq, six ou sept ans.

Fin juin 1977, les locaux de ce cours manquant de sécurité, l’administration en a exigé la fer­meture. Il a été repris, pour quelques classes seule­ment, à Carignan.

C'était une excellente école qui avait malheureusement baissé vers la fin.

 

publié dans

 

le 17 juillet 1993.