Appendices Auschitzky

 

 

 

NOS COUSINS DE LETTONIE

 

 

 

A Bordeaux, nous passâmes l'hiver 1941 ou 42 à essayer de nous réchauffer.

 

On a coutume de dire que les hivers de jadis étaient plus rigoureux que ceux de maintenant. Ce n'est pas forcément vrai, mais de nos jours nous avons des radiateurs qui marchent. De plus, l'alimentation de cette fin de guerre n'était pas celle qui vous donne de bonnes calories.

 

Dans la grande salle à manger de la rue Ferrère, nous venions de terminer une purée recelant plus de topinambours que de pommes de terre, quand soudain la sonnette de la porte d'entrée retentit. C'était un Allemand. Certainement le mauvais augure dont on attendait une catastrophe imminente : la réquisition de l'hôtel familial qui était largement inhabité.

 

Après avoir brutalement évincé l'importun, mon père revint, blême. Ce "sale Boche" n'était pas n'importe qui. Il venait de dire, dans un français approximatif, qu'il s'appelait Auschitzky et qu'il arrivait d'un pays dont mon père n'a pas bien compris le nom, mais situé à l'est de l'Allemagne, où il avait laissé femme et enfants.

 

Ce malheureux, toujours en quête de famille, est allé ensuite sonner rue Duplessy. C'est la secrétaire qui a ouvert… et qui lui a claqué la porte au nez, sans même aviser Oncle Guy de cette visite, sachant bien - et elle avait raison - que lui non plus n'aurait pas accueilli dans son salon cet inconnu revêtu de l'uniforme des nazis.

 

Mais comment pouvait-il en être autrement en cette période où les troupes d'occupation nous infligeaient les pires souffrances physiques et morales.

 

Si ce cousin était venu en civil, comme nous l'aurions tous serré dans nos bras !

 

 

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Plus de cinquante ans se sont écoulés. Les Allemands sont aujourd'hui nos amis. La Lettonie est libre et indépendante. Bordeaux et RÌga sont jumelées. Et les parents que nous avions laissés là bas, nous voulons les retrouver. Leur tendre la main. Et si cela s'avérait nécessaire, les aider.

 

Nous avons chargé l'ambassade de Lettonie à Paris d'entamer des recherches. Le ministère de l'Intérieur a aussi été alerté, mais jusqu'à présent les démarches se sont avérées vaines. Pire, on nous dit que la famille serait sans doute éteinte. Certains de ses membres pourraient compter parmi les 35 000 Lettons tués, déportés ou qui prirent le chemin de l'exil en 1940 sur ordre de l'autorité soviétique ; ou les 90 000 Lettons victimes du Troisième Reich ; ou encore, parmi les 450 000 Lettons faits prisonniers par l'Armée Rouge et envoyés en Sibérie entre 1944 et 1945. Devant un tel génocide l’émotion jaillit. Qu’ajouter d’autre ? Des larmes si elles viennent.