Appendices Auschitzky

 

 

 

CARL-ULRICH-HEINRICH-EWALD AUSCHITZKY

 

Il est né le 21 juin 1797 à Hasenpoth. Il y a été baptisé le 26 juin de la même année.

Aîné de neuf enfants, il était âgé de 5 ans et demi au décès de sa mère, et de 12 ans à peine lorsque meurt son père.

Il a appris à lire et à écrire dans la petite école d’Hasenpoth dont nous avons retrouvé une carte postale datant du début du siècle.

 

            

                                                                                                                                                                   coll. Alain Gédovius

L’école communale d’Hasenpoth

 

Il semble vraisemblable qu’après la mort de son père, Carl-Ulrich ait été confié à Carl-Johann Elverfeld. Ce pasteur venait d’être nommé à Sackenhausen, non loin d’Hasenpoth. Il arrivait de France, la tête pleine de souvenirs merveilleux.

En 1812, alors qu’il est âgé de quinze ans, Carl-Ulrich a été confirmé dans la dite église de Sackenhausen par ce même pasteur qui le considère comme son fils spirituel. Il le nomme son élève. Officiellement, il est son pflegesohn1. Ils habitent ensemble.

 

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Carl-Ulrich, séparé de ses frères et sœurs, eut une jeunesse calamiteuse. C’est un adolescent prématurément vieilli, au regard triste et fier. Sans relations et sans appui, son avenir en Courlande débouchait sur une impasse.

Le poids de son inutilité l’accablait mais le stimula. Il décide alors de s’expatrier.

 

 

Comment et pourquoi choisit-il Bordeaux ?

 

 

De prime abord, nous avions pensé qu’il avait été aidé par les Faure. Solution qui pouvait expliquer l’amitié si profonde qui unit, à Bordeaux, nos deux familles depuis tant de générations.

Nous sommes remontés dans nos recherches jusqu’au XVIe siècle. A cette époque il n’y avait pas d’état civil comme nous le connaissons aujourd’hui. Les registres d’église faisaient foi. Les actes étaient écrits par des vicaires n’ayant qu’une orthographe assez sommaire. De plus les patronymes n’étaient pas encore définitifs2 Ils pouvaient varier d’un acte à l’autre, ou selon les lieux. A Saint-Auban la femme de Pierre Fort est une Laurens, parfois une Laurans, hors de France elle devient Laurent.

Fort, Fore ou Faure, dans les actes ces noms mal orthographiés s’entremêlent. Tandis que nos aïeux adoptaient définitivement Fort comme patronyme, nous avons imaginé que certains de leurs cousins retenaient Faure et qu’ils étaient venus s’établir à Bordeaux où ils auraient pu accueillir Carl-Ulrich (Charles).

Nous avons interrogé Denis Faure qui poursuit des travaux sur sa famille. Il répond : « Je pense qu’il n’y a pas de parenté entre ma famille et vos ancêtres Faure ; en effet, avant de s’établir à Bordeaux en la personne de Jean et Gabriel Faure - ce dernier étant le père de Camille, époux de Dorothée Pöhls - les Faure étaient originaires de Pons en Charente Maritime où ils étaient fixés depuis longtemps : très certainement depuis la Réforme et sans doute depuis le XIIIe siècle où ce patronyme est apparu à Pons. Les relations allemandes des Faure précèdent le mariage Faure-Pöhls puisqu’ils furent associés dans les années 1790 avec Guillaume Cramer, d’une famille de Hambourg, et qu’ils furent en affaires avec les Bethmann par leur oncle direct, Daniel Lys, qui avait épousé une Metzler (famille de banquiers de Francfort, alliée aux Bethmann) ; peut-être faut-il chercher là le lien entre nos familles ?[1]En y réfléchissant bien, l’étymologie de ces deux noms confirme qu’il s’agissait de fautes d’orthographe : Faure vient de ? ?  forgeron, tandis que Fort est un ancien prénom (rappelez vous, le tombeau de Saint Fort, à Bordeaux, dans l’église Saint Seurin)3.

 

Pour Séverine Pacteau, agrégée de l’Université, auteur d’une thèse du 3ème cycle sur les protestants de Bordeaux, la filière Pöhls serait probablement une réponse plus solide.

Daniel Vincent Pöhls est né à Rahlsted, en Harstein, le 21 janvier 1755. Il vint s’établir à Bordeaux en 1769.

Il voyageait constamment entre Bordeaux et Hambourg où notre ancêtre, bien que plus jeune, a pu le rencontrer ou nouer des contacts avec la branche allemande de sa famille.

Nos familles seront très liées : Daniel-Vincent Pöhls est le témoin de Charles lors de son mariage. Edouard, son fils, est témoin à la naissance d’Eugénie Auschitzky, sa fille aînée.

 

Peut-être existait-il une autre piste : celle des Cruse. Entre Hans Wilhelm Hermann Cruse, né en 1790 à Segeberg, dans le Holstein, fils et frère de pasteurs, et Carl-Ulrich Auschitzky, né en 1797, fils du pasteur Friedrich Auschitzky, frère du pasteur August Auschitzky, petit-fils du pasteur Daniel Fort, beau-frère du pasteur Johann Friedrich Katterfeld, (ce dernier comptant cinq autres pasteurs dans sa famille), qui tous exerçaient leur apostolat à la même époque dans des régions assez proches, il est difficile d’imaginer qu’ils ne se soient pas connus. D’autant plus - nous l’avons vu plus haut - que Marianne Cruse a été la marraine de Susanne-Marianne Fort, puis de Susanne-Catherine-Elisabeth Fort, tandis que Jean-Chrétien Cruse était parrain de Jean-Chrétien Fort (tous les trois, frère et sœurs de la mère de Carl-Ulrich, pour nous Charles). Enfin, Herman I Cruse et Charles Auschitzky sont arrivés à Bordeaux à la même époque, vers 1819/20 ; une date considérée comme récente par le grand négoce. C’étaient là des coïncidences troublantes. Nicole Tesseron, fille aînée d’Emmanuel et de Marguerite Cruse, interrogée, m’écrit : « J’ai beaucoup cherché avec Lionel et Alain pour savoir si Marianne et Jean-Chrétien Cruse étaient des parents. Nous n’avons rien trouvé dans notre généalogie Cruse et nous pensons vraiment que nous n’avons aucune parenté avec eux. Il y a, du reste, beaucoup de Cruse dans ces pays. J’en suis désolée, nous aurions été très heureux d’être parents ! ». 

 

Enfin, une autre possibilité serait à envisager : orientée sur la solidarité émanant du consistoire luthérien.

Le beau-frère de Charles, le pasteur Johann Friedrich Katterfeld, ou son protecteur, le prédicateur Carl Johann Friedrich Elverfeld, qui ont tous deux voyagé à travers l’Allemagne, la France et la Suisse auraient pu l’introduire auprès du pasteur Cheyssière, qui, après avoir exercé son ministère à Bordeaux de 1805 à 1819, était devenu pasteur de l’église française de Hambourg.

 

Et/ou, auprès du pasteur Antoine Vermeil (1799-1864) qui lui aussi a été pasteur de l’église française de Hambourg après avoir fait ses études à Genève, avant d’être à son tour nommé en 1824 à Bordeaux.

 

Là, ce pasteur accomplit une œuvre remarquable. Représentant de la théologie du « Réveil », il ne cessa de jeter les bases d’institutions protestantes religieuses ou civiles. Bureau de charité protestante, société de bienfaisance des dames, fondation des salles d’asile, cimetière protestant de la rue Judaïque, école du dimanche. Chargé de cours d’instruction religieuse des protestants du collège royal en 1837, Antoine Vermeil en devint l’aumônier en titre deux ans plus tard. C’est également sous son ministère que fut inauguré le temple des Chartrons.

 

Cette réalisation de projets anciens semble marquer le passage de l’époque des pionniers à celle des notables.

Les œuvres créées par Antoine Vermeil étaient administrées par des membres de la société allemande de Bordeaux. C’est là que notre aïeul aurait pu rencontrer et se faire apprécier de Daniel Vincent Pöhls qui sera désormais son protecteur.

Mais ces réflexions ne s’appuient sur aucun acte ou document d’archives venant les départager. Alors le mystère reste, et restera sans doute, complet.

 

 

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J’en voudrai toujours à mes grands-parents, qui, pour tenter de cacher une brouille familiale (bien oubliée depuis), et peut-être aussi les origines russes qui les offusquaient, avaient exigé de leur cousin Pierre Meller, un éminent historien bordelais, qu’il n’évoque jamais les familles Auschitzky et Flinoy dans ses écrits. Et aussi, qu’il dérobe aux Archives, où il avait ses grandes et petites entrées, tous les documents les concernant. Ces instructions ont été si bien exécutées qu’il est bien difficile aujourd’hui de réveiller nos familles. Vous nous chercherez en vain dans ? Bordeaux Baltique ? de Michel Espagne ; dans les ? Les Dynasties bordelaises ? de Paul Butel, etc.

 

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Que notre ancêtre ait choisi de s’installer à Bordeaux paraît très naturel, vu l’ancienneté des relations entre Bordeaux et les ports de la Baltique.

Reste aussi à savoir  à quelle date exacte Carl Auschitzky a quitté définitivement la Courlande et quand Charles est arrivé à Bordeaux.

 

Les ports de Lettonie n’ont pas retrouvé la trace de son embarquement. Les archives du port de Bordeaux ont été détruites en 1944 dans un incendie. Les quelques cotes qui ont pu être sauvées indiquent des bateaux qui, venant de la Baltique, ont fait escale à Bordeaux mais les rôles, à l’époque, ne mentionnaient pas les passagers transportés. De plus, en débarquant, il ne s’est pas fait recenser aux Services de police et/ou de l’immigration. Restait une ultime chance : la délivrance d’un visa pour entrer en France. Le Quai d’Orsay, par lettre 6034/ARD/VG/vg du 27 novembre 1995, précise que les archives de l’agence consulaire de RÌga sont conservées au Centre des Archives diplomatiques de Nantes... mais qu’elles ne sont pas encore classées. Affaire à suivre.

 

 

A Bordeaux

 

 

Au début des années 18204 arrive à Bordeaux un jeune homme de bonne mine, à l'œil vif et intelligent.

Ce jeune homme s'appelle Carl-Ulrich-Heinrich-Ewald Auschitzky. Il débarque de Courlande. Il a quelques 23 ans.

 

                                                                                                                                                                             coll. François Paucis

 

Il est originaire d'Hasenpoth, petite ville de Russie qui eut une histoire mouvementée, jouissant d'un statut particulier et de privilèges dont les derniers n'ont été abolis qu'en 1938. De nos jours on y ressent encore une atmosphère particulière et savoureuse.

Il regarde au loin. Son regard fouille et questionne, mais sans consolation car il ne trouve pas de réponse. C'est le regard d'un homme qui cherche sa nouvelle patrie et pour qui le pays de son berceau est devenu comme un son plein de souffrance, plein de douleur. Ce son vient de loin, porté par le souffle du vent froid pour atteindre son cœur séparé à jamais de ses attaches.

Il ne devra compter que sur lui-même pour faire son avenir, mais il a l'esprit droit, une probité scrupuleuse, une volonté à toute épreuve et le génie des affaires. Il est certain de réussir.

 

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Que notre ancêtre ait choisi de s’installer à Bordeaux paraît très naturel, vu l’ancienneté des relations entre Bordeaux et les ports de la Baltique.

En outre, depuis un demi siècle Bordeaux avait décuplé sa fortune et son importance. L’excellente situation de son port, son trafic de vins et d'eaux-de-vie, le développement exceptionnel de son armement pour les colonies, sa prospérité toujours croissante en faisaient la première cité maritime de France et l'une des plus commerçantes de l'Europe.

Cette ville était le grand centre vers lequel nombre de protestants ont convergé. Ceux qui avaient de la fortune n'ayant pas accès aux charges de l’État et ne pouvant entrer ni dans la magistrature ni dans l'armée s’y rendirent pour apprendre le commerce qui était leur seul débouché. Ils ne tardèrent pas à y occuper une place prépondérante et à contracter des alliances avec les grands centres protestants étrangers : la Hollande, le Hambourg, Brême, Lubeck et l'Allemagne du nord (aussi imprimèrent-ils au commerce bordelais de cette époque les caractères de leur religion : une grande probité, une persévérante activité et un fanatisme religieux ardent, qualités qui furent la source de leur grandeur et de leur prospérité)5.

Pour y commercialiser, peut-être, les merrains. Ces bois tirés de l'ouest boisé de la Courlande.

La tonnellerie, à Bordeaux, comptait plus de 140 ateliers occupant environ 1 500 ouvriers. Dès le XVIIIe siècle, les merrains du pays ne suffisant plus à l'industrie, nous voyons importer à Bordeaux, de grandes quantités de merrains du nord, de Riga, de Memel, de Danzig et de Suède.

 

 

Bordeaux était une ville fascinante

 

 

"La ville forme la demie circonférence, appuyée sur la rivière qui forme elle-même le croissant. Je n'ai rien vu de si beau, à Lyon ou à Marseille, que le quai dont presque tous les bâtiments sont beaux et dont beaucoup sont réguliers, qui a plus de deux lieues d'étendue, de sorte qu'on se fatigue entre de belles maisons et une forêt de mâts, car il y a des endroits où l'on ne peut voir la rivière. Toutes les rues sont alignées. Il y en a de larges et de longues qui en imposent. Les places sont multipliées, elles sont vastes et régulières... Le faubourg des Chartrons, qui est au-delà du château Trompette, est un des plus beaux faubourgs de l'Europe ; il a une lieue d'étendue sur les bords de la Garonne.

Les maisons bâties sur le quai sont presque toutes belles. En tout, le luxe des bâtiments est aussi grand à Bordeaux qu'à Paris. Toutes les maisons sont en pierre de taille ; la plupart sont bien sculptées. Je ne connais qu'à Paris de maison qui puisse le disputer à l'archevêché de Bordeaux. La salle de comédie est hors de pair de tout ce que j'ai vu6.

 

 

Revenons à notre aïeul

 

 

En débarquant, et peut-être même avant de chercher un toit, il se forgera une nouvelle personnalité. Désormais, pour tous - y compris l'état civil qui était alors moins regardant qu'aujourd'hui - il sera CHARLES et POLONAIS. Il est nécessaire de rappeler que les immigrants, à cette époque, se disaient tantôt Français, Suisses, Anglais, Hanovriens, Hollandais, Polonais, etc. Ils n’y voyaient pas malice et le faisaient en fonction de l’activité économique et de la nationalité des clients avec lesquels ils seront en affaires. La chose semble avoir été assez courante7

C'est par son acte de décès, quelques cent vingt ans plus tard, que nous saurons la vérité sur ses origines : il était sujet de l’Empire russe.

Légitimement il est Français car une loi promulguée en 1790 (Loi Marsanne de Fonjuliane) rendra automatiquement la nationalité française aux descendants d’émigrés huguenots revenant en France.

Nous savons par tradition familiale qu'il s'exprimait en français avec quelques difficultés et avec un accent épouvantable.

Pour réussir l'immigrant doit être parrainé, en quelque sorte, par un autre immigrant qui a déjà percé. Et cela se traduit par les fonctions de témoin dans les actes de l'état civil, les signatures au contrat de mariage. C'est là aussi une manière de marquer son identité. Daniel Vincent Pöhls, qui s’avère son protecteur, remplira ce rôle.

 

Qui était Daniel Vincent Pöhls ?

 

Le même Michel Espagne évoque les Pöhls tout au long de son étude.

Daniel Vincent Pöhls est originaire de Hambourg. En 1796 il a épousé Suzanne Desclaux de Bordeaux8. C’est un personnage marquant des Chartrons allemands. Il est protestant luthérien comme notre ancêtre. La patente de 1820 le classe en tête de la hiérarchie du négoce avec un total d’impôt supérieur à 4 000 fr. Il est chevalier de la Légion d'honneur. C’est l’un des artisans du commerce avec Hambourg. Mais à soixante-dix ans, il prend la direction de la Maison Balguerie-Stuttemberg (Mathias Jacob Stuttemberg, fondateur de cette société, était également originaire de Hambourg) aux côtés de Jean Isaac et d’Adolphe Balguerie ainsi que de deux autres négociants. Le contrat qui consacrait cette direction collégiale fut signé le 1er janvier 1826. Pierre Balguerie-Stuttenberg qui s’était vu décerner par les Bordelais, en particulier par ses amis de la chambre de commerce, les honneurs suprêmes (la chambre avait décidé de placer son buste, exécuté par le sculpteur Bosio, dans la salle des séances) n’aurait guère pu, s’il avait vécu, s’estimer satisfait d’un tel choix. Adolphe Balguerie, bien que déjà assez mûr - il avait vingt-quatre ans - ne pouvait bénéficier de l’expérience de son père ; Jean Isaac s’était lancé dans la carrière politique pour obtenir la députation en 1827 et avait abandonné les affaires. Les successeurs de Balguerie-Stuttemberg sont assez sévèrement jugés par Alfred de Luze dans sa correspondance de l’époque : celui qui allait créer bientôt une nouvelle maison appelée à se faire un très grand nom dans le négoce des vins des Chartrons émettait des doutes sur les capacités de gestion des associés9.

Le réseau des relations qui se sont nouées entre les commerçants des Chartrons d’origine germanique, se reconnaît aux noms des témoins dans les mariages et des parrains dans les baptêmes. Le système des parrainages, qui permet de conserver des relations avec le pays d’origine, est encore compliqué par le système des représentants locaux du parrain. Lorsque Jeanne Lydie Pöhls, fille de Daniel Vincent Pöhls et de Suzanne Desclaux, donc issue d’un couple mixte, est baptisée le 16 octobre 1791, les parrains sont Jean Jacques de Bethmann, consul impérial, et Lydie Coufard née Desclaux. Ils sont tous deux de Bordeaux mais l’un est Allemand, l’autre est Française. Ils sont représentés par Chrétien Christophe Bentzien et Elisabeth née Desclaux, c’est à dire par un couple franco-allemand.

Les signatures des témoins au bas des actes de mariage ou de baptême révèlent des solidarités plus floues, mais à partir desquelles on peut néanmoins délimiter des cercles10.

Le 4 janvier 1829, Daniel Vincent Pöhls est témoin de Charles à son mariage. Il l'est aussi à son mariage religieux.

Le 8 décembre 1829, Jean-César-Edouard Pöhls, négociant 19 quais des Chartrons, est témoin à l'acte de naissance de Jeanne-Thérèze-Eugénie, le premier enfant de Charles Auschitzky. Edouard est le fils de Daniel Vincent.

Marie-Louise, la sœur d’Edouard, épousera André Ferrière, fils de Stanislas (syndic des Courtiers de Bordeaux, adjoint au maire de Bordeaux) et petit fils de Jean, seigneur de Monadey, premier consul de la Bourse (1768), directeur du commerce de Guyenne à deux reprises (1769-1773 et 1788-1791), maire de Bordeaux (1794-1795).

Une arrière petite-fille de notre aïeul courlandais, Geneviève Bonifas, épousera un Ferrière.

 

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Ainsi, incontestablement, l'immigrant Auschitzky a bien marqué son identité. Issu de la société balte cultivée et dirigeante, il fait partie de la germanité et il se réclame d'un membre honorable et honoré de la communauté allemande de Bordeaux. Il fait partie de cette communauté.

 

Auschitzky n'est pas Polonais, n'est pas Russe non plus. Même si Charles en a la nationalité (nationalité qu'il conservera sa vie entière). Même si dans les statistiques il est rangé parmi les Russes de Bordeaux. Il est Allemand au sens défini par Michel Espagne dans son étude Bordeaux Baltique. Avec le souci qu'auront ensuite nos familles bourgeoises de camoufler leur origine.

Commis-négociant à son mariage en début de l'année 1829, il est négociant à l'acte de naissance de sa fille en fin d'année. Nous savons qu'il abandonna le commerce au bout de quelques années pour devenir assureur. De 1853 à 1855, il est membre du Comité des assureurs maritimes. Au contrat de mariage de sa fille Eugénie, le 3 janvier 1854, il est assureur maritime. Au contrat de mariage de Louis le 5 février 1863, il est encore assureur maritime. Mais au contrat de mariage de Paulle 25 août 1866, il est agent de la compagnie Le Nord, pour la Gironde. Puis il crée sa propre affaire (Tontine ? mutuelle ? cabinet de courtage ?) sous le nom de Auschitzky & Cie11 dont il est gérant. Enfin il devient un membre important de la direction de la Compagnie le Phénix (Absorbée en 1946, à l'époque des nationalisations, pour former le Groupe des AGF) créée par Léopold et Alfred Flinoy (La fille de Léopold, qui habite 23 pavé des Chartrons, a épousé, en 1896, Maurice Auschitzky, son petit-fils. Ces Flinoy ont une fortune... colossale

Nous savons qu'il a réussi dans les affaires car il a été, un temps, le protestant le plus imposé de Bordeaux. Quand on connaît la puissance des grandes fortunes protestantes de cette ville au début et au milieu du XIXe siècle, c'est une référence. Sur ce plan tout au moins.

 

Le mariage mixte

 

 

            Coll. Simone Couvercelle

Rose-Eugénie Sourget

 

Il se marie, le 3 janvier 1829, avec Rose-Eugénie Sourget.

Nous pensions que le commerce des merrains tirés de l'ouest boisé de la Courlande, l’avait mis en rapport avec son futur beau-père, Pierre Sourget. Qu’il était entré dans sa Maison et qu’il avait épousé "la fille du patron", dans la plus grande tradition des immigrants allemands qui veulent réussir et ont assez de talent pour le faire. C'était conforme au cursus décrit par Michel Espagne12. Ceci c’est presque toujours vu. Mais nous saurons en visitant les familles alliées que Charles a dérogé à la règle...

 

Il est luthérien, elle est catholique. Les registres de l’Archevêché précisent :

 

Le vicaire de l’église Saint-Louis à Bordeaux.

Vu, 1) le bref apostolique en date du vingt sept août mil huit cent vingt huit par lequel le souverain pontife commet Monseigneur l’Archevêque de Bordeaux pour accorder la dispense de l’empêchement de religion mixte qui existe entre la Delle Sourget et le Sieur Auschitzky, son futur époux.

Vu, 2) La dite dispense en date du seize septembre dernier accordée par Monseigneur l’Archevêque de Bordeaux à Mr Berreterot, curé de la paroisse de saint-Louis, qu’il autorise à célébrer ce mariage hors de l’église et sans aucune solennité ecclésiastique.

Vu, 3) Le certificat de la promesse sous serment aussi, le Sieur Charles Ulrich Henri Ewald Auschitzky de laisser son épouse parfaitement libre de professer la religion Catholique Apostolique et Romaine et de remplir tous les devoirs et d’élever tous les enfants qui naîtront de leur mariage dans la dite religion catholique, sans distinction de sexe.

Vu, 4) Acte de leur mariage civil en date d’hier, ai reçu leur consentement mutuel sans aucune cérémonie religieuse en présence de sieur Daniel Vincent Pöltz, négociant chevalier de la Légion d’honneur, Jean Baptiste Pelauque, secrétaire en chef des Hospices, Barthélémie Eusèbe Barade et Jeanne Sourget mère de l’épouse qui ont signé avec les époux et moi.

 

N savons aussi qu’il était très attaché à sa religion mais veillait scrupuleusement à l’éducation religieuse de ses enfants et petits-enfants, à ce qu’ils apprennent leur catéchisme, aillent à la messe et fassent leurs prières. Il était en très bons termes avec le curé de la paroisse et l’invitait à sa table.

 

 

La descendance

 

 

De ce mariage, naîtront trois enfants :

 

                              Eugénie, née le 7 décembre 1829 à Bordeaux, qui épousera Félix Bonifas.

                              Louis, né le 18 février 1833 à Bordeaux, à l’origine de la première branche,

                              Paul, né le 20 octobre 1834 à Bordeaux, à l’origine de la troisième branche.

 

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Et le 4 janvier 1873, l'aïeul s'éteint. Son acte de décès, du 6, précise : « âgé de 75 ans, natif de Hasenpoth, Grand duché de Courlande, Russie. Ancien assureur ». Il est mort dans la religion de ses parents. Il reçoit l'hommage de ses pairs, les protestants hanséatiques de Bordeaux, à la cérémonie de son enterrement dans la chapelle allemande de la rue Tourat13. Puis il est inhumé au cimetière de la Chartreuse14.

Il était né dans une province russe. La Courlande avait disparu depuis deux ans à sa naissance, mais à son acte de décès on a voulu tout dire : le défunt était issu de la Courlande (promue à cette occasion grand duché)... en Russie. Et cela était très dur à subir pour un fils de la Baltique, un enfant des Pays Baltes, que de voir le duché de ses pères sous le joug russe. L'étiquette russe lui a collé à la peau jusque et y compris son acte de décès.

Il était temps que ses descendants rétablissent la véritable identité de Charles Auschitzky.

 

 

Madeleine Amiet complète

 

"Notre mère, Yvonne-Marie-Rose Bonifas, épouse Paucis, ne savait pas nous dire pourquoi son arrière grand-père, soi-disant polonais, était protestant, pourquoi il était venu en France. Mais elle était pleine d'admiration pour lui et nous disait qu'il était très bien de sa personne, que c'était un grand seigneur !

             Coll. Madeleine Amiet

Rose-Eugénie Sourget à la fin de sa vie

 

Mon grand-père, Paul Bonifas, et sa sœur, Jeanne (Alaux), orphelins très jeunes, ont été élevés par leurs grands parents Auschitzky.

Maman était la filleule de notre ancêtre Rose Sourget. Elle parlait très souvent de sa marraine qui était très âgée et dont elle gardait un souvenir ému. C'était une très jolie petite "vieille", disait-elle. Elle ne l'a pas connue longtemps. Maman est décédée dans sa 99 ème année, en octobre 1988. Elle a gardé suspendu au dessus de son lit, les dernières années de sa vie, le portrait miniature de son arrière grand-mère et marraine. Je me fais un plaisir de vous en offrir la photo avec l'acte de baptême faisant foi de l'authenticité de mon dire".

 

Le Bottin de 1862 stipule :

 

·      E. Sourget & Cie. Négociants, 64 rue du Jardin Public.

·      E. Sourget. 36 rue d’Aviau.

·      Barade J. Négociant, 20/22 rue Baste.

·      Auschitzky. Directeur d’Assurances Maritimes, 17 rue Victoire Américaine.

·      Auschitzky. Directeur d’Assurances Maritimes, 22 fossés du Chapeau Rouge.

·      Auschitzky Fils. Avoué, 22 fossés du Chapeau Rouge.

 

Le recensement de 1866 précise :

 

·      Auschitzky Charles, assureur, âgé de 69 ans, vit 22 cours du Chapeau Rouge à Bordeaux, avec Sourget Rose, sans profession, âgée de 60 ans ; Bonifas Eugénie, sans profession, veuve ; Bonifas Jeanne, âgée de 10 ans, sa fille.

·      Pascal Jeanne domestique, âgée de 52 ans, veuve ; Pascal Victorine, sa fille, âgée de 25 ans.

·      Il n’est pas fait mention de Paul Bonifas, peut-être en déplacement.

 

Le Bottin de 1891 indique :

 

Auschitzky veuve Rentière, 17 rue Victoire Américaine.

 

Le recensement de 1891 complète :

 

Rose Sourget, veuve Auschitzky, âgée de 90 ans, vit 17 place de la Victoire américaine15 à Bordeaux, avec Eugénie Auschitzky, veuve Bonifas, 66 ans et Alau, ou Alan16, Michel et son épouse Jeanne, âgés respectivement de 43 et 35 ans, ainsi que leurs enfants : Charlotte 13 ans, Jean 14 ans, François 12 ans, Marguerite 10 ans, Eugénie 7 ans, Madeleine 5 ans et Charles 2 ans. Michel Alau est architecte. On peut compter parmi les habitants de la maison, trois bonnes : Krisner Mina, âgée de 22 ans, étrangère, nationalité non communiquée. Anna (ou Auna) Marie, âgée de 25 ans, française. Laranda Marie, âgée de 30 ans, française.

Il est noté en marge que la maison avait 2x4 fenêtres grillées17.

 



1 - Ceci nous semble d’autant plus intéressant, que sur le recensement de l’église d’Hasenpoth daté du 18 septembre 1798, il est dit que Friedrich Auschitzky, son père, avait lui aussi une pflegetochter (féminin de plegesohn), qui peut se traduire dans le cas présent : protégé.

2 - Rappelez-vous, nous avons vu en Courlande notre nom écrit Auschitzky, Auschizki, Auschizkÿ, Auschizky, et décliné en Lettonie :  Aušikis, Ošicki, Aušikijs, Aušickiju et Ošicka. Ce ne sont que quelques exemples. Dans l’ascendance des Barade, vous en trouverez bien d’autres !

 

3 - En 1783, on a donné le nom de Saint Fort à la rue Putoye, rue alors mal famée comme son nom l’indique [putasse = putoye]. Par dérision les Bordelais l’appelaient rue Saint Toye (un saint provençal). La rue Saint Fort existe encore, elle va de la rue du Palais Gallien à la rue Rodriques Pereire.

 

4 - Michel Espagne. Bordeaux Baltique, ou la présence culturelle allemande aux XVIIIe et XIXe siècles. Editions du CNRS.

5 - Edmond & Pierre Bonnaffé, "Un armateur bordelais au XVIIIe siècle". Éditions Féret. Bx 1909.

6 - François de La Rochefoucauld. 1783.

7 - Séverine Pacteau de Luze.

 

8 - Sa soeur, Rose Elizabeth Desclaux, épousera en 1788 Chrétien Christophe Bentzien de Poméranie. Il est certain que les mariages mixtes ont été nombreux. Les très riches familles de négociants locaux s’alliant volontiers aux négociants hanséatiques. Ainsi, en quelques années, on note également deux mariages mixtes dans la famille de l’armateur Bonnaffé. La famille Delorthe, déjà liée à Jacques Henry Wustenberg, fils d’un pasteur de Poméranie et vice-consul prussien, s’associait en janvier 1791 par le mariage d’une autre fille au négociant Zimmermann venu de Königsberg. Ceci ne constituant que quelques exemples. Ainsi le mariage mixte de notre aïeul ne constitue pas un cas d’espèce.

 

9 - Paul Butel. « Les Dynasties Bordelaises ». p 213

10 - Michel Espagne. op. cit. p 40

11 - Annuaires bordelais de l’époque.

12  - Michel Espagne. « Bordeaux Baltique ». Op. cit.

13 - docteur Philippe Kressmann, président de l’Église consistoire de Guyenne. Extrait de sa lettre du 11 juin 1990.

14 - Nous étions surpris qu'il ait été inhumé dans un cimetière catholique. Le conservateur de La Chartreuse nous dit : "On ne séparait pas les couples simplement parce qu'ils n'avaient pas la même religion. De nombreux non catholiques sont enterrés à La Chartreuse auprès de leur conjoint catholique". Il repose allée des sapeurs-pompiers, 13ème série n° 202, côté D.

15 - coquille : lire rue Victoire américaine.

16 - coquille : lire Alaux.

17 - nous ne comprenons pas la raison de cette observation.