Appendices Auschitzky

 

 

 

I - UNE PROVINCE RUSSE

 

 

Les lignes qui vont suivre sont un simple digest de ce qu'Elisée Reclus a écrit sur la Courlande dans sa monumentale Nouvelle Géographie Universelle, publiée en 1880, Tome V, Chapitre III, Section III, "Provinces Baltiques" (pages 357 à 386 et 915). Elles donnent une vision de la Courlande des années 1875-1880.

 

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Géographie.

 

Sommet de la Suisse Courlandaise : 134 mètres, le Domesberg (Nord de la Courlande).

 

Un seul fleuve (séparant Livonie et Courlande) : la Dvina (en letton : Daugava). 500 m3 par seconde, un bassin de 78 000 m2 recevant 50 mm de pluie par an. La rivière de la Courlande, l'Aa (nommée Bolder-Aa dans la partie inférieure qui rejoint la Dvina à son embouchure).

 

Population.

 

Les Provinces Baltes (Courlande, Livonie et Estonie) reçoivent souvent le nom de Provinces Allemandes.

 

Les Allemands sont restés en 1880 ce qu'ils étaient il y a 600 ans : des étrangers. Le pays appartient aux Lettes.

 

1880, le peuple qui donna son nom à la Livonie a presque cessé d'exister. En 1846, il a été très difficile de recueillir assez de mots et de phrases de quelques vieillards pour rédiger un dictionnaire et une grammaire. Ainsi a été sauvé le dialecte livonien, de source finnoise. Les seuls Lives vivant en groupe national habitaient en 1880 quelques forêts du littoral de la Courlande, dans sa partie péninsulaire, au nord de Popen (Pope), dans la partie la plus reculée. Ils ne représentaient plus que 2 000 individus appelés à se ranger au nombre des Lettes.

 

Un autre dialecte finnois est parlé à cette époque en Courlande, au sud de Mittau (Jelgagava), dans la région de Bauske, par quelques milliers d'individus.

 

Le même sort a frappé le peuple des Coures (kors des Russes, kuren des Allemands) qui a donné son nom à la Courlande, au Kurische Haff cette grande lagune du nord de la Prusse. On croit qu'ils étaient d'origine finnoise, déjà lettisés au XIIe, comme presque tous les descendants des Lives.

 

Il existe encore, en 1880, quelques familles entre Goldingen et Hasenpoth (Aizpute)1. Elles se disent issues des rois coures. Ces rois sont mentionnés dès 1320. C'étaient des paysans libres, dispensés de corvées, d'impôts, de service militaire, ayant le droit de chasse. On pense qu'ils descendaient de chefs coures qui se soumirent volontairement aux Allemands et se firent reconnaître ces privilèges. Ils les perdirent en 1864 seulement. A cette époque, il ne restait guère plus de quatre cents Coures repartis dans sept villages. Ils se mariaient entre eux.

 

Les Lettes ou Lettons, qui ont déplacé et remplacé les Livoniens finnois, sont des aryens de langage, frères des anciens Borusses, qui peuplaient la Prusse avant d'être massacrés et remplacés par les Allemands à la faveur des croisades. Ils se donnent le nom de Latvis. Leur tribu la plus pure est en Sémigalie (partie Nord Orientale de la Courlande). Leur langue s'est développée au XIXe siècle ; parmi les langues aryennes, elle serait l'idiome européen le plus rapproché du sanscrit, et serait à ce dernier ce que l'italien est au latin. La première grammaire lette parut à la fin du XVIIIe siècle où cette langue parlée commença à devenir une langue écrite. En 1876, il y avait cinq journaux lettes et 20 000 abonnés. A partir de 1844 on a publié de nombreuses poésies populaires. Partout le culte des chansons, ayant souvent un caractère primitif, avec la conservation des dieux païens : Perkounas, le tonnerre ; Laïmè, la fortune ; Liga, la jouissance. Ces chansons, ou daïnas, sont pleines de tendresse, chantent les combats contre les anciens, les Polonais (les Slaves sont ici l'ennemi), mais aussi la belle Riga, qui doit sa beauté à l'esclavage des Lettes par l'Allemand.

 

En 1880 on comptait 460 000 Lettons en Courlande (contre 410 000 seulement en Livonie, à la population beaucoup plus mélangée).

 

L'ensemble des villes des trois Provinces Baltes comptait 30 000 Russes, dont 8 000 dans un seul faubourg de Riga.

 

Au dessus des populations indigènes qu'ils avaient asservies, se formèrent deux classes presque exclusivement germaniques : la noblesse et la bourgeoisie : 77 100 Allemands en Courlande (12,10 % de la population totale de cette province). Cette forte minorité compte tout ceux qui jouèrent un rôle dans le pays. Les citadins aisés parlent allemand. Le paysan, l'ouvrier, l'artisan se sert des anciens idiomes. Il existe peu de prolétaires allemands. Ils sont méprisés par tous.

 

Les juifs, comme partout, ne vivent que dans les villes.

 

A la période de germanisation a succédé la russification. Introduction du code civil russe en 1835. Obligation d'employer le russe dans la correspondance officielle en 1850 et 1867. Il fallut attendre 1877 pour voir enlever aux corporations allemandes l'administration des municipalités, mais la correspondance des municipalités était encore rédigée en allemand en 1880. Dans les écoles primaires l'enseignement était toujours dans les dialectes indigènes en 1880. Mais l'allemand restait la langue des études secondaires et supérieures.

 

Le souvenir de l'oppression allemande restait vivace. La mère lettonne menaçait son enfant polisson de la venue du vahzech, ce qui signifie de l'Allemand. Ce mot était à la fin du siècle dernier l'injure la plus grossière pour un Letton.

 

Les knecthen, ou valets, forment au début du XIXe siècle les 9/10 ème de la population agricole (dont 1/10 ème seulement de paysans "libres"). Ces valets vivent dans une situation lamentable. Beaucoup s'expatrient en Russie, jusqu'en Crimée et au Caucase. « Plus d'un quart des cultivateurs de la Courlande errent de domaine en domaine. Dans aucune partie de l'empire (russe) le paysan n'a une moindre part à la propriété », écrit Reclus.

 

Répartition. Étendue des propriétés

 

En 1877, répartition de la propriété foncière :

 

                                                                                                     Courlande     Livonie

Paysans de la Couronne                                                        15,80 %                           7,00 %

Paysans de la noblesse                                                           4,30 %                           8,20 %

                                                                                                     20,10 %                         15,20 %

Nobles                                                                                        61,90 %                         58,60 %

Couronne                                                                                   15,60 %                           6,40 %

Villes et autres                                                                             2,40 %                         19,80 %

 

En 1877, l'étendue moyenne des propriétés appartenant à des nobles est de 3 935 hectares en Courlande, et de 3 852 hectares seulement en Livonie, province connue pour contenir d'immenses domaines.

 

Remarque : Les 15,80 % de la propriété foncière sont à la Couronne. Il s'agit là des propriétés provenant du dernier duc de Courlande.

 

Villes. Ports.

 

RIGA, capitale de la Livonie. est le troisième port de l’Empire Russe, sur la Dvina, à douze kilomètres de la mer. Les navires les plus gros s'arrêtent au fort de Dünamünde, à l'embouchure du fleuve. Le chenal du port de Riga est fermé l'hiver par une glace épaisse. La débâcle est violente (à cause du fleuve). La barre d'entrée n'a que 4m 27 de profondeur. La moitié des échanges se fait avec l'Angleterre.

 

Population en 1867 : Sur un total de 102 050 habitants, on compte 43 980 Allemands ;  25 772 Russes ; 24 199 Lettes seulement ; 5 254 Juifs ; 872 Esthes. On ne donne pas le nombre des Polonais.

 

Le port échange en 1844 pour 296 920 400 francs, dont : avec l'Angleterre, 133 927 600 francs, l'Allemagne 50 919 600 francs et la France 24 265 500 francs.

 

Les mouvements dans le port, en 1874 enregistrent : à l'entrée : 3 306 navires jaugeant 968 094 tonnes et 3 202 navires jaugeant 965 460 tonnes à la sortie.

 

Riga exporte : chanvre, lin, grains, suif, planches et bois de Riga, donc surtout des munitions navales.

 

MITTAU, (Jelgava) est la capitale de la province de Courlande. L'ancienne cité des ducs est au sud-ouest de Riga, sur l'Aa. Lieu de séjour des familles aristocratiques allemandes. Ville d'écoles et de pensionnats. Ville presque entièrement allemande en 1880.

 

La modeste rivière, la Windau, traverse Goldingen, laisse Pilten (Piltene) sur sa droite, débouche dans la Baltique au petit port de Windau (Ventspils), peu fréquenté en raison de sa barre dangereuse. En 1873, il est entré dans le port 324 navires, jaugeant 55 000 tonnes, et le trafic a porté sur 5 625 000 francs.

 

LIBAU, (Liepaja) est le principal port courlandais, sur un étang relié par un canal à la Baltique. Le port est libre de glaces trois semaines avant Riga et six semaines avant Pétersbourg (Sanktpeterburga, pour les Lettons). Libau est relié par chemin de fer à Vilno. La barre ne laisse que 3 à 3m 50 de profondeur, ce qui limite le trafic du port.

 

En 1874, 1 213 navires y sont entrés, jaugeant 182 090 tonnes. Le trafic a porté sur 4 839 200 francs à l'importation et 25 198 600 francs à l'exportation.

 

En 1877, les pêcheurs recueilleront environ 2 000 kg d'ambre jaune dans les sables des plages au sud de Libau, mais peu au nord.

 

Chemins de fer.

 

Riga est relié au port de Windau (Ventspils) par une ligne desservant le nord de la Courlande par Tukkum. Une autre ligne relie Libau à Riga par Mittau, avec un embranchement par Chavli, d'un côté sur Vilno, et de l'autre sur Dvinsk (Daugavpils).

 

Superficie. Population.

 

Habitants au km2 :

 

                Courlande, 27 286 km2          637 146 habitants1          soit : 23

                Livonie,       47 029 km2       1 017 074 habitants            soit : 22

 

                Mittau, en 1867, a                   23 100 habitants

                Libau, en 1871, a                   10 750      -

                Jakobstadt, en 1867, a           4 400      -

                Bauske, en 1867, a                 4 100      -

                Goldingen, en 1867, a            4 000      -

 

Divisions administratives en 1880.

 

Le siège du Gouverneur de la province de Courlande est à Mittau.

 

La province est divisée en dix districts :

 

Mittau (Doblen), Bauske, Tukkum, Talsen, Goldingen, Widau, Hasenpoth, Grobin, Friedrichstadt, Jakostadt (Salburg), Illuxst.

 

La Livonie, beaucoup plus grande et plus peuplée, n'a que neuf districts.

 

 

II - FLUX ET REFLUX

 

 

Nous conseillons de lire, de Jean Grison, « La France et l'Angleterre face aux affaires baltes entre 1900 et 1990 » et « Pays Baltes ». 1

 

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Avant 1914.

 

Les échos des ethnies non russes vivant dans l’Empire Russe au XIXe siècle sont inconnus. On ne connaît qu'un seul peuple russe pour tout l’Empire. Le réveil des nationalités se produit au début du XXe siècle. Création en 1906, à Paris, du Comité de la Russie Libre qui édite de terribles pamphlets sous des signatures comme celles d'Elisée, Charles Seignobos et Bernstein. Un comité patronné par un Lituanien publie en 1912 « Les Annales des Nationalités ». En 1913 se fonde un comité d'exilés lettons. Les barons de Courlande, et leur parti, s'opposent à toute lettonisation. Mais en août 1914 tous les Allogènes russifiés des Pays Baltes font leur devoir contre les Germaniques. Ils ont choisi leur camp sans hésitation entre le pangermanisme et le panslavisme. De deux maux...

 

1914-1919.

 

En 1915 les Allemands occupent la Courlande et s'arrêtent le long de la Dvina, face notamment à Riga comme les Prussiens en 1812.2 La Lithuanie et partie de la Biélorussie sont également occupées. Le front va rester ainsi jusqu'en 1917. A l'approche des Allemands les Russes vont évacuer de ces pays des centaines de milliers d'habitants dans des conditions épouvantables, dues à leur imprévoyance et à leur incapacité, sans intention de nuire. Les Allemands prennent possession de pays encore plus dévastés par cette évacuation des Russes que par des combats. Bien sûr, aussitôt ils organisent tout afin de tirer le maximum de produits agricoles. Pour y parvenir ils font venir d'Allemagne des colons pris parmi les hommes non mobilisables. En Courlande, les barons et toute la population germanisée qui les suit, font bon accueil aux troupes du kaiser. Un gouvernement fantoche et provisoire est mis en place par les barons et la puissance occupante. A sa tête, un pasteur : Needra. Les pasteurs courlandais sont allemands ou germanisés depuis des siècles, ils font leurs études en Allemagne. La diète qui est réunie, aux mains des aristocrates courlandais, ne représente pas la Courlande. Dès le début de 1917 les Allemands répandent l'idée d'un royaume de Lithuanie-Courlande.

 

L'abdication du Tsar (15 mars1917) amène quelques soulèvements contre les barons. Ceux-ci voyant crouler l’Empire Russe, qu'ils ont très bien servi, se veulent « Allemands, rien qu'Allemands ». Ils créèrent leur propre armée (Landwehr) qui combat aux côtés de celle du Kaiser. La diète fantoche proclame l'indépendance de la Courlande, la reconstitution du duché, et offre le trône au Kaiser (pour qu'il désigne un prince allemand). Les Allemands franchissent la Dvina, occupent le 3 septembre 1917 Riga, malgré une héroïque résistance des tirailleurs lettons, et tout le reste des Pays-Bas. Ils se ruent en Ukraine, jusqu'en Crimée et vers le Caucase. Le 3 mars 1918, le traité de Brest-Litowsk consacre la mainmise germanique sur ces immenses territoires occupés, et même sur la petite Courlande. Dans tous les autres pays « libérés » des Russes par les Allemands se créèrent des conseils nationaux provisoires.

 

La défaite allemande a sonné à l'ouest le 11 novembre 1918. Les peuples occupés proclament leur indépendance, attendent l'aide des puissances occidentales pour les débarrasser, à jamais, des Allemands honnis, et des Bolcheviks qui sont à leur porte avec l’Armée Rouge, et au milieu d'eux par les partisans qu'ils soulèvent partout. Alors les Nationalistes se mettent en armes pour combattre de tous côtés. En Lettonie ils doivent chasser les Bolcheviks qui ont mis la main sur Riga et commettent toutes sortes d'exactions. Ils doivent chasser aussi les troupes des russes blancs qui veulent rétablir la Grande Russie dans son intégralité. Qui veulent s'imposer aux Nationalistes avant de s'en prendre aux Rouges. Enfin il va falloir libérer le pays des Allemands non vaincus à l'Est, et toujours en place dans toute la Livonie. C'est la confusion. Il y aura en même temps jusqu'à cinq gouvernements provisoires. Les Nationalistes ayant pour chef Ulmanis.

 

Les Allemands ne sont guère intimidés par la démonstration des navires anglais et français dans le golfe de Riga et les quelques salves de leurs canons. Les barons baltes, menés par Lieven, Menteuffel (le propre neveu de Pauline Auschitzky), Noske, soutiennent les visées des Russes blancs. Ils sont maintenant plus russes que les Russes. Rétablir la Grande Russie pour se débarrasser de la Russie des Soviets... Ce qui est l'avis de la France, à commencer par ses dirigeants radicaux et pour finir par l'Action Française et Jacques Bainville. Un climat très défavorable aux Russes blancs règne chez les Baltes allogènes. Ni Blancs, ni Rouges, ils se veulent Baltes !

 

On redoute un conflit armé en Courlande entre les barons et leurs partisans germaniques et germanisés, soutenus par les troupes allemandes de von der Goltz. Les milices qu’il a formées, les troupes russes blanches de Bermont-Avilov d'une part, et les nationalistes d'Ulmanis d'autre part. Des navires anglais soutiendront ces derniers de leurs canons, devant Libau. De Paris vient l'ordre de bannir les Bolcheviks de Riga, ce qui est fait dans une union un instant réussie. Au milieu de 1919 les rouges sont chassés complètement de Livonie, d'Esthonie et de Lituanie. La Courlande est toujours aux mains des troupes et des milices allemandes.

 

1919-1920.

 

La République de Lettonie a été proclamée le 18 novembre 1918. Von der Goltz, avec ses corps francs, se renforce en Courlande en moyens et en soldats venus par trains entiers de Prusse (une seule ligne de Königsberg à Kovno par Gumbinnen, et de Kovno sur Mittau et Libau). Avec l'appui des Russes blancs de Bermont-Avilov il va vouloir prendre Riga. Les Lettons les rejetteront. Enfin, les Alliés se décidèrent à imposer l'évacuation de la Courlande aux Allemands, et aussi de la Samogitie. Ils vont mettre deux mois pour le faire, après avoir évacué sur la Prusse tout ce qu'ils ont méthodiquement enlevé aux Courlandais. Les Russes blancs, restés seuls, vont se diluer.

 

Au Printemps 1920, Lénine fait évacuer Dvinsk sur la Dvina. Alors que se déroule la bataille de Varsovie, Moscou consent à faire la paix avec la Lettonie. Paix signée le 12 août. (Les Polonais étaient entrés à Kiev fin avril).

 

Les Baltes ont chassé seuls les Bolcheviks. Des centaines de milliers d'exilés vont rentrer dans les jeunes républiques. Tout est ruiné.

 

 

République lettone

 

 

La Lettonie est constituée par la réunion de la Livonie et de la Courlande.

 

Dès 1920, la réforme agraire lance les paysans devenus propriétaires dans un travail acharné. On exporte bientôt les produits agricoles, ce qui permet la reconstruction du pays. Mais il est très difficile de reconstituer l'industrie qui avant 1914 dépendait du marché russe, tant pour ses approvisionnements que pour ses débouchés. Tout est à reconsidérer. La Lettonie des années 1915-1940 sera plus agricole que celle des tsars au début du XXe siècle.

 

En 1922 une constitution avait été adoptée et un Président élu par la Seiema. L'instabilité politique conduisit Ulmanis à un coup d’État en 1934, qui déboucha sur les pouvoirs accrus du Président. Les Républiques Baltes sont menacées, de suite, par Staline qui ne cache pas sa décision de les réintégrer sous forme de Républiques Soviétiques dans l'empire URSS. Dès le 25 décembre 1925 il a vainement tenté un coup d’État à Riga. Et à partir de 1935, la peur de l'Allemagne hitlérienne va renforcer l'esprit de solidarité des Baltes. Mars 1939, Hitler occupe le seul port de la Lituanie, Klaipeda, qui redevient Memel.

 

Les Allemands en Pologne, et les Russes aussi. Hitler a abandonné les Baltes à la convoitise de son allié. Les Russes entrent dans les Pays Baltes, occupent tous les points stratégiques pour aider ces pays, et concourir à leur défense en cas d'agression... Comme plus tard en Afghanistan !

 

Les Russes.

 

Le 17 juin 1940 les États Baltes sont Républiques Soviétiques, et ont l'avantage d'être accueillis au sein de l'U.R.S.S. Hitler avait demandé de réunir tous les Allemands dans le Reich. Staline a bien voulu. Les descendants des barons et des colons germaniques, des familles germanisées, en grand nombre quittent la Lettonie dès l'automne 1939. A peu près tous ceux qui étaient restés fuient après le 17 juin 1940. Les troupes russes, assez discrètes jusque là, sont partout (elles présentent des effectifs de 500 000 hommes) et sèment la terreur (surtout les Cavaliers mongols et tartares). On évalue entre 130 et 150 000 ceux qui préférèrent partir et aller vivre dans le Reich.

 

Les Baltes goûtent « le paradis des communistes ». Staline ravitaille Hitler, jusqu'en juin 1941. Les Baltes sont mis en coupe réglée. C'est une intensification des exportations agricoles de la Courlande vers l'Allemagne. Mais Staline a décidé le génocide des peuples baltes. Ils seront déportés et exterminés en masse. Au 14 juin 1941, la G.P.U. a mis au point la russification totale des Pays Baltes. Dans la nuit on a embarqué pour les camps lointains de Sibérie, et au plus près sur les confins de l'Oural, 70 000 Baltes, dont 29 500 Lettons, en sus 2 710 ont été tués et 2 082 emprisonnés. C'est vrai : l'entrée en campagne des Allemands, le 22 juin, a sauvé les Lettons de l'extermination.

 

En se retirant devant les Allemands, les Russes multiplièrent les atrocités et leurs horreurs, en sus, le pillage le plus total. La riche Courlande fut livrée à un sac complet. Entre le 22 juin et le 1er juillet, date de l'entrée des Allemands à Riga, rien que dans cette seule ville, il disparut 12.000 personnes, tuées ou déportées. En gare de Riga, les Allemands vont libérer les malheureux entassés dans deux trains prêts pour la déportation.

 

Les Allemands.

 

Oui, les Allemands furent bien accueillis par les Lettons. Tout naturellement nombre d'entre eux s'engagèrent dans des unités lettones, le « Schutzmannschaft », qui en 1943 comptait vingt bataillons. Plusieurs se distinguèrent sur le front de Leningrad et formèrent une légion lettonne. Tous ces soldats luttaient pour abattre l'U.R.S.S. et rétablir la Lettonie avec un très grand et indéniable patriotisme. Quand les Allemands introduisirent la conscription obligatoire, en 1944, les Lettons appelés refusèrent de servir en Allemagne. Ils furent, ou versés dans la Légion Lettonne sur le front de l'Est, ou envoyés en camps de concentration.

 

Les Lettons s'aperçurent que la Gestapo avait remplacée le G.P.U. Dès 1943 naquit une organisation de résistance. Les unités mises sur pied en 1944 furent démantelées par les Allemands.

 

Le front nord, tenu par les Allemands à la fin de 1943, était sensiblement le même depuis septembre 1941. Il fallut attendre l'offensive russe d'avril 1944 pour voir le front sur les frontières de l'Estonie puis, après la puissante offensive du 22 juin 1944, contre le groupe des armées allemandes du centre. Ce fut la retraite du front du nord. Vilno était aux Russes depuis le 13 juillet. Kovno, depuis le 31 juillet. A la fin juillet les Russes atteignent Tukkum au nord de la Courlande, occupent Mittau. Le groupe du Nord des armées allemandes est coupé. Ses 750 000 hommes ne peuvent être ravitaillés que par mer. Les Allemands reprennent en août Tukkum et Mittau, mais le 13 octobre, les Russes occupaient Riga. Les Allemands se repliaient dans la poche de Courlande. Les restes de deux armées, 25 divisions, 250 000 hommes sous Schorner, vont s'y enfermer. Par les ports de Libau et Windau, la kriegsmarine a évacué dix autres divisions sur la Poméranie et aussi de très nombreux civils, hommes, femmes, enfants. Ce ne sont pas des pro-Allemands, mais ils préfèrent tout risquer que de connaître - à nouveau - le joug des Russes et l'horreur soviétique. On peut estimer à 200 000 personnes cet effroyable exode des Baltes vers la Poméranie.

 

En vain Guderian essaya de récupérer ces 25 divisions si aguerries. Par contre la kriegsmarine réussit le tour de force d'évacuer la très forte garnison qui tenait l'île d'Œsel et allait succomber sous le nombre des agresseurs russes parvenus sur son sol qui y ont pris pied. Ces Allemands, débarqués à Windau, allèrent renforcer la défense de la poche Courlande. En février 1945, le grand-amiral Dœnitz reconnaissait devant Guderian qu'il avait encore les moyens navals d'évacuer l'armée de Schorner... et l'opposition réitérée d'Hitler fut la cause de la détérioration des rapports de ce dernier avec Guderian.

 

En avril se livrent sur le front des 25 divisions la quatorzième bataille de Courlande. Puis la quinzième. Schorner a été appelé par Hitler à Berlin alors que 3 000 chars russes ont lancé la dernière offensive. C'est le général Hilpert qui commande maintenant, et les Russes perdent ces quatorze et quinzième batailles comme les précédentes. Les Allemands ont été renforcés par de nombreux patriotes baltes qui se battent farouchement, désespérément, tous préférant la mort. La douzième division lettone était avec eux.

 

Tout combat avait cessé dans Berlin et sur l'Elbe. Mais la poche de Courlande tenait toujours pour arracher le plus possible de personnes au sort horrible que leur avaient réservé les Russes. Le 8 mai, la marine allemande rapatriait encore 28 000 personnes embarquées à Libau et Windau. Le chiffre étonnant de 2 204 772 personnes, civils et militaires, est celui de ceux qui furent ramenés par la marine en Allemagne des poches de Courlande et de Prusse.

 

Après la capitulation de la poche de Courlande on estime que le tiers des forces qui restaient continua la résistance, caché dans les forêts de Courlande.

 

De ceux qui furent capturés, 14 000 finirent leurs jours dans les camps de Sibérie.

 

Les Russes

 

La domination russe avait repris, à Riga et en Livonie dès octobre 1944. Dans toute la Courlande, en mai 1945. Riga était détruite, sans électricité, sans eau. Un pays ruiné par les destructions des combats.

 

Début 1949, en Sibérie furent déportés 20 000 paysans qui n'appréciaient pas les méthodes russes. Staline voulait l'extermination des Baltes et implanta dans leur pays de nombreux Russes. Toutes les méthodes du stalinisme furent déployées pour russifier et soviétiser la Lettonie. 150 000 Lettons furent ainsi déportés entre 1948 et 1949 (400 000 lithuaniens à fin 1948). C'était en bonne part la suite de la collectivisation rurale. La taille moyenne des exploitations agricoles était passée de 16 hectares avant 1945, à 6 000 !

 

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Dans les années 1970 des mouvements nationalistes - dont beaucoup d'intellectuels - revendiquent leurs particularismes culturels, l'identité balte. En 1989 c'est « la dérive légale des peuples européens de l'U.R.S.S. qui débouche sur la sécession ».1 Des fronts nationaux se forment dans les Pays Baltes. On brandit le protocole secret annexé au pacte germano-soviétique du 23 août 1939 livrant ces pays à la domination soviétique. Il y a eu « annexion et non destin volontairement partagé »1. Les Fronts estoniens et lettons « exigèrent la reconnaissance par Moscou de l'annexion et une autonomie politique et économique totale ».1 En mars 1990 c'est la proclamation de l'indépendance. C'est David contre Goliath.2

 

Les Baltes ont donné l'exemple. Tous les peuples non russes de l’Empire Soviétique suivent le mouvement2 et les nationalistes russes réclament pour les Russes une République de Russie.3

 

Septembre 1991 : La Lettonie est admise aux Nations-Unies. Sa souveraineté est reconnue par tous.

 

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Quand la page se referme, on ne peut que ressentir une effroyable tristesse, rester sans mot, et prier... Le peuple valeureux de Courlande, de Lettonie a droit à notre profonde admiration. IL EST LIBRE !

 

Mais il doit soutenir une bataille sans merci - qui sera longue - pour vaincre les difficultés économiques issues du chaos soviétique et retrouver la prospérité économique conforme à son passé et à ses mérites.

 

 

 

NOTA : Cet ouvrage a été lu et corrigé par des membres de l'Ambassade de Lettonie à Paris sous la conduite de S. Exc. Mme Aina NAGOBADS-ABOLS, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Lettonie en France.

 

Puis il a été confié à M. Jean-Paul KAUFFMANN pour l’écriture de « COURLANDE » publié par Fayard en avril 2009.

 

 
 


1 - Hasenpoth était avant l'arrivée des Croisés germaniques une citadelle des Coures. Précision apportée par Jean Grison, l'un des rarissimes français à connaître la Courlande et son histoire.

1 - La population en 1875 permet d'apprécier les chiffres fantaisistes de Mirabeau dans son rapport sur la Courlande.

1 - Jean Grison. Il s'agit d'une brochure publiée en 1990 par la "Revue Historique" (P.U.F.).

"Pays Baltes" publié en 1991 dans la série "Monde" par les Editions "Autrement". Etude dirigée par Yves Plasseraud, avec la collaboration de spécialistes baltes et français. L'ouvrage traite des trois pays baltes : Estonie, Lituanie et Lettonie.

2 - Voir notre petite étude : "1812. La Campagne de Courlande", dans le présent ouvrage (chapitre 30, page 537).

1 - Hélène Carrère d'Encausse. "L'Empire éclaté". p 362.

2 - Hélène Carrère d'Encausse. "La Gloire des Nations". Chap. VIII "De la souveraineté à l'indépendance".

3 - Hélène Carrère d'Encausse. "La Gloire des Nations". Chap. IX "La Russie contre l'URSS".