Appendices Auschitzky

 

 

 

 

LE XVIIIe SIÈCLE

 

 

I - LE DUCHÉ DE COURLANDE

 

 

Représentation contemporaine des armoiries ducales de la Courlande et de Zemgalle (XVIIIe siècle).

 

Tout le monde veut donner le coup d'envoi en 1700 et au début du XVIIIe siècle pour marquer son époque.

 

 

Louis XIV

 

 

A Versailles, Louis XIV donne le coup d'envoi de la guerre de succession d'Espagne : l'acceptation du testament de Charles II. Le roi d'Espagne sera un Bourbon, son petit-fils. Les Anglais entrent dans la coalition qui va se former entre elle, la Prusse, la Hollande et l'Empereur, en 1701, à La Haye. Pour la première fois les armées du roi de France combattent en Espagne. L'Angleterre prend Gibraltar et Minorque. On se bat en Allemagne et au Canada. La Savoie rejoint les coalisés. On se bat aux Antilles. La France frise le désastre, et se sauve au détriment de l'Espagne qui cède territoires, places fortes, et avantages commerciaux à l'Autriche et à l'Angleterre. L'ascension de l'Angleterre est consacrée aux traités d'Utrecht et de Rastatt (1713-1714). On verra de plus en plus de voiles anglaises en mer Baltique, surtout dans les ports que les Russes vont créer ou développer.

 

 

En Prusse

 

 

Le Grand Electeur était mort à Potsdam en 1688 (il était né à Berlin en 1620). Son fils Frédéric (né à Königsberg en 1657) a fait partie de la ligue d'Ausbourg contre Louis XIV et il s'en fait récompenser en se faisant reconnaître, en 1700, comme premier roi de Prusse. Il est passé à l'histoire sous le nom de Frédéric Ier, roi de Prusse. Il se couronna à Königsberg, sa capitale, le 18 janvier 1701. Ce souverain était petit par le caractère mais il avait l'appétit des Hohenzollern pour grignoter l'Allemagne, comme avait si bien su le faire son père qui avait fait du Brandebourg la première puissance protestante d'Allemagne.

 

·     1697. Achat par l'électeur de Saxe du bailliage de Petersberg, près de Hall.

 

·     1699. Mise en possession des seigneuries de Lora et Klettenberg, fief d'Halberstadt  dont il est le prince.

 

·     1713, à la paix d'Utrecht, les principautés de Lingen et Mœrs et les districts du duché de Gueldre, dont la ville de Gueldre. Et il achète, aux princes de Solms-Braunfels, le comté de Tecklembourg.

 

Le roi Frédéric avait épousé Charlotte, princesse de Hanovre.[1]

 

Le nouveau royaume de Prusse va connaître, au XVIIIe siècle, une ascension remarquable. Et à la mort de Frédéric Ier, en 1713, son fils le roi Frédéric-Guillaume Ier, né à Berlin en 1688, lui succéda. C'est à lui que l'on doit l'armée prussienne. Le roi à l'âme militaire est passé à l'histoire sous le nom de Roi-Sergent. Il parvint à se faire céder par les Suédois, en 1720, le port de Stettin, avec un bout de Poméranie-Orientale, bien entendu. Frédéric, en tant que roi de Prusse, est le seul des chefs d'Etat allemands qui ne soit pas le vassal de l'Empereur (mais il reste son vassal pour le Brandebourg et le reste de ses États, théoriquement du moins).

 

 

En Suède

 

 

A la fin du XVIIe siècle on craint l'effondrement de la Suède, assortiment d'éléments disparates, œuvre contre nature de Gustave Vasa : des bandes littorales, des embouchures de fleuves, guère d'arrière pays (sauf en Suède). En 1699 on peut craindre le pire. Les Suédois ont un nouveau roi. Charles XI est mort. Son fils, Charles XII, monte sur le trône : un jeune homme de 17 ans ! Ce n'est pas lui qui peut donner un coup d'envoi en 1700...

 

 

En Russie

 

 

... mais ce sera le nouveau tsar, Pierre Ier, Pierre le Grand, qui le donne.

 

Ce dernier avait visité la Livonie en 1697, lors d'un de ses voyages d'étude qui lui permirent d'acquérir maturité politique et connaissance de l'Europe. La Livonie et Riga lui avaient plu, autrement que pour le tourisme.  La fertilité de la Livonie, la situation de Riga, sa capitale, pouvaient tenter le tsar. Il eut du moins la curiosité de voir les fortifications de la citadelle. Le comte Dahlberg, gouverneur de Riga, en prit ombrage ; il lui refusa cette satisfaction. Le tsar venait d'Estonie et quitta la Livonie pour aller en Prusse. On peut en conclure qu'il passa par Mittau car la voie qui reliait Riga à la Prusse traversait cette ville

 

 

 

 

pour atteindre Memel. Le tsar ne s'arrêta-t-il pas à Mittau pour saluer le duc de Courlande, Ferdinand-Frédéric-Casimir, beau-frère de l'électeur de Brandebourg ?1

 

Septembre 1700. Le tsar, avec 60 000 hommes, entre en Ingrie, dépendance suédoise sur la Baltique, à l'est de l'Estonie. Il traîne avec lui 145 canons et met le siège devant Narva, ce port qu'avait conquis Ivan le Terrible, et qui avait permis de lancer sur la Baltique, pour la première fois, une flotte russe.2

 

 

Les coalisés

 

 

Oubliant leurs longues luttes, les Russes, les Polonais et les Danois se sont coalisés : il faut profiter de l'État d'infériorité de la Suède, où règne un si jeune homme, pour briser cette puissance et se partager ses conquêtes sur les rives orientales et méridionales de la Baltique. Il y aura de bons morceaux pour chacun. Le nouveau roi de Pologne est Auguste II, électeur de Saxe, d'une maison qui fut l'alliée de Gustave Vasa.

 

Les coalisés avaient tout prévu, tout, sauf qu'ils auraient en face d'eux un génie.

 

 

Charles XII

 

 

Le très jeune roi de Suède riposta à l'attaque de Pierre Ier en débarquant à proximité de Copenhague. Après une guerre de six semaines il dicta sa paix au roi de Danemark3. Les danois étaient vaincus.

 

Pendant ce temps là, les Polonais avaient attaqué Riga avec une armée commandée par le comte Flemming et un général livonien, Patkul. Le roi Auguste II assistait au siège qui s'était organisé et attendait son entrée dans Riga. Mais le comte Dahlberg repoussa si bien tous les assauts que le roi ordonna la levée du siège, au grand désespoir de Patkul qui remplissait les fonctions de général-major4. Cette guerre va très vite. Charles XII, ayant mis à genoux les Danois, débarquait à Pernaw, sur le golfe de Riga, 16 000 fantassins, 4 000 cavaliers. Et en octobre 1700, il marche sur Revel (Tallin), en Estonie. Une armée russe de 30 000 à 40 000 hommes, commandée par un Flamand, le duc de Croï (ou Croy), lui barre la route. Charles XII a 9 000 hommes seulement. Il est vainqueur et il entre dans Narva, le 15 novembre, suivi du duc de Croï et des autres généraux russes qu'il a fait prisonniers.5

 

Les deux premiers mois de guerre sont étonnants...

 

 

Le duc de Courlande

 

 

... Le gros de l'hiver, Charles XII le passe à Narva. Et brusquement, le voilà en Livonie, près de Riga, sur la Dvina. la rivière est très large en cet endroit. Là, campe l'armée polonaise, de l'autre côté de l'eau, commandée par le maréchal de Stenau, le duc Ferdinand de Courlande et le général livonien Patkul. Ainsi ce duc n'est pas resté neutre, comme son père, le duc Jacques. Est-ce le lien de vassalité qui a fait entrer le duc dans la guerre ? Puisqu'il s'agissait de dépouiller les Suédois dans cette guerre, Frédéric Ier, premier roi de Prusse maintenant, devait guetter, tel le vautour qui attend un festin, et il s'arrangerait pour avoir de bons morceaux. Or ce roi de Prusse est le beau-frère du duc Ferdinand. L'entrée du duc dans la guerre n'est pas due au lien de vassalité avec le roi de Pologne. Le duc fait partie des coalisés. Soutenu par le roi de Prusse, il s'entend bien, lui Allemand, avec ce roi allemand. Mais il peut se comprendre avec le nouveau roi de Pologne, puisque ce dernier est allemand. Les trois princes sont Allemands. Enfin, peut-être. Pierre Ier et le duc Ferdinand ont-ils convenu de certaines positions communes d'appuis lors de l'entrevue qu'ils ont dû avoir à Mittau en 1697 ?

 

Le duc de Courlande est-il entré dans la guerre à titre personnel ? On voit mal un chef d'État, fut-il vassal d'un autre, prendre une telle position. Les grands féodaux, selon la tradition, rejoignaient l'armée de leur suzerain avec leurs gens, les compagnies de mercenaires à leur solde, et avec leurs chevaliers à la tête des valets et gens d'armes. Quelle fut la participation de la Courlande dans cette guerre ? Certainement minime. Du temps des Chevaliers les Livoniens et les Courlandais devaient à leurs maîtres le service militaire. Avec les Chevaliers, ils combattirent trois siècles durant contre les Borusses, les Lithuaniens et les Polonais. C'étaient des conflits locaux, au plus régionaux. Ici nous sommes dans un conflit international, des ennemis de longue date se sont momentanément alliés. Un pacte de brigands pour détrousser un tiers. Nous ne savons rien de la participation de la Courlande à ce conflit international, mais le seul fait d'y trouver mêlé le duc de Courlande, beau-frère du roi de Prusse, est en soi un événement tout à fait considérable car la Courlande est restée en dehors des conflits du XVIe siècle, même si elle en a subi les conséquences (une occupation momentanée des Suédois). Que devait gagner le duc de Courlande à son entrée dans ce conflit ? Même pas d'accroître Pilten et Hasenpoth, puisque depuis quarante ans ce fief s'était mis sous la protection ducale pour obtenir le départ des Suédois.

 

Charles XII avait fait construire des péniches de débarquement, « de grands bateaux d'une invention nouvelle, dont les bords beaucoup plus hauts qu'à l'ordinaire, pouvaient se baisser et se lever comme des pont-levis ». Il fit mettre le feu à quantité de pailles mouillées, dont on avait rempli des barques, et fit avancer ces dernières vers l'autre rive. Le vent soufflait du nord, les Polonais campaient au sud. Le nuage de fumée chassé par le vent dans les yeux ennemis, les mettait dans l'impossibilité. En un quart d'heure Charles XII avait passé la Dvina, traversé de Livonie en Sémigalle courlandaise. Le maréchal Stenau, dès qu'il vit les Suédois, fondit sur eux avec sa meilleure cavalerie et les rompit. Rejetés dans le fleuve, ils furent regroupés par Charles XII, se ruèrent et culbutèrent l'armée polonaise, armée dont tous les gros bataillons étaient saxons et autres allemands. Alors Stenau fit retirer ses troupes et les plaça dans une position avantageuse appuyée par son artillerie. Les suédois avaient l'avantage du nombre (15 000 contre 12 000). Le combat fût très rude. « Le duc eut deux chevaux tués sous lui : il pénétra trois fois au milieu de la garde du roi ; mais enfin, ayant été renversé de son cheval d'un coup de crosse de mousquet, le désordre se mit dans son armée qui ne disputa plus la victoire ! Ses cuirassiers le retirèrent avec peine, tout froissé, et à demi mort, du milieu de la mêlée, et de dessous les chevaux qui le foulaient aux pieds ».1

 

Ainsi combattit avec une grande valeur et pour la première fois, un duc de Courlande. S'il fut vaincu, ce fut, il est vrai, par Charles XII lui-même. Si les cuirassiers (des Saxons, car il s'agit là d'un corps de cavalerie d'une espèce nouvelle) le retirèrent à demi mort... c'est qu'en définitive il restait à demi vif.

 

Ce fut le dernier combat, tout aussi bien, auquel participa un duc de Courlande.

 

Cette bataille sur la Dvina livra la Courlande aux Suédois. Victorieux, Charles XII court à Mittau et occupe cette capitale de la Courlande. « Toutes les villes de ce duché se rendent à lui avec discrétion : c'était un voyage plutôt qu'une conquête », ajoute Voltaire à son récit.

 

Et c'est, pour la deuxième fois, la conquête... ou plutôt l'occupation sans résistance de la Courlande et du comté de Pilten. Nous sommes en juillet 1701.

 

Après cette page de tourisme en Courlande, Charles XII repart aux confins de la Livonie, de la Lithuanie et de la Russie, à Birzen, et c'est là qu'il conçut le dessein de renverser le roi de Pologne pour mettre sur le trône de Varsovie le roi de son choix. Une petite précision sur le roi à renverser : Électeur de Saxe, il est à Dresde Auguste II de Saxe et à Varsovie le roi Auguste Ier de Pologne. En général on lui laisse le titre qu'il a porté le premier parce que titre héréditaire : Auguste II. C'est l'homme à abattre pour Charles XII.

 

Charles XII en Pologne. Et ce furent cinq ans de combat. Charles XII remportant victoires sur victoires. Installant sur le trône de Varsovie un nouveau roi, Stanislas Leszczynski (juillet 1704). Poursuivant l'infortuné Auguste II jusqu'au cœur de la Saxe et le contraignant à reconnaître Stanislas comme roi de Pologne (Septembre 1706).

 

 

Pierre Ier

 

 

La patience et l'habileté étaient au service du génie de cet homme rude qu'était le grand (2m04) tsar.

 

Les Polonais faisaient les frais de la guerre (et les Saxons avec eux et pour eux). Le tsar s'employait pour augmenter ses forces, pour s'organiser.

 

Le général livonien Patkul était passé à son service, toujours mû par sa haine des Suédois. Il fournissait aux armées russes des officiers allemands. Le tsar disciplinait les corps des troupes russes. Il faisait venir à Moscou des bergers et des brebis de Pologne et de Saxe pour avoir de bonnes laines et fabriquer de bons draps. Il établissait des manufactures de draps, de linge. Il faisait venir des ouvriers en fer, en laiton, des armuriers, des fondeurs. Il crée une imprimerie. On commence à imprimer des livres sur la morale et les arts traduits en russe. On crée des écoles de navigation, de géométrie, d'astronomie. L'activité de cet homme immense était comme lui: démesurée.

 

Il ne lance pas contre les Suédois de grandes campagnes, mais les frappe à l'occasion. Le 11 janvier 1702, pour la première fois, en Livonie, les Russes remportèrent un succès sur les Suédois et prirent quatre drapeaux. On se bat en Ingrie et en Estonie aussi. Le 19 juillet de la même année, en Livonie, près de la petite rivière d'Embac, on prend seize drapeaux et vingt canons. En août, les Russes prennent la petite ville de Marienbourg, aux confins de la Livonie et de l'Ingrie. Nous y reviendrons. Après avoir chassé avec leurs demies galères les Suédois du lac Lagoda, le 16 octobre 1702, la place très forte de Notebourg, sur une île du lac, contrôlant la Néva, se rendait. Pierre Ier la rebaptisa : Schlusselbourg, ville de la clef. C'était la clef à la fois de l'Ingrie et de la Finlande.

 

L'hiver 1702-1703, après avoir mis en chantier deux vaisseaux de quatre-vingt canons destinés à la mer d'Azov, il est, début avril, sur les chantiers qui construisaient des navires sur le Ladoga. Fait fortifier Schlusselbourg et fait enlever la dernière forteresse des Suédois sur la Néva, Viantz (ou Nya), le 12 mai 1703.

 

Alors il décida de fonder sur le terrain désert et marécageux, à l'embouchure de la Néva sur la Baltique, sa nouvelle capitale. Décision insensée. Exécution immédiate ! Des ouvriers de tous corps de métier accouraient en ce lieu hostile : de Moscou, d'Astrakan, de Kazan, d'Ukraine. En cinq mois la ville commençait à sortir (des cabanes, deux maisons en briques et une protection de remparts). En 1704, les Suédois eurent la surprise d'assister à l’édification, sur la petite île de Cronslot, d'une imprenable forteresse capable de protéger les plus vastes flottes. Le premier vaisseau qui débarqua des marchandises en novembre 1703 était hollandais.

 

Tout n'était pas parfait, battu à Derpt, en Estonie, il mène le siège de Narva  toujours aux mains des Suédois. Une attaque fut menée par les Russes jusqu'en Courlande, en juillet 1704. Ils étaient renforcés de Lithuaniens partisans du roi Auguste. Le 31 juillet, le général suédois Lévenhaupt les rossait en Courlande. Qu'importe, Pierre Ier emporte lui-même, l'épée à la main, trois bastions fameux, clefs des défenses de Narva, et le 20 août 1704 Narva est prise.

 

 

Pierre Ier en Courlande

 

 

Dès août 1704, il avait fait partir sur la Lithuanie le général Repnin avec 12 000 hommes et en mai 1705, il alla y rejoindre son armée.

 

La flotte suédoise (22 vaisseaux, 6 frégates) s'avança pour détruire Saint-Pétersbourg et Cronslot. Les Suédois débarquent leurs troupes. Les Russes les repoussent. L'attaque menée par les Suédois, au départ de Vibourg sur Schlusselbourg, fut repoussée également (25 juin).

 

Ce qui intéressait Pierre Ier, l'été 1705, c'était la Courlande. Son armée avait pour objectif Riga, qu'il convoitait depuis 1697, où il l'avait découverte. Alors qu'il était encore à Vilna, son maréchal Sheremetoff, s'approchait de Mittau. Le général suédois Lévenhaupt occupait la capitale courlandaise. La bataille se livra - une bataille rangée - à Gemavers, et le 28 juillet, les Russes en nombre, connurent une totale défaite. L'indomptable tsar fonce sur Mittau. S'empare de la ville, assiège la citadelle. Y entre par capitulation (14 septembre 1705)

 

Que fût cette première occupation de Mittau par les Russes ?

 

Pierre Ier avait réprimé sévèrement les habitudes de pillage et d'horreur de ses troupes barbares. Il veillera à ce que l'occupation de Mittau fut exemplaire... Et aussi, il n'avait aucune raison d'indisposer le puissant beau-frère du duc de Courlande, le roi de Prusse.

 

Voltaire raconte une anecdote : les soldats russes chargés de garder, dans le château de Mittau, les caveaux où étaient inhumés les ducs de Courlande, virent que les corps avaient été tirés des tombeaux, dépouillés de leurs ornements. Ils exigèrent avant d'y pénétrer, la présence d'un colonel suédois pour reconnaître les lieux. il en vint un qui témoigna que les Suédois étaient les auteurs de cette violation.

 

Pierre Ier n'eut guère le loisir de faire du tourisme en Courlande. Les Suédois restaient menaçants, tenaient Riga, le général Levenhaupt était l'un de leurs  meilleurs généraux. Il se mit en route et traversa la Samogitie pour rencontrer en Lithuanie le roi déchu Auguste. Et tous deux se rendirent à Grodno, sur le Niémen, où ils restèrent du 14 au 30 décembre 1705, puis Pierre Ier regagna Moscou.1

 

 

Pierre Ier et la Livonienne

 

 

En août 1702 fut prise la petite ville de Marienbourg aux confins de la Livonie.

 

Les Suédois ayant mis le feu aux magasins, les Russes irrités détruisirent la ville, et emmenèrent les habitants en captivité. Parmi eux, une jeune Livonienne élevée chez le ministre luthérien, Gluck. Les Russes la nommèrent Catherine.

 

« Elle se rendit si agréable par son caractère que le tsar voulut l'avoir auprès de lui ; elle l'accompagna dans ses courses et dans ses travaux pénibles, partageant ses fatigues, adoucissant ses peines par la gaieté de son esprit et par sa complaisance... ce qui rendit la faveur plus singulière c'est qu'elle ne fut ni enviée ni traversée, et que personne n'en fut la victime. Elle calma souvent la colère du tsar et le rendit plus grand encore en le rendant plus clément. Enfin, elle lui devint si nécessaire qu'il l'épousa secrètement en 1707. Il en avait déjà deux filles, et il en eut l'année suivante une princesse qui épousa depuis le duc de Holstein. Le mariage secret de Pierre et de Catherine fut déclaré le jour même que le tsar partit avec elle pour aller éprouver sa fortune contre l'Empire ottoman (17 mars 1711). »1

 

Ainsi le tsar se trouva attaché par un lien sentimental très profond à la Livonie.

 

 

Charles XII et Pierre le Grand

 

 

Les Suédois continuaient une guerre implacable en Pologne. Le 12 février 1706, à Frauenstadt, une armée de moins de 10 000 Suédois mettait en déroute complète 20 000 Russes. Les Suédois ramassèrent 7 000 fusils jetés à terre par les Russes en fuite2 . Charles XII s'installe au cœur de la Saxe, plantant un camp royal à Lutzen. Mais Pierre Ier est inlassable, il reconstitue armée après armée. Presque toujours vaincus, les Russes renvoyaient de nouvelles armées remplacer celles détruites... Après Frauenstadt, Pierre Ier paraît à la tête de 60.000 Russes en Pologne. 24 batailles sont perdues par eux en 1706. Et le 19 octobre 1706, à Kalish, ils en gagnent enfin une.3

 

En 1708 le Suédois veut en terminer. En janvier, il se met en route vers Grodno, passe le Niémen et s'avance lentement sur Minsk, faisant tracer une route dans la forêt pour ses communications et passer les bagages de son armée et ses approvisionnements. Le 25 juin, Charles XII campe sur les bords de la Berezina. Là, Pierre Ier l'attendait en force. Le Suédois jette un pont, passe la rivière et chasse les Russes jusqu'au Borysthène, ce grand fleuve ne l'arrête pas. Et le 22 septembre 1708, il enfonce la cavalerie russe et 6 000 Calmoucks qui barrent l'accès de Smolensk. Là, Charles XII, son cheval tué, combattit à pied et il allait périr ou être pris quand une compagnie suédoise le dégagea. La route de Moscou est ouverte, et en sus, il reçoit un renfort de 15 000 soldats. Alors tournant le dos à Moscou, il se dirigea vers l'Ukraine4. Pierre Ier l'y attendait, déployant une activité toujours plus efficace. Fortifications à Taganrog et Azov dont on cure le port. C'est ainsi qu'après une préparation intense, le 15 juin 1709, il arrivait devant Pultava avec 60 000 soldats et 72 canons, et prenait position devant 18.000 Suédois et 4 canons. Et ce fût un désastre. Charles XII ne parvint à se sauver que grâce à un fait d'arme du général Poniatowski, colonel de la garde suédoise du roi Stanislas, au soir du 27 juin. Le Suédois sauva sa peau en demandant asile aux Turcs.5

 

Été 1709. les dispositions ont été prises par le tsar pour agir en Pologne. Le maréchal Smeremetoff conduit une armée en Livonie et le prince Menzikoff, avec une nombreuse cavalerie, renforce l'armée russe en Pologne.

 

En septembre 1709, le tsar rencontre le roi Auguste (le Saxon) à Lublin, inspecte les troupes polonaises avec lui. Réception à Varsovie, rencontre triomphale des deux souverains à Thorn. C'est là qu'un traité fut signé entre les rois de Danemark, de Pologne, le Tsar et l'Ambassadeur du roi de Prusse. Lors des entretiens, le tsar reprit toutes les prétentions des tsars sur la Livonie et Riga, l'Ingrie, mais aussi en présenta de nouvelles sur la Carélie et une partie de la Finlande, car il était nécessaire d'éloigner les Suédois de Pétersbourg. Le roi de Prusse étant absent des rencontres de Thorn, le tsar voulut le rencontrer. Cette rencontre eut lieu à Marienverder, à la lisière de la Vieille-Prusse, ville et forteresse bâties par les Teutoniques. Le 20 octobre 1709, ils signaient un traité défensif. Pierre rejoignit son armée qui campait toujours aux abords de Riga.

 

 

Les Russes à Riga

 

 

De Marienwerder aux abords de Riga difficile d'éviter Mittau. Le tsar s'y arrêta  très certainement. Ayant ordonné les dispositions du siège, ce colossal tsar déclencha le bombardement de la place (le 21 novembre 1709) en mettant lui-même le feu aux trois premières bombes. Cela fait, il court à Pétersbourg surveiller les constructions des maisons et celle de trois nouveaux vaisseaux (3 décembre). Et il était à Moscou pour la Noël, comme chaque année !

 

En avril 1710, il inspecte Pétersbourg. En mai, il assiège Vibourg, la capitale de la Carélie (alors dépendance de la Finlande suédoise) et la place capitule le 23 juin. Depuis le début de l'hiver 1709-1710, se poursuivait le long siège de Riga. La contagion se mit dans l'armée russe et fit périr 9 000 soldats. Siège long et dur. Riga capitula, enfin, le 15 juillet 1710. De nombreux Livoniens servaient dans l'armée suédoise, dont un certain nombre comme officiers. Pierre Ier leur offrit de servir dans son armée, les sous-officiers et officiers conservant leurs grades. Aux Livoniens il rendit les privilèges que le roi de Suède leur avait enlevé au cours de l'occupation de la Livonie.

 

Pierre Ier avait gagné le nord pour dégager Pétersbourg. Il pouvait y installer la capitale de la Russie, une capitale disposant d'un port (malheureusement pris par la glace durant plusieurs mois). Pierre Ier avait vécu le rêve entrevu en 1697 en visitant Riga. La Russie allait disposer d'un beau port au fond d'un golfe magnifique, libre de glaces trois semaines avant Pétersbourg, une place de commerce très active avec les ports allemands de la hanse, ceux des Pays-Bas et de l'Angleterre.1

 

Mais il serait grand temps de s'interroger sur le sort de la Courlande durant les années de guerre, et sur la façon dont se présente son avenir à l'été 1710.

 

 

Le jeu de la Courlande

 

 

Le duché a joui, semble-t-il, des plus hautes protections pour assurer son avenir dans cette période troublée.

 

÷

 

1697. Le tsar découvre Riga et la veut à lui. De là, il part pour Königsberg. La route pour y aller passe par Mittau, nous l'avons déjà signalé. Le tsar se rendait en Prusse. Pouvait-il ignorer le beau-frère de l'électeur et passer à Mittau sans prendre le soin de s'arrêter au moins le temps de saluer le duc Ferdinand de Courlande ? C'est d'autant moins vraisemblable qu'à Königsberg le tsar était attendu avec magnificence, l'Electeur ayant voulu le recevoir dans la capitale de son duché de Prusse, dont il était duc souverain. En Prusse deux souverains se rencontraient. En Brandebourg, le tsar n'aurait eu en face de lui qu'un vassal de l'empereur d'Allemagne. L'Electeur, pour le tsar, déploya un faste royal. Entouré d'une cour parée à la française contrastant avec les longues robes asiatiques des Russes coiffés de longs bonnets. Seul le tsar était vêtu de façon différente, mais à l'allemande.1

 

 

 

 

Il reste à trouver, dans des études précises et complètes sur Pierre le Grand, la preuve de ce premier arrêt du tsar en Courlande et de sa rencontre avec le duc Ferdinand. Mais l'examen de la succession des faits permet d'en avoir une intime conviction.

 

A Königsberg, le tsar prit le pouls de cette force montante de l'Allemagne. On pressentait déjà que le duc de Prusse n'allait pas attendre longtemps pour se proclamer roi de Prusse. Il était évident que la Prusse, comme la Russie, haïssaient les polonais et voulaient se débarrasser de la Suède. Quand au duc de Courlande, il était à traiter par le tsar avec les égards dus au beau-frère du futur et prochain roi de Prusse.

 

La guerre s'engage, le duc Ferdinand va rejoindre l'armée du roi de Pologne dont les bataillons de choc sont, comme lui, Saxons. Il va se battre apparemment pour la Pologne, mais pour un roi de race allemande, avec des soldats allemands. Ces détails ont une importance extrême. Peut-être n'aurait-il pas pu s'imposer un combat pour un roi polonais, avec des soldats polonais. S'il choisit son camp, rompant la neutralité du duc Jacques, ce n'est pas par devoir de vassal (le lien féodal a été rompu), mais pour sauver son trône et son duché.

 

En effet :

 

·       Ou les Suédois sont vainqueurs, et la Courlande disparaîtra,

 

·       Ou ils sont vaincus et le duc en profitera pour recevoir, en échange des services rendus, des avantages. Il affirmera sa puissance, consolidera son trône et s'affranchira du ridicule lien de vassalité envers la Pologne. Pour mener cette politique, le duc a d'abord le soutien de la Prusse et les accords de ce dernier avec le roi de Pologne et le tsar. Roi de Prusse et roi de Pologne sont tous deux des Allemands, comme lui duc de Courlande. Car quelle est l'origine des Kettler, si ce n'est une famille de la noblesse allemande ? Ces trois Allemands se comprennent et le tsar s'appuie sur eux.

 

On peut avoir l'intime conviction qu'en 1697 s'est noué une certaine entente entre le tsar et l'Electeur ; entre ces derniers et le duc Ferdinand.

 

÷

 

Septembre 1705. Le tsar prend Mittau, la ville et la citadelle. Il y séjourne donc cette fois-ci. Mais ses forces ne sont pas suffisantes pour prendre Riga et libérer la Livonie des Suédois. Le duc, après avoir combattu sur la Dvina, n'était évidemment pas à Mittau, aux mains des Suédois. Où était-il ? Aucune idée. Etait-il resté avec Auguste, roi de Pologne ? Sa famille était-elle restée à Mittau en attendant des jours meilleurs ? Hypothèse dangereuse. Alors s'était-elle réfugiée en Prusse ? ... La Courlande envahie, la femme du duc a bien pu chercher la protection, pour elle et ses enfants, de son frère. Hypothèse acceptable. Il reste à savoir ce qui s'est passé, et pour le duc, et pour sa famille. Mais les Suédois partis, les Russes en place, il y a tout lieu de penser que le duc Ferdinand a choisi le bon camp et a réintégré sa capitale. Cela est logique au moins. Il est mort dans les années 1706-1708, vraisemblablement. Point aussi à préciser.

 

÷

 

Le destin de la Courlande va se nouer différemment.

 

Fin octobre 1709, après avoir signé un traité avec le roi de Prusse le tsar se rend de Marienwerder à Riga, en passant obligatoirement par Mittau. Il est invraisemblable qu'il ne s'y soit pas arrêté une troisième fois. Ce qui se  passa ensuite rend certain cet arrêt. A quelle date mourut Ferdinand, nous ne le savons pas exactement, mais fin octobre 1709, il était mort. Le tsar ne pouvait faire autrement que de s'arrêter pour saluer la duchesse douairière, sœur du roi de Prusse, et le neveu de ce roi, le nouveau et jeune duc Frédéric-Guillaume (aux deux prénoms toujours magnifiquement allemands, chers aux Hohenzollern). Ce qui entraîne l'intime conviction que cet arrêt du tsar à Mittau eut alors lieu, c'est qu'en 1710 le jeune duc épousa Anna, fille du tsar Ivan V, la propre nièce de Pierre le Grand. Née en 1693 à Moscou, elle avait dix sept ans à son mariage, bien évidemment décidé par le tsar. Pierre Ier pouvait marier sa nièce au neveu du roi de Prusse. Ainsi s'affirmait la politique d'ouverture du Grand Tsar vers la vieille Europe. Les Romanof épouseront des allemandes dorénavant.

 

÷

 

Les successeurs de Pierre Ier portent un numéro qui donne l'ordre de succession pas toujours évident. Pierre Le Grand a succédé à son frère Ivan V. Son premier successeur, sa femme, la Livonienne Catherine Ière, puis le petit-fils de Pierre Ier, Pierre II, 1727-1730. La couronne passe à la nièce du grand tsar, Anna, duchesse de Courlande, qui régna 10 ans. Et d'elle à son petit neveu, Ivan VII, prince qui a beaucoup de sang allemand (son grand-père est le duc de Mecklembourg. Son père, un prince de Brunswick). Après cet enfant, on revient à la descendance de Pierre Ier avec Elisabeth, qui laisse la couronne à Pierre III, fils de la duchesse de Holstein, triste sire, qui laisse sa couronne à son épouse, une princesse allemande, Catherine II la Grande.1

 

Décidément ces Kettler évoluent dans la cour des grands. Le mariage dura peu, fort peu. Le duc Frédéric-Guillaume mourut en 1711, sans postérité. Ce fut le dernier duc issu des Chevaliers porte-glaive qui put réellement régner sur la Courlande.

 

La veuve du duc Frédéric-Guillaume avait 18 ans. Bien jeune âge pour être duchesse douairière ! Et pourtant c'est ce qu'elle fut. Le trône ducal revenait à Ferdinand, oncle paternel du défunt. Vieux garçon, catholique bigot, il ne s'entendit pas avec ses sujets et alla vivre à Danzig. Anna était une régente de fait, et l'exercice du pouvoir était entre les mains du ministre résident de Russie à Mittau (dont Anna fit son amant).

 

Notons : le 25 octobre 1711, le tsar maria son fils et héritier, le grand-duc Alexis, à Torgau (sur l'Elbe) à une princesse de Volfenbuttel, une Allemande, sœur de l'impératrice d'Allemagne, épouse de Charles VI. Puis il célébra son mariage à Pétersbourg, le 19 février 1712, avec sa deuxième épouse, la Livonienne. Sa première épouse, mère d'Alexis, vivait dans un couvent, à Susdal, sous bonne garde.2 

 

 

Fin de cette période de guerre

 

 

La guerre n'était pas achevée. On se battait partout.

 

A signaler la bataille livrée en Mecklembourg, près de Gadeberg, le 20 décembre 1712. Les Danois et les Saxons (alliés) furent mis en déroute par les Suédois. Dans les rangs des Saxons se signale un jeune colonel appelé comte de Saxe. Soldat depuis l'âge de douze ans, Maurice de Saxe (1696-1750) était un fils naturel de l'électeur de Saxe, Auguste II, roi de Pologne, et d'une ravissante et éclatante comtesse suédoise, la comtesse de Königsmarck.

 

 

  

De cette rencontre (où il eut son cheval tué sous lui) le célèbre homme de guerre garda une profonde admiration sur la cohésion et la force des troupes suédoises. Nous le retrouverons, un instant mêlé à l'histoire de Courlande.1

 

1713. Signature du traité d'Utrecht entre toutes les grandes puissances. Le premier roi de Prusse est mort. Son fils, le roi Frédéric-Guillaume, est essentiellement un soldat. L'Europe, nous l’avons déjà dit, l'appelle le Roi-Sergent. Patiemment, il forme une armée prussienne qu'il veut indestructible. Rapidement il porte à 50 000 soldats cette première armée d'Allemagne. Il profite de cette grande réunion internationale pour faire reconnaître par toutes les puissances son titre de roi souverain de Prusse, seul souverain d'Allemagne non soumis à un lien de vassalité avec l'Empereur du Saint-Empire Romain Germanique (13 juillet 1713, traité entre France, Angleterre, Hollande, Portugal, Savoie et Prusse). L'empereur Léopold avait, dès 1700, reconnu à l'électeur de Brandebourg le titre de roi de Prusse. Frédéric Ier était mort pendant les travaux préparatoires du traité. La Prusse gagna la principauté de Neuchâtel, en Suisse. L'électeur de Hanovre avait pris des positions communes avec Danois et Brandebourgeois, contre les Suédois et avait acheté aux Danois Brême et Verden. Anne Stuart, reine d'Angleterre, étant morte le 10 août 1714, l'électeur de Hanovre, bien que d'un âge avancé, et ne sachant pas un mot d'anglais, devint George Ier roi d'Angleterre. Et ce pays, dès lors, suivra de près la politique en Allemagne tout en y développant tout au long du XVIIIe siècle, et de façon incroyable, le poids de son commerce. George Ier avait marié sa fille au Roi-Sergent. Louis XIV comprit que le XVIIIe siècle serait dominé par cette alliance des deux Allemands, des Anglais et des Prussiens. Le nouveau roi de Prusse s'emparait de Stettin en septembre 1713. Les Prussiens, les Danois et les Saxons assiégeaient Stralsund, la grande place suédoise, puissamment fortifiée. Charles XII (qui s'était miraculeusement échappé de Bender et des Turcs, avait traversé Pologne et Allemagne, déguisé) dirigeait la défense. Charles XII se battit comme un lion. Une fois encore le fidèle Poniatowski lui sauva la vie lors de la prise de l'île de Rugen. La défense s'achevait. La mer était couverte de navires russes et danois. Un Charles XII ne se rend pas. Dans la nuit du 20 décembre il prend place avec dix personnes sur une barque. Il fallut plusieurs heures pour casser la glace du port. Le 21, Stralsund se rendait et Charles XII abordait chez lui, en Scanie2 . Pendant ce temps, le tsar enlevait la Finlande aux Suédois. Le golfe de Finlande était un lac russe qu'il occupait de bout en bout. Il avait pris pied à Elsingford le 22 mai 1713. La dernière armée suédoise y fut battue le 13 mars 1714. La ville de Vasa et toute la Bothnie étaient occupées.3 

 

Il reste au tsar à prouver la puissance de la Russie sur mer. Et le 15 juillet 1715 il est devant les îles d'Aland avec une flotte de trente vaisseaux de ligne, quatre-vingt galères, cent demies galères, vingt mille soldats embarqués. Le tsar voit sa flotte battre la flotte suédoise, beaucoup plus faible, et il débarque à Aland, les Russes occupent les îles.

 

Peu après, rentré à Pétersbourg, il savourait sa dernière, mais décisive victoire. Il surveillait la construction de sa résidence impériale à la campagne, Petershoff.4 

 

En avril 1715, il avait marié la deuxième fille de son frère Ivan, Catherine, au duc de Mecklembourg, Charles-Léopold.

 

 

Embrouilles des diplomates. La Courlande

 

 

Le tsar voulut se rendre en France, apprendre en quels termes était le Régent avec l'Angleterre. La France fut tellement surprise par Pierre Le Grand, que l'on parle encore de son séjour en France.

 

S'arrêta-t-il à l'aller à Mittau voir la duchesse Anna sa nièce ?

 

 Au retour, après la traversée de la Westphalie, un séjour à Berlin où le reçoit le Roi-sergent, qui ne s'asseyait que sur un fauteuil en bois, s'habillait en simple soldat et menait une vie spartiate, ce qui plut au tsar. De là, ce dernier, qui était avec l'impératrice Catherine, va à Danzig et ensuite à Mittau où, dit Voltaire, « il protège la duchesse, sa nièce, devenue veuve ».1 Cette phrase nécessite un développement :

 

Une conférence diplomatique venait de se réunir à Aland, orchestrée par le cardinal Alberoni, premier ministre d'Espagne, et le baron de Görtz, conseiller et collaborateur de Christophe II qui dirigeait les affaires de Suède. Des ambassadeurs de très nombreux pays étaient présents. Pour faire plaisir au tsar, cette assemblée envisagea de lui donner le duché de Mecklembourg, belle position qui le mêlait en Allemagne Baltique, aux Danois, aux Prussiens et aux Hanovriens. Le roi d'Angleterre à Hanovre, l'empereur de Russie à Mecklembourg, c’est assez fabuleux.

 

Le duc Charles de Mecklembourg, qui avait épousé la nièce du tsar, perdait un duché, dans la famille depuis des générations, mais en compensation il recevait le duché de Courlande, où régnait sa belle-sœur, et on agrandissait ce duché de territoires arrachés à la Pologne. C'était donner une grande position à la Russie en Allemagne et consacrer l'État de dépendance de fait de la Courlande vis-à-vis de la Russie. Cela pouvait être tentant pour le tsar2 . Mais Pierre le Grand ne voulait pas s'implanter en Allemagne, d'une part. Et d'autre part la couronne ducale sur la tête de sa nièce Anna lui convenait : elle n'avait pas d'enfant. On avait le temps de voir comment on ferait passer cette couronne sur le front d'un prince mâle de la famille Romanov. Le duc de Mecklembourg, à Mittau, ferait souche d'une nouvelle dynastie de ducs allemands. La première avait suffi il n'y en aurait pas de seconde. C'est ainsi qu'à cinquante kilomètres de Riga, grand port russe sur la Baltique, régnait une très jeune souveraine sans enfant. Mieux valait les choses en l'État. Le duché de Courlande tomberait tout naturellement entre les mains d'un Romanov et cela était mieux encore.

 

Il serait intéressant de savoir comment vivait cette duchesse à Mittau, au milieu d'une petite cour de courlandais, fidèles à la mémoire de leurs princes. Ce furent de longues années où, sans doute, trompant le temps, la jeune femme meubla sa solitude et prit des habitudes d'amours peu romanesques.

 

Mais ce séjour du tsar à Mittau fut un événement important de la Courlande.

 

 

La fin des Géants

 

 

Au printemps 1716, un grand événement : une flotte de guerre anglaise avait, pour la première fois, paru dans la Baltique. On s'attendait à un débarquement de Russes et de Danois en Suède. L'incorrigible Charles XII se jeta sur la Norvège et attaqua Christiana, sa capitale. Puis assiégea Fredericksal, place forte importante et clef du royaume. Le siège commença en décembre 1718. Le 11 décembre, le roi fut tué par un tir de canons (qui tiraient des cartouches). Une balle d'une demie-livre lui avait fait un trou dans la tête. L'instant de sa blessure avait été celui de sa mort.1 

 

Trois ans après, et un débarquement près de Stockholm ayant permis aux Russes de se montrer persuasifs, la sœur de Charles XII (roi sans enfant), qui lui avait succédé, le 30 août 1721, signait à Nystadt (sous la médiation de la France, médiatrice traditionnelle de la Suède), un traité avec la Russie reconnaissant à cette puissance ses conquêtes : Livonie et Riga, Estonie, Ingrie, Carélie, Vibourg et une bonne partie de la Finlande et les îles voisines.

 

La Suède avait traité déjà avec les Danois, Prussiens et Polonais.

 

La Suède était à genoux et ne retrouva jamais le rang de grande puissance.

 

Alors, l'infatigable Pierre le Grand partit pour la Perse le 15 mai 1722. Il rêvait de dominer la Caspienne par une puissante marine. Il commença par ordonner la construction de plusieurs villes. Établi à Debent, il fit réparer et fortifier cette ville, ce que, avant lui, avait fait Alexandre. Il avait étendu son empire de la Baltique aux bornes méridionales de la Caspienne, ayant imposé sa paix, c'est-à-dire sa présence, aux Persans, aux Tartares, aux Turcs.

 

Le 18 mai 1724, à Moscou, il fit couronner et sacrer son épouse livonienne, Impératrice de Russie, en présence de la duchesse de Courlande sa nièce, et du duc de Holstein qu'il mariait peu après à sa propre fille Anne (24 novembre) bien qu'il ait été le neveu de Charles XII. Depuis longtemps ce géant de la politique et de l'histoire souffrait d'un abcès et d'une rétention d'urine. Il s'affaiblit dès le début de 1724 sans se relâcher dans ses travaux malgré l'aggravation constante de ses maux et de sa faiblesse. L'impératrice passa trois nuits de suite à son chevet. Il mourut dans ses bras, à quatre heures du matin, le 28 janvier. Catherine succéda à son époux le jour même de sa mort2. Les femmes qui vont régner sur la Russie, directement ou pour des enfants en bas âge, ont su augmenter la splendeur de cet Empire. Triomphe sur les Turcs avec Catherine Ière. Victoire sur les Suédois avec Anna, fille du tsar. Conquêtes, avec Elisabeth, de territoires pris sur la Prusse et la Poméranie. Épanouissement sous Catherine II.

 

Combien de temps va se maintenir à Mittau la duchesse russe qui règne en Courlande ?

 

 

Particularisme d'un curieux pays

 

 

Le dictionnaire géographique du Royaume de Pologne, souvent cité, donne des précisions très brèves (voir le Tome Un).

 

Lors de l'occupation suédoise (1658) nous avons vu les notables de l'État de Pilten, et Hasenpoth, vouloir que celui-ci soit une dépendance directe de la Courlande, pour ne pas devenir suédois.

 

En 1717, dit ce texte, Hasenpoth et Pilten passèrent au roi de Pologne, mais à l'exception de quelques domaines princiers. Le système convenait au peuple de cette curieuse contrée. Cette situation était désirée par la noblesse de Pilten de plus en plus puissante, qui ne voulait pas de médiateur entre elle et le roi de Pologne. C'est la volonté renouvelée, puisque exprimée une première fois en 1658, d'éliminer tout lien de dépendance avec le duc de Courlande. C'est une nouvelle preuve que dans ce comté vit un peuple à part, jaloux de son identité et de son indépendance, mais aussi en mauvais termes avec le duc. C'est le maintien d'un fossé creusé par des siècles de domination des Teutoniques et de leurs successeurs. On n'a pas oublié la main de fer des terribles Chevaliers et leurs procédés. Ici, on est chez les Coures, un peuple qui est resté libre, c'est-à-dire qui n'a pas été réduit en servage. On ne s'est pas incliné à Hasenpot et on a eu la protection d'importants souverains de la Baltique pour faire triompher son droit, asseoir les privilèges conservés depuis le XIIIe siècle.

 

Certes, le roi Auguste II avait très ouvertement, à l'ouverture de ce conflit, exprimé son ambition de récupérer la Livonie et Riga,  mais celles-ci sont devenues russes. L'Empire du tsar a accru sa puissance, la Pologne sort de ces guerres couverte de ruines en pleine décadence. La Livonie et Riga sont russes et le resteront. La Pologne ne peut que s'incliner.

 

De la Courlande il ne fut jamais question, sauf à ces conférences d'Aland. Le problème réglé rapidement, par le tsar, à son retour de France (son arrêt à Mittau auprès de la duchesse, qui donc a voulu remettre le comté dans la situation où il se trouvait en 1658, avant la conquête de la Livonie par les suédois ?

 

Il y a une raison pour qu'une - ou plusieurs puissances - aient appuyé ce retour du comté à la Pologne amoindrie et moins susceptible que jamais d'imposer quoi que ce soit à ces fiers habitants. On nous dira : la noblesse, les notables du pays voulaient. A cette époque de règnes de grands monarques absolus le poids de la volonté populaire pesait très peu, même présentée par une diète aristocratique. Le droit d'un peuple à disposer de son destin, cela fait sourire à cette époque, c'est incongruité. Il faut trouver ailleurs la vraie raison.

 

Faute de savoir, il n'est possible que d'avancer une hypothèse - Pilten relève à nouveau du roi de Pologne, « à l'exception de quelques domaines princiers », dit le dictionnaire. Si les habitants de ce pays obtenaient d'échapper au duc de Courlande pour garder leur petit gouvernement de république aristocratique et autonome, les princes aussi avaient obtenu que leurs domaines échappent à la souveraineté courlandaise et à toute tutelle polonaise en sus. Les princes qui avaient pu conserver des domaines dans le pays préféraient les soustraire à toute dépendance des États voisins, Pologne ou Courlande. Pour obtenir ce résultat ils devaient appuyer les revendications de la diète du comté. Poursuivant, en fait, le même but, la diète aristocratique du comté et les princes s'allièrent. Mais qui étaient ces princes ? Les maisons de Danemark et de Brandebourg ? Ces maisons n'étaient pas séparées par un fossé des ducs de Courlande héritiers des Teutoniques. Mais à Mittau ne régnait plus un Allemand, mais une Russe. Soustraire leurs domaines à la souveraineté d'une Russe, cela devait être pour eux lourd de sens.

 

Voilà l'hypothèse que nous avançons... Il reste à vérifier quelle a pu être la réalité.

 

Lorsque le tsar revenant de France, s'arrêta à Mittau pour assurer la protection de sa nièce, c'était pour l'affermir sur le trône de Courlande. Mais c'était peut-être aussi pour trancher ce problème du pays de Pilten. On ne peut pas ne pas rapprocher la date du séjour de Pierre le Grand auprès de sa nièce : 1717 est la date à laquelle le comté sortit de la souveraineté courlandaise pour se retrouver vaguement et théoriquement rattaché au roi de Pologne. Le tsar avait eu plusieurs rencontres avec Auguste II. Il avait pu s'entendre avec lui, c'était un Allemand pas un Polonais, pas de haine entre eux. C'est grâce au tsar que le roi Auguste avait pu revenir en Pologne et y régner à nouveau. Le contentieux entre les deux souverains, était Riga et la Livonie. Les traités avaient mis fin à cet ensemble de guerres complexes (guerres de succession d'Espagne, notamment), et la Russie gardait ses conquêtes. Les rapports entre le tsar et le roi de Pologne s'étaient considérablement rafraîchis, le tsar était mécontent du roi ou plutôt de son premier ministre, le comte Flemming, qui voulait arracher la Pologne au joug de la dépendance, imposé par les bienfaits et par la force. Rien n'est plus difficile à supporter au delà d'un court délai dans les relations politiques que les devoirs de la reconnaissance d'un Etat envers un autre Etat, son bienfaiteur. Après tout, c'était bien de donner satisfaction aux revendications de cette diète de Pilten et aux pressions exercées par les princes. Lui, le tsar, conservait Riga et la Livonie, sa nièce sur le trône ducal de Mittau, il fallait bien ne pas irriter le roi de Pologne : Riga et la Livonie, il les avait arrachées aux Suédois, pourquoi les rendre aux Polonais... Par contre, il était plus délicat de laisser à sa nièce, ce pays de Pilten qui, lui, était resté polonais. Alors le tsar trancha et dit à sa nièce d'abandonner Pilten au roi de Pologne. Et Pilten redevint la République des Aristocrates.

 

 

 

II - LES DERNIERS DUCS

 

 

Anna

 

 

La duchesse Anna vivait dans une cour composée d'Allemands. Une cour soumise aux humeurs de ses favoris, favoris choisis par elle au gré de ses caprices. Mittau est une cour allemande, avec une régente russe dont le règne va durer 19 ans !

 

Les choses allèrent sans trop de heurts jusqu'en 1725. Alors entra en scène Maurice de Saxe. Le duc régnant, et qui régnait si peu, était prés de la mort. La noblesse de Courlande voulut éviter de se faire imposer un nouveau souverain par les Russes, craignit une série de désordres. Elle décida donc d'élire un nouveau duc, sans attendre la mort de celui qu'elle avait déjà.

 

Arminius comte de Saxe, bâtard reconnu de l’Électeur de Saxe, Auguste roi de Pologne, dit Auguste Le Fort (de sa filiation sont issus nos trois derniers rois Bourbon, dont deux au moins eurent un embonpoint héréditaire) et de la ravissante comtesse Aurore de Königsmarck.

 

Il était arrivé à Paris aux plus folles années de la Régence, dans les années vingt, après douze campagnes, déjà auréolé de gloire et paré de mille légendes. Il avait 24 ans. Les salons se l'arrachèrent. On se disputait cette année là trois oiseaux rares :

 

·       Melle Aïsse, cette si belle esclave circassienne achetée sur le marché d'Istambul par l'ambassadeur de France. Intelligente beauté venue de l'Orient, où elle s'appelait Aïcha.

 

·       M. de Lauriston, ce mage de la finance, venu de l'Ecosse humide où il s'appelait Law.

 

·       et M. de Saxe, venu du froid, qui n'avait pas changé de nom mais de prénom.

 

Entré dans la légion Saxonne à 12 ans, il servait dans l'armée de l'Empire qui assiégeait Lille en 1708, Tournai en 1709. Ceux qui parlaient le français se tordaient de rire à l'appel de son prénom : Arminius ! Il se fit appeler par eux, Maurice. Et de ses camarades parlant allemand, qui rigolaient encore plus fort, il obtint de se faire appeler Hermann. A vingt ans, son royal père l'avait marié à une Victoire qui ne lui plaisait pas du tout. Elle s'appelait Victoire de Löeben. Elle ne put l'appeler Fidèle. Il déserta cette Victoire. Elle ne voulut plus s'appeler Mme de Saxe. Elle divorça.

 

 

Maurice de Saxe à Paris

 

 

Maurice, puisqu'il faut l'appeler par ce prénom, s'impose à Paris : Origine royale, roman de la splendide comtesse sa mère délaissée et devenue abbesse, faits d'armes, succès mondains, conquêtes féminines. Le Régent appréciait tout cela. Le comte de Saxe n'était-il pas colonel à l'étranger ? Le Régent lui confie un régiment. Et c'est ici que vient se placer la plus sublime manœuvre du vainqueur de Fontenoy, celle qui lui acquit du Tout-Paris la renommée du plus grand des stratèges.

 

Dans les années vingt, je veux dire 1720, régnait sur le Théâtre Français une grande comédienne, une grande tragédienne, Adrienne Couvreur, fille d'un artisan chapelier un peu fou. Son talent avait conquis Paris. Elle se faisait appeler Lecouvreur. De Voltaire, homme jeune, auteur charmant, elle est l'interprète favorite. Il ne veut qu'elle pour jouer ses pièces et le rideau baissé lui confie d'autres rôles aussi délicats.

 

Un soir Maurice croise Adrienne dans les coulisses du Français. Il parle en hachant. Rien du charme zézayant de l'Italie, rien des roucoulades de la Pologne. Il ne chuchote pas quand il parle, il teutonne, il saxonne. Adrienne n'était pas coquette, pas de rire à gorge déployée, elle roule doucement ; pas d'œillades, elle baisse les yeux.

 

Atalide est aimée de Bajazet. Sa rivale n'est autre que Roxane, terrible et puissante sultane. Bajazet fait porter un billet à sa chère Atalide par son esclave Zaïre. Tout le monde connaît bien la tragédie de Racine, Bajazet, mais encore valait-il mieux rappeler ce détail ici capital. C'est bien sûr la Lecouvreur qui va jouer au Français le rôle d'Atalide.

 

Alors, le soir de la première, Maurice voit dans les coulisses l'actrice qui joue Zaïre. C'est l'entracte et elle attend un plateau posé à côté d'elle. Sur ce plateau attend aussi un billet, un billet de théâtre bien sûr, c'est-à-dire une page en blanc. Zaïre, enfin la comédienne, est distraite par un galant qui s'attarde... C'est l'instant où Maurice a l'éclair de génie qui en un instant fait les grands stratèges. Et il exécute sa manœuvre promptement : Il subtilise le billet de théâtre, la page en blanc, et le remplace par le billet qu'il vient d'écrire, un vrai billet, un billet d'amour L'entracte est terminé. La tragédie a repris. C'est le moment : Zaïre fait son entrée portant le précieux plateau. Attalide vivement fait un pas, ou deux, vers son esclave :

 

                                          « Ah! Sais-tu mes frayeurs ? »

 

Le plateau est présenté par Zaïre. Atalide se saisit du billet, l'ouvre, et manifestement se trouble : Le billet n'est pas une page blanche. Elle lit, effarée : « Je adore vous. Prans mon cœur. Ma soleil... J'aime vous mon entier vie, etc... ». Le plus dur reste à faire pour Adrienne: en scène, Atalide doit lire à haute voix le billet de Bajazet. Et après un temps très supérieur à une hésitation, Adrienne entend Atalide parler :

 

                                          « Après d'injustes détours,

                                          « Faut-il qu'à feindre encor votre amour me convie ?

                                          « Mais je veux bien prendre soin d'une vie

                                          « Dont vous me jurez que dépendent vos jours. »

 

Jamais Atalide n'a été aussi émue, et quand Adrienne jette sur la salle un regard éperdu, elle aperçoit le comte de Saxe explosant de bonheur. Alors, laissant couler ses pleurs, Atalide explose, dans un sanglot, pour ce rejeton des rois:

 

                                          « Hélas ! que me dit-il ? Croit-il que je l'ignore ?

                                          « Ne sais-je pas assez qu'il m'aime, qu'il m'adore ? »

 

Jamais aussi Atalide n'a trouvé Racine aussi long. Verra-t-elle la fin de son rôle? Quand se terminera cette tragédie? Comment aussi va se dérouler la pièce qu'elle va jouer. Comment sera-t-elle dans ce nouveau rôle qui l'attend ?

 

 Enfin, ce sont les derniers vers ; enfin Atalide plonge dans son sein le poignard à ressort, point final de cette tragédie, et s'effondre, suivie dans sa chute par le rideau qui tombe. Quelques minutes après elle disparaissait dans les bras de Maurice, délirant de bonheur! Et de sa réussite. Le génie de Maurice, ce fut d'avoir emprunté le chemin du théâtre pour enlever le cœur d'Adrienne. Après une étreinte étourdissante dans la loge de la grande tragédienne, le couple quittait le Français pour gagner le logement de la tragédienne. Où pensez-vous que celle-ci logeait? Mais rue Visconti, dans cette rue où naquit Jean Racine : qui, après tout cela, peut croire encore à la coïncidence ?

 

Le Tout-Paris, à tout rompre, applaudit debout, dans cette vaste salle, si bien fermée, où il projette son propre spectacle. A la fin du siècle précédent, on disait : « Ville assiégée par Vauban, ville prise ». A Paris, aux folles années vingt (1720), on pouvait dire : « Femme assiégée par le comte de Saxe, femme prise », et les échos mondains appelèrent les héros de cette histoire Khalife-Sultan et Zilamire. Le khalife avait 26 ans et Zilamire 30.

 

A son maître, Adrienne fut fidèle ; Fidèle comme un chien fidèle. Le saxon débordait de santé. Il prit avec la tragédienne les mêmes libertés qu'avec la langue française. il bousculait horriblement du français la grammaire et des sentiers battus écartait son vocabulaire. Il parlait de ses « écartades » comme d'incartades sans lendemain et, pour les faire oublier, bousculait sa maîtresse aussi bien sur une table pour ne pas remettre à plus tard sa quête d'amour.

 

Les amours à Paris ne font pas oublier le déroulement de l’histoire. Les amis saxons de Pologne l'avisent de la décision de la diète de Courlande de procéder à l'élection d'un nouveau duc. Un émissaire lui est expédié de Dresde, de Saxe. Alors, cédant à l'appel de son destin, n'écoutant que son devoir, il prit sa décision. Il sera duc de Courlande. Pour la première fois Adrienne entendit parler de la Courlande. Quand il partit, elle comprit qu'elle le voyait pour la dernière fois. Elle se trompait.

 

Le père de Maurice, le roi Auguste, soutenu par les armées russes, venait de chasser de Pologne Stanislas Leszczynski, que la diète polonaise avait pourtant très régulièrement élu. Stanislas, le beau-père du roi de France ! Somme toute, Maurice quittait Paris au bon moment. Les Parisiens n'auraient pas manqué de le « saxonner » durement. L'enchaînement des faits se déroulait favorablement pour Maurice.

 

 

Maurice de Saxe en Courlande

 

 

Et le voilà sur les routes d'Allemagne, accompagné par l'émissaire venu de Saxe. Il s'arrête à Dresde. Pour l'électeur de Saxe, pour Auguste le Fort, roi de Pologne, voir son fils, même bâtard, sur le trône ducal de Courlande, c'est une bonne opération. Nanti des consignes paternelles, Maurice gagne Mittau. Nous sommes en février 1725.

 

Dès son arrivée, il perçoit qu'il n'a guère de chances. Cependant la noblesse courlandaise commence à réagir : ce candidat inattendu n'est ni russe ni polonais. Il a la même filiation que les nobles courlandais. Les membres de la Diète, comme lui, sont allemands. Les liens entre le Saxon et l'essor des Chevaliers teutoniques sont étroits. Ces nobles courlandais et Maurice de Saxe reconnaissent leur origine commune : ils fraternisent.

 

De plus, pour lancer sa campagne électorale, Maurice va compter sur une troupe fidèle, motivée, dynamique, très militante : ce sont les femmes ! On commence par ses sœurs ; la comtesse de Frise et la comtesse Orzelska ; la maréchale Bielinski, à Riga ; la comtesse Pociey, à Varsovie... et toutes les admiratrices. Le recrutement de ses partisans marche bon train.

 

Un appui féminin de taille et de poids inattendu lui vient du château de Mittau, de la duchesse Anna Ivanovna (32 ans). C'est une belle femme, blonde, un peu rougeaude, ses yeux sombres sont assez beaux. Sa taille est majestueuse, plutôt imposante. Jusqu'alors elle n'a pas montré une ardeur particulière en amour. Le déclenchement se produisit quand Maurice se présenta à elle. Elle a fondu devant ce colosse aux yeux clairs. La fièvre du printemps s'empare d'elle, elle ne la quittera plus. La duchesse douairière soutient la candidature de l'homme dont elle raffole. Elle lui déclare bientôt sa flamme, la lui montre sans doute. Pris dans le tourbillon de sa campagne électorale, assujetti à son ambition, prêt à tout pour atteindre le trône ducal, Maurice se jette dans le feu. A son amoureuse passionnée, à la nièce du grand tsar Pierre 1er, à cette fille de tsar, entre deux étreintes, Maurice promet le mariage. Il lui tient un langage conjugal dans cette lettre :

 

« Rien n'égale la tendresse et l'estime que je conçois de plus en plus pour vous, et tout ce qui peut assurer une véritable passion... Où trouver quelqu'un dans le monde qui joint à une figure aimable de rares talents, une vive et sincère tendresse, et les qualités d'une charmante maîtresse aux mérites les plus solides ? Où trouverais-je quelqu'un qui sache aimer comme vous faîtes, qui soit constante, fidèle ? » (Lettre écrite en allemand, pas en français).

 

Anna Ivanovna, duchesse douairière, s'apprêtait à être duchesse régnante de Courlande pour la deuxième fois. Son ducal amour aidant, Maurice de Saxe fut élu duc de Courlande. Cela ne lui était encore jamais arrivé.

 

Pierre Ier était mort. C'est sa deuxième épouse, Catherine Ière, la Livonienne, qui régnait à Pétersbourg... Enfin elle a abandonné le pouvoir à son favori Menchikof, à qui elle s'est, elle-même, abandonnée. La tsarine se fâche. Ce saxon, ce bâtard, sur le trône de Mittau ? Et cette Anna, affolée d'amour, qui fera des enfants ! Va-t-on vers une intrigue du roi de Pologne ? des Polonais ? Est-ce une manœuvre des souverains allemands pour installer un souverain allemand à Mittau, à la porte de Riga ?

 

Elle envoie aussitôt Menchikov en Courlande. Sa mission : faire déposer le nouveau duc et se faire élire à sa place, tout simplement. Pour que la discussion ne soit pas trop longue et la persuasion certaine, douze mille soldats russes suivent. A Varsovie, rien ne va plus pour l'infortuné Maurice. Son père, le roi Auguste, est l'objet de chantage, de pressions, de la part des Polonais, manipulés bien sûr par les Russes et leur or. Auguste n'a pu se replacer sur le trône de Pologne que grâce aux baïonnettes russes : Il s'exécute. Maurice, son fils, est proscrit en Pologne, plus, sa tête y est mise à prix ! Il n'a même pas la possibilité, en cas de coup dur, de s'enfuir en Pologne. Il est véritablement pris entre Russes et Polonais. Le nouveau duc écrit à son père :

 

« Je ne suis plus à moi-même et ne puis rien faire sans le consentement des États de Courlande ».

 

Et il remet son trône au vote de la diète, prêt à le quitter dès que l'élection du nouveau duc, son remplaçant, sera effectuée. Le vote eut lieu : Maurice de Saxe est réélu en juin 1726. Le voilà duc électeur de Courlande pour la deuxième fois. La cohésion des descendants teutoniques, le soutien des femmes toujours enflammées, le soutien de l'ardente Anna, ont fait merveille contre la Tsarine, contre la Pologne. Le duc régnant n'a plus qu'à se battre pour garder son trône. La Courlande n'a pas d'armée. Il va en constituer une. Pour cela, il faut de l'argent, il n'en a pas : comment en trouver ? Le vieux procédé des hommes à grande tournure qui cherchent de l'argent : en demander à celles qui savent s'en procurer. Les admiratrices donnent à la quête lancée par leur héros. Ses amies des villes hanséatiques donnent, puis l'abbesse de Quedlimbourg vend tout ce qui lui reste : fourrures, bijoux, argenterie, il est vrai que cette abbesse, née Aurore Königsmarck, est la mère du duc de Courlande. Elle vivait dans son abbaye, abbaye protestante, dans le luxe, et en avait fait une cour d'amour.1

 

Adrienne, au Théâtre Français, reçut un soir une lettre de Courlande, de son duc. Elle voit l'homme qu'elle aime, là-bas, dans les neiges de Courlande. L'épée à la main, il fait face à une meute de spadassins qui cherchent à le transpercer. Elle frémit. Alors, en quelques heures, Adrienne vend ses bijoux, ses plats d'argent. Le Comte d'Argental, un de ses admirateurs, au pied levé, se propose pour aller porter à Mittau les 40 000 francs recueillis.

 

D'Argental relie Paris à Mittau à cheval, sans séjourner en cours de route. Les hommes de cette époque avaient une résistance d'athlète ! Mittau ! d'Argental est introduit dans le château des ducs de Courlande où le duc Électeur vit avec sa fiancée, Anna Ivanovna toujours aussi folle de son Saxon. Dans le château elle le tient quasiment prisonnier. Elle le harcèle : il faut qu'il l'épouse. Célébrons le mariage ! Si son idole est le duc régnant pour la deuxième fois, elle, fille et nièce de tsar, n'a été duchesse-régnante qu'une seule fois. En somme, Maurice et Anna formeraient un couple absolument jamais vu. Maurice dit toujours qu'il va épouser. Mais ce jeu l'ennui. Le château des ducs, où son amoureuse le confine, n'est pas gai. Pour se détendre, il retourne à son jeu favori : ce n'est pas la guerre, c'est la galanterie.

 

Il s'en est pris à une jeune servante de la duchesse douairière. Une nuit, où il neige abondamment, Maurice va introduire dans le château sa conquête pour des jeux peu innocents. Comment faire traverser à la belle une cour sans que la trace de ses pas ne trahissent son passage ? Alors Maurice la porte sur son dos. Ils vont atteindre le château, l'un portant l'autre, soudain, à deux pas, une lumière droit dans les yeux : une vieille qui s'avance une lanterne à hauteur de visage. Surprise de Maurice qui esquisse un pas de côté. Les pieds en avant, il glisse et fauche la vieille. La jeune fille roule. Bruit de la chute. Cris des deux femmes. Les gardes accourent et découvrent leur duc assis par terre, emmêlé à deux femmes aux jupes retroussées. La duchesse douairière a ouvert sa fenêtre pour connaître la cause de ce vacarme. Elle voit et comprend.

 

Le lendemain le mariage est rompu. C'est ainsi que Maurice de Courlande ne devint pas le mari d'une impératrice de Russie, car en épousant Anna il épousait la future tsarine. Il n'y aurait pas eu de Biron !

 

Cette aventure fit le tour des chancelleries d'Europe, des salons de Paris. On s'en gaussa ! Quelle croustillanderie ! Pauvre Maurice ! Triste duc ! Seule Adrienne en souffrit.

 

Une nuit, rue Visconti, Adrienne reçoit la visite de Maurice. Il a dû fuir son château ducal, son duché. Pour Adrienne, c'est le délire du bonheur. Pas pour longtemps : ce n'est ni l'amour ni la raison qui amènent à Paris ce deux fois duc de Courlande. Non. Il vient chercher du secours auprès du roi de France. La France n'abandonnera pas la Courlande, pense Maurice. Certes, pour son beau-père, Louis XV a fait entreprendre la folle équipée de Danzig, inutile sacrifice du comte de Plelo et de combien de ses hommes !... Mais la Courlande n'intéresse personne en France. Les navires de la Royale ne débarqueront aucune troupe sur la côte de Courlande inhabitée, sur les plages aimées par l'ambre.

 

Que va faire Maurice ? Rien qui soit marqué du sceau de la raison : il retourne en Courlande. Là, il est attendu par la haine d'Anna Ivanovna, l'amoureuse bafouée, et aussi par Menchikof avec une forte armée russe. Maurice va se battre pour son trône.

 

Il gagne d'abord sur le plan politique. Étant parvenu à réunir la diète, celle-ci est appelée à voter pour nommer un nouveau duc, et Maurice est élu. Elu duc de Courlande pour la troisième fois. Jamais on n'a vu. Jamais on ne reverra.

 

Sur le plan militaire, ça va mal. Pressé par les Russes, il trouve refuge dans une petite île du nom d'Usmaïs (que nous n'avons pas su localiser). Avec son habitude de faire changer les noms, il l'appelle Fort-Maurice. Il écrit à Adrienne qu'il a des vivres pour trois mois et qu'il va se battre. Il dispose d'une armée. Moins forte que l'armée papale avant Vatican II : douze officiers, dont un français, cent fantassins, une centaine de dragons.

 

Une nuit, le trois fois duc de Courlande a une lueur de lucidité : il réalise sa situation. Il donne l'ordre à ses officiers d'aller traiter avec Menchikov. Lui, se sauve en pleine nuit. Il échappe aux Russes qui veillent sur la rive qu'il atteint. Il a emporté avec lui une cassette. Dedans se trouve le procès-verbal de son élection de duc de Courlande. Quel procès-verbal ? Celui de sa première, de sa deuxième ou de sa troisième élection ?

 

C'est la fin du rêve courlandais. La diète se réunit à nouveau. Elle vote avec appétit et annule les trois élections qui firent de Maurice de Saxe, par trois fois, un Duc Electeur de Courlande. Notre héros écrivit, mais bien plus tard, il est vrai : « et le comte de Saxe se retira en France parce que le temps de tirer l'épée était passé ».

 

 

Maurice de Saxe après la Courlande

 

 

Maurice ne gagne pas immédiatement la France. Il séjourne à Breslaw, en Silésie, où il se livre à des intrigues. Il va en essayer d'autres en Hollande. C'est là qu'il apprend une nouvelle surprenante : Elisabeth, la dernière fille du tsar Pierre 1er est amoureuse de lui, sans l'avoir jamais vu. Le récit de ses malheurs, l'auréole de ses conquêtes aussi, l'ont enflammée. Et le diable seul savait le volcanisme de son tempérament ! Les cours de l'Europe n'en finissaient pas de savourer les aventures du beau Saxon, Elisabeth, elle, en avait la tête tournée. Déçu par son aventure courlandaise, ses rapports avec une fille de tsar, Anna... On dit que l'intrépide Maurice, pour la première fois, eut peur. Peur d'une aventure russe. Peur des amours avec la fille du tsar Pierre 1er. A la cour des tsars on finit mal. Ainsi manqua-t-il, et pour la deuxième fois, d'être le mari d'une impératrice de Russie... quoique... quoique... Mariée et assagie (pas sûr), on peut penser qu'Elisabeth n'aurait pas pu payer de sa personne de la même façon pour soulever les soldats de la Garde et s'emparer de la couronne des tsars. Ce refus opposé, Maurice se voit proposer un très riche mariage avec la veuve du comte Flemming. Il le refuse : Il n'épousera qu'une princesse.

 

Il court à Quedlimbourg, sa mère l'abbesse s'y meurt. Quand il arrive on vient de l'enterrer. Il va à Berlin pour rencontrer son père, puis à Danzig. Il est toujours en quête d'une authentique princesse à épouser. Ce n'est qu'après avoir tout épuisé, tout cherché, tout perdu qu'il regagne Paris.

 

Un soir, le 23 octobre 1728, au Théâtre Français, dans la loge de la Lecouvreur, un homme attend la tragédienne qui achève de jouer Cornélie dans « La mort de Pompée ». Ainsi reprendront les amours d'Adrienne et de son trois fois ex-duc, elles seront mesurées, très inconstantes pour lui, et tristes pour elle qui l'aime toujours vraiment. Elle n'a plus que deux ans à vivre.

 

Paris ne fait pas grise mine au Saxon. il est l'ornement des réunions mondaines, déchu ou pas, qu'importe, il a porté une couronne. On le convie partout. Les grandes dames qui aiment séduire rêvent toute de sa présence à leur toilette, elles oublient que ce duc-régnant a perdu sa couronne. Et lui se dit qu'il va épouser la plus belle et la plus riche des duchesses de France. Pauvre Adrienne !

 

Toutes les courlandonneries auxquelles il s'est livré, dans la bouche des belles duchesses colportées, sont devenues des aventures charmantes, des courlandonnades qui ont rendu Maurice de Saxe plus séduisant.

 

Un compositeur italien, Cilea, mit en opéra les amours d'Adrienne et de Maurice  mais dans ce dernier rôle, il changea encore de nom. A l'Opéra, il fut Maurizio di Sassonia. Son arrière petite-fille, de la main gauche, George Sand, rêva de la Courlande en contemplant amoureusement le portrait du vainqueur de Fontenoy.1

 

 

Biron[2]

 

 

Quoique il en soit, après le départ de Maurice de Saxe, au milieu de sa cour d'Allemands, à Mittau, la duchesse ne vit pas dans l'ascèse. Elle fit passer dans son lit un de ses serviteurs. Il y passa si souvent qu'il devint et resta son favori. Un favori de plus en plus influent, qui sut se faire donner et prendre de plus en plus de pouvoir car il était ambitieux. C'était un Allemand, Ernst-Johann Biron. Né en 1690, il avait trois ans de plus que la duchesse. Nous avons dit de Biron que c'était un serviteur d'Anna. En général, il est dit que c'était un domestique de la cour. Certains précisent un palefrenier, ce qui suppose plus de rudesse et moins de finesse que la fonction de valet dans une cour. Mais, pour certains historiens, si Biron faisait partie de la domesticité de la cour ducale, c'était au sens latin du terme. Françoise de Bernardy est formelle : elle détruit la légende du palefrenier et précise qu'il était un petit employé de chancellerie1. C'est une historienne sérieuse qui a bien exploré le monde de la fin du XVIIIe siècle, spécialiste de la famille Beauharnais, auteur d'une bonne biographie sur Dorothée de Courlande, duchesse de Dino, duchesse de Talleyrand et duchesse de Sagan. Chancellerie ? Qu'est-ce à dire ? Tout grand seigneur avait sa chancellerie. Un ensemble de bureaux où l'on recevait et expédiait le courrier d'abord. C'était le moyen de gérer les domaines, les immeubles de rapport, les affaires d'un grand seigneur. On envoyait les ordres, on recevait les comptes-rendus, les comptes. On y analysait et centralisait le tout. C'était donc le service administratif d'un prince. On y assurait aussi la conservation des documents administratifs, contractuels, comptables, des plans des bâtiments, des domaines, des devis de travaux, des rapports des architectes. On y tenait l'État civil de la famille du prince. Un employé de chancellerie pouvait apprendre, se rendre utile, parfois se faire apprécier par un grand-commis, un officier de la maison du prince et assurer ainsi une honorable carrière. Choderlos de Laclos, Maret futur duc de Bassano, ont ainsi servi le duc d'Orléans en travaillant dans sa chancellerie.

 

Pour Albert Sorel, c'est un palefrenier. Pour Jean Orieux : « un palefrenier des anciens ducs de Courlande »2. Mais Lacour-Gayet, Louis Madelin et Jean Rivois, biographes de Talleyrand, restent muets sur l'origine de Biron. Le baron de BaranteXE "BARANTE Baron de, historien" a publié (1929, Calmann-Lévy) les Mémoires du comte de Saint-Priest. Une note, en page 184, tome II, de cette édition, précise que « Biron était le fils d'un pauvre forestier de Courlande ».

 

On peut observer ceci :

 

·     Ou Biron n'est ni Livonien, ni Courlandais, mais Allemand. Les Allemands dans ces pays sont commerçants, financiers, bourgeois, grands propriétaires, fournissent la classe dirigeante. Employé de chancellerie de la duchesse de Courlande pour un Allemand c'est possible. On conçoit mal un palefrenier allemand en 1710 ou 1712. La précision de Françoise de Bernardy est donc à retenir.

 

·     Ou Biron n'est pas Allemand, ni Livonien, mais un Coure. Un des descendants de ce petit peuple qui est resté libre, non enchaîné dans le servage par les Chevaliers. Son père alors a pu être un pauvre forestier, travailleur indépendant, comme on dirait aujourd'hui. Et là encore c'est possible que le fils d'un Coure soit devenu employé de chancellerie. Le personnage n'a pas laissé bon souvenir. « homme féroce » écrit Mirabeau, qui a des renseignements de bonne source courlandaise.3

 

 

Couronne impériale pour Anna

 

 

La vie à la cour de Russie n'est pas de tout repos. Alexis, le fils, d'un premier mariage, de Pierre Le Grand avait épousé en 1711 une princesse allemande. Les différends entre le tsar et son fils finirent par être tels que le tsarévitch fut condamné à mort, et mourut avant l'exécution de la sentence. Au décès de Pierre le Grand, son héritier en ligne directe était son petit-fils, le fils de l'infortuné Alexis. Les rapports entre les divers membres des familles des tsars ont toujours été troubles, avant cette période comme après. Une atmosphère très lourde régnait à la cour de Russie. N'oublions pas qu'Eudoxie, la première épouse de Pierre Le Grand, avait été enfermée par ses soins dans un couvent. En sus, le tsar avait enfermé dans le même couvent de Susdal, sa sœur Marie.1

 

A la mort de Catherine Hier, l'impératrice livonienne, le fils d'Alexis régna, il avait douze ans. Malheureux enfant, privé de son père dans des circonstances épouvantables ! Pierre Le Grand avait bien eu un fils de la Livonienne, un enfant infirme, mais il était mort enfant.1

 

Nous n'avons aucune précision sur le rôle que joua la duchesse Anna à la cour du tsar son neveu, mais ce rôle fut très probablement important. Ambitieuse, elle l'était, et pensait que c'était à elle, la fille aînée d'Ivan V, qu'il revenait de servir de mentor à son petit cousin le tsar Pierre II.

 

Le jeune tsar meurt en 1730. Apparemment la duchesse de Courlande se trouvait à la cour de Pétersbourg depuis quelques temps et délaissait un peu sa cour de Mittau.

 

C'est ici qu'il convient de rappeler qu'en 1721, Pierre le Grand avait aboli les anciennes règles de succession au trône de Russie et établi le droit pour le tsar de désigner son héritier à son gré. C'est ce qui fut fait jusqu'à Catherine II comprise, oh combien ! Le droit à la succession du tsar sur le trône de Russie fut principalement déterminé par la force, la ruse, et la corruption, le tout combiné et selon des dosages qui pouvaient varier. C'est ce qu'exprimait un ambassadeur de France dans ces termes : « Celui qui a les baïonnettes, une cave pleine d'eau de vie et de l'or, est maître ici ».2

 

Anna - qui n'avait aucun scrupule sur le choix des méthodes - eut à combattre le prince Menchikof, favori de Catherine Hier, et sans doute son amant, qui fut le vrai maître politique de la Russie et gouverna sous le régné de la Livonienne. A la cour de Russie l'usage établi, très bien transmis de Moscou à Pétersbourg, est de disgracier et de déporter le favori du régné précédant si on lui laissait la vie. Or Menchikof, du vivant même de Catherine Hier, s'était institué le mentor et le protecteur du futur tsar. Il avait même pour objectif d'en faire son gendre. De faire de sa fille une impératrice. Au décès de Catherine Hier, il pensa son heure arrivée, joua au Régent, à celui qui gouverne pour le tsar enfant. Anna sut battre le rappel des mécontents.

 

A la mort de son neveu (à la mode de Bretagne) Pierre II, la duchesse Anna sait se servir des intrigues des Boïards. C'est elle qui devient impératrice régnante de Russie (1730). Alors, le prince Menchikof partit sous escorte en Sibérie. Voyage d'aller payé et sans billet de retour. Et celle qui monte sur le trône impérial est présentée comme duchesse de Courlande. Elle avait donc réussi à garder sur sa tête la couronne ducale de Courlande et à y mettre en sus, celle impériale de Russie. Marquée par son règne de dix neuf ans en Courlande, même si elle n'y résidait guère habituellement depuis 1726, la nouvelle impératrice s'installe avec ses amis, son entourage, sa coterie d'Allemands, venus à sa suite de Mittau, dont elle a les habitudes. C'est un vent de germanisme qui va souffler, son règne durant, sur Pétersbourg. Anna est un vrai tsar. Brutale, il faut plier devant celle qui ne dépare aucunement la longue série des autocrates russes. Ses façons de gouverner ne plaisent guère. Alors elle châtie. Les exécutions deviennent courantes. On l'avait d'abord surnommée « l'Allemande », rapidement elle fut « Anna la sanglante ».

 

Biron devient un grand personnage à la cour. Anna le nomme son grand chambellan. Le deuxième dignitaire de la cour. Puis il devient ministre, et le principal ministre. Plus que jamais son ambition est immense. Son avidité et sa cupidité sont insatiables. Il amasse une fortune, une grande fortune, une immense fortune. L'Allemand (ou le Coure) de Courlande est monté très, très haut...

 

 

Biron, duc de Courlande

 

 

C'est en 1737 que la tsarine fit élire par la diète de Courlande son favori et grand chambellan, duc de Courlande. (Le dernier Kettler, Ferdinand, venait de mourir).

 

Biron est duc régnant à Mittau

 

Le duché est théoriquement un Etat indépendant. C'est la théorie. Les Russes dominent maintenant la Baltique. Ils pèsent de plus en plus sur la Pologne, contrôlent la Courlande. Il aurait dû revenir à la Pologne, par suite de l'extinction de la dynastie Kettler.

 

Le roi Auguste II, le roi de Saxe, meurt en février 1733. Deux candidats se présentent. L'un est soutenu par la France, c'est Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV, celui qu'avait fait roi Charles XII. L'autre est soutenu par la Russie, c'est Auguste III, fils d'Auguste II, électeur de Saxe à la suite de son père. Stanislas fut élu par 60.000 voix, contre 4.000 à Auguste. Alors l'armée russe envahit la Pologne et rétablit l'ordre selon les canons russes. Stanislas courut s'enfermer dans la ville de Danzig. La France vint à son secours. 1 300 soldats débarquèrent sur la plage, en avant de Danzig et périrent. Les premiers morts français pour Danzig. Stanislas déguisé en boulanger parvint à s'enfuir pour aller régner à Nancy. Les élections eurent lieu dans le sens indiqué par les baïonnettes russes. Auguste III, roi de Pologne, ne pouvait s'opposer aux décisions de la cour de Pétersbourg. Le duc de Courlande, vassal du roi de Pologne, gouvernait alors la Russie et la Pologne ne pouvait rien lui refuser.

 

Cette toute puissance de Pierre Ier de Courlande (car Biron régna sous le nom de Pierre Ier, plus acceptable pour la Russie que celui d'Ernst) cessa en 1740 à la mort de sa bonne maîtresse, l'impératrice Anna. Il s'en suivit une période trouble, comme d'usage à la mort de chaque tsar. Les Russes, humiliés par Anna et sa cour d'Allemands, eurent une réaction de rejet de ses maîtres allemands.

 

Le nouveau tsar était un très jeune enfant, Ivan VI, fils d'Anna, elle même petite fille d'Ivan VXE "IVAN V, tsar", et du prince Antoine-Ulric de Brunswick. Selon le choix de l'Impératrice Anna, la mère de cet enfant, la princesse Anna, exerçait la régence. Elisabeth, la deuxième fille issue du mariage de Pierre Ier et Catherine Ière, la Livonienne, affichait un comportement russe qui la rendait populaire. Elle entrait, sans gêne, en conversation avec les soldats de la garde, buvait familièrement avec eux et celui qui lui plaisait pouvait apprécier le très généreux tempérament de la fille du grand tsar. Elle donnait copieusement de sa personne. Aussi elle put monter une révolution en se présentant dans les casernes. Les gardes se donnèrent à elle. Exécutant les ordres d'Elisabeth, le petit tsar, Ivan VI, le prince et la princesse de Brunswick, ses parents, furent mis, par leurs soins, bien à l'abri dans une forteresse1. Elisabeth Hier devint impératrice de Russie. Le petit tsar avait régné un an sur la Russie. Et Biron, moins de quatre ans sur la Courlande car il fut expédié en Sibérie en exil à partager avec son fils Pierre, dix sept ans à peine (né en 1724). C'était une femme humaine cette Elisabeth, durant son règne elle ne fit pas exécuter mais emprisonner, exiler. Elle savait ordonner. Elle avait un côté futile. Folle de toilettes, en changeant quatre à cinq fois par jour (on en trouva plus de mille cinq cents, à son décès, dans sa garde robe). Pierre Ier avait rêvé de marier sa fille Elisabeth à Louis XV. Elisabeth rêvait de la France. Aussi tourna-t-elle le dos à l'influence allemande et, pendant son règne de vingt ans, lui substitua l'influence française. La langue française à la fin de son régné, tant à Pétersbourg qu'à Moscou était devenue celle de la haute société russe. Si son intelligence était médiocre, elle n'en connut pas moins des triomphes glorieux lors de la première grande guerre européenne, la guerre de Sept ans. Le 12 août 1759, le Grand-Frédéric subissait à Kunersdorf un désastre, ne conservant que moins de 10 000 soldats sur les 48 000 qu'il avait engagés dans cette bataille et laissant aux Russes 170 canons ! Les coureurs russes arrivèrent aux portes de Berlin.

 

L'impératrice ayant, bien entendu, proclamé déchu de son trône ducal Biron, la Courlande, en 1741, se retrouva sans duc. Apparemment Cela ne gêna pas Elisabeth qui continua à dicter sa loi à la Courlande. Cette absence de titulaire du duché intriguait. Les Courlandais devaient manœuvrer pour mettre fin à cette curieuse situation et avoir à nouveau un duc, car ils ne regrettaient nullement Pierre Ier « abhorré dans son pays au point de n'y pouvoir rester ».1

 

Autre situation étrange, cette impératrice qui n'a jamais été mariée et ne se marie pas. Dire qu'elle est ardente de tempérament n'est pas suffisant. Impudique, elle a glissé dans la débauche et l'orgie. Elle finira dans la dévotion.

 

 

L'incident Conti

 

 

Louis-François de Bourbon, prince de Conti (1717-1776), rêvait de devenir roi de Pologne. Son grand-père, François-Louis de Bourbon, prince de Conti et prince de La-Roche-sur-Yon (1664-1709),  avait été élu roi de Pologne après la mort du libérateur de Vienne, Jean Sobieski. Mais en même temps fut élu un autre roi, l'Electeur de Saxe. Celui-ci accourut de Dresde à Varsovie, se fit reconnaître, c'était Auguste II (le monarque que Pierre Le Grand soutint à bout de bras et remit sur son trône). Lorsque Conti arriva de Paris, c'était trop tard, Auguste II avait ouvert son règne et Conti revint en France. L'aventure polonaise de son grand-père, roi élu de Pologne, hantait le prince Louis-François. Louis XV avait pour son cousin une vive affection et l'estimait. La Pompadour l'appréciait aussi et lui portait une vive sympathie. Conti sut intéresser à son rêve polonais et le roi et sa favorite. A eux trois ils combinèrent une restauration des Conti en Pologne. Conti était beau, brave, s'était montré brillant général (vainqueur à Coni en 1744). Il séduirait l'ardente impératrice, en obtiendrait le duché de Courlande, que l'on considérait comme toujours vacant. A Mittau, aux portes de la Lithuanie et de la Pologne, et avec l'appui de la Russie, il préparerait son élection au trône de Varsovie. Si tout se passait au mieux, qui sait, Conti séduirait aussi l'impératrice, et il pourrait s'en faire épouser. On rechercherait aussi à rompre les liens diplomatiques qui avaient rendu l'Angleterre très puissante à la cour de Pétersbourg, où elle versait des subsides, achetait des appuis et s'appuyait sur son commerce en pleine expansion avec la Russie. On visait une alliance avec la Russie.

 

Il fallait nouer cette fantastique intrigue. Pour cela on délègue un agent secret, officier de dragons, en mission extraordinaire. On le déguise en fille. Pour ses papiers, il est Melle de Beaumont. L'homme était habile. Introduit auprès d'Elisabeth, il lui remet une lettre de Louis XV. En fille, il plaisait. L'impératrice le nomma lectrice intime et passa souvent de longues heures seule avec elle ou avec lui avec un plaisir visible.

 

Les affaires du prince se présentaient bien. L'Impératrice promit pour Conti un très haut commandement dans son armée, et la couronne ducale de Courlande. Mais, à Paris, ça ne marche plus. Conti se brouilla avec la marquise et Louis XV retira son soutien à Conti. Le monarque n'osait déplaire à sa favorite. Le caprice de celle-ci fit avorter la naissance d'une entreprise qui, menée à bonne fin, eût pu aboutir à de très grands résultats. La Courlande, après toutes ces intrigues d'alcôve, des plus croustillantes, n'eut finalement pas un duc et un duc Prince de Conti. Notons les instructions précises données le 1er juin 1756, pour ce voyage, à l'agent secret : « (...). Il passera à Dantzick (...). Il séjournera dans cette ville pendant plusieurs jours pour tâcher d'approfondir la cause des démêlés qui subsistent depuis plusieurs années entre le magistrat et la bourgeoisie (...). De là, il continuera sa route par la Prusse, la Courlande, où il séjournera aussi sous prétexte de se reposer, mais dans la vue de savoir en quel État est ce duché, ce que pense la noblesse courlandaise de l'exil et de la déposition du duc de Courlande et des vues du ministère russe pour confier cette principauté. Il s'informera aussi de la manière d'en administrer les revenus et la justice, et du nombre de troupes que la Russie y entretient »1. La mission extraordinaire du chevalier passait aussi par Mittau et la Courlande pour s'informer sur place de ce duché.

 

De ces événements de 1756, Eon fit un récit au comte de Broglie, dans une lettre datée à Londres, du 12 juin 1775 : « Dès 1756, j'avais été admis à une correspondance secrète entre Louis XV, Monseigneur le Prince de Conti, le Chancelier Woronzow, M. Tercier et M. Douglas, pour faire donner au Prince, par l'impératrice Elisabeth, le commandement en chef de l'armée russe et la principauté de Courlande. Le projet secret du prince était, par ces deux moyens, de se glisser petit à petit sur le trône de Pologne, ou sur celui de Russie, en épousant Elisabeth (nous) eûmes du succès dans les deux premiers points. En conséquence, l'objet secret de mon retour en France en 1757, était de porter au Prince l'assurance de la part de l'impératrice et du comte de Woronzow pour le commandement de l'armée et la principauté de Courlande, si le Roi le voulait. Mais, après bien des rendez-vous et des écritures secrètes avec le Prince, il s'est brouillé avec Madame de Pompadour et, quand il m'a fallu retourner en Russie et y porter une réponse catégorique, le Roi n'a rien voulu décider ».2

 

 

 

L’Impératrice Elisabeth Ière, fille de Pierre le Grand et de Catherine Ière

 

Cet incident montre qu'en 1756, seize ans après le décès de l'impératrice Anna, incontestable duchesse de Courlande, le trône ducal est toujours vacant. La Courlande est contrôlée par des troupes russes. Elisabeth, l'impératrice, au bout de quinze ans de règne, reste maîtresse de la Courlande, sans s'en faire proclamer duchesse. Le trône ducal vacant est une situation qui lui convient. Peut-on, dans ces conditions, parler de véritable indépendance de la Courlande ? le protectorat russe est totalement en place, et il est passé par des phases diverses depuis 1711, la mort du dernier vrai duc de Courlande.

 

 

Le retour de Biron

 

 

En 1725, la tsarine Elisabeth avait été fiancée à Charles-Auguste, prince de Holstein-Gottorp évêque luthérien de Lübeck, mais peu après, elle se retrouva sans fiancé : la variole l'avait enlevé. C'est après ce coup dur qu'elle sombra dans la coquetterie et la cruauté, la piété et le dévergondage, se laissa aller à tous les débordements amoureux, à l'orgie, sans jamais vouloir se marier.

 

Une sœur de ce prince et évêque, Johanna-Elisabeth, princesse de Holstein-Gottorp, a épousé le prince Christian-Auguste d'Anhalt-Zerbst, major général dans l'armée prussienne, qui se partage entre la garnison de Stettin, qu'il commande, et sa très modeste principauté de Zebst, dans le pays d'Anhalt, le pays des petits Etats saxons. De ce mariage naquit Sophie, future Catherine II de Russie.

 

La fille aînée de Pierre Le Grand a épousé un cousin germain de la princesse d'Anhalt-Zerbst, le duc Charles-Frédéric de Holstein-Gottorp. De leur mariage naquit en 1728, Charles-Pierre-Ulric de Holstein.1

 

Elisabeth devait assurer la continuité de la dynastie des Romanof. Elle fit venir à Moscou, en février 1742, son neveu direct, ce Charles-Ulric. Il avait quatorze ans, était contrefait au physique et au moral. Un instable, un détraqué, un pauvre type élevé chez les Holstein, à Kiel, à l'allemande, par des officiers holsteinois. Il était de religion luthérienne et ne parlait couramment qu'une seule langue, l'allemand bien sûr. Bref c'était un terrifiant héritier pour le trône de Russie. Elisabeth n'était peut-être pas très intelligente, mais au moins parlait-elle, en sus du russe, l'allemand, le français et un peu l'italien. Qu'importe, ce raté fera l'affaire. On en fait un orthodoxe. On le baptise Pierre-Fédorovitch... ça le met en fureur. On essaye de lui apprendre le russe. Il vit à l'allemande. Son précepteur, grand maréchal de sa maison, est un comte holsteinois, Otto von Brümmer.2

 

Nanti d'un tsarévitch, Elisabeth devait marier son neveu. Elle s'adressa à Frédéric II, roi de Prusse depuis 1740, pour choisir une fiancée, obéissant là aux directives du testament de Pierre Le Grand son père, recommandant que les héritiers du trône soient mariés à des princesses allemandes. Frédéric II connaissait Sophie d'Anhalt-Zerbst. Elle était venue à Berlin avec ses parents. Le frère cadet de Frédéric, le prince Henri, avait trouvé cette grande fille à son goût, l'avait un brin courtisée. Le roi avait fait faire son portrait. Bref, il recommanda Sophie, devenue petite jeune fille, comme fiancée du tsarévitch Pierre-Féodorovitch. Ces princes allemands se retrouvent toujours entre eux2 !

 

Le Grand Frédéric avait fait choix pour la Russie d'un très grand tsar. Les Russes ont eu deux très grands tsars, Pierre Ier, dit le Grand, et Catherine II, dite La Grande.

 

En 1745 avait lieu ce monstrueux mariage entre ce pauvre demi-imbécile et cette si jeune fille éclatante de santé et d'esprit.

 

Se rendant à Pétersbourg, avec sa mère, Sophie avait une longue route. Elle s'arrêta à Mittau. Puis à Riga (6 février 1744) où elle passa trois jours. La future épouse du tsarévitch, le 9 au soir en quittant Riga, apprend comment vit la Russie : Son bel équipage a croisé une file de vieilles voitures noires, stores baissés, entourées d'une escorte de soldats russes en armes : c'est Ivan VI, le petit tsar détrôné par Elisabeth, que l'on transfère de la forteresse de Dünabourg, sur la rive livonienne de la Düna à la citadelle d'Orianenburg.

 

Catherine, un jour, règlera le sort de ce tsar détrôné par Elisabeth, de ce malheureux enfant, de ce malheureux jeune homme, qui n'a connu que les forteresses. On le trouvera en 1764, étranglé dans la forteresse de Schlüsserburg. Etranglé sur ordre. Il avait vingt deux ans.

 

Au décès de la tsarine Elisabeth, en 1761, ce fut donc son triste neveu qui lui succéda, Pierre III. Admirateur fou de Frédéric II, de l'armée prussienne, de l'esprit prussien, de l'âme germanique. Le nouveau tsar s'empressa de reconstituer une garde composée de Holsteinois, équipée à l'allemande, commandée par un Allemand... et de faire revenir de Sibérie, Ernst-Johann Biron, et son fils Pierre.

 

Le tsar rétablit sur le trône ducal de Courlande le duc Pierre II. Vingt ans d'exil effacés. Le retour sur le trône de Mittau de l'ancien amant de la duchesse Anna de Courlande, de l'impératrice Anna de Russie. Il avait quarante sept ans quand il fut duc pour la première fois. et soixante douze quand il fut duc pour la deuxième fois. Le retour à Mittau ne fut pas si simple. C'est Mirabeau qui nous l'apprend : il fut rétabli « par l'influence, ou plutôt par la terreur de la Russie qui chassa, à l'aide de quarante mille soldats, Charles de Saxe, oncle de l'électeur et duc légitime, pour installer l'ancien favori d'Elisabeth qu'une intrigue de cour venait de rappeler de Sibérie »1. Mirabeau nous apprend qu'en 1760 ou 1761, la Courlande avait un duc, Charles de Saxe, duc légitime.

 

Il s'est donc passé des événements concernant le choix par la diète courlandaise d'un nouveau duc. Un saxon en 1726 (Maurice), un autre, à la fin des années 1750 (Charles). Le trône était vacant en 1756 (voir ci-dessus Monsieur le Chevalier d'Eon... ou Mademoiselle de Beaumont). Il reste à découvrir l'histoire de la Courlande.

 

Le duc Pierre Ier était immensément riche. Avait-il su planquer une partie des richesses qu'il avait accumulées jusqu'en 1741, jusqu'à son exil ? Le tsar était peut-être heureux d'avoir tiré un Allemand de Sibérie et d'en avoir fait un duc régnant. En tout cas, il lui restitua certainement ses biens. Chasser de Mittau l'oncle du roi de Pologne, ce n'était peut-être pas pour déplaire à Pierre III, le triste tsar.

 

Ernst-Johann Biron, Pierre Ier, duc de Courlande et de Sémigalle, mourut en 1772. Un étrange personnage, une étonnante carrière...

 

 

Les châteaux des ducs de Courlande

 

 

En 1736 Ernest-Johann Biron a confié à Bartolomeo Rastrelli, le grand architecte italien qui dessina nombre des plus prestigieux bâtiments de Saint-Pétersbourg, dont le Palais d'Hiver, la construction du palais de Rundale. Des milliers d'ouvriers, artisans et artistes furent amenés de toute l'Europe.

 

En 1737, le duc de Courlande mourut sans laisser d'héritier et, grâce à l'influence de la Russie, von Biron se vit remettre le duché. Il commanda alors à Rastrelli un palais plus somptueux encore, cette fois à Mittau. Il devait lui servir de résidence principale. On ralentit les travaux entrepris à Rundale qui furent totalement arrêtés en 1740. Ce n'est qu'en 1763 que von Biron put achever son palais de Rundale et restaurer les parties qui s'étaient détériorées en son absence. Cette fois Rastrelli fit appel aux italiens Francesco Martini et Carlo Zucchi, qui avaient travaillé sur le Palais d'Hiver de Saint-Pétersbourg, pour exécuter les peintures du plafond. J.M. Graf, qui avait participé à l'élaboration des palais royaux de Prusse à Berlin, fut chargé de la décoration des murs. Contrastant avec la première version baroque de son œuvre, le palais de Rundale, achevé en 1768, faisait montre d'un style Rococo.

 

 

Le château de Rundale

 

Photo extraite de « Ernst Johann Biron » d’Imants Lancmanis

 

 

Le château de Mittau

 

Photo extraite de « Ernst Johann Biron » d’Imants Lancmanis

 

 

La partie centrale du palais de Rundale

 

Le deuxième Biron, Pierre II, après son troisième mariage avec Dorothée de Medem, une aristocrate courlandaise, au pompeux Mittau, préféra à trois lieues de là, la noble architecture du château de Wirtehaw, quelque peu le Trianon nordique des derniers ducs. C'est là surtout qu'il vivait au milieu de ses trois filles aînées.

 

Ces palais ou châteaux magnifiques étaient dans le goût de tous ceux qui, inspirés de Versailles, s'étaient élevés en Europe, à Naples et en Espagne, en Autriche et dans toutes les cours princières d'Allemagne. Ceux de Mittau et Rundale pouvaient soutenir la comparaison.1

 

Les travaux de restauration des 138 pièces de Rundale, entrepris dans les années 1970, alors que le palais se dégradait sérieusement, sont maintenant pratiquement achevés. Le mobilier que l'on peut voir actuellement fut acheté ou provient de diverses donations.

 

Doté de 300 chambres, le palais baroque de Jelgava (alors appelé Mittau), propriété des ducs de Courlande, se dresse à l'est de la ville. La touche inimitable de Rastrelli rend l'édifice immédiatement reconnaissable. Il fut construit d'après ses plans sur le site d'un ancien château de l'Ordre livonien. Transformé en collège agricole, le palais devrait bientôt être restauré. Le parc attenant est des plus agréables.

 

 

Pierre II, duc de Courlande, de Sémigalle et de Sagan

 

 

Pierre II devint duc de Courlande et de Sémigalle avant la mort de son père. Celui-ci, en effet, en butte à l'hostilité de son peuple, préféra abdiquer en faveur de son fils, mais nous ne savons pas à quelle date.

 

La comtesse Potocka souligne le tempérament tyrannique du nouveau duc. Il est resté, sans nul doute, traumatisé par vingt ans d'exil sibérien : de dix sept à trente sept ans. Une belle tranche de vie gâchée. Il sait qu'il ne peut vivre à Mittau que si Catherine II le veut bien. Il est à sa merci. Cette menace latente, le poids du protectorat de fait qu'exerce la Russie ne sont pas faits pour le décontracter. Il n'y a aucun avenir pour lui et sa famille en Courlande. La Pologne chancelle, comment pourrait-elle défendre le duché soit disant son vassal. La poussée de la Russie vers la Vistule s'annonce. Comment espérer que l'autocrate de Pétersbourg laissera subsister la petite Courlande au milieu de son empire ? Pierre II n'aime pas ses sujets et ceux-ci le lui rendent bien. Lorsqu'il monte sur le trône ducal, il n'est pas difficile de prévoir que son règne se passera mal. Et pour le duc, la perspective de retrouver la Sibérie n'est pas enchanteresse. Pierre Ier avait la réputation d'un homme qui économisait et Pierre II continue l'œuvre de son père : économiser. Il mettait à gauche en vue d'assurer ses arrières.2 Cet horrible despote, d'un caractère chagrin, sujet à de terribles colères, qui de son père avait la grossièreté et l'esprit tyrannique, eut trois femmes. Son premier mariage avec une princesse de Waldek, et le deuxième, avec une princesse Youssoupof, se terminèrent de la même façon. La princesse allemande, comme la princesse russe, ne purent supporter un caractère aussi exécrable, le comportement d'un tel mari. Elles s'enfuirent de la cour de Mittau et du beau palais. Il n'y avait pas d'enfants de ces mariages.

 

Le 6 novembre 1779, le duc Pierre II célèbre son troisième mariage. Il a cinquante cinq ans. La mariée, dix-huit, c'est Anne-Charlotte-Dorothée, née le 3 février 1761, fille de Jean-Frédéric de Medem, comte du Saint-Empire, et de sa deuxième épouse, Charlotte-Louise de Manteuffel Szvege. L'intelligence, l'esprit, la grâce, la classe en un mot, de la nouvelle duchesse firent merveille à la cour de Mittau, auprès des sujets du duc de Courlande, auprès de l'impératrice Catherine II. Durant dix ans, elle réussit à amadouer son duc de mari. Le duc lui fit trois filles (elles vont faire parler d'elles !), un garçon (Pierre) et une quatrième fille, mais les deux derniers moururent en bas âge. Plus tard, il y eut une cinquième fille, la plus célèbre, mais ce n'est pas le moment d'en parler, car le duc ne fut pas son père...

 

Le couple ducal partit, comme deux amoureux, en voyage en Italie. C'est lors de ce voyage qu'Angelica Kauffmann peignit un beau portrait de la duchesse. Mais de ce voyage, Pierre II ne revint pas plus détendu. Au retour, il prend la résolution de se constituer une énorme fortune en Allemagne, et de vivre là avec sa famille. Il aura de moins en moins de contacts avec ses sujets. Le moins possible. Il habitera le moins possible à Mittau. Alors il achète à Berlin, un hôtel princier, au numéro 7 unter den Linden. C'est une magnifique demeure que le Grand Frédéric a fait construire dans le style baroque pour sa sœur Amélie, margrave de Bayreuth. La duchesse s'y plaît beaucoup et devient la coqueluche de la cour, de l'aristocratie prussienne, de toute la société qui vit, fréquente ou passe à Berlin. Le duc place ses capitaux, achète des maisons. Ce qui frappe, c'est la classe de la duchesse d'un côté, et l'énorme richesse du duc, de l'autre. « Le duc de Courlande, lors de son existence précaire, devenu par ses économies et son avarice l'un des plus riches princes de l'Europe aspire à se mettre à l'abri des événements », écrit Mirabeau dans son Mémoire sur la Courlande.1

 

En considérant la vie politique de la Courlande, plus loin nous verrons qu'en 1780 l'autocrate avait voulu définitivement, l'annexer ou la donner au glorieux Potemkine. Le danger n'était pas imaginaire, la vie du duché était en sursis, comme celle de la Pologne.

 

Le duc Pierre II, donc, achète des domaines en Silésie et au printemps 1786, il devient :

 

 

Duc de Sagan

 

 

Il achète, avec l'agrément du roi de Prusse, Frédéric II, qui en était le souverain, le duché de Sagan, avec le titre de duc de Sagan et les privilèges et droits féodaux y attachés. Sagan, ce n'est pas un domaine, c'est un fief au sens féodal du terme. Chaque maison payait un impôt au duc. Le duché comportait plusieurs grands domaines, propriétés personnelles du duc, et de très nombreuses métairies, également propriétés personnelles du duc. Celui-ci possédait la juridiction, la police, la distribution des bénéfices ecclésiastiques. Le duché de Sagan, c'est un pays : 1 200 kilomètres carrés (l'Andorre, 465 km2), 120 000 hectares. Un ville (7 000 habitants en 1843) avec six églises dont cinq catholiques, quatre gros bourgs, cent soixante et onze villages et hameaux. Le duc de Sagan est un demi-souverain allemand, régnant sur un pays grand comme un arrondissement de département français.

 

Le château de Sagan était imposant, magnifique, sévère, étonnant. C'est le grand général Wallenstein, Tchèque au service de l'empereur du Saint-Empire, qui l'a élevé. Ce fut le dernier, le plus grand des condottieri, une sorte de seigneur de la guerre, qui avait amassé une fortune fabuleuse. Après la passion du pouvoir, bien sûr, sa passion fut Sagan. Il voulait qu'au milieu de son fief, ce château et son domaine fussent dignes d'un roi, ou plutôt de lui, duc de Friedland (1624), amiral de la mer Océane et Baltique (1628), après la guerre de Trente ans, mais battu à Liepzig par Gustave-Adolphe (novembre 1632), il ne sut pas mettre de frein à son ambition et conçut de se faire roi de Bohême. L'empereur le fit assassiner (1634).

 

 

 

Bibliothèque nationale d’Autriche

 

 

Le château de Sagan, «  A la fois imposant, magnifique, sévère, étonnant »

 

Un bâtiment à un seul étage, mais sur un immense et très haut sous-sol s'ouvrant sur des douves très larges. Un pont de pierre franchissait les douves et menait à une entrée voûtée. Vers le parc, deux ailes enserraient une cour intérieure ouverte sur une terrasse plantée d'arbres. Le château comportait cent trente pièces : appartement royal, bibliothèque et salle d'archives (abondantes), un vaste théâtre (on y joua « Don Juan »), une salle d'armes, une salle de sculptures, une salle chinoise, une salle de porcelaines de Saxe.1

 

Passant à Brunswick, Mirabeau plût au duc régnant et eut de longues conversations en tête à tête avec lui. La Courlande et son duc furent l'objet d'une partie de leurs propos. Arrivant à Berlin, Mirabeau apprend l'achat du fastueux duché de Sagan par le duc de Courlande : « Au reste, il fait toujours des acquisitions dans les possessions prussiennes. Il vient d'acheter le comté de Sagan, et le roi de Prusse qui était assez fâché de voir le prince de Hohenhole porter à Vienne le revenu de cette terre a traité très favorablement le duc de Courlande »2. Frédéric II, esprit très pratique, préférait voir ce courlandais installé en Prusse avec des capitaux colossaux, à la tête de Sagan, dépensant ses sous en Prusse, alors que l'ancien maître, Hohenzollern, vivait à Vienne et dépensait ses revenus en Autriche.

 

Pierre II ne s'était pas contenté d'implanter en Prusse sa maison. Il a prêté des fonds au frère du roi, le prince Henri de Prusse, « le prince n'a plus qu'un créancier dans les Etats prussiens, c'est le duc de Courlande »3. « Le duc de Courlande a prêté au prince de Prusse de quoi payer ses dettes de Berlin ». Mirabeau sera reçu par ce prince cultivé « J'arrive de Rheinsberg (la résidence du prince) où j'ai été dans la très intime familiarité du prince Henri ».

 

Le roi de Prusse ménage le duc de Courlande, il le veut pour lui. Sa fortune l'intéresse. Toute l'aristocratie prussienne vante la duchesse. Pour l'attacher mieux et définitivement à la Prusse, le roi va rendre au duc de Sagan un grand, un très grand service. Le duc en achetant ce fief avait commis une erreur et courait un grand risque. La couronne de Prusse, dont le fief de Sagan relevait, gardait un droit de retour. Le duché ne pouvait revenir à une femme. Donc, si un duc de Sagan venait à mourir sans héritier mâle, le duché faisait retour à la couronne de Prusse. En 1786, le duc Pierre II avait déjà soixante deux ans, trois filles, pas de garçon. Nous apprendrons que la duchesse est enceinte en août 1786. Mais l'était-elle lorsque le duc entreprit les négociations pour parvenir à cet achat ? Accoucherait-elle d'un garçon ? Et si c'était un héritier, vivrait-il ? Ainsi le duc avait versé des sommes énormes pour un droit qui risquait d'être viager. Situation très inconfortable. Alors Frédéric, l'achat fait, intervint. Mirabeau nous raconte : « (...) les liaisons plus étroites du duc de Courlande avec le prince de Prusse, qui a trouvé dans la bourse de ce Scythe sauvage des secours pécuniaires que nous aurions dû lui offrir depuis longtemps. Il vient d'acheter le comté de Sagan en Silésie et le roi traite très favorablement le duc de Courlande (...) outre les remises des lots et ventes, il a consenti à allodier, ou du moins à transporter aux filles de ce fief, qui était réversible à la Couronne, en cas de défaut de mâles, de sorte que le duc, qui n'a point de fils, se trouvait par une étourderie, ou une ignorance fort bizarre, avoir confié à l'événement le plus hasardeux 600.000 écus d'Allemagne"4. Au passage, nous apprenons le prix de vente du fief. Combien de francs représentait l'écu d'Allemagne ?

 

Frédéric II assurant la transmission du fief même aux femmes, c'était pour Pierre II l'assurance de laisser Sagan dans sa famille. L'attachement du duc et de la duchesse au roi de Prusse et à la famille royale était allé en grandissant. On comprend : c'était vraiment une affaire de très gros sous.

 

En 1786, le duc de Courlande et de Sémigalle pouvait douter à bon droit qu'un de ses enfants, fut-il mâle, put s'asseoir un jour sur le trône ducal à Mittau, dans le beau palais. Mais le duc de Sagan était certain qu'un de ses enfants, même une fille, serait un jour maître de Sagan.

 

 

Vie privée

 

 

Ce diable de Mirabeau sait tout. Il nous apprend que le duc de Courlande avait une fille naturelle, la comtesse de Wartemberg. Une proposition (que Mirabeau qualifie de « sourde ») avait été faite pour le mariage de cette comtesse au fils aîné du prince Ferdinand, frère de Frédéric II de Prusse1. Sans Mirabeau, aurions-nous connu l'existence de cette autre fille de Pierre II ? La rumeur de la possibilité d'un tel mariage était parvenue aux oreilles de l'autocrate - Allemande elle aussi - qui régnait à Pétersbourg. Ce fut une des causes, parait-il, de la position menaçante prise par la chancellerie russe envers le duché de Courlande au printemps 17866. A noter, Pierre II portait le titre de comte de Wartemberg, comte de Silésie. Le titre que portait sa fille naturelle était une marque publique de sa filiation.

 

Mirabeau nous apprend que, après l'achat de Sagan et la faveur accordée par le roi de Prusse, le duc de Courlande et sa femme partirent aux eaux de Pyrmont, lieu de rendez vous du Gotha en cette fin du XVIIIe. Les princes et les aristocrates avaient mis les eaux à la mode. Le duc et la duchesse de Courlande sacrifient à la mode car ils vivent comme un couple de princes allemands. Le plus fortuné des couples princiers d'Allemagne, sans doute. Ce ne sera pas le dernier voyage de la duchesse avant son accouchement. A la fin de l'année Mirabeau instruit son correspondant habituel (l'abbé de Périgord), le duc n'osait  pas retourner en Courlande tellement l'impératrice Catherine II et la chancellerie russe étaient irritées contre lui depuis son acquisition de Sagan. Alors il envoie à Mittau la duchesse pour qu'elle accouche au milieu de ses sujets courlandais. Et pourtant sa femme, très avancée dans sa grossesse, risque de souffrir de ce voyage. Il prend ce risque, « espérant qu'elle accouchera d'un garçon et que cet héritier présomptif le réconciliera avec son pays »2. Ainsi naquit à Mittau un héritier. On le prénomma Pierre. Le duc était comblé. Mais cet enfant vécut très peu. Nous ne savons pas si c'est quelques mois, ou quelques années.

 

Wilhelmine était née en 1781, Paulien en 1782, Jeanne en 1783, Pierre en 17873. La duchesse eut encore, du duc, un enfant en 1789, Charlotte, qui elle aussi ne vécut pas longtemps. On peut supposer que Pierre II - son fils Pierre mort - voulut encore tenter la chance d'avoir un héritier. Le couple avait vécu dix ans ensemble.

 

L'année 1790, ce sera la secousse finale. Le couple n'y survivra pas. Le duché de Courlande non plus.

 

 

LA COURLANDE DANS LA TOURMENTE INTERNATIONALE

 

 

Comment la Courlande a-t-elle traversé les guerres du siècle de Louis XV où les conflits s'élargissent de plus en plus ? Nous n'avons rien de précis. Quelques indications parfois, et il faut retracer le contexte.

 

 

Guerre de succession de Pologne

 

 

Auguste II, roi de Pologne, électeur de Saxe, meurt en février 1733. Stanislas Leszczynski, roi détrôné par les Russes, a le soutien de la France, de son gendre Louis XV (nous en avons parlé). Aux bords de la Vistule attendent 60 000 cavaliers polonais qui l'acclament et vont l'élire roi. Mais de l'autre côté de la Vistule on a réuni comme on a pu 4 000 Polonais qui élisent le fils d'Auguste III. Ce dernier a le soutien de l'empereur d'Autriche (il est son neveu par alliance) et celui de l'impératrice Anna. La cause est entendue. Les armées russes entrent en Pologne. C'est le siège de Danzig où est enfermé Stanislas. C'est le débarquement de renforts russes. C'est aussi le débarquement de 1 500 Français, du comte de Plélo, qui viennent pour sauver l'honneur, si ce n'est Danzig, et se font tuer. Le siège dura de février à juillet 1734.

 

Louis XV, en septembre 1743, a forgé une double alliance. D'une part avec la Savoie et la Sardaigne, d'autre part avec l'Espagne. On se battra sur le Rhin et en Italie. Partout l'Empereur est battu malgré le soutien des Russes qui, pour la première fois, font pénétrer des troupes en Allemagne.

 

Le 30 octobre 1735, à Vienne, sont signés les préliminaires de la paix suivis d'un traité le 18 septembre 1738.

 

Stanislas garde le titre de roi, reçoit en viager Nancy, le duché de Lorraine, le comté de Bar (le tout, enlevé à François, duc de Lorraine, qui vient d'épouser Marie-Thérèse fille, de l'Empereur). Mais le tout reviendra à la France au décès de Stanislas.

 

Naples et la Sicile forment le royaume des Deux-Siciles, dont le premier roi sera l'infant d'Espagne, don Carlos.

 

L'influence française en Pologne est évincée, mais jamais la France n'avait été plus puissante ni plus respectée1. C'était aussi une grande défaite du nationalisme polonais et un nouveau diktat des Russes sur la Pologne.

 

Cette guerre théoriquement intéressait la Courlande. Qui serait le roi de Pologne, suzerain - bien théorique - du duché ? La duchesse de Courlande, devenue impératrice de Russie, connaissait la réponse. La Courlande théoriquement vassale de la Pologne, c'est le nord de la Pologne. Une augmentation des troupes stationnées dans le duché, peu de passages de troupes, car de Mittau on va à Memel, en Prusse, mais guère en Pologne, province de Sagomitie exceptée. Or cette province est à l'écart, si des troupes sont parties de Livonie, c'est sans doute vers Grodno, sur le Niémen, et de là sur Varsovie.

 

La Courlande connût un remue-ménage guerrier mais c'est tout. Elle n'est pas mêlée au conflit.

 

 

Guerre de succession d’Autriche

 

 

L'Empereur Charles VI meurt le 20 octobre 1740. Sa fille Marie-Thérèse lui succède. Les règles de la succession d'Autriche n'ayant pas été définies, d'autres réclament aussi cette couronne : Maximilien-Joseph, électeur de Bavière ; Philippe V, roi d'Espagne ; Charles-Emmanuel, roi de Sardaigne. Maximilien-Joseph a le soutien des autres compétiteurs et de la France.

 

Un important élément nouveau en Europe : en Prusse le prince royal exécré par son père, le Roi-Sergent, parce qu'il jouait de la flûte et s'intéressait peu aux dames, Frédéric II, est devenu roi. Changement en Russie : Anna, décédée après un court règne transitoire, va avoir pour successeur Elisabeth-Petrovna, l'impératrice galante.

 

Marie-Thérèse a de gros soutiens : la Russie, l'Angleterre, la Hollande. Elle achète l'alliance de la Sardaigne.

 

Louis XV appuie la Bavière, avec l'Espagne, la Prusse, la Saxe, la Pologne, presque tous les princes allemands.

 

On va assister à plusieurs guerres, schématiquement :

 

1- Une guerre austro-anglo-française. La France conquiert la Bohême (novembre 1741), occupe Prague et l'Autriche prend Munich (juin 1743).

 

La France conquiert la Flandre. Sous les yeux de Louis XV en mai 1745, victoire de Maurice de Saxe à Fontenoy sur une armée de Hanovriens, d'Anglais et de Hollandais (la composition de l'armée de Wellington en 1815). Prise de Bruxelles en février 1746.

 

2- Une guerre austro-française : Espagnols et Autrichiens combattent dans les Etats du pape, occupent Rome. Les Anglais ont leur flotte devant Naples.

 

Dans l'Italie du nord le prince de Conti est vainqueur à Coni. L'armée franco-espagnole se rend maîtresse de presque tout le milanais, des contrées de l'arrière pays de Gênes, de Parme et Plaisance, mais vaincus à Plaisance, les débris de cette armée repassent le Var et essaient de couvrir Toulon, Aix en Provence. Mais à la faveur d'une révolution populaire, le duc de Richelieu est dans Gênes d'où il dirige une défense aussi mémorable que celle de Massena en 1800.

 

3- Une guerre austro-russo-prussienne. Frédéric II s'empare de la Silésie (décembre 1740) puis de Prague (juin 1745) et conquiert la Saxe en juin 1745.

 

Ces vastes conflits s'achèvent par le traité d'Aix-la-Chapelle, signé le 18 octobre 1748.

 

Normalement la Courlande n'aurait pas dû traverser cette période sans subir de gros dégâts, de graves dommages. La première frontière entre la Russie et la Prusse, c'est, si l'on considère la Courlande comme Russe, la Courlande. De plus, en début du conflit, la Pologne est contre l'Autriche, et son alliée la Russie. Pologne et Saxe marchent avec la Prusse et la France. C'est donc une position très inconfortable pour la Courlande. son protecteur est dans un clan, son suzerain dans un autre. Quel duc de Courlande aurait-il pu résister à une pareille situation ? Aucun.

 

... Mais en 1740 vient de mourir l'impératrice Anna, duchesse de Courlande jusqu'en 1738. Le duc Pierre Ier (Biron) se retrouve en Sibérie. Il n'y aura aucun problème de conscience pour le duc de Courlande. En cette période si troublée, l'impératrice Elisabeth-Petrovna préfère ne mettre personne sur le trône ducal, à Mittau. Le trône reste vacant.

 

Si la Pologne commence le conflit dans un camp et la Russie dans un autre, elles vont se retrouver ailleurs pour une même question d'intérêt : l'argent. L'Angleterre achetait les souverains, les alliances, les concours, enfin tout ce qui s'achète. Elle versait des subsides annuels à la reine de Hongrie pour soutenir l'Autriche, au roi de Sardaigne, à l'électeur de Mayence, à l'électeur de Cologne (frère de l'empereur). « Le roi de Pologne, Auguste, électeur de Saxe, se donna aux Anglais pour 150 000 pièces par an. Se vendre aux Anglais n'était pas glorieux ; mais il crut toujours qu'un empereur créé par la France, en Allemagne, ne se soutiendrait pas, et il sacrifia les intérêts de son frère aux siens propres »1. Son frère, en Saxe, continuait la guerre contre l'Autriche avec la Prusse.

 

Elisabeth Petrovna a massé 50 000 soldats en Livonie et se vend aux Anglais par un traité du mois de juin 1747. Elle enverra là où les Anglais en auront besoin, 50 000 soldats et 50 ga­lères2 et elle recevra 100 000 livres sterling par an. Ainsi la Pologne est neutralisée et repasse dans le camp où se trouve la Russie, d'une part. Et la Russie, sans avoir changé de camp, devient le soldat des Anglais, d'autre part.

 

Elisabeth avait relu le testament politique de son père, Pierre Le Grand :

 

Au paragraphe VII : « Rechercher de préférence l'alliance de l'Angleterre pour le commerce » (elle avait fait une « affaire » avec elle).

 

Au paragraphe X : « Rechercher et entretenir avec soin l'alliance de l'Autriche ».3

 

Au début de 1748, l'offensive française est très menaçante sur Breda, Berg-op-Zoom, Liège, Luxembourg, Maestricht, les clés de la Hollande, et de l'Allemagne du sud-ouest. Les Russes, selon le traité relaté, sont en Franconie. Ils sont 35 000 et les pays occidentaux de l'Europe découvrent avec ahurissement le soldat russe : « des hommes infatigables, formés à la plus grande discipline. La plus sauvage nourriture leur suffisait. Il n'y avait pas quatre malades par régiment dans leur armée. Les Russes ne désertent jamais »4. Berg-op-Zoom était prise et, en avril 1748, le maréchal de Saxe pouvait espérer voir tomber bientôt Maestricht.

 

L'arrivée de l'armée russe était attendue en Hollande comme imminente. Maëstrich tomba (1er mai 1748). Cela pesa-t-il dans les discutions qui s'ouvrirent à ce moment-là à Aix-la-Chapelle ? C'est possible. La paix fut signée le 18 octobre 1748, humiliante pour la France, et Frédéric II garda la Silésie. Il ne s'est donc guère passé d'événements dommageables spécialement à la Courlande durant cette guerre. La base des troupes russes, comme cela est depuis 1725, ce n'est pas la Courlande mais la Livonie.

 

Cependant un corps de troupes russes a pu venir au sud de la Courlande observer la Samogitie, cette province polonaise, qui n'a que peu de dizaines de kilomètres de large et débouche, à l'ouest, sur Memel et la Vieille-Prusse.

 

Mais les événements ont conforté l'impératrice Elisabeth : ne pas installer un nouveau duc à Mittau. Laisser le trône ducal de Courlande bien vacant.

 

 

La Guerre de Sept Ans

 

 

C'est le plus vaste conflit qu'est connu l'Europe.

 

Elle va confirmer que celle-ci est dominée par le génie de Frédéric II et l'or des Anglais.

 

En mai 1756 on assista à un spectaculaire renversement des alliances : Louis XV et Marie-Thérèse vont constituer un bloc, ce qui entraîne la formation d'un autre bloc : l'Angleterre (et le Hanovre) et la Prusse.

 

Pierre le Grand avait écrit dans son testament politique :

 

« Paragraphe XIII : La Suède démembrée, la Perse vaincue, la Pologne subjuguée. Il faut alors proposer séparément et très secrètement, d'abord à la cour de Versailles, puis à celle de Vienne, de partager avec elles l'Empire de l'univers ».1

 

L'impératrice Elisabeth avait signé avec l'Angleterre le renouvellement d'un traité d'alliance défensive prévu pour douze ans, en 1744, quand l'agent secret d'Eon débarqua sous les traits de la ravissante Melle de Beaumont, dans sa chambre. Sa chambre, où elle sut se livrer à de si troublantes lectures, bientôt. L'impératrice perdit la tête, elle écrivit une lettre à Louis XV, toujours son frère bien aimé et regretté, déclarant se rallier à la France et demandant l'envoi sur le champ d'un chargé d'affaires officiel avec les bases du traité d'alliance qu'elle était prête à signer. D'Eon était chargé de porter cette précieuse lettre manuscrite à Versailles, avec un plan de campagne dressé à Petersbourg. C'est une première victoire française, à l'été 1757.

 

La coalition de la France et de l'Autriche était formidable. Et quand la Russie vint la renforcer, on ne pouvait douter de l'écrasement de la Prusse. La Pologne, la Saxe, la plupart des princes allemands et la Suède appuient l'Autriche. La France peut s'appuyer sur les Bourbon d'Espagne et d'Italie.

 

Il y eut, en fait, plusieurs guerres :

 

·       Guerre franco-anglaise. L'armée anglo-hanovrienne, encerclée à l'estuaire de l'Elbe, capitule, mais viole la capitulation. Les Français évacuent le Hanovre (janvier-mars 1758). Opéra­tions entre Rhin, Main et Weser (1758-1760) : le maréchal de Broglie contre le duc de Brunswick. 16 octobre 1760, victoire à Clostercame, près de Dusseldorf, du marquis de Castries sur Brunswick et ses Anglo-Hanovriens.

 

·       Guerre prusso-autrichienne. Frédéric II sous Prague, mais ensuite battu à Kollin (18 juin 1760). Victorieux à Leuthen (5 décembre 1757), en Silésie, à Liegnitz (15 août 1760) et en Saxe, à Torgau (2 novembre 1760).

 

·       Guerre prusso-russe. Victoire russe à Jegaersdorf (6 août 1757). Détachements russes dans les faubourgs de Berlin. Le feld-maréchal ApraxinAPRAXIN, feld-maréchal avait envahi la Vieille-Prusse, en venant de Livonie et sans doute aussi de Courlande. Son premier objectif était le port de Memel à la frontière de la Samogitie polonaise. Mais une armée avait traversé la Pologne pour passer l'Oder et marcher sur Berlin. La Pologne était, bien entendu, du côté de la Russie, mais tirée en arrière par la main de Bestucheff, le ministre chancelier d'Elisabeth, comme une marionnette par son fil conducteur. Le maréchal Apraxin APRAXIN, feld-maréchal  s'était replié non pas en Pologne, mais sur ses bases et avait établi ses quartiers d'hiver en Courlande. L'impératrice et Woronzow, le ministre vice-chancelier (favorable à la France et qui avait beaucoup fait pour la réussite de l'agent secret d'Eon), voulaient des batailles. Bestucheff n'en voulait pas, et le grand-duc, le tsar désigné Pierre (neveu d'Elisabeth), encore moins. Il est de tout cœur Allemand et ne peut supporter que les soldats russes portent les armes sur ceux de son idole, Frédéric II. Apraxin APRAXIN, feld-maréchal  ne pouvait faire un mouvement sans mécontenter quelqu'un, ou sa souveraine ou son futur souverain. Il avait le choix entre la disgrâce immédiate... ou la disgrâce dans l'avenir. Revenu inexplicablement de Berlin jusqu'en Courlande, il restait tapi dans son camp. L'hiver 1758 il y avait beaucoup de troupes russes en Courlande.

 

Cette inaction était fatale à la France et à l'Autriche et les deux puissances alliées ne pouvant combattre ni le grand-duc, ni Catherine son épouse, ni le chancelier russe, résolurent de les acheter. La corruption, arme ordinaire des princes, employée contre les princes. Il y eut une convention passée entre Elisabeth, l'impératrice et son neveu Pierre (devenu duc régnant de Schleswig-Holstein). Contre des engagements dérisoires, le futur tsar recevait un subside annuel de 100 000 florins, payables en deux termes, à Hambourg, chaque six mois et d'avance. Pour de l'or, le futur Pierre III vendit Frédéric II, son idole. Mais Bestucheff résista à l'appât. En effet, vendu déjà aux Anglais, il ne voulut pas toucher l'or des deux camps. Une question de principe.

 

Le 24 février 1758, Bestucheff est arrêté en plein conseil sur ordre de la tsarine Elisabeth. On saisit ses papiers. Il correspondait avec Frédéric II et cette correspondance compromettait Apraxin APRAXIN, feld-maréchal , Totleben et le chancelier. Le feld-maréchal et le général partirent pour un séjour en Sibérie. Apraxin APRAXIN, feld-maréchal  fut mis aux arrêts à Riga. Woronzow, le vice-chancelier, devenait chancelier, maître de l'Empire. La coalition pouvait aboutir.1

 

Apraxin APRAXIN, feld-maréchal  touchait des subsides de l'Angleterre, pour ne pas bouger, ce qui l'avait amené à ne pas goûter les charmes de Berlin pour partir tâter de ceux de la Courlande.2

 

Les troupes russes changèrent de général. Un chambellan d'Elisabeth, reçut le commandement : Soltykoff.

 

Il est prouvé que la grande-duchesse Catherine, l'ex-Sophie, petite princesse allemande, envoyait des ordres à Apraxin APRAXIN, feld-maréchal . Des scènes orageuses opposèrent Elisabeth et Catherine. Rapidement elles se jetèrent leurs amants à la figure, innombrables pour l'Impératrice. Pour Catherine, il y en avait deux célèbres, Stanislas Poniatowski et Serge Soltykoff. Le deuxième est vraisemblablement le père de son fils, Paul Pétrovitch, le futur Paul Ier. Le premier, aussi vraisemblablement, le père de sa fille, Anne. Rien n'est plus compliqué que la plus simple des filiations des tsars3. Les bons rapports de la grande-duchesse avec Poniatowski aideront à assimiler la Pologne. En attendant de devenir roi, il est à Pétersbourg ambassadeur de Pologne.

 

La campagne de 1759 eut un été brillant. Sortie de Courlande, l'armée russe, sous Soltykoff, bat un lieutenant de Frédéric dans le Brandebourg sur l'Oder, à Zullichau (23 juillet 1759). Un corps autrichien, sous les ordres du maréchal Laudon, se joint à eux et Francfort-sur-l'Oder est occupé, à trois jours de marche de Berlin. Le 12 août 1759, les Austro-Russes écrasent littéralement l'armée prussienne commandée par le grand Frédéric lui-même, à Kunersdorf. Les avant-gardes russes atteignent les faubourgs de Berlin. Mais au lieu de les appuyer, les Autrichiens tournent le dos à Berlin et vont assiéger des places de Silésie et de Saxe. Laissés seuls, les Russes reculèrent à nouveau. L'or anglais aidant ?

 

L'été 1760, Soltykoff réussit encore une marche sur Berlin. Moyennant une rançon versée par la ville et la population il fit retirer l'armée russe.

 

·       Guerre prusso-française. En novembre 1757, l'armée française (24 000 hommes) et les contingents fournis par près de quarante princes allemands (30 000 soldats) menacent Leipzig. Et le 5 novembre, Frédéric bât l'armée coalisée, peu homogène, à Rossbach, en une heure et demie par le triomphe de la « manœuvre en ordre oblique ».

 

·       Fin de la guerre. Les fausses manœuvres des généraux russes, la concentration des efforts des Autrichiens pour la conquête de la Silésie, étaient compensées par un retour en forme des Français. Après un été sans décision, le 23 décembre 1761, l'impératrice Elisabeth-Pétrovna a une attaque. Le jour de Noël, à quatre heures de l'après-midi, elle meurt. Le triste duc de Holstein qu'elle a choisi, devient tsar, le tsar Pierre III. Dans la nuit de 25 au 26 décembre 1761, Pierre III envoie des courriers à tous les corps d'armée avec ordre d'arrêter les hostilités, alors qu'à l'automne les Russes réalisaient des percées foudroyantes. Ils occupent La Vieille-Prusse (Prusse-orientale), la Poméranie, la nouvelle marche de Brandebourg et la place forte de Colberg. Il s'adresse à Frédéric II en lui laissant le soin de rédiger les termes du traité entre Russie et Prusse1. Frédéric était alors en Silésie, sous Breslau. Dresde, la Saxe-Orientale et la Haute-Silésie étaient tenues par les Autrichiens2. Cette stupéfiante réconciliation des deux adversaires renversait les forces de la coalition. Louis XV signa avec les Anglais les préliminaires de paix à Fontainebleau (3 novembre 1762) et le traité de Versailles (10 février 1763). Marie-Thérèse signait avec la Prusse le traité d'Hubertsbourg (17 février 1763). Frédéric gardait la Silésie.

 

 

La Courlande et la Guerre de Sept Ans

 

 

Riga et la Livonie furent la grande base de l'armée russe dans ses attaques sur le Brandebourg et Berlin. Mittau et la Courlande la base des attaques sur la Vieille-Prusse.

 

Avec, à l'hiver 1758, cet étrange repli d'une armée victorieuse sur la Courlande et la Livonie.

 

C'est en février, à Riga, que le maréchal Apraxin APRAXIN, feld-maréchal  fut mis aux arrêts, pendant que s'ouvrait  l'instruction de sa trahison à Pétersbourg.

 

Mais la guerre ne se déroula jamais en Courlande ni en Livonie.

 

Le grand effet de cette longue guerre pour la Courlande, fut que Pierre III, parmi une avalanche d'oukases, rappela les dignitaires exilés de Sibérie par la défunte Elisabeth. Au premier rang : l'ex-duc de Courlande. Si à Pétersbourg, à nouveau, la cour est dominée par les conseillers allemands, comme au temps de l'impératrice Anna3, Biron, rétabli par Pierre III, duc de Courlande, doit se réinstaller à Mittau.

 

Pierre Ier, Biron, ne put se réinstaller en Courlande qu'avec l'appui de 40 000 soldats russes. Le nombre est évidemment exagéré à l'extrême en ce qui concerne les effectifs nécessaires à la soumission de la Courlande. mais en fait, au printemps de 1761, Pierre III ayant retiré ses troupes de Vieille-Prusse et de Poméranie, les avaient repliées sur la Courlande et la Livonie. Il n'y avait pas invasion de la Courlande par 40 000 soldats russes. Evidemment le peuple courlandais ne pouvait guère protester contre le retour de son ancien duc avec la présence sur son sol d'une armée russe.

 

Toutes les armées russes n'étaient pas repliées. Au printemps 1762, une armée était prête à entrer en Bohême aux côtés de Frédéric II et de ses Prussiens.

 

Mirabeau précise que les soldats russes chassèrent de Courlande « Charles de Saxe, oncle de l'électeur et duc légitime ». Donc, l'oncle du roi de Pologne, de l'électeur de Saxe, était duc de Courlande, et duc légitime ? Il reste à en savoir plus sur le sujet. Sur l'information de Mirabeau, il faut comprendre que la diète courlandaise, lasse de voir le duché privé de duc, avait élu un prince proche de la Pologne. Elle s'était tournée vers son ex-suzerain. Elle cherchait une protection. Mais que pouvait attendre de la Pologne en décomposition la Courlande sous la botte russe ?

 

Charles de Saxe, duc de Courlande ? un vœu pieux de la diète courlandaise, sans conséquence et sans lendemain.

 

Pierre Ier, né Biron, duc souverain à Mittau ? Un duc régnant en Courlande, de race allemande, c'était ce qu'il fallait au tsar Pierre III pour être satisfait.

 

Les jours du règne de Pierre III sont comptés. Le tsar fou en quelques mois a fait l'unanimité contre lui, l'armée, la cour, la noblesse, le peuple. Le 29 juin 1762, Pierre III a recopié et signé le texte de son abdication, présenté par les émissaires de CatherineXE "CATHERINE II LA GRANDE, impératrice de Russie". Effondré, il est « comme un enfant qu'on envoie se coucher », dira Frédéric II. Le 30 juin 1762, l'ex petite princesse allemande, Sophie, devient l'impératrice Catherine II. Le changement sur le trône de Russie va-t-il avoir des répercussions sur la Courlande ?

 

 

Catherine II et la Courlande

 

 

N'oublions pas que Catherine II a été choisie par Frédéric II et qu'elle est la fille d'un général de l'armée prussienne. Elle a essayé de paralyser Apraxin APRAXIN, feld-maréchal  et lui voler sa victoire sur la Prusse, l'été 1757, a été pour elle un devoir. Le retour des Allemands à la cour ne lui déplaît pas. Cependant elle choisit volontiers ses amants chez les Russes (exception faîte pour le prince polonais). Le 11 avril 1762, elle a mis au monde l'enfant de son amant favori de l'époque, le bel officier de la Garde, Grégoire Orlov.

 

Catherine II se passionne pour les ressorts secrets du pouvoir. Elle tient en main le duc de Courlande, cet Allemand fait duc pour une première fois par Anna, une deuxième fois par le tsar fou, qui fut son mari (si peu, il est vrai). La fidélité de Pierre Ier lui est acquise. Il est mal assis sur son trône. Elle va, en sous-main, faire toutes les interventions nécessaires pour raffermir son pouvoir. Pierre Ier a gouverné dix ans la Russie, il fera à Mittau le jeu de la Russie, pas de la Pologne. Et Catherine II veut la Courlande pour la Russie, il faut la détacher définitivement de la Pologne. La Courlande, avec Pierre Ier XE "BIRON Ernst-Johann, Pierre Ier, duc de Courlande" comme duc régnant, c'est une étape vers la Courlande russe.1

 

Toujours en proie à ses « fureurs utérines » (le mot est de Masson qui fut le maître de mathématiques du grand-duc Alexandre), mais ni hystérique, ni nymphomane, Catherine est ensemble sensuelle et sentimentale. Il lui faut du neuf, du beau, du robuste, mais aussi de la tendresse, du charme, de la conversation. Avec Orlof c'est fini, depuis longtemps. D'autres sont venus, ils sont passés. Elle avait remarqué un lieutenant-général, Potemkine, trente cinq ans, massif, un peu grimaçant, borgne, cheveux noirs, peau brune. Le 4 décembre 1773, Catherine lui envoie une lettre où elle laisse percer un amour possible. Le général assiège Silistrie. En janvier 1744, il part pour Pétersbourg et ce fut le grand amour. A certains points de vue Potemkine fut pour Catherine II ce que la Pompadour fut pour Louis XV. Certains proches des deux amants ont certifié qu'ils se marièrent secrètement fin 1774 à l'église Saint-Simon de Pétersbourg. En tout cas, ils furent un couple. L'impératrice ne lui fut guère fidèle, mais elle l'aima beaucoup. Elle en fit un prince puissant et richissime.2

 

Nous ne parlerions pas de Potemkine sans ce que nous en a dit Mirabeau : « Ce qui n'est pas aussi connu, ou plutôt ce qui est très secret, c'est qu'un Oukase lui (duc de Courlande)  enjoignit, il y a six ans, d'avoir à remettre son duché au prince Potemkine, et que, par le conseil du chancelier Taube et du chambellan Howen, il conjura l'orage en faisant passer au prince Potemkine (alors et toujours dérangé) 200 000 ducats. C'est Rason, secrétaire du cabinet du duc, qui fut chargé de porter cette somme »1. Donc, vers 1780 (Mirabeau n'est pas toujours précis à un an près), Catherine voulut faire de Potemkine un duc régnant. Au sein de la Russie le titre de prince russe suffisait, Joseph II, pour plaire à sa sœur de Pétersbourg, en avait fait un prince du Saint-Empire (titre généreusement distribué, en Pologne notamment). Mais dans les cours européennes, Potemkine n'était qu'un parvenu. Transformé en duc régnant, toutes les chancelleries s'ouvriraient pour lui d'abord, les cours suivraient.

 

Pourquoi Potemkine duc régnant de Courlande, en 1781 ou 1782 ? Les traités entre Russie et Prusse venus à expiration en 1780 n'ont pas été renouvelés. Frédéric II a cru bien se placer en envoyant à Petersbourg son neveu, héritier du trône, Frédéric-Guillaume. Catherine ne peut supporter même sa vue. Joseph II envoie auprès de la tsarine un ambassadeur extraordinaire : c'est le prince de Ligne. Lui, il lui plaît. Catherine en raffole... et bientôt échange des lettres avec l'empereur d'Autriche, d'autant plus que Marie-Thérèse décède le 29 novembre 1780. Joseph II est le seul maître à Vienne. L'Impératrice et l'Empereur envisagent l'expulsion des Turcs de l'Europe par leur action concertée. On discute ferme sur le partage des possessions turques en Europe. Catherine et Joseph II se sont rencontrés le 7 juin 1780 à Mohilev (Russie blanche), en présence de Potemkine.

 

La correspondance entre Frédéric II et Catherine II s'était faite de plus en plus rare, elle cessa en 1781. L'influence de la Prusse a disparu à la cour de Pétersbourg, c'est un grand événement. Dans l'avenir, a décidé Catherine, la Russie s'appuiera sur l'Autriche. La petite princesse allemande s'est détachée en 1780 et 1781 de l'Allemagne en général et de la Prusse en particulier. A noter au passage que si elle méprisait Louis XV (un mépris voisin de la haine), elle affichera, dès 1776, une grande estime pour Louis XVI, « que j'aurais envie de gronder ceux qui y trouvent à redire ».2 

 

Le séjour de Joseph II à Pétersbourg fut, évidemment, le summum des accordailles entre ce dernier et Catherine II.3 

 

Sur la suggestion de Joseph II, Catherine II va envoyer en voyage en Europe, le tsarévitch Paul et la grande-duchesse, son épouse (Sophie-Dorothée de Wurtemberg-Montbeliard). Il ira surtout en France, mais aussi chez nombre de princes allemands (de l'Allemagne du sud), en Hollande, en Autriche, mais surtout il ne passera pas par Berlin.

 

En 1782, la Grande Catherine vieillissante veut un nouvel amant, mais amant de cœur. Potemkine est son époux, son repos, n’est plus son amant depuis longtemps. Alors il est possible que pour consacrer la rupture définitive de leur couple charnel, Catherine II ait voulu faire de son cher, de son grand prince, de son inspirateur, de son conseil, de son époux enfin, un duc régnant. Mais aussi Potemkine à Mittau, c'était se débarrasser de ces Biron peu sympathiques. C'est Pierre II qui régnait en 1781 ou 1782, et à ces Biron, Catherine II trouvait un nouveau défaut : ils étaient Allemands. Sur le trône de Mittau, il fallait maintenant un Russe.

 

 

Catherine II et la Pologne

 

 

Catherine guettait. Elle avait beaucoup apprécié Stanislas Poniatowski, son deuxième amant, et, étant encore grande-duchesse, l'avait fait nommer ambassadeur de Pologne à Pétersbourg. Déjà, du vivant d'Elisabeth, savait-elle qu'il serait par sa volonté roi de Pologne.

 

Auguste III mourut en octobre 1763. Catherine II régnait. Déjà, le 2 août 1762, elle écrivait à Stanislas : « Je vous envoie le comte Kayserling en qualité d'ambassadeur en Pologne, aux fins de faire de vous, après la mort d'Auguste III, le roi de Pologne »1. Et Stanislas ressentit un grand choc, écrivant à la tsarine : « Sophie ! Ne me faites pas roi ! Mais rappelez-moi auprès de vous. Je vous aime mieux qu'une couronne, et il ne tient qu'à vous de l'éprouver ».

 

 

Catherine II à son avènement

 

Auguste mort, 30 000 soldats russes entrent en Pologne, aux ordres du Prince Repnine et viennent camper sous Varsovie. 50 000 hommes se rassemblent pour venir les épauler. Alors Frédéric II fait occuper la Posnanie, la basse-Vistule et il est prêt à envoyer une armée à Varsovie.

 

Stanislas est issu de la puissante famille des Czartoryski, très russophile, et qui organise la campagne pour son élection. Kayserling peut compter sur les baïonnettes russes, et même prussiennes, mais il dispose aussi de 300.000 ducats qui assurent un bon vote. La diète se réunit paisiblement, les nobles polonais sont heureux de pouvoir voter pour un prince polonais, et plus pour un prince saxon. Stanislas est élu. En face, l'Autriche et la France soutenaient un prince de Saxe présenté par la famille Potocki, francophile. Stanislas est lucide il n'en a aucune joie. Ecrivant à l'autocrate de Pétersbourg : « Vous me faites roi, mais me rendez-vous heureux ? Vous ne sauriez m'ôter le souvenir du bonheur dont j'ai joui, ni le désir de le retrouver. Ah ! Sophie ! Vous m'avez fait cruellement souffrir ! ».1

 

Tout de suite, le comte de Broglie, qui dirigeait le Secret du Roi, cette diplomatie parallèle dépendant directement du roi Louis XV, prévoyait le partage de la Pologne entre Russie et Prusse, et prédisait : « (...) quant à la Russie, elle se paiera par l'annexion d'une partie de la Lithuanie et de plusieurs palatinats septentrionaux »2. Les termes « palatinats septentrionaux » visaient la Samogitie (cette étroite province s'étirant de la Baltique, le long de la Courlande, et au sud de cette dernière. Province polonaise conquise autrefois par les Teutoniques, peu « polonaise ») et surtout le duché de Courlande, vrai palatinat, devenant de plus en plus obsolète : fief vassal de Laologne - sans véritable duc régnant de 1730 à 1738 et de 1741 à 1761 - dépendant en fait de la Russie qui en était la vraie maîtresse.

 

Catherine va aussitôt mettre les Polonais au pas. Au pas russe. L'ex-petite princesse allemande et luthérienne, n'est plus qu'une impératrice russe, défenseur de la foi orthodoxe. Tous les orthodoxes doivent se regrouper sous les bannières de la Russie et à tous, elle doit protection. Les Polonais (qui haïssent les Russes, leurs ennemis depuis leur origine) sont des catholiques très ardents. Aussi en Pologne les orthodoxes sont privés de tous droits. On les nomme ici les dissidents. Catherine, par la force, par l'or, par la corruption, arrache, et à son ex-amant, et à une diète asservie, la reconnaissance aux dissidents des mêmes droits que les catholiques. Dans toute la Pologne cela est ressenti comme un outrage de la Tsarine et une provocation de l'armée russe « occupante ». Et ce sera en 1768, à Bar, près de la frontière turque, la formation d'une Confédération des nobles Polonais pour la « défense de la Foi et de la Liberté », dont le premier acte est de déclarer la guerre aux orthodoxes et aux Russes. L'armée prussienne entre aussitôt dans les provinces occidentales du sud de la Pologne pour rétablir l'ordre. Choiseul prît le parti des confédérés de Bar. L'aide de la France se limitera à l'envoi à la Confédération d'une mission militaire chargée de conseiller l'insurrection. Au nombre de cette mission, Charles-François du Périer du Mouriez. On ne rééditera pas la folie de 1734, le débarquement de quelques troupes à Danzig destinées au massacre, et à sauver l'honneur. La France va susciter une guerre. Choiseul l'écrivait le 21 avril 1766 à Vergennes, ambassadeur de France à Constantinople : « Le moyen le plus certain de culbuter de son trône usurpé l'impératrice Catherine serait de susciter une guerre. Il n'y a que les Turcs à portée de nous rendre ce service. C'est la guerre par les Turcs qui doit être l'unique objet de votre travail et de vos méditations »3. Les Turcs se firent rosser, les Russes ayant à leur tête (et pour la première fois) un grand général, Roumantziev. Potemkine se signalera au siège de Kotim et devint général, c'était en 1769. Le talent déployé par notre nouvel ambassadeur à Constantinople, le comte de Saint-Priest, n'avait servi à rien.4

 

Tout rentra dans l'ordre et la Pologne vécut à l'ombre de la Russie, le roi Stanislas ne pouvant que suivre les directives venant de sa bien aimée, qu'il adora jusqu'à sa mort.

 

Et ce fut le premier partage de la Pologne, par le traité de Saint-Pétersbourg, le 22 juillet 1772.

 

·       A Marie-Thérèse, la Galicie (2 600 000 habitants) ;

 

·       A Frédéric, la Prusse Polonaise, sauf Thorn et Danzig (700 000 habitants). Catherine savait, avant de régner, qu'elle ferait de Stanislas le roi de Pologne, mais elle savait, dès le jour de ce choix, qu'il en serait le dernier roi.

 

En 1788, la diète prit enfin conscience que la Pologne courait à sa perte et de la nécessité de transformer profondément ce royaume anarchique. Elle se proclama en diète constituante. Cette initiative un peu tardive eut les encouragements du roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II (neveu de Frédéric II) et il promit de défendre la constitution que rédigeait la diète (mars 1791), et qu'elle promulgua le 2 mai 1791.

 

 

 

Les trois partages de la Pologne

 

Catherine annonça qu'elle envahissait la Pologne. Alors le roi de Prusse fit volte face et se rangea du côté de l'autocrate russe. Et ce fût, en mars-avril 1793, le deuxième partage de la Pologne.

 

·       La Prusse prenait Danzig et Thorn ;

 

·       La Russie, la majeure partie de ce qui restait de la Lithuanie. Le sort de la Courlande avait déjà été réglé à part et en premier. (voir le chapitre suivant).

 

Dû à l'initiative de la tsarine, ce deuxième partage sauva la France. Après Valmy, le roi de Prusse préleva des unités sur le front de la France pour les envoyer en Pologne. Catherine, qui en principe était entrée dans la coalition contre la France, prétexta les « événements » de Pologne (suscités par elle) pour ne pas envoyer en Allemagne et contre la France le moindre détachement de son armée. Même Joseph II avait besoin de troupes autrichiennes en Galicie. Catherine II sauva la France.

 

En 1794, la Pologne, réduite à si peu, eut un dernier sursaut armé. Huit mois de campagnes héroïques menées par Kosciusko, écrasé à Maciejovitz (10 octobre 1794), Praga (le faubourg de Varsovie) enlevé par Souvorov (4 novembre 1794). 12 000 habitants égorgés dans leurs maisons. Ce fut le troisième et dernier démembrement.

 

En octobre 1791, à Nicolaïev, ville qu'il a fondée, à l'embouchure du Bourg le prince Potemkine est mort. En apprenant la nouvelle, Catherine s'évanouit. Le deuil le plus strict est observé par la cour. Stanislas Poniatowski est un prisonnier royal dérisoire et vit à Grodno sous la surveillance des sentinelles russes depuis la fin de 1794. Le 17 novembre 1796, au Palais d'Hiver de Pétersbourg, un peu après neuf heures du matin, la Grande Catherine s'éteint.

 

Quand renaîtra la Pologne ?

 

 

 

III - MIRABEAU ET SON MEMOIRE SUR LA COURLANDE

 

 

Mirabeau a établi, à l'été ou à l'automne 1786, un mémoire qui porte l'annotation : « Remis à la Cour de France, sur la déclaration que la Russie a faite à la Courlande et qui se trouve dans les Gazettes de Leyde du 20 mai au 3 juin 1786 ».

 

Ce mémoire publié dans l'« Histoire secrète de la cour de Berlin », ouvrage publié début janvier 1789, est censé avoir été présenté le 16 juillet 1786 au duc de Brunswick . Etait-il déjà rédigé ? On peut en douter. Mais il est certain que Mirabeau l'avait dans la tête lors de son entretien avec le duc ; qu'il en fit un exposé et recueillit avec profit les observations et rectifications du duc qui, sur la Courlande, devait avoir des idées précises et des renseignements, en tant que général de l'armée prussienne, mais aussi en tant que duc régnant. Sa chancellerie communiquait avec celle du duc régnant de Courlande, entre princes souverains allemands.

 

 

La mission secrète de Mirabeau

 

 

Mirabeau, en 1785, se jugea apte à mener des négociations diplomatiques. Les missions secrètes étaient à la mode depuis Louis XV. Dumouriez, en Pologne en 1771. Beaumarchais, en Allemagne. Mirabeau, après avoir publié de brillantes études sur les problèmes financiers, pensait pouvoir rivaliser avec les meilleurs.

 

Pour préparer sa nouvelle carrière, il résolut de partir à Berlin en simple voyageur. Objectifs : voir de près le Grand Frédéric, étudier les ressorts de la monarchie prussienne et en ramener les éléments d'un très grand ouvrage qui l'imposerait aux mondes financiers, diplomatiques et politiques.

 

Le 25 décembre 1785, départ de Paris : Nancy, Francfort, Liepzig.

 

Le 19 janvier 1786, Berlin. Pour s'introduire, il avait une lettre de recommandation du comte de Vergennes, le ministre, au comte d'Esterno, ambassadeur de France en Prusse. Il pensait être appuyé auprès du prince Henri de Prusse par le marquis de Luchet, une de ses connaissances attaché à la personne de ce prince. Frédéric lui donna audience le 25 janvier. Le prince Henri le reçut, l'apprécia et dit de lui à d'Esterno, « Je sais bien qu'il y a beaucoup à dire, mais je vous avoue que cet homme m'amuse infiniment ». Mirabeau découvre et étudie la cour, rencontre des aristocrates, se lie avec des hommes d'esprit et des savants, progresse dans sa connaissance de la langue allemande.

 

 

Mirabeau revient à Paris le 22 mai

 

 

A ce premier voyage, il n'a pas avec lui le baron de Noldé, gentilhomme d'une des premières familles courlandaises, officier au régiment Royal-Suédois (colonels : MM. de Fersen et Stevingh). Ce premier voyage, Mirabeau le fait à ses frais. Pour réussir son deuxième voyage, se faire accompagner du baron de Noldé, il lui faut obtenir de se faire charger de mission avec un financement adéquat. Il saura manœuvrer pour décrocher la mission et les sous. Là, il va tout droit trouver l'abbé de Périgord et celui-ci voit de suite le parti qu'il peut tirer auprès du Cabinet de Versailles des confidences faîtes à Mirabeau.

 

D'après Mirabeau, Calonne aurait engagé Vergennes à le charger d'une mission secrète en Prusse. Ce qui déterminait Talleyrand à appuyer Mirabeau auprès de Calonne, c'est que ce dernier s'était offert pour étudier aussi bien les questions financières que les questions politiques. Fin mai 1786, la mort de Frédéric II était attendue prochainement. Mirabeau laissait entendre que le prince Henri, partisan décidé d'une alliance franco-prussienne désirait à Berlin un observateur plus habile que le comte d'Esterno. Le 2 juin 1786, Mirabeau remettait à Calonne un rapport sur la situation de l'Europe. Il devenait urgent de faire le point sur la Prusse et de sonder les dispositions du neveu héritier de Frédéric II. Alors M. de Vergennes céda, pas fâché en outre de vider Paris et Versailles de la présence de cet agitateur trop brillant et trop encombrant. La mission ne coûterait rien à son ministère. Le contrôleur général des finances, finançait sur l'intervention de Calonne. Enfin, l'influent duc de Lau­zun poussait Mirabeau à partir pour Berlin.

 

 

 

Mirabeau

 

 

Sûr de son audace, de sa force et confiant dans son génie, Mirabeau s'imaginait, à la veille d'événements qui - selon lui - allaient avoir les plus graves répercussions, acquérir une situation telle que les plus adroits (tel l'abbé de Périgord) devraient compter avec lui.1

 

 

Mirabeau et la Courlande

 

 

Le baron de Noldé, gentilhomme courlandais d'origine allemande certainement, est ainsi nommé après francisation de son nom (qui est précédé de façon ridicule par cette particule « de », usée mal à propos au XVIIIe et qui ne signifie rien). Il a intéressé son patron de façon très particulière à la Courlande. De la « mission » de Mirabeau, nous nous limiterons à ce pays et pas à ses autres observations, seraient-ce ses tête à tête avec le duc régnant de Brunswick, qui rêvait d'une grande alliance entre la France, la Prusse et l'Angleterre.

 

Le duc étant établi en Prusse avec sa famille, la Courlande est gouverné par le chambellan Howen devenu Oberburgrave par suite de la mort subite du premier ministre Klopman. Lorsqu'il était ambassadeur de Courlande en Pologne, les Russes l'avaient fait enlever et fait voyager en Sibérie. Howen sait qu'il faut composer avec les Russes, et c'est le baron de Mestmachor, ministre russe à Mittau qui l'a fait nommer, après avoir fait approuver son choix par Pétersbourg. « Le Cabinet de Pétersbourg a mieux aimé gagner ainsi, apparemment parce qu'il préfère consommer amiablement ses desseins sur la Courlande, Howen est au fond duc de Courlande, puisqu'il en fait les fonctions, et qu'il y entraîne ou domine toutes les opinions », écrit Mirabeau à Talleyrand, le 8 janvier 1787.1

 

Howen est qualifié de « tête forte et intrigante » et de « ministre suprême, ou land-maréchal ». C'est lui qui « fait toutes les affaires et jouit du plus grand crédit, ce qui doit se réduire, à dire vrai, à vendre plus ou moins lâchement à la Russie, cette belle et malheureuse province, laquelle cependant, si tous ses voisins l'abandonnent, n'a d'autre parti à choisir, que de se donner plutôt que de se laisser prendre »2. Nous l'avons compris, l'homme important en 1786 en Courlande, c'est Howen. Or le baron de Noldé, le secrétaire de Mirabeau, appartient à l'une des premières maisons de Courlande. Traduire, « des barons bal­tes » et le land-ma­réchal, l'oberburgrave Howen est son oncle.

 

Mirabeau parle de son secrétaire : jeune homme qui « a de l'honneur, de l'intelligence, des connaissances, un grand respect des droits des hommes, une grande haine pour les Russes, un vif désir de donner son pays plutôt à tout autre souverain, (...) il ne veut pas être un esclave russe ; il aime la France ». Cet officier a servi avec distinction, estimé et aimé de ses chefs, et participé aux sièges de Mahon et de Gibraltar.

 

Qui, en France, en 1786, pouvait s'intéresser à la Courlande et à ce qui pouvait s'y passer ? La Courlande était, des élites françaises, aussi peu connue en 1786... qu'en 1991 Ne parlons pas des masses. Ne leur a-t-on pas fait croire, il y a vingt ans, que la Courlande était un pays nordique imaginaire créé pour les besoins d'un scénario ?

 

Le rôle de Noldé est capital. C'est lui qui a intéressé son « patron » au sort de la Courlande, qui lui a appris la Courlande.

 

 

Crise entre Courlande et Russie

 

 

C'est la crise en 1786. On sent que le « rien ne va plus » du croupier, est pour bientôt. Le mémoire fait état d'une « déclaration que la Russie a faite à la Courlande et qui se trouve dans les Gazettes de Leyde, du 20 mai au 3 juin 1786 ».

 

L'objet de cette déclaration est tout à fait surprenant. Un scoop. Le duc de Courlande (Pierre II qui est en Prusse, s'installe à Sagan) abdiquerait en faveur du prince de Wurtemberg, général au service de la Prusse, selon les bruits qui courent. Le gazetier ne peut que s'appuyer sur une rumeur. L'indignation officielle et déclarée de la Russie à l'égard de ce petit Etat accroché à son flanc n'a pas d'autre origine qu'une rumeur. N'oublions pas qu'à la cour de Pétersbourg on connaît bien la famille régnante au Wurtemberg. L'épouse du grand-duc Paul, le tsarévitch, est une princesse de Wurtemberg. Mirabeau donne des renseignements sur ce prince : « L'armée prussienne fait une nouvelle acquisition : c'est le prince Eugène de Wurtemberg. Il s'est distingué ensuite dans le métier de Caporal Schlag en portant la sévérité de la discipline jusqu'à la férocité. Tout cela ne lui faisait pas une grande réputation. On vient de lui donner un régiment qui le rapproche de Berlin. Il entraîne par une élocution forte et extatique ; des yeux quelquefois hagards, toujours enflammés, une physionomie profondément émue ; c'est, en un mot, un de ces hommes que les hypocrites et les jongleurs mettent en avant avec succès ».1

 

Notons que plus naturellement on trouve à cette époque un prince de Wurtemberg, Alexandre, général dans l'armée russe. Il servit contre les Turcs sous le feld-maréchal Potemkine, prince de Tauride, et mourut à Khardov en juin 1791.2

 

Que faut-il penser de cette rumeur ? Elle ne paraît pas sérieuse, à peu près sans fondement. Catherine touchait au but. Après tant d'efforts accumulés par Pierre le Grand, les Impératrices Anna et Elisabeth et par elle, allait-elle abandonner le trône ducal de Mittau à un prince allemand, fut-ce un proche parent de sa belle-fille ? C'est vraiment impensable. La Courlande, un Etat théoriquement libre, mais théoriquement un fief du roi de Pologne, dont le duc est électif, élu par une diète de Courlande. Pourtant la diète ne peut, en fait, voter autrement que la Russie l'a décidé. La Courlande indépendante en droit... Mais le mot « droit »  est vide de sens, lorsqu'on l'oppose à celui de la force. La force c'est la Russie et la Russie fait la loi en Courlande depuis la duchesse Anna, cette Romanov qui régna si longtemps sur la Courlande et prolongea son règne par celui de Biron.

 

Il fallait à la tsarine un prétexte pour accentuer sa mainmise sur la Courlande. En 1786 elle a tourné le dos à l'alliance prussienne. Ses troupes, à deux reprises, ont occupé ou menacé d'occuper Berlin et se sont retirées contre rançon. Son regard est fixé sur Constantinople et pour atteindre le Bosphore il lui faut passer par l'alliance autrichienne. Elle fait l'éloge de Joseph II, fêté et adulé par elle à Tsarkoie-Selo. Le prétexte elle le tient et le fait répandre, sur le compte de la rumeur, dans la Gazette. A Leyde. Mirabeau l'explique : « Il (le Cabinet de Pétersbourg) craint sans doute que celui de Berlin ne forme quelque spéculation sur la Courlande à l'aide d'un nouveau duc tout entier à sa disposition ». Mirabeau constate que la Pologne n'est plus capable d'exercer « son droit de protectorat » (écrit-il, alors qu'il s'agit d'un lien de vassalité, d'une nature encore si fréquente dans l'Europe de 1786, auquel était soumise toute l'Allemagne à l'exception du duché de la Vieille-Prusse) et il ajoute : « il n'est pas absurde d'appréhender que la Prusse se subroge à la place de la Pologne et ne consolide ainsi, à son profit, le fait par le droit »3. Le courroux de la tsarine à l'égard de la Courlande c'est aussi son dépit de voir au printemps 1786, Pierre II duc de Courlande et de Sémigalle placer son immense magot chez le roi de Prusse. Elle ne peut le supporter.

 

La Prusse a des projets sur la Courlande. Elle veut y placer un candidat de son choix. Elle va obtenir l'abdication du duc Pierre II. De l'exceptionnelle qualité des rapports de ce dernier avec Frédéric II, le prince Henri de Prusse, l'ensemble de la famille royale les preuves sont aussi éclatantes que nombreuses. Donc on apprend la rumeur à l'Europe : La Prusse qui vise le duché de Courlande a déjà son candidat au trône ducal, habilement choisi dans une famille souveraine allemande alliée aux Romanov. N'est-il pas un meilleur moyen de répandre ce bruit que d'utiliser une gazette en Hollande ?

 

Si entre l'Autriche et la Prusse un très large fossé - une faille profonde - s'était ouverte avec la perte de la Silésie par l'Autriche, au profit de la Prusse, les Russes et les Prussiens, même après la guerre de Sept Ans, avaient un intérêt commun : le partage définitif de la Pologne. Sur leur politique à l'égard de la Pologne, Catherine II et Frédéric II s'entendaient toujours ; depuis l'élection du roi Stanislas en 1769, la confédération de Bar, le premier partage de 1792. Frédéric II savait trop qu'il ne pouvait avoir de visée sur la Courlande et porter sa frontière sur la Duna, face à Riga, sans que cette simple visée ne fut un casus belli et l'idée même d'une telle visée est absurde. Ce n'est pas en exerçant un protectorat sur la Courlande (par l'intermédiaire d'un prince allemand à son service) qu'il va protéger sa frontière, mais en forçant la Russie à reculer en Pologne. Il n'allait pas lâcher la proie pour l'ombre, le vieux renard Frédéric II et pas davantage son neveu devenu roi. Tout concourrait à ce prochain et deuxième partage de la Pologne. Mirabeau écrivait le 13 janvier 1787 : « Je crois savoir enfin ce que tripotait l'empereur ici. Il a proposé nettement, de laisser prendre à la Prusse le reste de la Pologne, pourvu qu'on lui laisse s'approprier la Bavière. Heureusement le piège était trop grossier »1. L'Autriche poussait par cette proposition la Prusse à s'accaparer le reste de la Pologne. C'est que, après la mort de Frédéric II, l'Empereur Joseph II avait conçu le projet surprenant d'un renversement complet des alliances par une réconciliation définitive avec la Prusse... mais cela, en décembre 1786 seulement (note de l'empereur au chancelier prince Kaunitz du 6 décembre), et pas du tout en mai 1786 lors de la parution de la déclaration de la Russie à la Courlande dans la Gazette de Leyde2. Mais Kaunitz, autre vieux renard, sut montrer à son souverain que « la méfiance entre les deux Maisons, la Prusse et l'Autriche, était trop enracinée pour qu'on pût l'extirper en un tournemain et que la Prusse et l'Autriche ont raison d'être en hostilité permanente »2. En décembre 1786 cette idée d'un rapprochement avec l'Autriche a été évoquée quasi simultanément à Potsdam entre Frédéric-Guillaume II et son ministre  Herzberg. Les conclusions de ce dernier furent les mêmes que celles de Kaunitz. La Prusse devait renforcer ses liens avec l'Angleterre et la Hollande, essayer de détacher la Russie de l'Autriche. La Russie avait comme la Prusse, tout intérêt à limiter l'influence autrichienne en Pologne3. Frédéric II ne songea pas un instant à remplacer en Courlande le rôle de la puissance protectrice et dominatrice, aux lieux et place de la Russie. Son but est d'éloigner un peu plus de Berlin et de l'Oder la menaçante Russie en prenant un nouveau morceau de Pologne, en s'agrandissant en particulier en Prusse Polonaise, pour dégager mieux la Basse-Vistule. Qu'irait faire la Prusse à Mittau ? Un seul argument : l'élite de la Courlande est toute allemande, le pays est dominé par la culture allemande. Mais en 1786 un mobile de pangermanisme n'était pas pensable. Les Allemands étaient répartis entre plus de trois cents royaumes, grands-duchés, duchés, principautés, villes épiscopales, villes républicaines, depuis le cours inférieur du Danube jusqu'à Memel, sentinelle avancée de la Germanie aux portes de la Courlande. De plus si la Courlande fait partie de la germanité, elle est en dehors du germanisme.

 

Mirabeau constate qu'entre les États prussiens, dont la frontière nord-est le fleuve Memel,  et la Courlande « il n'y a qu'une étroite lisière de la Lithuanie polonaise, cette lisière est à peine de cinq à six lieues ». Il note que le Memel, rivière que nous connaissons sous le nom de Niemen, pourrait être reliée aux rivières de Courlande, à l'Aa qui passe à Mittau et se jette dans l'embouchure de la Duna, tout près de Riga4. Cette lisière est une province, elle a un nom : la Sagomitie, nom rencontré souvent au cours de cette étude.

 

Parler de la Courlande, c'est un scoop, et il faut frapper le lecteur du mémoire. Mirabeau préconise un accord commercial entre la Courlande et la France. Et Mirabeau brandit un traité de 1643 conclu par Richelieu entre la France et la Courlande5. Nous savons que la France pesa lourdement sur les puissances pour parvenir, par le traité de Westphalie, à régler les différends entre les Etats Nordiques. La Prusse retirerait un grand avantage d'un développement économique de la Courlande et d'un statut politique lui apportant la stabilité. Avec le changement de roi en Prusse, une alliance franco-prussienne est en vue.

 

L'argumentation développée par Mirabeau de ce scoop est bien celle là dans son mémoire sur la Courlande. On peut en conclure que Mirabeau est très bien informé de ce qui se trame au plus secret des chancelleries de Potsdam et de Vienne. Il a connu une rumeur sur un renversement des alliances, conçu à Vienne par l'Empereur, d'une part, et à Potsdam par le roi de Prusse, pensant séparément et presque simultanément et s'entretenant de ce sujet avec leur ministre. La lettre de Mirabeau à l'abbé de Périgord est du 13 janvier 1787.

 

Mais était-il nécessaire d'étudier l'ouvrage de Mirabeau, « La mission secrète à Berlin », pour savoir que ce mauvais sujet avait un talent politique des plus exceptionnels ? Là où notre génie pousse le bouchon un peu loin, c'est en voulant faire croire à cette visée de la Prusse sur la Courlande. Pourquoi ?

 

L'époque est aux économistes, aux financiers. L'abbé de Périgord d'abord s'est astreint à la science du maniement de l'argent. Alors bien sûr Mirabeau a suivi. C'est la publication d'un pamphlet, « Considération sur l'agiotage », à Londres en 1784. En 1785 une brochure savante, « La liberté de l'escompte », lui ouvre les relations des deux grands financiers Clavières et Panchaud... Ce qui lui valût des passes d'arme, pour le grand plaisir du Paris mondain, avec Beaumarchais qui s'était moqué de lui et avait baptisé ses brochures, pamphlets et études « des Mirabelles ». Et en fin d'année il était parti pour Berlin.

 

Mirabeau est d'une École qui rêve de liberté de commerce, de traités de commerce pour développer les échanges, mais aussi les manufactures, les productions agricoles, pour engendrer de la richesse en un mot. Avec le scoop de la Courlande, ce pays inconnu qu'il fait jaillir de son tricorne, comme le prestidigitateur sort un lapin de son chapeau il saisit l'opinion. Il la fait rêver. La France aurait deux ports de Courlande, sur la Baltique, « au moins neutres et presque exclusifs ». Des bases pour notre marine marchande et royale libérant la France de sa dépendance de la Russie et de l'Angleterre pour son approvisionnement naval. Et le rêve de Mirabeau s'enfonce dans des perspectives d'un grand enrichissement de la France.

 

Alors, renversement des alliances... grâce à la Courlande « dont le roi de Prusse sera, politiquement parlant, le propriétaire utile le jour où il en sera le gardien et le protecteur ».1

 

Talleyrand précisant, par un ajout au texte de Mirabeau « Or, la Russie n'est nécessairement et incontestablement redevable en Europe que pour la Prusse à qui elle peut faire du mal sans en recevoir ».2

 

Nous achèverons ces observations sur le mémoire de Mirabeau en précisant qu'il serait intéressant de connaître le texte de la déclaration faite par la Russie à la Courlande. Nous avons réussi à placer cette déclaration dans son contexte et à en démontrer les mobiles comme les objectifs... Mais que disait ce texte ?

 

 

Pressions. Attitudes de Catherine II

 

 

Bien sûr la déclaration que nous ne connaissons pas s'accompagnait de quelques démonstrations de force de la part de la Russie.

 

De Vienne, on avait écrit au duc de Brunswick que « 4 à 5 000 Russes sont entrés en Pologne, où la diète menace d'être fort orageuse ». Pour le duc, la France doit prendre un parti décisif, sur et contre toute nouvelle modification en Pologne. Et Mirabeau, lui, parle au duc de Courlande relativement aux dernières démarches de la Russie envers ce pays.3

 

Mirabeau apprend à Talleyrand (lettre du 16 octobre) que la tsarine « s'est appropriée depuis quelques mois la possession et les revenus des postes de Courlande en laissant seulement au duc un petit bureau, afin qu'il n'y soit pas censé totalement étranger ». Mirabeau précise que la Courlande n'a pas de ministre (traduire, ambassadeur) à Petersburg, mais que la Russie en a un en Courlande qui se conduit comme celui qu'elle a en Pologne : son ministre est le vrai souverain du pays « un de ces jours, elle déclarera que la Courlande est à elle, que l'Ukraine polonaise est à elle, que la Finlande est à elle ».1

 

Le 4 novembre Mirabeau donne des précisions à son ami l'abbé. L'usurpation de la régule des postes de Courlande, c'est 160 000 livres de Francs annuels de revenu. C'est une violation du droit des gens et un moyen d'inquisition.

 

La Russie a voulu éviter de faire marcher des troupes. Elle a fait proposer, ou plutôt demandé, une conférence amiable des députés de Courlande avec des commissaires nommés par elle et devant siéger dans Riga, sous la présidence du gouverneur de la ville. Quatre députés de Courlande à cet effet se sont présentés à Riga. Le gouverneur leur a signifié qu'il avait ordre de son souverain de les faire arrêter s'ils ne signaient pas un acte tout prêt à leur signature conférant à la Russie la régule des Postes de Courlande. Entre le voyage en Sibérie et la signature, les quatre députés ont préféré signer. Et puis on a présenté à leurs signatures des conventions aliénant divers menus droits, rectifiant sur certains points les frontières par aliénation de portions de territoire ducal à la Russie. Celle-ci, en outre, a acquis le droit de réclamer tous les sujets russes pouvant se trouver en Courlande, mais ce droit s'étendant à tous les descendants de ceux qui auraient pu être naturalisés courlandais, même depuis des siècles. Cela permettra aux Russes des abus illimités, d'exercer un moyen de chantage, très précieux pour extorquer des fonds au duché2. La pression russe s'accentue et Mirabeau voit « une foule d'indices qui démontrent qu'il s'agite ou se prépare une révolution en Courlande ».3

 

« Le grand crime, le crime irrémédiable du duc de Courlande est d'avoir déplu à la Russie ». L'Impératrice est tellement outrée contre lui de ses procédés antirusses en Courlande qu'elle a dit ces propres mots : « Le roi de France ne m'aurait pas fait ce que le duc de Courlande veut oser » (probablement donner la Courlande à la Prusse)4. On comprend mieux le courroux de Catherine II contre Pierre II, nous l'avons dit suffisamment plus haut.

 

« Le duc de Courlande ne retournera probablement pas dans son pays, parce qu'il a tout gâté en Russie, parce qu'il ne peut plus rien changer chez lui à ce qui a été fait en son absence ».4

 

 

Le baron de Noldé en Courlande

 

 

Dès avant son départ, le deuxième pour Berlin, les renseignements et observations à faire sur la Courlande sont un des objectifs de Mirabeau.

 

Avant de partir, il avait remis à Calonne un rapport en date du 2 juin 1786 « sur la situation actuelle de l'Europe » où il écrit, de Frédéric-Guillaume qui va devenir roi de Prusse : « Les vastes projets de l'empereur (Joseph II), la complicité de la Russie, l'agonie de la Pologne, les tracasseries de la Courlande, nos alliances secrètes, etc. paraissent compromettre son existence politique »1 . La Courlande a une place dans les grands ressorts de la politique européenne... pour Mirabeau, bien entendu.

 

Dès sa première rencontre avec le duc de Brunswick, même sujet : « Système oriental, Russie, Pologne, Courlande, tout a passé en revue. La Pologne est à reconstruire. Nous avons remis à en parler ainsi que de la Courlande ».2

 

Il demande au duc de Brunswick des instructions sur la manière dont il pourra s'entretenir avec le duc de Courlande qu'il va voir à Berlin, et échanger avec les principaux personnages de Courlande avec lesquels il va correspondre. Il parle avec le duc de la Courlande et s'enhardit à prier qu'on prenne en considération son mémoire.3

 

Quel moyen meilleur pour savoir ce qui se passe en Courlande que d'y envoyer Noldé ? Mais pour cela il faut obtenir un congé de ses chefs militaires. Mirabeau le réclame durant des mois. Et ce n'est qu'en décembre qu'il reçoit de Talleyrand une lettre lui adressant ce congé du colonel du Royal-Suédois, sous forme d'une lettre de ce colonel au duc de Lauzun. Cette lettre non datée est, sans doute, entre le 8 et le 12 décembre. Talleyrand écrit qu'on est content de sa correspondance : « Le Roi la lit avec beaucoup d'intérêt. Mr de Calonne vous remercie de votre exactitude ». L'Abbé recommande d'observer la conduite de Joseph II.4

 

Et Noldé partit pour la Courlande : « Il est trop tard pour sauver la Courlande », c'est le commentaire de Mirabeau à Talleyrand le 1er janvier 1787. La lettre de Noldé à Mirabeau a été portée par un commerçant de Libau nommé Immermann chargé de négocier un emprunt en Hollande, sans succès. On pense en Courlande que « le duc (de Courlande) y a mis des obstacles. Il est à remarquer que depuis deux ans il n'y a plus de délégué de Courlande à Varsovie. La diète de Courlande va commencer en janvier »5. Talleyrand apprend une tentative d'emprunt de la Courlande contrecarrée par son duc, des rapports anormaux de la Courlande avec la Pologne, son théorique suzerain et l'ouverture de la diète.

 

Le départ de Noldé de Berlin n'a pas ressemblé à un voyage d'étude commandé par Mirabeau. Celui-ci a raconté à Talleyrand (lettre du 2 décembre) : « Un homme se présente chez lui (à Berlin), demande le baron de Noldé. Il lui remet une lettre de son beau-frère, syndic de la noblesse de Courlande, Mr de Rummel. Cette lettre lui apprend que la Régence de la République veut lui conférer une place d'assesseur s'il vient en Courlande, la nomination se faisant en début d'année (nous le savons, la diète est convoquée pour début janvier). Le porteur de la lettre a connu Noldé enfant, lui a semblé être un avocat ou un notaire. On ne sait pas où il va, Hambourg, Lubeck, Vienne, Munich, sont des points où il a touché, ou bien où il touchera. Sa marche a été très secrète, très énigmatique, très mystérieuse ; tout ce qu'il a fait entendre, c'est que les plus grands changements vont éclore en Courlande ; que Mr de Woronzow y jouera un très grand rôle et cela a été dit de manière à faire soupçonner qu'il pourra devenir duc ».6

 

Et Mirabeau a pris sur lui de faire partir sur le champ le baron courlandais, sans attendre le congé de son colonel, qui ne vient jamais. Qui arrivera bien après son départ. Et il le fait « sur sa parole de m'informer de tout et de revenir sous deux mois à Berlin » et « parce que nous serons parfaitement instruits de tout ce qu'on peut savoir en Courlande (et l'on y peut savoir beaucoup de choses) ; qu'à tout événement nous nous faisons un parti dans le pays, et qu'un simple titre de consul, ou même la permission de porter notre uniforme en Courlande avec une pension modique, nous assure là, un homme de mérite, s'il prend le parti d'accepter les offres de la Régence. Je suis convaincu de deux choses : la première, c'est que fût ce uniquement pour connaître à fond cette partie des projets de la Russie, il nous importe de savoir une fois à quoi nous en tenir sur la valeur et le sort, aussi bien que sur les modifications dont est susceptible un pays, vedette naturelle de la Pologne et de la mer Baltique ; la deuxième, que le baron Noldé est l'homme le plus propre à voir à cet égard et à dire la vérité. En partant, Noldé reçoit des instructions très précises, le 3 décembre, en vue d'un "Mémoire bien complet sur la Courlande" sur : l'historique de la constitution du duché, sa géographie, ses communications, sa population, son agriculture, ses productions et ses finances. Détails politiques : Griefs de l'État et des particuliers contre le duc? La révolution est-elle probable et prochaine ? Qui porte la Russie ? Que désirerait le pays ? Sur un plan de stabilité pour ce qui reste de la Pologne et les moyens d'y lier la Courlande ? Sur l'idée de transporter à la Prusse les droits de protectorat de la Pologne ? Sur la possibilité ou l'impossibilité de faire plutôt une province prussienne qu'une province russe. Avoir une copie du traité fait par Richelieu. Un tableau du commerce de Courlande. Recueillir détails, cartes topographiques, livres sur le pays. Profiter du séjour « pour découvrir tout ce qu'on pourra des projets de la Russie sur l'Ukraine polonaise et sur la Finlande, sur le système du Nord, en un mot »1 . Cette lettre du 2 décembre et l'analyse ci-dessus de la mission de Noldé sont instructives.

 

La Courlande a un chancelier qui gouverne, assisté d'une régence, ministres ou conseils soumis à la diète qui représente le pays. Cette diète n’est pas du tout populaire mais aristocratique. La noblesse ayant à sa tête un syndic, nous dirions un maréchal de la noblesse. Et dans ses instructions on voit que Mirabeau persiste dans son idée : mettre la Prusse aux lieu et place de la Russie dans sa tutelle de la Courlande et voir aussi si on ne pourrait pas remettre en selle la Pologne agrandie de la Courlande : deux idées peu raisonnables. A tous les coups, Catherine entrerait en guerre contre une Prusse appelée à la relève par la Courlande et aurait l'appui des armées de Joseph II ravi de reconquérir la Silésie. Comment penser que la Courlande, qui relève de la germanité par sa culture, dont la classe dirigeante est allemande, hostile à la Pologne, se jette dans ses bras ?

 

Mais tout cela est confus, l'émissaire a laissé entendre que la révolution qui se préparait porterait sur le trône ducal, Woronzow, le chancelier de Russie. On ne prête qu'aux riches. Voila un nouveau candidat pour le trône ducal après Potemkine, Woronzow. Qu'en penser ?

 

Rien n'allait plus entre le duc Pierre II et la Russie. La noblesse courlandaise cherchait un duc un peu partout, pourquoi pas un Wurtemberg au service de la Prusse ? Disaient les uns. Mais non, répondaient les autres, il nous faut un Russe : Mais qui ? Pourquoi pas Woronzow ? La révolution, elle, n'a rien à voir avec un soulèvement populaire pour changer les structures sociales ; l'instauration d'un régime démocratique est une notion vide de sens dans ce pays où les descendants des Teutoniques, leurs héritiers, les populations lettes colonisées et passées dans le moule germanique ne connaissent que le mode de vie imposé par la domination germanique ou celui des voisins moscovites ennemis, civilisés en russes. Il s'agit seulement de changer de duc.

 

Noldé fait son travail, il écrit. Nous devons à Henri Welschinger, dans son édition de l'ouvrage de Mirabeau, l'analyse de cinq de ses lettres.

 

·       La première (de Königsberg, le 12 décembre), note que le commerce s’effondre à Danzig. Les entrées de vaisseaux dans le port sont tombées annuellement de 1 800 à 900. La conséquence en est un gain de l'activité des ports prussiens (Memel, Pillau, Königsberg) et « les ports de Courlande se ressentent d'une manière avantageuse de la perte du commerce de Dantzig ».2

 

·       Dans la deuxième lettre (de Libau, port courlandais, le 19 décembre), il cause avec les seigneurs du pays qui attendent la duchesse de Courlande à Memel. Le principal ministre, Kloppman, meurt subitement. Changement dans le gouvernement. Importance du chancelier de Taube. Il voit Wachs, le consul de France en Prusse, à Memel, « qui n'a rien à faire, parce qu'il n'existe aucun commerce entre la France et les Etats du Nord ».2

 

·       La troisième lettre est datée du 23 décembre à Mittau. Observation principale : « Confusion indescriptible des affaires » et « bien tard pour négocier » et encore « des troupes russes iront en Courlande ». Une intervention musclée est-elle à craindre ?  peut-on penser en lisant cette lettre.

 

·       Dans la quatrième lettre, de Mittau, du 27 décembre : « Le duc ne reviendra probablement pas, parce qu'il a tout gâté en Russie. L'Impératrice (Catherine) est outrée contre le duc et doit avoir dit ces propres mots : Le roi de France n'aurait pas fait ce que le duc de Courlande veut oser ».1

 

·       Dans la cinquième lettre, de Mittau, du 5 janvier 1787, il accuse réception de l'arrivée de son congé du régiment Royal-Suède. Il rassemble des matériaux pour le mémoire. Parle de la prolongation de son séjour en Courlande. Il parle aussi « d'un personnage, le premier du pays, qu'il faudrait sonder pour traiter d'affaires sous main avec Mirabeau, et qui a une extrême envie de régner »2 . A Mittau, c'est donc toujours la même préoccupation : qui sera duc ? Et voilà un nouveau candidat, un patricien courlandais, le premier personnage du pays . Qui était-ce ?

 

 

La fin du règne des Biron

 

 

Le duc Pierre II de Courlande va cesser de régner. La Russie n'en veut plus. Les Courlandais n'en veulent plus. On l'a bien compris.

 

Les renseignements parvenus à Mirabeau lui permettent d'écrire le 8 janvier déjà une mise au point faite à Talleyrand :

 

·       La Régence gouverne avec bonheur le duché. Elle s'entend avec les chefs de l'ordre équestre, menés par Howen, règne modérément, conformément aux lois du pays et fait bénir son administration ; de sorte que le peuple qui allait se révolter parce qu'il était menacé et déjà souffrant de la famine, ne veut pas un autre ordre des choses.

 

·       Le peuple courlandais veut, ne peut pas souffrir, qu'importe son maître s'il ne pâtit pas, pas de sentiment national : que le gouvernement soit russe ou ne le soit pas, c'est ce qui importe très peu au peuple, pourvu qu'il ne souffre point.

 

·       Le parti russe a acheté ses appuis : Une soixantaine de terres considérables ont été données à fiefs ou à ferme, ainsi que toutes les charges, aux personnes les plus influentes, de sorte que le parti du ministre Howen ou des Russes, en Courlande, est, pour ainsi dire, tout le monde.

 

·       Les fautes commises par le duc : Un des principaux griefs contre le duc, c'est la détérioration du fief opérée par l'appauvrissement total des paysans, l'épuisement des terres, la ruine des forêts, l'exportation des revenus ducaux dans les pays étrangers.3

 

 

Et dans la cour des Grands ?

 

 

Bibliothèque nationale

 

Gravure d’Ouktine d’après le tableau de Borovikovsky

 

 

La Grande Catherine reste une femme forte. Mirabeau rapporte : « Quelqu'un arrive de Russie, m'assure que déjà depuis longtemps, l'Impératrice ne va plus au sénat et qu'elle s'enivre habituellement tous les matins avec du vin de Champagne et de Hongrie »1. Elle a voyagé, une fois, en Courlande, après l'élection du roi Stanislas et a séjourné à Riga2. Elle n'y reviendra pas. Elle organise un voyage triomphal en Crimée où elle amènera les ambassadeurs des grandes puissances, une cour. Un déplacement monstre qui nécessitera des relais de 600 chevaux. Le départ aura lieu de Petersburg, le 17 janvier. Elle rencontrera le roi Stanislas, Joseph II. En attendant ce départ la Russie rappelle à l'ordre la ville de Danzig. Convoitée par la Prusse, par une "déclaration très brusque et formelle". Catherine dicte sa loi à l'Europe du nord.3

 

Pour la Courlande qui va devenir russe, le mépris est de règle. Ce qui apparaît dans l'anecdote suivante : Catherine fera venir à sa cour les deux jolies princesses de Bade, Louise 15 ans et Frédérique 14. Elle veut marier son petit fils Alexandre. Les Allemands arrivent à Petersburg le 31 octobre 1792. Alexandre trouvait Louise charmante (elle l'était). Son frère, Constantin, lança « Ah ! Point du tout ! Elles ne le sont ni l'une ni l'autre, il faut les envoyer à Riga pour les princes de Courlande, elles ne seront bonnes que pour eux ! ». Alexandre épousa Louise.4

 

 

Dernier "flash" sur le duc et la duchesse de Courlande

 

 

Le 21 novembre Mirabeau écrivait « on attend le duc » et le 2 décembre « le duc, de retour à Berlin, est arrivé depuis trois jours ».

 

Il est certain « qu'il envoie à Mittau, où il n'ose pas retourner, sa femme très avancée dans sa grossesse, espérant qu'elle accouchera d'un garçon et que cet héritier présomptif le réconciliera avec son pays ».5

 

Le 19 décembre Noldé a vu à Memel les seigneurs courlandais attendant la duchesse de Courlande en route pour Mittau. Nous savons qu'elle était en Courlande bien avant la fin de l'année. Elle était prête pour influencer la diète convoquée pour janvier. Elle pouvait beaucoup, car son charme était grand. Mirabeau n'a rien dit sur l'effet de ce charme et les entretiens de la duchesse avec les personnages influents de la Courlande Quel dommage !

 

Elle accoucha à Mittau, d'un héritier du trône de Courlande. C'était bien le candidat que l'on n'attendait pas. Momentanément la duchesse avait réussi. On attendait une révolution pour remplacer Pierre II et devant cette jeune femme si habile et forte, une vraie Allemande par surcroît, il ne se passa rien.

 

Le dénouement était reculé de peu. Remis à un peu plus tard.

 

Le duc continuait à s'implanter en Prusse. Si la duchesse plaisait. Le duc continuait à ne pas plaire : « le roi (de Prusse) a gratifié du Cordon Jaune le duc de Courlande. Il est difficile de prostituer plus indignement son Ordre ».1 Mais lisons Mirabeau avec prudence, avec lui c'est l'Histoire vue par un journaliste qui cherche l'inédit et le scandale.

 

N.B. La publication, en 1789, de cette correspondance secrète devait provoquer un affreux scandale. Les plus grands personnages s'y trouvaient fort mal traités. Sauf le duc de Brunswick.

 

Mais tout ce tapage n'intéressa personne au sort de la Courlande qui resta parfaitement ignorée.

 

Le présentateur de cette correspondance, Henri Welschinger, commente, en note : « Les détails donnés par Mirabeau, à l'aide des renseignements du baron de Noldé, sur la Courlande, n'offrent qu'un intérêt secondaire ».2

 

Un traité de commerce entre la Courlande et la France, cela n'intéresse personne, même en faisant appel au cardinal de Richelieu...

 

A vrai dire, c'était la première fois qu'un Français connu a essayé d'intéresser son gouvernement d'abord, le pays ensuite, à la Courlande.

 

Un des meilleurs biographes de Mirabeau, le duc de Castries, n'a pas écrit une seule fois le mot "COURLANDE" dans les pages consacrées au voyage à Berlin.3

 
 


[1] - Mirabeauop. cit. p 66.

1 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 418.

2 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 434.

3 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 85.

4 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 84 et "La Russie sous Pierre le Grand". op. cit. p 434.

5 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 89.

1 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 92 et 93.

1 - Sur Pierre Ier : "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 439 à 443, 445, 446, 448, 449, 450 à 484.

1 - "La Russie sous Pierre le Grand". op. cit. p 442 et 484.

2 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 128, 129 et 138.

3 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 454 à 456.

4 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 148 à 152, 163 et la suite.

5 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 468 et 50.

1 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 474 à 479.

1 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 419.

1 - Tableau : Albert Malet XVIIIe. Révolution-Empire. p 78.

2 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 502

1 - "Histoire de Charles XII".de Voltaire op. cit. p 232.

2 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 249 à 254.

3 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 519.

4 - "Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 244 et  "La Russie sous Pierre le Grand". op. cit. p 525 et 526.

1 - "La Russie sous Pierre le Grand" de Voltaire. op. cit. p 539.

2 - "La Russie sous Pierre le Grand". op. cit. p 579.

1 - "XVIIIe Siècle", d'Albert Malet. op. cit. p 68. "L'Histoire de Charles XII", de Voltaire. op. cit. p 271.

2 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 586 à 591.

1 - André Maurois. "Lélia, ou la vie de George Sand". Ed. Rencontres. p 15 et 16.

1 - Catherine Clément. "Adrienne Lecouvreur". p 167/229. Argenson, "Adrienne Lecouvreur et Maurice de Saxe. Leurs lettres d'amour". Gilles Lapouge, "Les Folies Kœnigsmarck".

[2] - BÜHREN Ernst-Johann. Son nom deviendra BIRON pour suggérer une parenté avec la famille française des Gontaut de Biron. Ceci grâce à l’autorisation de reprendre le nom d’une branche éteinte. Pourtant des Biron français vécurent jusqu’à la Révolution Française.

1 - "Le Dernier Amour de Talleyrand", de Françoise de Bernardy. "La Duchesse de Dino". p 15.

2 - "Talleyrand", de Jean Orieux. p 497.

3 - "La Mission Secrète de Mirabeau à Berlin". Introduction et notes d'Henri Welschinger. Plon 1900. p 128.

1 - "La Russie sous Pierre le Grand", de Voltaire. op. cit. p 561.

2 - Albert Malet. op. cit. p 77 et 78.

1 - "Catherine-la-Grande", de Henri Troyat. p 36.

1 - "Mission Secrète à Berlin", de Mirabeau. op. cit. p 128.

1 - "Mémoires du Chevalier d'Eon", par Bernard Grasset. Publiées par Gaillardet. 1935. p 68.

2 - "Mémoires du Chevalier d'Eon". op. cit. p 122.

1 - Henri Troyat. op. cit. p 14 et 15.

2 - Daria Olivier. p 13 et 14. "Catherine-la-Grande". op. cit. p 11 à 15, 16 et 18

1 - Bibliographie sur Pierre 1er de Courlande, recommandée par Welschinger : ouvrage de Ruhl (Francfort 1764, 2 volumes) et sur l l'Histoire de la Courlande : ouvrage de Kruse (Riga 1833-1837).

1 - Françoise de Bernardy. op. cit. p 15 et 16. "La Fin des Rois", du duc de Castries. Tome I, p 196 et 197. "Le Miroir de Talleyrand", de Gaston Palewski. p 13.

2 - "Le Miroir de Talleyrand - Lettres inédites à la duchesse de Courlande" p 13. Françoise de Bernardy, op. cit. p 15 et 16.

1 - Mirabeau. op. cit. p 129.

1 - Françoise de Bernardy. op. cit. p 309.

2 - Mirabeau. op. cit. Lettre de Berlin. 24 juillet 1786. p 144.

3 - Mirabeau. op. cit. 14.VII.1786 de Berlin. 26 juillet. p 120, 148 et 161.

4 - Mirabeau. op. cit. Lettre de Berlin, 23 juillet 1786. p 140 et 141.

1 - Mirabeau. op. cit. p 141 et 144.

2 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 2 décembre 1786. p 390.

3 - Françoise de Bernardy. op. cit. p 16.

1 - "Apogée et Chute de la Royauté", de Pierre Gaxotte. Tome III. p 175.

1 - Voltaire, "Précis du siècle de Louis XV", op. cit. p 1369.

2 - Voltaire. op. cit. p 1449.

3 - "Mémoire du Chevalier d'Eon", op. cit. p 109.

4 - Voltaire, op. cit. p 1453.

1 - "Mémoires du Chevalier d'Eon". op. cit. p 110 et p 97.

1 - "Mémoires du Chevalier d'Eon". op. cit. p 112 à 120.

2 - "Apogée et Chute de la Royauté", de Pierre Gaxotte. Tome IV. p 52.

3 - Henri Troyat. op. cit. p 102, 112 et 120, 135.

1 - Henri Troyat. op. cit. p 161 et 162, 165 et 166. Daria Olivier. op. cit. p 117, 119 à 122.

2 - "Précis du Siècle de Louis XV", de Voltaire. op. cit. p 1491.

3 - Henri Troyat. op. cit. p 168.

1 - Henri Troyat. op. cit. p 206.

2 - Henri Troyat. op. cit. p 374, 304 à 306. Daria Olivier. op. cit. p 210, 214, 231 et 337.

1 - Mirabeau. "Mémoire sur la Courlande". op. cit. p 128./

2 - Henri Troyat. op. cit. p 332.

3 - Henri Troyat. op. cit. p 352 et 353.

1 - Daria Olivier. op. cit. p 160 et 161.

1 - Daria Olivier. op. cit. p 160 et 161.

2 - Pierre Gaxotte. op. cit. p 138.

3 - Daria Olivier. op. cit. p 191.

4 - "Mémoires du comte de Saint Priest". p 120 et la suite.

1 - Mirabeau. op. cit. Introduction de Welschinger.

1 - Mirabeau. op. cit. p 470.

2 - Mirabeau. op. cit. p 390. Lettre du 2 décembre 1786

1 - Mirabeau. op. cit. p 436. Lettre à l'abbé de Périgord (Talleyrand) du 23 décembre 1786.

2 - Henri Troyat. op. cit. p 437.

3 - Mirabeau. op. cit. p 121.

1 - Mirabeau. op. cit. p 475.

2 - "Joseph II" de François Fejtö. p 279 à 286.

3 - "Joseph II", de François Fejtö. op. cit. p 279 à 286.

4 - Mirabeau. op. cit. p 133.

5 - Mirabeau. op. cit. p 132.

1 - Mirabeau. op. cit. p 133.

2 - Mirabeau. op. cit. p 133.

3 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 16 juillet. p 123.

1 - Mirabeau. op. cit. p 284 et 285.

2 - Mirabeau. op. cit. p 334 et 335.

3 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 2 décembre. p 389.

4 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 8 janvier 1787. p 471.

1 - Mirabeau. op. cit. imtroduction. p 26.

2 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 14 juillet. p 109.

3 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 16 juillet. p 124 et 127.

4 - Mirabeau. op. cit. Lettre de Talleyrand. p 417 et 418.

5 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 1er janvier 1787. p 457.

6 - Mirabeau. op. cit. p 389, 392.

1 - Mirabeau. op. cit. p 500 et 501.

2 - Mirabeau. op. cit. p 502.

1 - Mirabeau. op. cit. p 503.

2 - Mirabeau. op. cit. p 504.

3 - Mirabeau. op. cit. p 471.

1 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 4 novembre p 333.

2 - Henri Troyat. op. cit. p 227.

3 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 23 décembre. p 435.

4 - Henri Troyat. op. cit. p 452 et « Alexandre 1er ». op. cit. p 25.

5 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 2 décembre. p 390.

1 - Mirabeau. op. cit. Lettre du 30 décembre. p 447.

2 - Mirabeau. op. cit. Notes. p 474.

3 - "Mirabeau", du duc de Castries.