Appendices Auschitzky

 

 

 

 

PILTEN - REPUBLIQUE D'ARISTOCRATES

 

 

 

 

NOTE PRÉALABLE

 

 

Nos ancêtres Auschitzky étaient originaires de la République de Pilten, petit État sous la vague suzeraineté du roi de Pologne, enclavé dans les territoires du duché de Courlande, ce qui attisait les convoitises de ce dernier car de riches terres agricoles s'y trouvaient. Le grand-père de notre aïeul Charles, au XVIIIe siècle, était l'amtmann de Popen (village dominé par les puissants barons von Behr, situé à l'ouest du port de Win­dau).

 

L'histoire de ce curieux État nous a été révélée par un texte aimablement communiqué par M. Imants Lancmanis, extrait de "Kurland und seine Rittenschaf. Hist. V.D. Kunländchen Ritten­schaft. Plaffenhofen/Ilm.

 

Ce précieux texte a été écrit dans un vieux dialecte, en usage encore en Courlande à la fin du XIXe siècle, mais que les Allemands contemporains ont eu du mal à comprendre. Sa traduction en a été difficile pour le Gœthe Institut de Paris, qui en est venu à bout grâce aux efforts de Mme Lestang, qui a droit à nos remerciements. Une fois traduit ce texte s'est présenté comme très rébarbatif, souvent même obscur.

 

Je voulais en faire profiter qui s'intéresse à la Courlande - quand j'ai réussi à le comprendre - tellement il est étonnant. Il m'est apparu nécessaire de le réécrire entièrement. Je me suis efforcé de le restituer d'une façon aussi claire que possible mais en suivant paragraphe par paragraphe le texte de l'historien letton pour suivre l'exposé. Je n'ai fait qu'à un seul endroit une remarque personnelle, en l'indiquant bien entendu. Quant aux titres des paragraphes des deux sections, c'est moi qui les ai trouvés et placés de manière à faciliter une lecture ardue.

 

Les territoires de cette République étant enclavés dans le duché de Courlande attiraient la convoitise de son duc. Par un jeu de bascule étonnant les aristocrates qui gouvernaient réussirent à préserver leur indépendance.

 

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On désignait sous le nom de Collégiale de Pilten le territoire séculier de l'évêque de Courlande qui, après la Réforme, se maintint en tant qu'unité nationale. Mais on trouve aussi dans les textes les appellations suivantes : Fondation, District.

 

Nous retiendrons pour nous les termes soit de Collégiale (pays à direction collégiale) soit de République.

 

D'une superficie de 5 500 km2 (un département français de bonne taille), cet État est composé de trois parties :

 

·       La plus grande, au nord (paroisses de Pilten, Dondangen et Erwahlen),

·       Puis, au sud, les trois paroisses de Hasenpoth, Neuhausen, Amboten,

·       Enfin, en bordure de la mer, mais séparée des trois précédentes, la paroisse de Sackenhausen.

 

Les Territoires qui séparaient ces trois parties étaient constitués par les domaines de l'Ordre des chevaliers teutoniques, tous domaines qui vont, à la sécularisation de l’Ordre, dépendre du duché de Courlande.

 

La partie nord est très peu peuplée, les paroisses de Pilten et Dondangen forment une vaste région boisée, de faible valeur économique (mais de là, peut-être, provenaient les merrains exportés à Bordeaux ?). Ces deux paroisses représentent 40 % de la superficie totale de la République, mais ne comprennent ensemble que treize exploitations agricoles (il est vrai que là se trouvent d'immenses domaines). La paroisse d'Erwahlen compte vingt exploitations agricoles.

 

113 exploitations agricoles dans un pays de 5 500 km2, si on compte 60 % en forêts, lacs, landes, sols de villes et villages, cela fait une moyenne de 2 000 hectares de culture par exploitation. Une seule famille noble était souvent propriétaire de plusieurs exploitations.

 

Les trois paroisses autour d'Hasenpoth groupent les terres riches de la Courlande, la population y est dense. Elle comprend quatre-vingt exploitations agricoles.

 

Pilten n'est guère qu'un village, bien que siège de l’évêque de Courlande, et riche d'un château. 380 habitants en 1800. Hasenpoth est le siège du chapitre de la cathédrale. Là se dresse la cathédrale. Là se réunit la diète, c'est la capitale de la République. 1 000 habitants en 1800.

 

La population totale de la Collégiale est de 64 000 habitants en 1800.

 

 

Biens d’Église et biens de l’Ordre des chevaliers teutoniques

 

 

Le premier évêque de Courlande, Engelbert, fut nommé en 1234. Jusque là il n'existait qu'un seul évêque pour tout le territoire correspondant à la Lettonie de ce jour, avec siège à Riga.

 

Après la défaite des Chevaliers porte-glaive (qui assuraient très militairement la paix chrétienne en Livonie et Courlande) et leur fusion avec l’ordre des Chevaliers teutoniques, l'Empire teutonique régna sur la Livonie et la Courlande, comme sur la Prusse et l'Estonie.

 

C'est en 1253 que fut établie la séparation territoriale des domaines, villes et villages soumis au pouvoir temporel de l'évêque de Courlande (siégeant à Pilten), de ceux soumis au pouvoir temporel du chapitre de la cathédrale (à Hasenpoth) et de ceux qui relevaient temporellement de l'Ordre :

 

·       A l'évêque les territoires des paroisses de Pilten, Dondangen et Erwahlen,

·       Au chapitre, ceux des quatre autres paroisses.

 

Ces sept paroisses composaient donc les biens de l’Église, échappant à la juridiction et au pouvoir temporel des Chevaliers teutoniques. Elles sont soumises au pouvoir direct soit de l'évêque de Pilten, soit du chapitre de la cathédrale d'Hasenpoth. Mais une importante remarque est à faire : seuls les religieux de l’Ordre des chevaliers teutoniques pouvaient exercer des fonctions religieuses dans les sept paroisses. Les risques de dissensions avec l’Ordre étaient, de ce fait, éliminés et l'évêque de Pilten se trouvait dans une grande dépendance vis-à-vis de l’Ordre.

 

Il faut attendre le XVe siècle pour que Popen soit englobée dans les territoires de la Collégiale. Au milieu de ce siècle le pouvoir de l'évêque s'accrut, en effet, dans la partie nord-ouest de la Courlande, de domaines qui appartenaient au chapitre de Riga. Ils s'étendaient de Tergeln (près Windau) jusqu'à la paroisse de Dondangen, et comprenaient Popen.

 

L'homme moderne est étonné de cette dualité de pouvoir entre un État tout puissant, l'Empire teutonique (passé à l’histoire comme un modèle d'exercice du pouvoir absolu) et une faible principauté aux mains d'un évêque et de la collégiale d'un chapitre de Cathédrale. La société du moyen-âge ressemble aux images fantastiques et changeantes d'un kaléidoscope. Rien ne se passe alors comme pourrait le penser le cerveau d'un homme à l'approche de XXIe siècle. Rien n'est aussi difficile à cerner que les contours des pouvoirs politiques au Moyen-âge, tant ils s'enchevêtrent subtilement (ceci étant une remarque personnelle, et ne figurant pas dans l'étude).

 

Pour exercer son pouvoir temporel l'évêque de Courlande s'appuya sur des vassaux auxquels il revint d'assurer les tâches administratives et militaires. Ainsi furent distribués, à titre de fiefs, des domaines nombreux, importants, à des hommes sûrs, issus de cette noblesse venue d'Allemagne. Ils formèrent la puissante noblesse de la Collégiale. Plus un pouvoir est faible (c'était le cas ici avec l'évêque de Pilten) plus la noblesse est puissante. Ces nobles se nommaient Brincken, Galen, von Heyking, Rump ou Sacken. L'évêque déléguait l'exercice du pouvoir exécutif à son bras séculier, qui portait le titre de prévôt.

 

 

La sécularisation des biens de l’Église

 

 

Alors que l’Empire teutonique s'écroule la Courlande, et les riches terres de la Collégiale, sont l'objet de toutes les convoitises. En passant à la Réforme, les Chevaliers avaient sécularisé les domaines de l’Ordre teutonique, les avaient partagé entre eux, créé le duché souverain de Courlande, placé leur grand maître sur le trône ducal... Mais quel sort attendait les biens de l’Église, les territoires placés sous le pouvoir temporel de l'évêque ou du chapitre de la Cathédrale ?

 

Johann von Münchhausen, le dernier évêque de Courlande, songea à ses intérêts personnels. Il vendit les prébendes1 des territoires des biens d’Église au roi Frédéric II de Danemark. Celui-ci les transmit à son frère Magnus, duc de Holstein, converti au protestantisme. Voila un prince protestant à la tête de biens d’Église ; il portera même un temps le titre d'évêque ! Mais toute la Courlande bascula bientôt dans le protestantisme, et les habitants des sept paroisses constituant les biens d’Église adoptèrent, sur les directives de leur noblesse, la Réforme de Luther.

 

En 1573 le duc Magnus épousa une nièce d'Ivan IV, le terrible tsar, qui le promut roi de Livonie alors qu'il n'était maître que des sept paroisses. Magnus passa un accord avec la Pologne : Il céderait à cette dernière les sept paroisses contre des territoires dans le Nord de la Livonie.

 

En Courlande régnait Gotthard Kettler. Pour lui, l'ennemi c'était le Russe, et, en sus, il ne pouvait admettre que les riches terres des biens de l’Église deviennent polonaises. C'était le commencement d'une longue lutte d'influence, émaillée d'interventions armées. Gotthard s'opposa à l'entrée des Polonais à Pilten et dans les sept paroisses.

 

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Le duc Magnus reconnut la suzeraineté du Roi de Pologne, mais ne pouvant laisser la libre possession des paroisses à la Pologne il resta seigneur de Pilten, Hasenpoth et autres paroisses. Il n'avait que deux filles et pas de fils. Il choisit pour successeur le fils de Gotthard, le Prince Frédéric de Courlande. Avant sa mort survenue en 1583, il distribua la majeure partie des domaines restés sa propriété, non encore donnés à titre de fiefs.

 

Diedrich Behr était le dernier prévôt de l'île de Ösel, après en avoir été nommé en 1560 gouverneur pour le roi du Danemark. Magnus lui céda en fiefs Popen et Ugahlen. Son fils était coadjuteur de l'évêque Munchhauszen. Il reçut en fiefs Edwahlen et Schleck. Les Behr se trouvaient dans le Nord, à la tête d’un immense domaine (35.000 hectares) avec leur résidence à Popen.1

 

En face de ces nobles puissants, le duc Magnus n'avait conservé comme domaines personnels que 3 000 hectares seulement. En mourant, il laissa donc au duc Frédéric des biens très réduits et un pays aux mains de la noblesse. Le pouvoir des Kettler serait ici bien contesté.

 

Tout est compliqué à Pilten et Hasenpoth ! La noblesse en 1582, avant la mort de Magnus, redoutait une trop grande mainmise du Danemark sur son pays, la fin de ses privilèges, et elle voulait aussi se libérer de la suzeraineté du roi de Pologne.

 

Elle entreprit des démarches pour que le duc de Courlande se proclama son suzerain. Cela créerait de nouvelles difficultés au milieu desquelles elle sauvegarderait son indépendance.

 

 

Jeu de bascule

 

 

Un cycle infernal est ainsi mis en place. Le jeu de bascule a commencé. La toute puissante noblesse de la Collégiale va y exceller. Deux siècles durant et plus, elle va réussir à échapper à la domination de l'un de ses voisins et conserver plus qu'une autonomie : son indépendance.

 

1583. Magnus meurt. La noblesse demande au roi de Danemark de se proclamer suzerain de la Collégiale. Il était, évidemment, meilleur garant du libre exercice de la foi protestante que le roi de Pologne. D'abord dans toute la Baltique il jouissait d'un prestige que ne possédaient pas les Kettler, ces nouveaux princes, ces parvenus. Mis en échec par la puissance montante des Suédois, les Danois ne seraient pas un danger pour la collégiale, tandis que les Kettler, si voisins, n'auraient de cesse que de mettre un terme à son indépendance.

 

Cela déplut aux Polonais. Ils répliquèrent par les armes, occupèrent militairement Pilten et Hasenpoth. Il y eut des combats. Les habitants de la Collégiale y prirent part, et furent battus.

 

Quand les Polonais entrèrent en guerre ouverte contre les Russes on vit un Korff, de la noblesse de la Collégiale, combattre dans l'armée russe. Il reçut en récompense le gigantesque domaine de Kreuzburg, en Livonie polonaise : 90 000 hectares ! (resté dans la famille Korff jusqu'en 1920).

 

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Archives Nationales de Lettonie. Riga

 

1- Etat de Lithuanie.

2- Etat de Suède.

3- Jusqu’en 1721 appartint à la Suède ; puis à la Russie.

Jusqu’en 1645 l’île de Sãmsala

appartint au Danemark ; puis à la Suède.

4- Territoire de Livonie (Pologne-Lithuanie)

5- Duché de Courlande et de Sémigalie.

6- Etat de Russie.

7- République des Aristocrates de Pilten.

8- Etat de Prusse.

9- Pologne.

 

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Avril 1585 : Polonais et Danois, par le traité de Krönenburg règlent leur différend sur Pilten, grâce à la médiation de l’Électeur de Brandebourg, Georg Friedrich von Brandeburg-Ansbach. Ce n'est pas simple.

 

L'Electeur avait prêté 30 000 thalers à la Pologne qui ne pouvait les rendre. La Pologne donnait en garantie à son créancier les 3 000 hectares des domaines que le duc Magnus avait conservés dans la Collégiale (non distribués comme fiefs) et elle lui reconnaissait la qualité de suzerain de Pilten, à titre temporaire, jusqu'au remboursement de la créance. Remboursement peu probable...

 

Le traité avait été négocié à la fois pour le Danemark et pour la noblesse de la Collégiale, par Johann Behr-Edwahlen (fils de Diedrich). Il garantissait à la noblesse de Pilten des droits remarquables : les fameux privilèges des Aristocrates de Pilten. Von Behr avait habilement tiré du jeu l'épingle de la noblesse. Placé sous la suzeraineté de l’Électeur, la Collégiale relevait du gouverneur de la Prusse, à Königsberg. Johann Behr administrait au nom de l’Électeur, au château de Pilten, dont il était le « staroste » (capitaine ou gouverneur).

 

Ayant reconnu leur dette, les Polonais cherchèrent un moyen de l'éteindre. En 1598 ils abandonnèrent à l'épouse de leur créancier, la margrave Sophie, l'usufruit des biens gagés (les 3.000 hectares de domaines). En 1603 la margrave les afferma à Christophe Rappe-Telsen* (chancelier de Prusse en 1606) qui exerça les fonctions de gouverneur de Pilten.

 

 

Période confuse

 

 

Déjà compliquée, la situation devint inextricable.

 

1609. Le duc Guillaume de Courlande épouse Sophie, fille du duc Albert Frédéric de Prusse. Celle-ci reçut en dot le fief de Grobin (au sud-ouest d'Hasenpoth). Le nouvel électeur de Brandeburg, Sigismond de Luxembourg, céda la créance de 30.000 thaler sur la Pologne à Rappe-Telsen, son gouverneur de Pilten.

 

La Pologne donna son accord au duc Guillaume de Courlande pour qu'il soit reconnu suzerain de Pilten à condition de régler la dette des 30 000 thaler à son nouveau créancier, Rappe-Telsen. Alors la noblesse de Pilten se réunit sous la direction de Magnus Noldé1. Elle devait conserver l'indépendance, ce qui excluait la suzeraineté du duc de Courlande. Il apparut que le moyen d'y arriver était de réunir 30 000 thaler et de rembourser Rappe en échange de l'abandon de toute suzeraineté. Ceci en 1611. La Diète réunie à cette occasion établit une nouvelle Constitution, dont on parlera plus loin, et qui consacrait la République des Aristocrates.

 

Sur ces entrefaites, et avant que s'achève l'année 1611, Rappe avait cédé sa créance au duc Guillaume de Courlande à des conditions avantageuses. Aussi, l'année d'après, l'électeur de Brandebourg, Sigismond de Luxembourg céda-t-il à son beau-frère Guillaume duc de Courlande tous les droits auxquels il pouvait prétendre sur la République de Pilten.

 

Grave situation : Le duc de Courlande allait-il mettre la main sur la République ?

 

Mais ce n'était pas si simple...

 

- La margrave Sophie, il ne faut pas l'oublier (elle était toujours en vie), était usufruitière des 3 000 hectares gagés. Les cessions et abandons au duc Guillaume étaient soumis à la condition que ce dernier respect l'usufruit de Sophie.

 

Le duc ne remplit pas ses devoirs envers l'usufruitière. La noblesse de Pilten opposa une vive résistance au duc Guillaume. Elle continuait son jeu de bascule, toujours opposée à qui voulait la dominer, qu'il fut Polonais, Danois, Prussien ou Courlandais.

 

- On repartait à zéro. Une commission polonaise, en 1617, arriva à Hasenpoth. Elle reconnut la validité de l'usufruit de la margrave Sophie et plaça la République sous la souveraineté directe du roi de Pologne. En outre, le 9 mai 1617, elle édicta les lois fondamentales de la République, comme on le verra plus loin.

 

La Collégiale était bien république d'aristocrates, placée sous la souveraineté polonaise.

 

- 1621 : La margrave Sophie cède son usufruit au capitaine du château de Pilten, Hermann von Maydell de Zirau. Elle ne mourut qu'en 1639. Le nouvel usufruitier transmit son droit sur la tête de son fils Otto. La Pologne donna son accord à ces deux cessions. Jusqu'en 1711 les Maydell vont dominer la République. Ils sont gouverneurs, conseillers, et même président du collège des conseillers. Otto von Maydell épousa la veuve du dernier des barons von Bülow, ce qui le fit devenir maître de l'immense domaine de Dondangen.

 

Les Aristocrates de Pilten ont bien manœuvré. Une fois de plus ils reconnaissent le droit de souveraineté au roi de Pologne à l'heure où la Baltique passe à la Suède et où la puissance des Russes monte face aux Polonais, leurs irréconciliables ennemis. La Pologne, à son déclin, n'inquiétera guère la collégiale.

 

 

Les conflits de la Baltique

 

 

Les Suédois ont déclaré la guerre pour enlever à la Pologne Riga et la Livonie. En 1655 ils occupent Pilten. Le 1er juillet 1656 Suède et Courlande signaient le traité de Riga. La Suède reconnaissait l'indépendance du duché de Courlande, mais elle cédait au duc Jacob de Courlande la République de Pilten pour dix ans. Ensuite, le duc Jacob traita avec Otto von Maydell qui pour 30 000 thaler lui céda ses droits sur Pilten.

 

Était-ce la fin de la République ?

 

La noblesse de Pilten se soumit au duc Jacob (le plus capable de la dynastie), mais elle sut faire reconnaître par lui tous les privilèges qui lui étaient propres, tout en se faisant octroyer par le duc les mêmes droits que la noblesse de Courlande. La Pologne, vaincue, reconnut au duc Jacob la suzeraineté de Pilten, avec même le droit d'y exercer les mêmes droits qu'il avait sur le duché de Courlande, et de la même manière. C'était facile à écrire...

 

Mais comment le duc courlandais allait-il pouvoir gouverner la république devant le mur hostile de la noblesse ?

 

Devenu président du Collège des conseillers en 1677, Otto von Maydell mena d'habiles négociations, et une transaction intervint avec le duc suzerain. Une partie de la noblesse ne suivait pas von Maydell et continuait à s'opposer à la réunion, en fait assez théorique, de la République au duché voisin. L'entente ne se fit réellement qu'après la mort du duc Jacob, consacrée le 22 juin 1685 par un traité conclu entre la noblesse de Pilten et le nouveau duc, Frédéric Casimir.

 

Le traité ne reconnaissait qu'une union à la personne du duc non une annexion ou une fusion avec la Courlande, avec le duché. La suzeraineté revenait au duc lui-même, après lui à ses héritiers. Si la maison ducale régnante (les Kettler) venait à s'éteindre, Pilten serait dégagée de tout lien de vassalité.

 

Une fois de plus, en définitive, la noblesse de Pilten avait sauvé sa République. Tous ses habitants, et pas seulement les nobles, conservaient tous leurs privilèges, leurs libertés et l'administration continuait de rester totalement et exclusivement entre les mains de la noblesse. On était « réuni » à la Courlande... Un peu comme le Canada à la Grande-Bretagne en 1992.1

 

1698. Mort du duc Frédéric Casimir. Son successeur refusa de reconnaître le traité de 1685.

 

On repart à zéro ?

 

Là dessus s'embrase la guerre entre Russie et Suède. L'évêque catholique polonais de Livonie, en 1713, émit des prétentions sur la République. Ses territoires n'étaient-ils pas initialement des biens d’Église ? Le pouvoir temporel n'était-il pas exercé par l'évêque catholique de Courlande dont il était le successeur, en quelque sorte ?

 

La noblesse de Pilten essaya d'abord de trouver une aide auprès du duc Ferdinand de Courlande réfugié à Dantzig. Puis elle se tourna vers le roi de Pologne, souverain catholique, pour faire taire l'évêque, son compatriote et sujet.

 

Cela aboutit à une diète de la République qui, en 1717, prononça la dissolution de l'union à la personne du duc de Courlande, et le retour à la constitution de 1617. La république redevenait République d'Aristocrates (... la belle affaire. Elle n'avait pas cessé de l'être !) sous la souveraineté polonaise (celle qui gênait si peu). La République continuait. « Le » suzerain changeait, selon une alternance aussi déroutante que dérisoire.

 

Jusqu'en 1717, les gouverneurs (starostes) furent des Maydell. Cette année là le domaine de Dondangen et les fonctions de gouverneur passèrent à la famille Sacken.

 

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Les Russes règnent sur Riga, sur la Livonie. Ils battent les Suédois, même conduits par le grand Charles XII. Alors la noblesse de Pilten comprit que la République tomberait sous le joug russe, sous sa tutelle au moins. Mieux valait manœuvrer pour que cela se produisit le plus tard et le mieux possible.

 

Au cours des deux premiers siècles d'existence de la République, quatre familles russes seulement furent admises dans la noblesse très fermée et très allemande de Pilten. Les admissions se multiplient les vingt dernières années du XVIIIe siècle :

 

                                               1777 - Feld-maréchal russe comte Rumjanzew.

                                               1779 - Général russe Michel Sohnen.

                                               1783 - von Richter, livonien.

                                               1784 - Le baron Maximilien d’Alopaeus, diplomate russe.

                                                         - Le général russe von Elmpt.

                                                         - Le conseiller Dörper.

                                               1798 - Le conseiller Königsfels.

                                               1799 - Le banquier berlinois Simpson.

 

Ces huit admissions furent autant de gestes d'amitié envers les Russes... Mais on peut remarquer aussi que nombre des admis étaient d'origine allemande.

 

Annexion russe

 

L'effondrement de la Pologne en 1795 mettait fin, évidemment, à la théorique protection par ce pays de la République d'Aristocrates de Pilten. Seule désormais la Russie pouvait la placer sous sa tutelle, et même l'annexer purement et simplement. Certes la Prusse avait regardé amoureusement les richesses de la collégiale mais, en dépit du génie de Frédéric II, elle venait d'apprendre, à deux reprises, que les armées russes pouvaient entrer dans Berlin, et pour le moment son appétit se rassasiait en digérant la Posnanie.

 

La Diète de Pilten se réunit donc à Hasenpoth. Et le 17/281 mars 1795, elle décida sa soumission à la Russie. Le même jour, la Diète de Courlande, réunie à Mittau, prenait une décision identique. La conduite de Catherine II envers les barons baltes de Livonie et d'Esthonie dut peser lourdement dans les soumissions de la noblesse de Pilten comme de celle de Courlande.

 

La diète envoya une délégation à Saint-Pétersbourg, dont faisaient partie le conseiller von Korff et le premier écuyer von Heyking. Elle fut reçue par Catherine II en même temps que celle du duché de Courlande. Toutes deux rendirent hommage à la tsarine, se soumirent à la Russie, et prêtèrent serment à la plus grande de tous les tsars.

 

Le tsar de Russie devenait aussi bien le souverain de la Courlande que celui de Pilten. Sous son sceptre l'union des deux pays allait se réaliser en devenant partie intégrée de l’Empire Russe. Cette confusion des deux territoires avec la Russie eut lieu le 27 novembre 1795.

 

Cependant Catherine II et après elle son fils et Alexandre Ier laissèrent subsister une apparence folklorique du passé2. La Diète continuait à rassembler les représentants de la noblesse, à élire le Collège des conseillers, et celui-ci siégeait à Hasenpoth... bien que l'un et l'autre fussent pratiquement sans pouvoir. La dernière Diète se réunit le 16 avril 1817 et le Collège des conseillers disparut le 10 décembre suivant.

 

Jusqu'en 1818 les tsars avaient maintenu certains particularismes dans les territoires de l'ancienne République, et surtout ils avaient laissé à leurs habitants leurs privilèges et respecté en particulier ceux de la noblesse. Fidèle à sa politique envers les baltes, Catherine avait annexé en douceur la République des Aristocrates et le duché de Courlande. Elle ménageait les baltes pour les amener à bien servir la Russie. Son petit-fils Alexandre Ier avait continué cette habile politique.

 

Avec les décrets impériaux de 1818 disparurent particularismes et privilèges et fut réalisée la fusion administrative des anciens territoires de la République et de ceux de l'ancien Duché. L'ensemble forma le gouvernement de Courlande avec un gouverneur à Mittau. L'ancienne République était divisée en deux circonscriptions, Hasenpoth et Windau (dont dépendait Popen).

 

 

235 ans d'indépendance

 

 

Pendant 235 ans la noblesse assura à ses membres une prospérité stable, enviée, l'opulence souvent, l'aisance toujours. Les familles nobles restèrent en possession durant cette longue période, et au-delà jusqu'en 1920, le plus souvent, de domaines immenses, gigantesques parfois.

 

La situation économique de villes comme Hasenpoth et Pilten fut bien meilleure avant 1818 qu'après. La circonscription d'Hasenpoth venait en tête de toutes celles du gouvernement général de Mittau pour l'agriculture. Ici sont les terres riches de la province russe de Courlande, les fermes les plus prospères. La circonscription d'Hasenpoth comptait 39 écoles communales. Celle voisine de Grobin (ville au sud-ouest d'Hasenpoth) n'en avait que 18, et pourtant elle était plus importante, tant par sa superficie que sa population. Les fonds communaux des caisses de la circonscription d'Hasenpoth étaient plus élevés que ceux des caisses de celles de Grobin et Bauske réunies (Bauske étant la troisième ou quatrième ville de la Courlande).

 

 

Histoire de la Constitution

 

 

La Collégiale sécularisée à l'époque du duc Magnus fut transformée en un domaine laïque. Les anciennes prébendes épiscopales, les biens d’Église, devinrent propriété personnelle du duc suzerain. Le grand ressort qui fit basculer les princes de cette époque dans la Réforme fut l'appropriation à leur seul profit des immenses biens de l’Église. Cela se passe à Pilten comme ailleurs.

 

Mais il ne faut pas oublier que l'évêque de Pilten, souverain temporel, s'était attaché les services de vassaux auxquels il avait abandonné, à titre de fiefs féodaux, de nombreuses terres. Celles-ci constituaient l'importante propriété foncière de la noblesse de Pilten, et cette noblesse était d'origine allemande.

 

1585. Par le Traité de Krönenbourg la Pologne garantissait tous les droits, libertés et privilèges de la noblesse, et en particulier la liberté de la foi protestante et le droit de cité.

 

1611. La Diète établit une nouvelle constitution qui forme la « Loi et statuts de la circonscription royale de Pilten ». Elle fixait les droits civils des habitants. Les textes avaient été préparés par Karl von Sacken, qui avait obtenu le doctorat en droit à Iéna le 28 octobre 1611. Cette loi et ces statuts reçurent l'approbation du Roi Sigismond III de Pologne.

 

1617. La commission polonaise ordonne un collège de conseillers qui assurera le gouvernement de la République. Elle confirme la validité et l'application des règles de droit civil établies en 1611 par la diète et les étendit à tous les habitants de la République.

 

Le 9 mai 1617 était promulgué « l'Ordinatio Regiminis et Judiciarum in Districtu Piltensi Curlandiae et Semigalliae ». C'était la Constitution de la République des Aristocrates, placée sous la dépendance directe du roi de Pologne, mais dépendance qui laissait la plus grande place à l'autogestion de la collégiale par la noblesse, et à l'autonomie du pays.

 

La vie politique était assurée comme suit :

 

Le « pays », c'est-à-dire la noblesse autochtone propriétaire des terres, élisait sept conseillers (un par paroisse) choisi parmi les nobles, et un notaire qui officiait à leurs côtés. C'était le Collège des conseillers. Cette élection était soumise à l'approbation du roi de Pologne. Le Collège gérait les affaires du gouvernement au nom du roi de Pologne (c'était donc un gouvernement collégial comme dans les villes libres allemandes). En sus, il rendait la justice en qualité de Tribunal de première instance. L'appel devait être porté par le justiciable devant les tribunaux polonais dits Relations Gerichte. Cela marquait bien une certaine dépendance de la République vis-à-vis de la Pologne.

 

Le château et la place de Pilten étaient gouvernés par un capitaine nommé par le roi, et qui portait le titre de staroste. Le collège des conseillers devait convoquer la diète au moins une fois tous les deux ans, et chaque fois qu'il était nécessaire. A cette diète siégeaient les représentants de la noblesse seulement.

 

Selon le type des affaires certaines décisions étaient soumises à l'approbation du roi de Pologne.

 

La République disposait d'une caisse publique (de fonds publics) dite « Caisse nationale », et d'une petite unité de cavalerie (à l'effectif de 80 cavaliers).

 

Pour l'administration le pays comprenait sept subdivisions : les sept paroisses (Amboten, Neu­hausen, Hasenpoth, Stackenhausen, Pilten, Dondangen et Erwahlen).

 

Un consistoire protestant siégeait à Hasenpoth. Et dans cette ville se trouvait aussi un surintendant.

 

Un point très important de la constitution de Pilten : La liberté de la pratique religieuse était reconnue à tous. Les non-protestants pouvaient accéder à toutes les charges publiques. C'est l'esprit d'ouverture et de tolérance qui est la marque de l'esprit et de la culture balte. La République chercha à protéger en Pologne les membres de sa noblesse qui s'y trouvaient pour leur permettre d'exercer dans ce pays tous leurs droits, en échange de quoi les mêmes droits et libertés seraient reconnus aux Polonais vivant à Pilten. On rappelle ici que les Polonais ne reconnaissaient aucun droit aux « dissidents » (c'est-à-dire à tous ceux qui n'étaient pas catholiques). Cela honore la République de Pilten.

 

Cette constitution de 1617 fut appliquée jusqu'en 1795 (sauf pendant la courte période de réunion au duché de Courlande).

 

1656. Le duc Jacob, duc de Courlande, confirma tous les privilèges de la noblesse de Pilten et lui reconnut les mêmes droits que ceux de la noblesse de Courlande.

 

1661. Après la Paix d'Oliva un traité fut signé à Grobin le 2 février 1661 pour régler les problèmes entre la Courlande et la République de Pilten. C'était une conséquence de l'annexion (théorique...) de cette dernière par le duché.

 

Le duc devait nommer trois conseillers choisis parmi la noblesse de Pilten, et qui jouiraient des mêmes droits que ceux des hauts conseillers de Courlande.

 

Le capitaine nommé par le duc pour commander à Pilten rendait des sentences dont on pouvait se pourvoir en appel, la juridiction d'appel étant une cour composée des trois conseillers et du duc. La diète se réunissait sur convocation du duc et ses décisions devaient recevoir son approbation. Les fiefs de la noblesse furent transformés en biens allodiaux1.

 

L'application de cette constitution fut très différente dès avant la mort du duc Jacob. La diète se réunit elle-même, sans convocation du duc, ne soumit pas ses décisions à son approbation, procéda, comme auparavant, à l'élection des conseillers et refusa de reconnaître ceux désignés par le duc. C'est à cette époque, et dans le vent de révolte ouverte à la souveraineté du duc qu'Otto Maydell fut proclamé Président du Collège des conseillers désignés par la Diète, selon l'ancienne constitution.

 

1717. La Diète prononce la dissolution de l'union de la République au duché et rétablit la constitution de 1617.

 

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La lecture de ces pages nous a montré les liens, flous certes, mais qui ont duré, entre la République des Aristocrates de Pilten et la Pologne.

 

 

Nos aïeux sont des Courlandais, mais fils de cette étrange République d'Aristocrates. Ils ne sont pas sujets du duc de Courlande.

Charles Auschitzky, enfant de Popen et d'Hasenpoth, pour échapper à la nationalité russe de son passeport se réclamait donc du suzerain de la République de Pilten et de la Pologne.


 

 


1 - Prébendes = revenus attachés à un titre ecclésiastique.

1 - Ce gigantesque domaine, comme nous l’indiquons dans la « La destinée des Fort de Saint-Auban », était géré par Samuel Auschitzky, le grand-père de Charles.

A titre comparatif, le complexe des domaines du Chapitre de la cathédrale couvrait 114.000 hectares. Le premier, Mirbach, en Courlande. Emmerlich avait reçu le fief de Possen, 35 000 hectares.

1 - Noldé. Sous le règne de Louis XIV nous trouvons un baron Noldé, officier du Royal-suédois, régiment au service de la France. Cet aristocrate courlandais était le neveu du baron HowenXE "HOWEN Baron", premier personnage du duché de Courlande. Il accompagna MirabeauXE "MIRABEAU" à Berlin lors de sa mission en 1786-1787 et Mirabeau le dépêcha en Courlande pour s'informer sur place (voir "Notes pour servir à l'Histoire de la Courlande", chapitre IV).

1 - L'auteur de cette étude n'a pas mis en lumière le mobile qui conduisit la noblesse de Pilten - avec son habileté traditionnelle - à se placer sous la suzeraineté du duc de Courlande.

C'était la guerre entre Suède et Pologne. Le duc était un véritable homme d'Etat et fin diplomate. Il avait réussi un tour de force : sauvegarder la neutralité de son duché et la faire respecter par les deux camps. Au départ, la République paraissait bien compromise dans le camp polonais. Se placer sous la bannière du duc Jacob c'était faire échapper la République à un inévitable écrasement consécutif au choc entre Suède et Pologne qui de façon certaine se produirait. En agissant ainsi la noblesse de Pilten sut préserver l'avenir, et, en se donnant l'air de la perdre, conserver tout au contraire son indépendance. Au pire, mieux valait s'unir au duché issu des Teutoniques.

1 - 2 dates. La première correspond au calendrier grégorien, la deuxième au calendrier orthodoxe.

2 - En ce qui concerne Alexandre Ier, le charme de la duchesse de Courlande, cette allemande brillante, y fut pour beaucoup.

1 - Allodial = qui appartient à un "alleu".

   Alleu = En droit féodal, une terre libre de redevances et ne relevant d'aucun seigneur, par opposition au fief.