Appendices Auschitzky

 

 

 

LE DUCHÉ DE COURLANDE

 

 

I - LE XVIe SIÈCLE

 

 

Les événements qui vont secouer l'Ordre des chevaliers teutoniques amenèrent, au XVIe siècle, et pour la première fois, la création en Livonie et en Courlande de deux Etats indépendants.

 

Si le margrave de Brandebourg a résisté à la Réforme, deux de ses fils l'appuient, l'introduisent dans les provinces dont leur père leur a confié le gouvernement. Ils sécularisent les Chapitres.

 

En 1511, un prince de la famille de Saxe, Albert, est élu Grand-Maître de l'Ordre des chevaliers teutoniques. D'humeur très belliqueuse, il voulait en découdre avec les Polonais. D'abord il loucha sur la Samogitie, petite province (au sud de la Courlande, à l'ouest de la Lituanie actuelle) qui coupait en deux l'Etat teutonique et que le traité de Thorn (1466) avait donné à la Pologne. Celle-ci l'avait laissé sans défense, c'est un pays de landes et de bois. Mais à sa tête, Varsovie avait mis un gouverneur très valeureux, le prince Radziwill (prince de l'Empire). Ce dernier réagit promptement à l'attaque teutonne : il réussit à faire venir à lui des troupes, arma autour de lui tous ceux qui pouvaient combattre, et il attendit l'armée des Chevaliers, leur barrant la route. Cette redoutable armée refusa le combat ! Échec pour Albert, et première fois que les Teutoniques avaient un tel comportement !

 

En 1520 le roi de Pologne demanda à Albert de lui prêter serment, étant suzerain de la Prusse, comme l'avait stipulé le traité de Thorn. Albert refusa et fit ses préparatifs pour attaquer la Pologne elle même. Et lorsqu'il attaqua, les Polonais le refoulèrent, envahirent ses Etats, les redoutables murailles de Königsberg les arrêtèrent et sauvèrent Albert. Celui-ci était le neveu de Sigismond, roi de Pologne. Il implora sa clémence. Le roi ne rêvait pas de guerre et n'avait pas envie de régner sur les colons allemands qui avaient conquis et peuplé la Prusse.

 

La Réforme s'était introduite, bien appuyée par les villes hanséatiques. La ville libre de Danzig s'était convertie, avait déposé ses magistrats, pillé églises et couvents. Le vent était à la Réforme chez les allemands et le Grand-Maître des teutoniques l'embrassa, trahissant ses serments, son Ordre. Il demanda à Sigismond que la Prusse devint un duché séculier, héréditaire, dont lui, Albert, serait le premier duc, avec Königsberg pour capitale. Sigismond accorda.

 

Le 8 avril 1525 le Traité de Cracovie mettait fin à la guerre, reconnaissait le duché, le nouveau duc, l'hérédité de la couronne ducale. Mais ce nouveau duché demeurait un fief de la mouvance du roi de Pologne et le duc devrait prêter serment au roi de Pologne son suzerain. Albert accepta cette exigence du serment et ce lien de vassalité, cela ne pourrait rien lui coûter pratiquement, et un serment à ne pas tenir ne lui faisait pas peur.

 

C'était la fin de l'État teutonique. Les commanderies s'échangèrent contre terres et fiefs. La grande majorité des chevaliers abjura, devint luthérienne à la suite du Grand-Maître. Celui-ci avait épousé en 1516 la fille du roi de Danemark.[1]

 

Les chevaliers restés catholiques trouvèrent un refuge au cœur de l'Allemagne et en Autriche.

 

 

Courlande et Livonie

 

 

Ces bouleversements en Prusse allaient-ils laisser Courlande et Livonie privées de leurs maîtres ?

 

Ces provinces avaient toujours joui d'une certaine autonomie au sein de l'Ordre, et vis-à-vis de son Grand-Maître. L'éloignement avait obligé le dignitaire qui commandait à Riga à prendre des responsabilités très étendues. C'est ainsi que Plettemberg, le maître des Chevaliers livoniens mena la guerre aux Russes et remporta sur Ivan II, le premier tsar, la victoire à Pleskov, en 1501, qui ferma aux Russes le chemin de la Baltique.1

 

Le dignitaire de l'Ordre qui commandait à Riga n'abjura pas. Les Chevaliers soumis à ses ordres directs suivirent son exemple. Tous restent catholiques mais fallait-il rester attaché à un Ordre exilé en Allemagne ? Les Chevaliers du golfe de Riga ne se sentaient plus rien de commun avec ces exilés. Alors ils se souvinrent des Chevaliers porte-glaive, ses conquérants de leurs provinces disparus en 1237 après moins de trente ans d'existence. Et ils eurent l'idée de se regrouper dans un Ordre nouveau, à l'image des Porte-Glaive, sous le nom de « Frères de la Milice du Christ ». Ils se donnèrent pour premier Grand-Maître, un prince venu des sources du Danube : Guillaume de Furstenberg.

 

Livonie et Courlande sont réunies en un petit Etat ayant pour souverain un ordre militaire religieux, curieux État qui va avoir quarante ans d'existence, de 1516 à 1558.2

 

 

En Russie

 

 

Au XVe siècle la Russie avait commencé à décoller d'une civilisation à demie barbare. Les Mongols avaient occupé le sud de la Russie, incendié Kiev au XIIIe siècle. La hanse avait porté Novgorod à un très beau degré de prospérité. C'est là que le puissant commerce hanséatique du XVe siècle drainait tout le commerce du nord de la Russie. On parlait peu en termes politiques et militaires de Russes, mais de Moscovites. Après la ruine de Kiev, c'était Moscou le centre de cet empire en voie de constitution. Son patriarche orthodoxe était indépendant de celui de Constantinople. Le tsar y régnait, mais la Moscovie payait un tribut aux Mongols au XVe siècle. Il fallut Ivan III (1462-1505), le tsar rassembleur des terres russes, pour que la Moscovie se libère définitivement de la tutelle mongole.3

 

Ivan IV le Terrible va systématiquement, de longues années durant, faire des démonstrations aux frontières de la Lettonie, y entretenir une petite guerre incessante. Les Russes louchent vers Riga. Certes Ivan IV s'est emparé de Narva, enlevée aux Suédois, qui lui donnent une petite fenêtre sur le golfe de Finlande. Il a immédiatement constitué une flotte. Mais il a besoin d'une grande ouverture sur la Baltique, telle que Riga. Les Suédois, les Polonais, les hanséatiques vont se coaliser pour arrêter cette poussée russe sur la Baltique. Ce sont les Chevaliers frères de la milice du Christ qui sont en première ligne. Et en 1558, Ivan IV infligea aux Chevaliers une lourde défaite : ils ne pouvaient plus arrêter les Russes. Fallait-il abandonner Courlande et Livonie aux Russes ? Entre deux maux on choisit le moindre, et les Polonais étaient catholiques comme eux. Alors les Chevaliers appelèrent la Pologne à leur aide, préférèrent les polonais à Riga pour ne pas y voir les Russes. Le roi de Pologne consentit à l'envoi de ses troupes mais il posa une condition : l'Ordre devrait renoncer de façon totale, complète et définitive, à sa souveraineté sur la Livonie en faveur de la Pologne. Tous les frères à la fois signèrent l'acte de renonciation à leurs droits.

 

 

 

 

Alors le roi de Pologne prit possession de Riga et de la Livonie en 1558. Une date à retenir dans l'histoire de la Pologne.

 

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La Livonie devenue polonaise les Chevaliers restaient maîtres de la Courlande proprement dite et de la Sémigalle (ou Sémigalie). Cette dernière couvre la contrée comprise entre l'Aa courlandais (qui rejoint la Dvina à son embouchure) et la Dvina, à l'ouest de Mittau (rive gauche de l'Aa) et à l'est de la Dvina (rive droite de la Dvina). Ces deux provinces vont rester groupées et indépendantes pour former le duché de Courlande et Sémigalle.

 

Le premier duc, tout naturellement, était le Grand-Maître des chevaliers Frères de la Milice du Christ : Gotthard Kettler. Aussitôt en place il sécularisa le duché, se proclama duc héréditaire et se convertit au protestantisme. Tout se passa donc, comme qua­rante ans plus tôt, en Prusse. Et comme alors, les Chevaliers suivirent leur duc dans l'hérésie.

 

Les Courlandais étaient tous catholiques avant la fin du XIIIe siècle. A la suite du duc, ce petit Etat, en naissant, bascule d'un coup dans le camp des luthériens. Il va se passer ici ce qui s'est passé en Prusse. Les Courlandais, à la suite des Chevaliers vont très rapidement devenir protestants. Ce sont les dignitaires, ou plutôt les ex-dignitaires de l'ordre défunt, qui s'emploient à protestantiser les populations qui elles ne sont pas Allemandes. C'est le peuple du nouveau duché qui va être luthérien. Ce zèle des Chevaliers s'étend à la Livonie devenue polonaise. Mais qu'ils vont aussi convertir, marquant par là que la Livonie demeurait soumise à l'influence allemande, en particulier à celle de la hanse si puissante à Riga1, et peu influencée par l'occupation polonaise.

 

Tout est fait pour que la Livonie et Riga ne puissent rester polonaises.

 

Les commerçants allemands, les barons allemands, l'influence omniprésente de la hanse protestante, la culture germanique propagée par eux et les élites de souche lette, mais germanisées, l'implantation du luthéranisme venu d'Allemagne, la langue allemande des classes dirigeantes, la langue lette du peuple... Ce sont autant de barrières infranchissables pour les Polonais. Polonais catholiques, slaves, et peu enclins à adopter les mœurs allemandes. La Livonie sera-t-elle bientôt soumise, à nouveau, aux Allemands ? Ou tombera-t-elle aux mains des Russes en expansion ? Ou arrivera-t-il un troisième larron pour en chasser l'occupant polonais? Pendant combien de temps le sort du nouveau duché de Courlande et Sémigalle pourra-t-il rester séparé de celui de Riga et de la Livonie ?

 

 

Pilten et Hasenpoth

 

 

L'extrait du dictionnaire de géographie que nous rapportons dans cette étude est très surprenant. Nous voyons qu'au cœur du pays des Coures (Coures ou Kurren),[2] cœur de la Courlande où subsistent les derniers descendants des premiers habitants de ce pays, à Hasenpoth il existait un statut juridique et politique particulier. Nous lisons que l'évêché « kuron » disparut peu après la création du duché ; que le dernier évêque, Münch Haussen, vendit Pilten (en letton Piltene) et Hasenpoth (en letton Aizpute) au roi Frédéric de Danemark qui le légua à son frère Magnus, duc de Holstein ; et qu'il fut enfin acheté en 1585, à la mort de Magnus, par Georges Frédéric électeur de Brandebourg.

 

Les transmissions successives de la souveraineté de cette contrée se passent entre Allemands. La Courlande la plus profonde, pays des coures, Pilten et Hasenpoth ont pour maîtres les aristocrates allemands qui l'habitent.

 

Nous avons pensé que le duché de Courlande devait être soumis à un lien très théorique de vassalité vis-à-vis de la Pologne, que cette contrée était un fief vassal du duché de Courlande, et qu'ainsi l'électeur de Brandebourg était devenu vassal direct du duc de Courlande, et vassal indirect du roi de Pologne ! Ne se trouvait-il pas déjà vassal de ce roi comme duc de Prusse ?... C'était faux.

 

 

La hanse

 

 

La hanse, au XVIe siècle va connaître une redoutable concurrence et perdre la prééminence qu'elle exerçait au milieu du XVe siècle.

 

En 1497, 795 passages dans les deux sens sont décomptés dans les détroits danois (le Sund). Entre 1557 et 1569, la moyenne annuelle passe à 3 280, pour atteindre 6 673 de 1581 à 1590. En moins d'un siècle la densité du trafic a été multipliée par un peu plus de huit ! A la fin du XVIe siècle les exportations de seigle au départ de Danzig, par an, sont de 10 000 last (un last = 2 tonnes). De 1617 à 1621, elles vont monter à 65 000 last. Une progression continue du trafic se constate de la fin du XVe au milieu du XVIIe siècle.

 

Est-ce à dire que l'activité de la hanse diminue ? Non, cette activité augmente mais le trafic a pris de telles proportions que la hanse ne pouvait plus suivre. Entre 1557 et 1585 plus de la moitié des navires en provenance de Danzig, qui passèrent le Sund, était hollandaise. Cette substitution de navires hollandais à ceux de la hanse coïncide avec le développement des échanges entre les pays de la Baltique et ceux de l'occident. Un accroissement considérable de la production des céréales dans les plaines germano-polonaises a engendré de très fortes exportations vers l'ouest de l'Europe, et même de l'Europe méditerranéenne.

 

Lorsque le XVIe siècle s'achève, la hanse disposait d'un millier de navires, d'une capacité de 45 000 last (soit 90 000 tonnes). Mais celle des navires hollandais était de 120 000 last. Les navires de Danzig fréquentaient l'Adriatique, la Crête, Gênes, Livourne et Civita Vecchia. Mais aussi Lisbonne, Cadix, Séville, Barcelone. Les Hollandais y étaient plus nombreux qu'eux. Encore faut-il tenir compte que souvent les Hollandais pour commercer avec le Portugal et l'Espagne camouflaient leurs navires en vaisseaux hanséatiques, mieux admis que les leurs à la fin du XVIe siècle et au XVIIe siècle, en raison des conflits dans lesquels étaient engagés les Pays-Bas1. L'essor de la prospérité de la Pologne pèse très lourd dans l'explosion de ce trafic maritime. La puissance commerciale et la richesse de Danzig en font foi. Nous n'avons rien de précis sur le développement économique et l'enrichissement de Riga au XVIe siècle. La hanse aidant, il est certain que Riga prospéra.

 

Ivan-le-Terrible prit Narva, en Estonie (pour être précis en Ingrie), ville et région tenues par les Suédois. Nous l'avons dit plus haut, Ivan constitua une flotte, la lança sur la Baltique. Il manœuvra pour placer à la tête de la Livonie le duc de Holstein, seigneur de la région de Pilten et d'Hasenpoth, bref il ligua contre lui Hanséates, Suédois et Polonais. Il voulait contrôler Riga. C'est ce qui amena la Livonie sous la dépendance de la Pologne et la création du duché de Courlande.

 

A l'issue de l'arrêt de l'expansion moscovite, les Suédois essaient de s'emparer du contrôle maritime de la Baltique et de son trafic. Ce seront sept ans de guerres, de pirateries, qui aboutirent en 1570 à un congrès international réuni à Stettin. La Suède y perdit la souveraineté de la mer mais obtint le droit, pour ses vaisseaux, de franchir le Sund sans acquitter le péage perçu par les Danois. A ce congrès le tsar ne fut pas invité, il en ressentit un immense désir de revanche. Le congrès de Stettin est le résultat d'une évolution économique normale. La liberté de la navigation sur la Baltique est indispensable pour assurer l'écoulement des récoltes polonaises (souvent sur des navires hollandais) par le port hanséatique de Danzig.1

 

A la fin du XVIe siècle l'association de la hanse a perdu, en tant que telle, beaucoup de sa vigueur et de sa cohésion. Il a manqué à la hanse le soutien d'un État fort, mais ceci ne signifie pas du tout que les villes hanséatiques soient sur leur déclin.

 

1588, c'est la création de la bourse de Hambourg. La vitalité de Danzig est surprenante. Cette ville fondée par des Allemands, de population essentiellement germanique, est la clef du commerce de la Pologne. Mais cette ville n'est pas prussienne, n'appartient pas au duc de Prusse. C'est une ville libre, comme il y en a tant en Allemagne, comme les deux autres grands centres de la hanse que sont Hambourg et Lübeck. Danzig, comme ces dernières, est un petit Etat républicain gouverné par un sénat. Ce sont toutes des Venise du nord, sur le plan des institutions.

 

Il faut insister sur un aspect particulier : la Réforme a pénétré très facilement dans les villes de la hanse. A Danzig, nous l'avons vu, ce fut une explosion avec révolution à la clef, déposition du sénat catholique et mise en place d'un sénat luthérien. Les villes hanséatiques sont des foyers très actifs de la Réforme. Nul doute qu'il en fut ainsi à Riga, une ville et un port en plein essor au XVIe siècle.

 

Le rôle économique et politique de la hanse a été capital, plus de deux siècles durant, à Riga, en Livonie et en Courlande. Mais la hanse aussi introduit la Réforme, la développe dans les villes de son association. C'est elle qui amène la conversion au luthéranisme des nobles et bourgeois allemands et de l'élite autochtone qui vit en quelque sorte dans sa mouvance. L'élite devenue luthérienne, le peuple livonien et courlandais suivra, comme il s'est laissé convertir au christianisme catholique et romain au XIIe siècle par les vigoureux Chevaliers qui ont conquis le pays et les colons allemands venus avec eux et après eux.

 

 

Histoire particulière de la hanse

 

 

Le roi de Danemark imposa une augmentation des droits de péage. Les Hollandais s'y soumirent. Enrichis, les danois se constituèrent une flotte au début du XVIe siècle. Mais les Lübeckois résistaient pour acquitter ces droits accrus. Le Danemark attaqua Lübeck. Hambourg s'abstint de la secourir. En 1512 la paix de Malmö consacra la soumission des hanséates. Ainsi fut scellée l'alliance des Danois et des Hollandais. L'enjeu est l'autorité des souverains et le monopole de la navigation en mer baltique. C'est le gros échec de la hanse.

 

Christian II, roi de Danemark, joue à fond la carte hollandaise. Il épouse la sœur de Charles-Quint et le poids de son impérial beau-frère lui permet de rétablir l'autorité danoise sur la Suède en proie à une révolution sanglante en 1520. Lübeck soutient Gustave Vasa venu se mettre à la tête des insurgés en Suède. Christian II essaye d'arracher les duchés de Schleswig et d'Holstein, dont le duc était Frédéric, son oncle. Révolution à Copenhague et les nobles danois, après avoir chassé Christian II, qui trouve refuge chez ses amis hollandais, mettent sur le trône danois le duc Frédéric, et sur le trône suédois Gustave Vasa. Les vaisseaux de Lübeck prennent leur revanche en s'emparant, en 1525, de Visby, port et capitale de l'île de Gotland, créée et développée par la hanse, et confisquée à cette dernière par la Suède.

 

 

 

 

Le roi Frédéric interdit le passage du Sund aux Hollandais. Mais les Hollandais négocient et un traité de réconciliation est signé en 1533 à Gand. Les Hollandais retrouvent la liberté du passage de la Sund. Alors, c'est la grande fureur de Lübeck qui essaye de provoquer des soulèvements de paysans danois contre leur roi. Les souverains scandinaves s'entendent, et ensemble, Danois et Suédois détruisent la flotte de Lübeck (1535).

 

Christian III essaie d'intimider les Hollandais qui ont toujours chez eux le roi Christian II détrôné. La flotte danoise croise devant la Zélande. Charles-Quint est là... et le Danois signe avec l'Empereur le traité de Spire (1544). Ce traité règle, une nouvelle fois, ce ne sera pas la dernière, le statut du Sund. Les Danois en seront toujours les portiers, mais ils devront laisser le libre passage à tous navires, de toutes nationalités, moyennant un paiement adéquat. Les Hollandais protestent, pour le principe, contre le montant des tarifs, et ils s'engouffrent dans la Baltique où leur présence est rapidement prépondérante dans les échanges du commerce et du trafic maritime.

 

La Réforme arrange les souverains scandinaves : ils sécularisent les biens de l’Église romaine et y trouvent de grandes ressources, tant en Suède qu'en Danemark, pour le développement de leur puissance maritime et de leur commerce.

 

C'est une période très troublée, de quarante ans, qui entraîne l'essor danois, l'essor suédois, et met la hanse en État d'infériorité avant la fin du demi-siècle. Et apparaissent aussi dans le trafic maritime balte les navires de sa Très Gracieuse Majesté. La mer Baltique, malgré une grosse prépondérance hollandaise, dès 1550, est livrée à un trafic international. Des conflits surgissent. Des flottes de guerre s'arment, et interviennent. Mais aussi des conférences et des congrès réunissent les diplomates pour que les manifestations guerrières ne freinent pas trop longtemps l'expansion économique. Le moindre conflit s'internationalise. A la table des négociations, dressée en plein pays rhénan, le gantelet de velours du puissant empereur du Saint Empire Romain et Germanique fait incliner la balance vers la liberté de navigation et dicte sa loi aux portiers de la Baltique et aux commerçants de la hanse.1

 

 

Un pays convoité

 

 

Le roi Frédéric de Danemark, dont il a été parlé ci-dessus, acheta donc le pays de Pilten dans un but peu innocent. S'installer en maître, ainsi au cœur de la Courlande, à Pilten et Hasenpoth, c'était une possibilité d'aller plus loin vers le siège ducal de Courlande. Ceci se passe deux ans après la création du duché. Frédéric mort, Christian III lui succéda au Danemark mais pas pour le fief courlandais. C'est à son frère Magnus, duc de Holstein que revint, par voie testamentaire, ce fief et Hasenpoth. Ce fief n'intéresse plus le Danois devenant vassal du roi de Pologne (on ne pouvait être que vassal du roi et pas du royaume. La vassalité est un lien personnel) et c'est pourquoi le serment devait être renouvelé après le décès du suzerain ou du vassal par son héritier ou remplaçant. Ce texte ignorait :

 

·       L'absence de lien féodal entre le duc de Courlande et le roi de Pologne. En 1562, à Mittau ils passèrent un pacte stipulant seulement qu'en cas de disparition de la dynastie courlandaise par manque de mâles le duché reviendrait à la Pologne. Le premier duc, Gotthard Kettler, avait réussi à faire reconnaître le duché, à se faire reconnaître comme duc héréditaire, et à se dégager du lien féodal.

 

·       L'existence d'un petit Etat composé de territoires morcelés (dont dépendaient Hasenpoth, Pilten et Popen) sous l'autorité de l'évêque de Courlande, prince souverain. Cet Etat épiscopal - d'un type si courant en Allemagne - restait lié au roi de Pologne par un lien de vassalité qui subsista après la disparition de l'évêque de Courlande

 

Le même texte fait valoir un particularisme de cette région, plus une autonomie certaine qui en faisait une sorte de principauté, avec sa noblesse qui jouait un grand rôle pour diriger les affaires du pays, avec son assemblée, sa diète. Les rois de France les plus forts, Louis XIV et ses descendants, gouvernaient un pays disparate, avec des provinces puissantes (Bretagne, Languedoc), qui étaient dites pays d’Etat, parce que les affaires publiques y étaient soumises à des assemblées très indépendantes et que les coutumes de l’Etat avaient force de loi. Cette « principauté » de Pilten et Hasenpoth, c'est cela au sein de la Courlande. La subsistance d'un fief féodal remontant sans doute à la conquête de la Courlande par les Teutoniques. Écarté des grands courants de communication, qui passaient de Memel à Mittau et de là à Riga, retiré par rapport à ces trois villes. Pilten, au fil des siècles, a gardé une autonomie réelle. Le lien de vassalité, peu à peu, a pu devenir ténu et se réduire à un symbole, pratiquement devenir presque nul. Nous pensions ainsi.

 

C'est cette autonomie de la principauté des coures qui a dû attirer le roi de Danemark et l'électeur de Brandebourg. Les privilèges de ce fief sont certains. C'est dans cette contrée que se sont retirés les Coures, les premiers habitants des contrées du golfe de Riga, chassés par les envahisseurs successifs. Trois siècles plus tard le grand géographe français, Elisée Reclus, dans sa monumentale Géographie universelle, nous rapporte (en 1880) comment se sont perpétués les rois coures.

 

Restait à obtenir d'un historien letton, spécialiste de la Courlande, d'en savoir davantage sur les rois coures, et ce qu'était exactement le fief de Pilten1. Nous renvoyons à la note géographique sur la Courlande tirée de Reclus. En 1880 ces Coures se rencontraient encore entre Goldingen et Hasenpoth, et gardèrent leurs privilèges jusqu'en 1854 ! (Il s'agit ici des privilèges des habitants, pas de privilèges du fief en tant que tel. Privilèges individuels et non pas attachés à la collectivité coure elle-même).

 

Il resterait un mystère à éclaircir : qu'allaient chercher à Pilten et Hasenpoth le roi du Danemark ? L'électeur de Brandebourg ?

 

A ceux qui réaliseraient mal les liens du suzerain et du vassal, et ce qu'est le fief, qu'ils jettent leurs regards en pleine Europe sur les îles anglo-normandes qui ont gardé leurs privilèges depuis le XIe siècle ! Le seigneur de l'île de Sirk en est vraiment le seigneur. Les habitants sont ses sujets. Mais qui dirait que l'île de Sirk n'est pas britannique, et que son seigneur n'est pas soumis à sa Très Gracieuse Majesté, son suzerain ?

 

Ceci permettrait, peut-être, de mieux comprendre la situation probable de ce fief des Coures vis-à-vis du duché de la Courlande, et en sus après 1558, vis-à-vis de la Pologne.

 

Parmi les causes de l'intérêt que présentait ce pays des Coures, à retenir qu'il avait un port, Libau, communiquant avec la haute mer, bien à l'abri à l'intérieur des terres, comme l'époque aimait en avoir. Et ce port jouissait d'un statut comparable aux ports de la hanse (dit le Dictionnaire Géographique). C'est cela qui intéressait aussi, sans doute, Danois et Brandebourgeois. Hasenpoth a dû être plus ou moins liée à la ligue hanséatique, maîtresse du trafic maritime de la Baltique, au XVe siècle.

 

 

 

II - LE XVIIe SIÈCLE

 

 

Le XVIIe siècle fit de la Baltique, politiquement, un lac suédois car certes les Hollandais tenaient une grande place dans le trafic maritime, même si les navires anglais y devenaient de plus en plus nombreux. Ce n'est pas encore l'heure des Russes. Il faut parler des principales puissances :

 

 

Suède

 

 

Au XIIe siècle, les Suédois ont conquis la Finlande. Ils y sont restés. En 1561, trois ans après la naissance du duché de Courlande, ils s'emparent de l'Estonie et de Narva (en Ingrie). Nous les avons vu mêlés aux querelles de la Baltique au long du XVIe siècle, à ces luttes pour obtenir la liberté du trafic maritime. Pour faire cesser les prétentions de la hanse d'une part, et les exigences des portiers de la Baltique, ces Danois qui ne se contentaient plus d'un maigre pourboire pour laisser le passage du Sund.

 

En 1611 les Suédois vont avoir un grand roi, grand homme d'État, grand homme de guerre. C'est Gustave-Adolphe. Il va réformer l'art militaire. Entre ses mains l'armée suédoise entre la première dans l'ère moderne et va surclasser toutes les forces militaires qu'elle va rencontrer. Ce roi a un but précis : faire de la Baltique un lac suédois. Cela va le conduire à faire la conquête des régions côtières de cette mer. Pour cela il va devoir combattre les Allemands qui en contrôlent la partie la plus intéressante, peut-être, du Danemark à la Pologne et à la Prusse.

 

 

Brandebourg

 

 

En ce début du XVIIe siècle va se produire la réunion sur la même tête de la couronne de l'électeur de Brandebourg et de la couronne ducale de Prusse. Le deuxième duc de Prusse (Albert, comme son père) épousa Marie-Eléonore, fille du duc de Clèves. Ils eurent trois filles. Pas de fils. L'aînée fut mariée au prince-électoral, Jean Sigismond, fils de l'électeur de Brandebourg, Jean-Frédéric.

 

En 1568 ce dernier avait obtenu la co-investiture du duché de Prusse qu'il gouvernait en fait seul car le duc Albert, son beau-père, était tombé en démence. Au décès de Jean-Frédéric, en 1608, son fils lui succéda à l'électorat de Brandebourg et prit en main l'administration de la Prusse ducale.

 

En 1609, les Hohenzollern s'agrandirent à la mort du duc de Clèves, oncle de Jean Sigismond l'électeur. Ses États furent partagés entre ce dernier, qui reçut les duchés de Clèves, les comtés de La Mark et de Ravensberg, et le Palatin de Neubourg qui reçut Berg et Juliers. Ainsi le chef de la maison de Hohenzollern devenait un prince au cœur des Pays rhénans et de Westphalie. C'est un événement considérable pour l'avenir de cette Maison dont l'intérêt n'est plus limité à la marche Septentrionale de L’Empire germanique.

 

Le duc Albert de Prusse, toujours dément et parvenu à un âge extrêmement avancé, mourut en 1618. L'électeur Jean Sigismond, duc de Clèves, devint en fait duc de Prusse, mais s'il en exerçait la fonction il restait à faire reconnaître ce titre ducal par les puissances de l'Europe, ce que devait faire son petit-fils.

 

Jean Sigismond mourut en 1619 laissant pour lui succéder son fils Georges-Guillaume, électeur de Brandebourg, duc de Clèves, et enfant, duc de Prusse.

 

Il ne fut donc électeur que trente quatre ans après cette acquisition, ce qui permet de dire que ce prince (mort en 1640) était fort jeune au moment de l'achat de ce fief en Courlande. Ce fut son grand-père, Jean-Frédéric, qui fit cet achat, au nom de son petit-fils, et dans un but politique que nous ne pouvons, hélas, pas préciser.1

 

 

Russie

 

 

La famille d'Ivan s'était éteinte en 1598. Et jusqu'en 1613 ce fut en Moscovie une période extrêmement troublée, révolutions de palais, agitations populaires. Les Polonais, un temps, furent amenés à occuper Moscou pour rétablir l'ordre...

 

Et en 1613 les Boïars élisent pour tsar Michel Romanov. Alors se met en route la transformation de cet immense pays semi asiatique, encore assez barbare, en un Etat européen.

 

Bloquée à l'Ouest par les Suédois et les Polonais, une expansion russe s'est développée en Sibérie à la fin du XVIe, après la fondation de Tobolsk (en 1587). A noter que c'est en 1610 que le roi Sigismond de Pologne intervient dans les affaires moscovites. En juin 1610 il écrasait l'armée moscovite et occupait Moscou, et peu après les Suédois occupaient Novgorod. La guerre se poursuivait pour aboutir à la paix en 1618 signée à Déovlino. Seulement, en 1628, la Pologne conservait ses conquêtes de Lithuanie, mais aussi Smolensk, Tchernigov, et les contrées entre ces villes. Ce que nous appelons aujourd'hui Biélorussie (Russie Blanche) est polonaise.

 

La remontée des Romanov va être dure, et lente...

 

 

Pologne

 

 

Immense royaume de Pologne au début du XVIIe siècle. En sus de la Pologne, il englobait le grand duché de Lithuanie (apporté par les Jagellons), la Petite Russie et les deux rives du Dniepr, avec la plaine d'Ukraine et Kiev, les deux rives de la Duna et la Russie blanche, avec Smolensk, et depuis 1558 la Livonie et Riga. Le roi de Pologne comme suzerain (au sens féodal du terme) du duc de Prusse (très théoriquement il est vrai) et du duc de Courlande. Cet Etat était complètement disparate, composé de nationalités et peuples très divers : première source de faiblesse. Sa deuxième source de faiblesse était et sera dans l'attitude assez anarchique de sa noblesse, classe très nombreuse en Pologne. A la mort de Bathory, en 1586, le roi de Pologne avait su doter son pays d'une puissance militaire étonnante. L'hostilité des magnats, les plus influents aux Hasbourg, fit attribuer la couronne au fils du roi de Suède, Sigismond Vasa, en 1587. Après les Vasa fut rétablie l'hérédité monarchique jusqu'en 1668. Ainsi fut arrêté, un temps, la dégradation de la Pologne, tellement était néfaste la monarchie électorale, système qui avait amené un prince français, Henri III, à Varsovie.

 

 

Pilten

 

 

L'extrait du Dictionnaire de géographie nous apprend qu'en 1611, le fief de Pilten était devenu directement polonais. Le terme directement qui a été utilisé dans ce texte veut dire qu'il n'y a pas de lien de vassalité de Pilten envers le duc de Courlande. En 1611 le duché est dégagé de tout lien féodal avec le roi de Pologne. Il est indépendant. Le duché n'est pas devenu polonais, mais le roi de Pologne s'en est institué le protecteur.

 

Ainsi Pilten serait devenu polonais. Nous renvoyons au texte de l'historien letton, évoqué plus loin.

 

Quoi qu'il en soit, dans ce dictionnaire polonais, il est précisé que le fief avait alors un préfet polonais installé à Hasenpoth. Hasenpoth où siégeait le tribunal qui relevait en appel directement du roi de Pologne. Ce préfet gouvernait avec l'assistance d'une diète rassemblant les nobles du pays. Cette assemblée, qui siégeait en permanence pour administrer, pouvait se réunir pour constituer le Tribunal. Ici ce n'est pas encore la séparation des pouvoirs. Il est expliqué que les nobles de cet étrange fief préféraient jouir, en fait, d'une totale indépendance car le rattachement à la Pologne était peu contraignant et préférable à un rattachement au duché de Courlande que les princes de la famille Kettler réclamaient en vain. Il est possible que le roi de Pologne put, en 1610, faire trancher - ou trancher lui-même - le lien de vassalité de ce fief envers le duc de Courlande. Le roi de Pologne en 1611 est un Vasa, il a écrasé les Russes, occupé Moscou. Il règne à Riga. Le faible duc de Courlande n'a de frontières qu'avec la Pologne à l'est, et au midi avec la Livonie et la Samogitie. Quelle pression a-t-il exercé sur Pilten pour briser le lien de vassalité avec la Courlande ?

 

La lecture de cet ouvrage polonais nous avait plongés dans la confusion.

 

Sur la cession du fief, en 1612, au duc Wilhem Kettler, le deuxième duc de Courlande, il n'est pas possible qu'elle ait été le fait de la veuve de Georges-Frédéric, le prince électoral de Brandebourg mourut en 1640.

 

En 1608 mourut le grand-père de Georges-Frédéric, l'acheteur réel du fief en 1585. Est-ce ce décès qui amena la cession ? Il est possible aussi que le roi de Pologne ait obtenu cette cession contre un avantage à l'électeur de Brandebourg, duc de Prusse, soit pour le Brandebourg, soit pour la Prusse. On ne comprend pas, dans le Dictionnaire géographique, cette cession au duc de Courlande par la maison de Brandebourg.

 

Si ce pays devait être soumis directement à une souveraineté polonaise, en 1611, les Hohenzollern n'ont pas voulu devenir, par ce fief, vassaux du roi de Pologne. Ils essayaient d'oublier la vassalité du duc de Prusse envers ce roi. Un seul lien de vassalité suffisait, inutile de conserver ce lien par le fief de Pilten et Hasenpoth. Cela est évidemment une hypothèse. La cession au duc de Courlande, déjà vassal du roi de Pologne pour le duché, ne s'accroissait pas du fait que le fief de Pilten lui était cédé. On comprend que le duc en acquérant des droits sur Pilten avait l'espoir de le détacher, les années aidant, de la Pologne et de le rattacher à son duché. Mais le même dictionnaire relate une longue lutte. Ce pays, mené par sa noblesse, ne veut pas du pouvoir ducal. Alors Pilten, en tant que fief, a-t-il été cédé au duc de Courlande ? Il y a là une nouvelle preuve d'une situation qui nous échappe. Il est à souhaiter qu'un historien, spécialiste de l'histoire courlandaise, puisse un jour nous éclairer (Il existe quelque part, si ce n'est à Riga, peut-être à Jelgava, ou Liepaja). Le dictionnaire nous le dit, cette situation confuse, oh ! Combien ! Faisait que Pilten n'était vraiment ni polonais, ni courlandais, ce qui faisait les affaires de la noblesse du pays :

 

"Grâce à ces tendances contradictoires les nobles de Pilten jouissaient d'une totale indépendance au moment où en Pologne, régnait une anarchie de magnats".

 

Nous refermons la page sur ce mystère.

 

... Mais l'ouvrage de l'historien letton, évoqué plus loin, le dévoile.

 

 

Courlande

 

 

A l'écart des terribles guerres qui vont ravager les pays des puissances de la Baltique du XVIIe siècle, le duché va bénéficier de son statut privilégié, et Pilten encore plus. Son deuxième duc, Wilhem Kettler, mourut avant le traité de Westphalie (1643). Alors le duché revint à son fils Jacques. le duc Jacques lui, se jettera dans les combats.

 

 

La Guerre de Trente Ans

 

 

De 1611 à 1613 Gustave-Adolphe va combattre, pour débuter son règne, contre les entreprises de Christian IV, roi du Danemark (1588-1648). Il dût finalement faire la paix au prix de lourds versements de fonds. Ayant les mains libres du côté danois, il put défendre les possessions suédoises en Estonie et prit aux Russes l'Ingrie et une partie de la Carélie qu'il conserva au traité de Stolbovo en 1617. L'embouchure de la Néva était devenue suédoise. Après les Russes, il va s'en prendre aux Polonais.

 

En 1621, ses troupes débarquent sur les rivages du golfe de Riga. Et en 1625 la totalité de la Livonie et Riga devenaient possession suédoise. Les Polonais ne pouvaient tenir tête à la fantastique armée suédoise, en guerre sans cesse avec les Turcs et les Moscovites d'une part, et d'autre part le déclin de leur puissance était en marche, malgré les efforts de la dynastie Vasa en Pologne. En 1629 les hostilités cessèrent entre Pologne et Suède. On ne signa pas un traité de paix, mais on convint seulement d'une simple trêve, ceci à l'initiative de Gustave-Adolphe : il avait besoin d'avoir les mains libres du côté des Polonais, qu'il avait suffisamment affaiblis, pour se tourner maintenant vers l'Allemagne.

 

Riga, la Livonie, la rive droite de la Dvina sont suédoises. En face, la rive gauche reste courlandaise. On comprend bien qu'à partir de 1625 la pression du suzerain polonais sur le duc de Courlande, sur le fief de Pilten est devenue à peu près nulle. Les Suédois avaient besoin de Riga, pas d'Hasenpoth, et les Courlandais ne font l'objet d'aucune convoitise.

 

1630. Gustave-Adolphe débarque à Stralsund et en fait la base de la puissance suédoise sur les rives allemandes de la Baltique. C'est le maréchal Bernadotte qui mettra un terme à la présence suédoise à Stralsund. Les impériaux (catholiques) vont en vain essayer d'arrêter les Suédois renforcés par les princes allemands luthériens. L'armée des Impériaux se nomme la Sainte-Ligue. Les Suédois assiègent Magdebourg et la prennent, puis en Saxe remportent une éclatante victoire à Liepzig (septembre 1631). Le roi de Suède descend sur le Rhin, passe l'hiver à Mayence qu'il a assiégée et prise. Puis il marche sur la Bavière par Nuremberg et occupe Munich (17 mai 1632). Les Impériaux s'étant jetés sur la Saxe (alliée des suédois) Gustave-Adolphe vola à son secours, et le 16 novembre 1632 il remporta une grande victoire à Lützen. Mais fut relevé mort sur le champ de bataille.

 

Un enfant de six ans monta sur le trône de Suède, la reine Christine. Ses armées sévèrement battues à Nordlingen (25 février 1634), les protestants allemands alliés lâchèrent la Suède. Ils négocièrent la paix avec l'empereur à Prague. A ce traité, les droits de la Suède sur Riga et la Livonie furent reconnus.

 

La guerre terminée avec les Allemands se ralluma avec les Danois. La Suède y gagna les îles de Gottland, de Dago et d'Œsel, cette dernière barrant l'entrée du golfe de Riga, au large de la Courlande septentrionale. Puis la guerre reprit en Allemagne, les Pays-Bas étaient en pleine révolte contre l'occupant espagnol. Les plénipotentiaires des puissances engagées dans le conflit (France, Suède, Danemark, Espagne, Provinces unies, Princes allemands) et les Représentants du Pape et de Venise se réunirent en Westphalie en 1642. Ils discutèrent longtemps. La paix fut signée le 24 octobre 1648 à Münster et Osnabrück. La Suède en sortit avec de magnifiques satisfactions : les embouchures de l'Oder, la Poméranie occidentale, Stettin et Starlsund. Le tiers de la côte allemande sur la Baltique et sur la mer du Nord : les embouchures du Weser avec l'archevêché de Brême et Verden.

 

La Suède n'était pas seulement une puissance baltique, elle était aussi une des puissances de l'Allemagne.

 

 

Mouvements et guerres entre Puissances baltiques

 

 

Christine de Suède, personnage au moins fantasque, abdiqua en 1654 en faveur d'un cousin germain : Charles X Gustave.

 

Un autre Vasa, d'une branche demeurée catholique, régnait en Pologne (nous l'avons vu), avec le roi Jean-Casimir. Le Vasa suédois était belliqueux, il déclara la guerre au Vasa polonais - qui avait fort à faire aux limites septentrionales et orientales de son trop vaste royaume -.  Le Suédois rêvait d'un partage de la Pologne où l'embouchure de la Vistule et les plaines de la Basse-Vistule seraient suédoises. C'était le premier essai de démembrement de la Pologne entre la Suède et deux autres compères : le Tsar de Moscou, et l'Electeur de Brandebourg. Une bataille de trois jours fut livrée sous les murs de Varsovie (fin juillet 1654). Le roi Casimir dut s'enfuir jusqu'en Silésie. La Pologne était anéantie. La puissance suédoise apparut tellement démesurée que le tsar, l'électeur et le roi de Danemark se coalisèrent contre la Suède. Mais celle-ci sut faire front. Charles X, Gustave Vasa, en février 1658, parvint sous les murs de Copenhague en franchissant les détroits sur la glace. L'année suivante il réédita cet exploit. L'amiral Ruyter et la flotte hollandaise vinrent au secours des Danois. Alors l'empereur fit ses préparatifs pour venir renforcer les coalisés et en finir avec cet indomptable suédois. C'est alors que Charles X, Gustave Vasa mourut (1660), laissant pour roi son fils, six ans, Charles XI.

 

Mazarin venait de rendre à la France la liberté d'agir en Allemagne grâce au traité des Pyrénées (novembre 1659). Il employa toute la force d'une diplomatie d'autant plus persuasive qu'elle pouvait s'appuyer sur une intervention militaire. La médiation française auprès de l'empereur fut d'un tel poids que le 3 mai 1660 la paix fut signée à Oliva (célèbre par son abbaye, aux portes de Danzig) avec la Pologne et le Brandebourg, et à la fin du mois, à Copenhague avec les Danois. La Suède s'agrandissait de la Livonie lithuanienne, face à la Pologne, de la Scanie (extrémité méridionale de la Scandinavie) et de la rive orientale des détroits. En outre étaient confirmés ses droits sur la Poméranie occidentale et les îles conquises.

 

Le rêve de Gustave-Adolphe se réalisait.

 

·       Le traité des Pyrénées avait sanctionné la prééminence de la France en Europe occidentale.

·       Le traité d'Oliva sanctionnait la prééminence de la Suède en Europe septentrionale.

 

L'électeur de Brandebourg ne se fit pas oublier au traité de Westphalie. Frédéric-Guillaume (devenu électeur, à vingt ans, en 1641) se montra un homme d'Etat, dès son avènement, en concluant une trêve avec les Suédois. La paix de Westphalie lui valut, grâce à ses habiles négociations, la Poméranie-ultérieure. Le dernier duc de Poméranie était mort en 1635 et les Hohenzollern revendiquaient cette nouvelle couronne ducale. La Poméranie fut partagée entre la Suède et le Brandebourg. Mais il revint encore à ce dernier l'archevêché de Magdebourg dont on fit un duché, et les trois évêchés d'Halberstadt, Minden et Camin érigés en principautés. D'une part les Hohenzollern contrôlaient l'Elbe, d'autre part ils s'installaient un peu plus en Westphalie et dans les pays rhénans. Avec les Suédois, les Brandebourgeois étaient les grands vainqueurs.

 

A Oliva la satisfaction de l'électeur fut d'un ordre moral. Les ducs de Prusse, depuis le premier duc Albert, refusaient de prêter serment au roi de Pologne. De plus, l'électeur de Brandebourg, depuis trois générations, administrait le duché de Prusse mais sans que ses droits à la couronne ducale de Prusse aient été reconnus par les puissances. C'est ce qu'obtint à Oliva l'électeur Frédéric-Guillaume. Il était, par ce traité, reconnu par la Pologne et la Suède, puis par le Danemark, ses voisins, comme duc souverain de Prusse et affranchi de tout lieu de vassalité envers le roi de Pologne. A Oliva, les Hohenzollern ont imposé la reconnaissance de leurs droits au duché de Prusse, mais à titre de duc souverain et non de duc vassal d'un autre roi. C'est la consécration de leur accession au rang des plus puissants États allemands. Les contemporains ne s'y sont pas trompés, ils ont dénommé Frédéric-Guillaume le Grand-Electeur et c'est sous ce qualificatif qu'il est passé dans l’histoire. Homme de guerre habile, il démontre ses qualités de grand général dans les campagnes de 1672 et 1675 contre la Suède. Homme d'Etat, il sut repeupler ses États dévastés par la guerre de trente ans en y attirant des colons étrangers, en particulier en 1652, des hollandais et en 1685, des français. Mais nous reviendrons sur ce dernier sujet.1

 

 

La Courlande dans la guerre polono-suédoise

 

 

Le duc Wilhem, décédé en 1643, laissa le trône ducal à son fils Jacques.

 

Lorsque Charles X, Gustave Vasa, roi de Suède, ouvrit la guerre contre son cousin Jean-Casimir, roi de Pologne, ex-cardinal, ex-jésuite, en 1654, qu'allait faire le duc Jacques ? Les Suédois occupaient, depuis 1625, la Livonie et Riga, séparées de la Sémigalle par la Dvina. Mittau, capitale du duché, est à quelques dizaines de kilomètres de la Dvina. Le roi de Pologne était le suzerain du duc. Ce dernier selon les règles féodales, lui devait aide et assistance. Qu'allait-il faire ? Toute tentative courlandaise contre le puissant voisin suédois eut été vaine. Que fit-il ? Nous n'en savons rien. Mais les Suédois le firent prisonnier en 1656, précise le dictionnaire géographique. Vraisemblablement et de façon préventive les Suédois durent contrôler le duché. Ce dictionnaire, cité dans l'étude généalogique, dit bien qu'en 1658 les Suédois occupaient le pays d'Hasenpoth. Cette occupation eut lieu, vraisemblablement à l'été 1654, quand Varsovie fut occupée et que la Pologne s'effondra d'un coup. L'occupation de la Courlande par les Suédois fut-elle dure ? Un lien unissait Courlandais occupés et Suédois occupants : tous étaient luthériens. Il n'y avait pas entre eux ce relent de guerre de religion qui opposait Polonais et Suédois. Pas de contentieux entre eux, mais l'époque n'était pas tendre. L'État de Pilten, lui, était devenu directement polonais. Il était inévitable qu'il fut occupé par les Suédois (ce qui obligeait les Suédois à passer par la Courlande) Pilten et Hasenpoth furent occupés depuis 1654 sans nul doute.

 

Le dictionnaire géographique nous renseigne : la diète de Pilten, les nobles n'avaient pas du tout envie de devenir Suédois. Ils s'étaient très bien accommodés, ou au moins pas mal accommodés, des Polonais. Varsovie était loin. L'administration polonaise, fort lâche, peut-être limitée à la présence d'un résident représentant assez symboliquement la République de Pologne. La petite République de Pilten avait, somme toute, continué à fonctionner comme par le passé, avec indépendance. De deux maux toujours choisir le moindre. Les nobles de Pilten demandèrent ce contre quoi ils avaient lutté : le rattachement à la Courlande et cette demande fut satisfaite. L'occupation du fief n'intéressait pas les Suédois, ils furent d'accord. La Pologne, de son côté, donna son accord. Le duc Jacques Kettler accepta, et le dictionnaire donne une intéressante précision : « Les nobles se soumirent au  pouvoir du prince Jacques Kettler pour jouir de sa neutralité », et ce, en 1685. Or il n'était plus prisonnier des Suédois sans doute. C'est là une intéressante précision. Après plus de trois ans d'occupation suédoise, sans doute bienveillante, le duc de Courlande, voisin du roi de Pologne, était resté neutre dans le conflit polono-suédois. Nous ne sommes guère étonnés de constater que, s'il en a été ainsi, le duc n'a pas secouru son voisin. Le duc allemand, de race, de formation, de tradition, n'était pas d'humeur à se sacrifier pour un Polonais, dont il n'est pas le vassal - la religion les sépare -. Sur un plan purement politique mieux valait certainement épargner à son petit État les horreurs de la guerre, et d'une guerre inutile en sus. Nous constaterons aussi que cette incorporation de Pilten dans la Courlande fut l'objet de longues tractations. Cela dura plus de trois ans. Et le dictionnaire parle du Traité de Pilten dont le sort (momentané) de cet Etat fit l'objet en 1685 d'un traité entre Suédois, Polonais, Courlandais et la diète de Pilten (et Hasenpoth).

 

Tout cela est plein d'intérêt et, une fois de plus, donne envie d'en savoir davantage sur la Courlande et sur cette singulière république de Pilten.

 

Jacques de Courlande eut deux fils, Frédéric-Casimir et Ferdinand-Frédéric-Casimir. Celui-ci épousa, en secondes noces, en 1691, Elisabeth-Sophie, fille de l'électeur de Brandebourg, Frédéric Ier (1657-1713). La Courlande, dont le souverain et la  noblesse sont allemands, va-t-elle graviter politiquement, dans la mouvance prussienne ? En tous cas son duc va voir son beau-père se proclamer, et se faire reconnaître, roi de Prusse en 1700. Alors, la Courlande prussienne au XVIIIe siècle ? Les Hohenzollern étaient-ils l'avenir de la Courlande ? Mémel n'est pas loin de la Courlande.

 

 

Puissance hollandaise

 

 

Au traité d'Oliva, la Suède avait dû reconnaître que la mer Baltique était librement ouverte aux navires de toutes nations et qu'aucune ne pouvait prétendre à la domination de cette mer. Les Hollandais sont alliés de la Suède contre le Danemark en 1645. Aux côtés du Danemark contre les Suédois, en 1640. Ils sont profondément présents dans la vie économique des deux royaumes. Des Hollandais sont présents dans les ports importants où commerce la Suède. Ils s'imposent à la bourgeoisie allemande de Riga et à celle des villes hanséatiques. La Hollande solde des troupes au Brandebourg, à Brunswick, au Hesse. Présente en Russie, elle dirige la fonderie de canons de Toula1. Le rôle des Hollandais est prépondérant en Baltique au XVIIe siècle.

 

 

Evénements de la fin du siècle

 

 

Les Romanov continuent à conforter leur puissance.

 

En 1661, au traité de Kardis, le tsar rend à la Suède quelques villes livoniennes qu'il avait occupées. La trêve avec les Suédois, pour pousser mieux les Polonais à la lutte contre ces derniers s'intensifie. Et en 1667 le roi Jean-Casimir de Pologne s'incline devant les Russes à la paix d'Andrussovo. Il leur cède Smolensk, Kiev et toute l'Ukraine à l'est du Dniepr. Le tsar Alexis (1645-1676) réalise des réformes profondes et amène l’église russe à affirmer sa soumission au tsar. La Pologne avait sérieusement continué sa descente. Après avoir succédé à son frère Ladislas-Sigismond, à la mort de ce dernier en 1645, Jean-Casimir continua son parcours singulier en épousant la veuve de son père. Le nouveau roi avait été jésuite. Il était devenu cardinal. Vaincu, il abdiqua. Il s'installa à Paris en 1670, devint abbé de Saint-Germain-des-Prés, fut ami de Ninon et mourut en 1672. Quel parcours !

 

En 1667, Louis XIV déclencha la guerre de Hollande. La Suède est son alliée. Les Suédois sont vaincus à Fehabellin par le Grand Electeur Frédéric-Guillaume (28 juin 1675). Un mois après, Turenne était étendu mort sur le champ de bataille de Salzbach.

 

En 1688 : la très dure guerre menée par Louis XIV contre la Ligue d'Ausbourg. Se sont coalisés : l'Empire, l'Espagne, la Savoie, le Pape et, secoués par l'édit de Nantes, les États protestants : Suède, Brandebourg et Hollande. La Paix de Ryswick (1697) y met fin. Une guerre pour rien.

 

Et déjà Louis XIV prépare la succession d'Espagne. La guerre repartira en 1700.

 

De nouvelles et terribles secousses attendent les pays de la Baltique au XVIIIe siècle. La Livonie et Riga ont changé de mains, connu l'attaque suédoise. Quelques années de guerre. La Courlande a subi les secousses de la lutte entre Suédois et Polonais.

 

 

L'édit de Postdam

 

 

Pour la généalogie des Auschitzky, il convient de parler d'un événement capital dans l'histoire de cette famille.

 

Les auteurs de l'étude généalogique, avec raison, ont insisté sur l'immense faute politique que fut, à Fontainebleau, le 16 octobre 1685, la signature par le roi, d'un édit préparé par Le Tellier, révoquant l'édit de Nantes, édit enregistré par le Parlement le 22 du même mois. Les circonstances ne rendaient pas facile l'attitude du pape Innocent XI : on était en pleine querelle gallicane, les rapports de Rome et de Versailles étaient franchement mauvais. L'évêque de Grenoble avait blâmé les persécutions des huguenots. Il tomba en disgrâce vis-à-vis du pouvoir royal. Aussitôt le pape fit de ce prélat, Monseigneur Le Camus, un cardinal (8 septembre 1686). La nomination d'un cardinal ne relevant que de la seule volonté papale.

 

Combien d'huguenots français ont alors émigré, quitté leur maison, leur sol, leur patrie pour fuir à l'étranger et sauver leur âme ? Pour Philippe Erlanger : 300 0001. Pour Pierre Gaxotte : 500 000 en trois quarts de siècle. Pour Daniel Rops : entre 300 000 et 500 000.2 Pour Mirabeau, 200 000 à 400 0003. C'est vrai : la France fut alors le théâtre d'une persécution telle que n'en avait pas connu le Moyen Âge. « Il n'en reste pas moins que Louis XIV venait d'accomplir l'acte le plus populaire de son règne ». La plus élégante plume de l'époque écrivait, parlant des dragonnades : « Jamais aucun roi n'a fait et ne fera rien de si mémorable », c'était la marquise de Sévigné. Seul des grands écrivains, Saint-Simon a flétri cette monstruosité : « Ce complot affreux qui dépeupla un quart du royaume ». Des troupes françaises, sur ordre de Catinat, entrèrent dans le pays de Vaud, avec la permission du duc de Savoie. Ils y procédèrent à un abominable massacre, digne d'une tribu de cannibales.4

 

La sanction politique : L'Europe se leva contre Louis XIV, la Ligue d'Augsbourg, où au nombre des coalisés on trouve des Etats qui se faisaient la guerre la veille, des États catholiques et des états protestants. Peut-être faut-il voir la sanction de Dieu dans la longue succession des décès dans la descendance du « grand » roi.

 

Sur le plan économique, la fuite des huguenots entraîne une grande perte pour le royaume. Il s'avéra que les huguenots émigrés représentaient une admirable et étonnante élite. Par leur courage physique et moral, leur aptitude et leur ardeur au travail, ensuite par des qualités techniques remarquables, les huguenots français apportèrent la prospérité dans tous les Etats protestants qui les accueillirent alors. La colonie hollandaise du Cap connut, grâce à eux, l'olivier des huguenots de Provence, la vigne d'autres huguenots de l'ouest et du sud-ouest. Denis Papin, réfugié à Marbourg, y inventa le premier bateau à roues mû par une machine à vapeur. Ils créèrent et développèrent des industries de toile et de soierie. Le numéro Un de la R.D.A. et le numéro Un du Parti socialiste allemand portent deux noms français bien caractérisés. En 1914, dans la seule armée prussienne, il y aura plus de 500 officiers portant des noms français. Le général qui, par une manœuvre géniale, en août 1914, écrasa les Russes qui déferlaient en masse par la vallée de la Pregel sur Königsberg s'appelait : François... non, pardon : Hermann von FRANÇOIS, dont le père, général prussien, fut tué à la guerre de 1870.5

 

Ceux qui veulent en savoir davantage sur les méthodes policières de Louis XIV contre la R.P.R. (Religion Prétendue Réformée) peuvent lire Daniel Rops (Tome VII, Cité, p. 182-189).

 

Il ne faut pas croire que cette immense émigration se produisit en une semaine, un trimestre ou une année. Elle se fit, tout au contraire, lentement. Au début, les protestants ne croyaient pas à la persécution. Ils se cachèrent, crurent qu'elle allait passer, attendirent des jours meilleurs.

 

L'un des derniers actes de Louis XIV fut de signer peu avant sa mort, un nouvel édit pour reprendre les méthodes policières et la répression contre la R.P.R.6 

 

÷

 

A l'édit de Révocation de l'édit de Nantes  du 16 Octobre 1685, répliqua aussitôt un autre édit d'un souverain remarquable, Frédéric-Guillaume, le Grand Electeur, vingt et un jours seulement après la publication de l'édit de Fontainebleau, le 8 novembre à Potsdam. Ce fin politique suivait de près l'événement que l'on attendait depuis quelques temps. Non seulement il ouvrait ses États aux huguenots français mais par l'édit de Potsdam il leur donnait de grands avantages. Aucun souverain allemand n'accueillit autant d'émigrés que lui. Ils arrivaient par petites troupes, comme ils avaient pu s'enfuir, et au fil des années, de dizaines d'années. En 1697, douze ans après, un recensement des huguenots établis pour le seul Brandebourg (donc pour un isolé des Etats des Hohenzollern) on en dénombre 12 297. Mais ce nombre ne tient compte que de ceux qui s'établirent dans des lieux où de vraies colonies françaises furent fondées. Or de nombreux huguenots s’installèrent dans des villes et des villages où il n'y avait pas de véritable colonie organisée avec leur pasteur. Ceux qui entrèrent dans l'armée brandebourgeoise sont de même exclus de ce recensement, avec femmes et enfants, or ils formèrent trois compagnies à cheval et la plus grande partie de cinq régiments d'infanterie ! Frédéric-Guillaume se dotait d'une armée en fin du XVIIe. Un auteur Brandebourgeois contemporain, dans ses mémoires, a chiffré à 20 000 les huguenots français établis en son pays avant la fin du XVIIe siècle1. Berlin qui avait 5 ou 6 000 habitants reçut en quelques années 4 000 huguenots français ! Le deuxième grand centre fut Magdebourg (incorporé à l'État des Hohenzollern depuis 1648. Traité de Westphalie). A Magdebourg il s'installa en 1685, 18 émigrés ; en 1686, 84 ; en 1687, 118 ; en 1688, 109 ; en 1692, 119 ; en 1699, 155. A Francfort-sur-le-Main, il passa 125 798 réfugiés et 150 000 par la Suisse.

 

« Ainsi se constitue hors des frontières une France exilée, ennemie de Louis XIV, mais pour longtemps encore fidèle à sa langue, à ses souvenirs et à ses habitudes ».2 

 

La première « saignée », dès l'édit signé à Fontainebleau, fut l'objet d'un bilan de Vauban sur le plan militaire de 1689 : « Les flottes ennemies grossies de huit à neuf mille matelots ; leurs armées de cinq à six cents officiers et de dix à douze mille soldats beaucoup plus aguerris que les leurs ».3 

 

Mirabeau écrivit son importante étude sur la monarchie prussienne en 1788. Un siècle après l'édit de Fontainebleau. Les premiers émigrés en Brandebourg étaient là depuis cent ans déjà, mais les derniers arrivés n'avaient que 50 ans, 40 ans d'exil. En effet la fuite des huguenots reprit avec le renouveau des persécutions et s'accentua en 1720. Elle ne se termina réellement qu'en 1750.

 

Mirabeau a dressé un bilan moins catastrophique que celui généralement établi. Il émet ensuite deux opinions :

 

·       C'était une démence frénétique de chasser des centaines de milliers d'individus de son pays pour enrichir celui des autres « mais la nature, qui veut conserver son ouvrage ne cesse de réparer par des compensations insensibles un principe sûr en commerce : plus vos acheteurs seront riches et plus vous leur vendrez. Ainsi les causes qui enrichissent un peuple, augmentent toujours l'industrie de ceux qui ont des affaires à négocier avec lui ». L'enrichissement des pays qui ont accueilli les huguenots français a provoqué un retour au profit de la France.

 

·       Le prompt accroissement de revenus que la création des entreprises des huguenots apporta aux souverains allemands les a fasciné et cela a détourné leur attention de l'agriculture. Dès lors celle-ci ne fut pour eux qu'une activité secondaire, « subordonnée aux enchantements des manufactures et du commerce ».

 

Mirabeau raisonne comme les économistes et financiers de son temps, Turgot, Dupont de Nemours, Talleyrand. On retrouve là la théorie des physiocrates. Il n'y a qu'une seule vraie richesse : la terre. La terre est source de la vraie richesse. A ceux qui misent sur les activités du commerce et de l'industrie, Mirabeau écrit : « Ils se sont trouvés à peu près dans le cas de ceux qui, faisant soudainement un grand gain au jeu, à la loterie, quittent un travail utile pour se livrer aux bienfaits du hasard ».1

 

Voltaire a connu lui aussi, et avant Mirabeau, les effets de l'exil des huguenots français. Pour lui plus de 50 000 familles s'exilèrent en trois ans : « presque tout le nord de l'Allemagne, pays encore agreste et dénué d'industrie, reçut une nouvelle force de ces multitudes transplantées. Elles peuplèrent des villes entières. Ainsi la France perdit environ 500 000 habitants, une quantité prodigieuse d'espèces, et surtout des arts dont ses ennemis s'enrichirent ».2

 

Frédéric-Guillaume prit l'édit de Potsdam, sur le plan politique, pour répliquer immédiatement à celui de Fontainebleau. Le réflexe du joueur de tennis intervint très certainement. Mais le mobile profond du Grand Electeur ne fut pas la cupidité. Il voulut d'abord porter secours à ses frères en religion. C'était plus qu'un homme pieux. Mirabeau le qualifie de dévot et avec cela plein de tolérance en matière de religion3. Il ne se contenta pas d'accueillir et de faire accueillir, dans ses Etats, les huguenots français avec chaleur, il mit à la disposition des exilés des terres et aussi des subsides. Le Grand Electeur fut généreux envers ses coreligionnaires français. Un lien très fort, en sus, unissait les huguenots français et le souverain de Brandebourg : une inimitié profonde envers Louis XIV. Entre eux, bientôt, fut scellé un pacte que les siècles n'ont pas brisé. Les huguenots français sont devenus les plus prussiens des prussiens dès le XIXe siècle. C'est ainsi, par exemple, qu'en Angleterre les réfugiés français portèrent au paroxysme la haine des Anglais pour le roi catholique, Jacques II, qui les persécutait. Et le pape Innocent XI détestait tant Louis XIV qu'il en arrivait à préférer l'hérésie des Anglais à l'alliance de l'Angleterre à Louis XIV.4

 

La diaspora des huguenots français chassés par la révocation de l'édit de Nantes est une histoire exemplaire, un haut fait de l'histoire. Ces familles huguenotes sont habitées par leur foi. Une foi indestructible d'abord. Elles professent une religion austère qu'elles pratiquent avec une très stricte observance. Elles gardent leur langue, se sont elles qui vont la propager dans tous les pays allemands où elle était jusque là inconnue. Les élites allemandes connaissaient l'italien, pas le français. La connaissance du français pénètre surtout dans toutes les classes. Ce fut là un apport culturel très enrichissant pour les Allemands5 . Ces huguenots vivent dans des liens de solidarité très étroits. Leurs communautés sont très structurées et ardentes. Ils sont encadrés par leurs pasteurs. Ils ne perdent pas leur identité. Les petits huguenots de Berlin, de Magdebourg, de Francfort-sur-l'Oder, gardent en plein XVIIIe siècle la tradition de la province française de leurs aïeux. Ces huguenots restent français, mais ils sont avant tout et par dessus tout les enfants du Seigneur,  l'essentiel pour eux, c'est Dieu. Et ils rejoignent tout à fait Massillon, évêque d'Agen, prononçant l'éloge funèbre de ce grand roi qui fit trembler l'Europe. Après avoir observé un long silence, les yeux baissés, le prélat montra d'un doigt tendu le catafalque, et il dit : « Dieu seul est grand ».

 

C'est sur ce mot qu'il faut se recueillir, en pensant à la diaspora des huguenots français, habités véritablement par l'esprit de Dieu. Louis XIV mort, c'est ce qu'ils surent dire, répétant la parole de Massillon.

 

Et tous les descendants de Charles Auschitzky observeront une minute de prières à la mémoire de cette valeureuse et exemplaire famille Fort dont est issue Marianne Fort, la mère de leur aïeul courlandais.

 


 

[1] - "L'Empire Teutonique" de Laurent Dailliez. op. cit. p 41 à 44. Mirabeau. op. cit. p 12 à 15.

1 - "Précis d'Histoire Moderne", de Michelet. Edition 1842. p 69.

2 - Laurent Dailliez. op. cit. p 41 à 44.

3 - Laurent Dailliez. op. cit. p 43.

1 - "Histoire de l'Eglise", de Daniel Rops. Tome V "La Réforme Protestante". p 374 et 375.

[2] - Désormais, nous retiendrons « Coures », qui ont donné leur nom à la Courlande.

1 - Jean Delumeau. op. cit. p 276 à 278 (avec carte).

1 - "Précis d'Histoire Moderne", de Michelet. Edition 1842. p 59 à 61.

1 - Encyclopédie Larousse. op. cit. p 32lclc 324.

1 - ... Nous l'avons enfin su ! Voir immédiatement après : « LA REPUBLIQUE DES ARISTOCRATES ».

1 - Mirabeau. op. cit. p 16 à 19.

1 - Michelet. op. cit. p 189 et 193. Jean Delumeau. op. cit. p 40. "Histoire Moderne" d'Albert Malet. p 484, 496 à 498, 504, 688 à 693.

1 - Encyclopédie Larrousse. op. cit. p 359.

1 - "La Monarchie Française 1515-1715", de Philippe Erlanger. Tome X "Louis XIV, 1680-1715". p 64, 65, 67 et 74.

2 - "Apogée et Chute de la Royauté" de Pierre Gaxotte. Tome II. p 75 et 76.

3 - "Histoire de l'Eglise", de Daniel Rops. "Le Grand Siècle des Armes". Tome VII. p 185.

4 - Mirabeau. op. cit. p 31.

5 - Alexandre Soljénitsyne, "La Roue Rouge". p 203 à 210, 244, 245, 427 à 329, 331, 334, 350 à 352, 417 à 419, 464 à 470.

6 - Daniel Rops. op. cit. p 186 et 189.

1 - Mirabeau. op. cit. p 26 à 28. "Mémoire sur les Réfugiés", d'Hermann et Reclam. Tome II. p 36 et la suite. "Mémoire de Brandebourg". Tome I. p 147.

2 - Pierre Gaxotte. op. cit. p 75 à 77.

3 - Ph. Erlanger. op. cit. p 66.

1 - Mirabeau. op. cit. p 52 à 55.

2 - "Le Siècle de Louis XIV", de Voltaire. Ch XXXVI. In "Œuvres Historiques". Collection La Pléiade. p 1055.

3 - Mirabeau. op. cit. p 52 à 55.

4 - Ph. Erlanger. op. cit. p 82 et 83.

5 - Mirabeau. op. cit. p 39 à 45.