Appendices Auschitzky

 

 

 

 

ÉPOQUE CATHOLIQUE

 

 

La « dynamique » Viking a fait place, dans la Baltique, à celle des Allemands. L'implantation du marché créé dans l'île de Gotland par Henri de Saxe en est la preuve.

 

Les patrons du commerce allemand sont à Lübeck. Ils installent à Danzig un port et un entrepôt au débouché de la Vistule. C'est intéressant pour contrôler la Pologne. Après la moitié du XIe siècle, les Allemands s'intéressent au golfe de Riga et au débouché du fleuve qui s'y jette, la Dvina... Il y a quelque chose à faire chez ces païens : après l'estuaire de la Vistule celui de la Dvina... (On it et on écrit aussi Duna).

 

Le moment est venu pour implanter le christianisme en Livonie. Les pionniers du christianisme et de l'expansion germanique sont les missionnaires allemands du chanoine Augustin Meinhard. Ces premiers évangélisateurs ont peu de succès. Les populations profondément attachées à leurs coutumes païennes réagissent et se font menaçantes. Le pape Innocent III pour appuyer cette évangélisation, sous la pression des Allemands, aura recours aux moyens guerriers de l'époque. La croisade fut entreprise en Livonie et en Courlande de 1199 à 1204.

 

L'événement de cette percée nouvelle en Baltique fut, en 1202, la création de Riga, base de départ des futures expansions[1]. La mer Baltique avait été un lac scandinave au IXe siècle. Les Scandinaves y sont supplantés par la hanse germanique qui annexe les ports scandinaves et crée des villes portuaires nouvelles : Rostock, Danzig, et maintenant Riga.[2]

 

÷

 

Les premiers marchands allemands étaient arrivés sur l'estuaire de la Dvina en 1158. Ils y installèrent un modeste poste (On aurait dit un "comptoir" quelques siècles plus tard). Ce sont eux qui ont débarqué les premiers missionnaires. Et au début du XIIIe siècle les Allemands installent le premier évêque. Mais le développement de Riga tardait. Il est difficile d'être une ville sans le soutien d'une force militaire quand l'environnement est hostile.

 

Livonie et Courlande résistaient à l'évangélisation. La croisade n'avait eu que de très maigres résultats. Elle surexcita la haine antichrétienne. Les baptêmes furent peu nombreux, les conversions peu solides. L'évêque de Riga va créer un ordre religieux militaire pour pacifier germaniquement le pays. Ainsi naissent en 1208 les Chevaliers porte-glaive. Eux vont pénétrer dans l'intérieur du pays, et en Courlande, le glaive d'une main la croix de l'autre, pour implanter la civilisation et le Christ.

 

Et bientôt l'ambition et le zèle apostolique des chevaliers les entraînent en Lithuanie d'un côté, en Estonie de l'autre (dont les ports sont alors aux mains des danois depuis deux siècles devenus chrétiens). L'évêque allemand de Riga était trop ambitieux, et les Chevaliers trop belliqueux. Les tributs païennes se soulevèrent. Elles finirent par organiser une ligue, et dans une action concertée rencontrèrent les Chevaliers et les battirent en 1237. Alors le Pape intervint : il donna ordre aux Chevaliers rescapés de la défaite de se fondre dans le très puissant et terrifiant Ordre teutonique.3

 

 

Sous les Teutoniques au XIIe siècle

 

 

C'est une très dure période pour la chrétienté dans l'est et le nord de l'Europe. Une violente et profonde réaction païenne s'élevait devant les envahisseurs allemands porteurs du Christ dans toutes les contrées d'Europe. Ce furent vingt cinq terribles années de massacres.

 

Pendant ce temps, les Mongols ravageaient l'Europe Centrale, écrasaient Polonais et Allemands (coalisés devant ce danger) à Liegnitz. Balayaient les Hongrois. Aussi en 1230 le pape ordonna la prédication d'une grande croisade nordique et la confia aux Franciscains, mais aussi aux Prémontrés et aux Cisterciens (ces derniers avaient créé à Oliva une abbaye qui devint très importante et très célèbre, dans une île de la Vistule, aux portes de Danzig). Ce sera une terrible épreuve de force. Les Porte-Glaive y disparurent rapidement, comme nous l'avons vu.

 

Ce sont les Cisterciens qui entreprirent à la fin du XIIe siècle l'évangélisation de la Vieille-Prusse dont les habitants étaient les Borussiens (ou Borusses), frères des Lettes, peuple non germanique (ces malheureux furent peu à peu détruits et remplacés par les Allemands). Les Borussiens étaient les plus farouches des peuples païens de la région. Ils firent périr en 997 Saint Aldebert de Prague. La révolte violente armée des païens éclata en 1216 en Prusse. La chrétienté apprenait le massacre de 20 000 baptisés, la mise en esclavage de 5 000 autres, et l'immolation aux divinités sataniques de centaines de vierges couronnées de fleurs. L'horreur !1 

 

Le duc de Mazovie, effrayé, appela l'aide les Chevaliers de l'ordre teutonique pour combattre les Borusses. Pour bien les fixer à la garde de ses frontières, le duc en 1230 leur donna la ville et le château de Kulm. Ainsi entrent en action, en Prusse, ces terribles Chevaliers.2

 

Les Chevaliers teutoniques, un ordre religieux militaire créé pour défendre la Palestine.

 

Après la chute de Saint-Jean-d'Acre, ils quittèrent la Terre Sainte. Le pape Célestin III, par une bulle de 1192, avait soustrait les Chevaliers à toute autorité étrangère pour celle du Saint-Siège. Innocent III (1198-1216) ne s'occupa pas d'eux. Honorius III (1216-1227) va asseoir la puissance temporelle et spirituelle de l'ordre. Grégoire IX, qui lui succéda, consolida l'édifice, renforça les privilèges de l'ordre. Les Chevaliers doivent être issus de la noblesse et de langue allemande ou relever de toute suzeraineté impériale. Or celle-ci débordait les pays de langue allemande. Tout noble du Saint-Empire pouvait entrer dans l'ordre teutonique. Une partie de la France actuelle était terre d'Empire, comme la Lorraine, et même une partie de la Champagne.3

 

La croisade contre les Borusses fut longue et cruelle. « Les croisés allemands s'en venaient à ces expéditions de Prusse un peu comme ils seraient allés à la chasse. Il leur plaisait de venir chasser l'homme, et au prix d'une absence de quelques semaines et de risques beaucoup moindres, de conquérir les mêmes privilèges spirituels que les combattants de terre sainte. Il était facile de venir à bout des infidèles de Prusse, courageux mais mal armés. Ainsi, après quelques semaines d'expédition les croisés en Prusse rentraient chez eux, ayant assuré, à assez bon compte, leur salut dans l'autre monde, et acquis réputation et butin pour celui-ci, tout en ayant satisfait leur goût de la vie aventureuse ».4 Mais l'arrivée au combat des Teutoniques changeait tout. A chaque point conquis les Chevaliers faisaient édifier, par les vaincus immédiatement réduits en servage, d'impressionnants châteaux, voir des forteresses imprenables. A cette guerre méthodique d'extermination des Borusses les Teutoniques appelèrent tous les Allemands et les Tchèques. Et cela dura cinquante sept ans. Toutes les révoltes étaient aussitôt châtiées sans merci. Les Borusses conquis, réduits au servage, étaient placés dans un gantelet d'acier qui pouvait se refermer sur eux et les broyer au moindre mouvement.

 

 

 

Pendant deux siècles, les Chevaliers teutoniques, au nom de l’évangélisation, ne cessèrent de se battre pour conquérir et pour défendre un empire contesté par la Pologne et la Lithuanie. En grisé, les territoires dont l’Ordre ne parvint pas longtemps à garder la maîtrise.

L’importance stratégique de Dantzig (aujourd’hui la ville polonaise de Gdsank) n’avait pas échappé aux grands maîtres de l’Ordre. Elle appartint à la hanse teutonique et jouit du monopole commercial dans la mer Baltique.

 

Carte des voies commerciales de l’Ordre. Les chevaliers faisaient des échanges entre leurs commanderies mais aussi avec l’extérieur, l’Orient, l’Angleterre et la Flandre grâce à Dantzig et aux divers ports appartenant à la hanse comme Tor¬m sur la Vistule.

 

 

L'héroïsme des Chevaliers pouvait être admirable. Appelés par les rois de Hongrie ils firent reculer les Mongols en Transylvanie. Mais leur férocité ne fait pas de doute. Un peuple entier disparut sous leurs coups, les Borussiens (dont il est resté peu de survivants), remplacés par des colons allemands « on ne clôt pas cette page de l'histoire chrétienne sans angoisse », conclut Daniel Rops1 . Ceux que nous appelons les Prussiens sont ceux qui conquirent puis colonisèrent ce pays... et exterminèrent les Borusses.

 

De ce bain de sang est née la Prusse. Le pape Grégoire IX crée des diocèses : Thorn (1231), Kulm (1232), Marienwerder (1233). « La Prusse des Teutoniques double le Brandebourg des Margraves, ce seront les deux racines de la Prusse moderne ».2

 

L'action des Teutoniques en Prusse c'est, après une cruauté absolue et la mise d'une contrée à feu et à sang, de coloniser et germaniser à outrance. La conquête méthodique des Teutoniques en Prusse a laissé dans nos mémoires la construction ou la création des villes de la basse Vistule : Marienwerder, Elbing, Marienbourg et plus tard, au nord sur la côte, Königsberg.3 

 

Cette digression est un peu longue mais avant de voir les Teutoniques prendre possession de Riga en 1237, après la défaite des Chevaliers porte-glaive, il fallait savoir qui ils étaient, dans quel contexte ils évoluaient, et comment ils opéraient.

 

÷

 

Ainsi, en 1237 les Teutoniques sont à Riga. Et systématiquement ils occupent la Livonie et la Courlande. Lettes et Courlandais semblent se soumettre au joug de leurs nouveaux maîtres. Le changement ne leur apporte rien. L'évêque Albert, évêque de Riga, en créant les Porte-Glaive en 1208, avait décalqué les règles de ces derniers sur les Teutoniques. Rapidement ces derniers se trouvèrent à l'étroit entre la Courlande, la vallée de la Dvina et les pays environnants. Ils se mirent à grignoter les territoires vers le nord puis s'installèrent sur la côte de l'Estonie à Revel (aujourd'hui Tallin). Jusqu'alors, et sauf incursion des Porte-Glaive, les danois avaient fait de la côte estonienne leur dépendance. Le roi du Danemark, Waldemar, entreprit de s'opposer à l'extension des Teutoniques, et il les battit par les armes. Alors les Chevaliers remirent Revel et les territoires conquis aux Danois. Vaincus et vainqueurs se mirent d'accord sur le dos des Russes. Ils signèrent un traité et se partagèrent la région. Puis, en 1238, ils attaquèrent ensemble les Russes et leur prirent la ville de Pskow proche des limites sud-est de l'Estonie, en 1238.

 

Il ne faut pas taquiner l'ours russe. Le grand-duc de Novgorod battit d'abord, en 1240,  les Suédois sur les bords de la Néva, dans une contrée désolée. De sa victoire il reçut le surnom de Nevski. Et en 1242 il marcha sur les Teutoniques et les écrasa sur les glaces du lac Peïpous.

 

Les Teutoniques sortant de leurs nouveaux domaines connaissaient leurs premières défaites devant les Suédois, puis devant les Russes. L'extension de l'empire teutonique vers le nord n'était pas possible décidément, même si c'était dur, mieux valait continuer à pacifier par les méthodes teutoniques les sauvages de Prusse, les Borusses.

 

 

L’essor de l’Ordre teutonique 1226-1410

 

A remarquer, en hachuré, l’évêché de Pilten avec, au sud, les enclaves de Durben et Hazenpoth.

 

 

Le XIIIe siècle. Un Empire

 

 

Ce XIIIe siècle voit la fantastique implantation des Teutoniques et la construction de leur Empire.

 

Après quelques soubresauts, les peuples de Livonie et de Courlande ont basculé sous la protection du Christ et des boucliers des Teutoniques.

 

Du côté de la Prusse, les Chevaliers ont été chargés de liquider les Borusses païens, récalcitrants au Christ et insoumis à la Germanie. En soixante ans de guerre, d'extermination et de férocités, un peuple entier a disparu, un authentique génocide, l'emploi du terme étant ici indiscutable.1

 

Un instant la Lithuanie a basculé dans le camp chrétien, le duc Mindaugas s'étant fait baptiser en 1251. Mais après sa mort, survenue en 1263, le peuple retourna rapidement à ses idoles. Tant il est vrai qu'à ces époques les peuples se convertissaient ou devenaient renégats selon la volonté de leurs chefs.2

 

La Paix et le Christ, en 1300, régnaient à Riga (Livonie) comme à Mittau (Courlande), devenues catholiques et pénétrées quelque peu, mais germaniquement, par la civilisation judéo-chrétienne et des traces de celles de la Grèce et de Rome. Riga et aussi la Courlande appren­nent l’histoire et entrent dans l'Histoire.

 

Livonie et Courlande sont à l'abri au nord des Russes encore païens, et aussi des slaves chrétiens (Polonais). L'Ordre teutonique avait fondé un nouvel état germanique, barrant l'accès de la Baltique à la Pologne et menaçant tous ses voisins.3

 

 

Le XIVe Siècle

 

 

L'histoire de la Courlande, dès 1237, passe par celle de l'Ordre teutonique, et cela va continuer tout au long du XIVe siècle.

 

Les Polonais sont privés de la Basse-Vistule et coupés du libre accès à la mer. Ils en prennent leur parti et savent ne pouvoir rien entreprendre contre les Teutoniques en direction de la Livonie. Barrés à l'ouest et au nord, ils se retournent à l'est.

 

En 1368 Jagellons, fils du roi de Lithuanie, épouse Edwige reine de Pologne. Ce mariage est précédé de son baptême, car au milieu du XIVe siècle son pays n'est pas encore évangélisé. Après lui, il fait christianiser son peuple, selon le scénario répété depuis Clovis.

 

En 1386 Jagellons est élu roi de Pologne. Le nouveau roi, et ses descendants, vont donner un essor à la Pologne. Et en 1401, par le pacte de Vilno il réunit en un seul royaume la Pologne et la Lithuanie. Il en est le premier roi sous le nom de Ladislas-II-Jagellons.4 

 

L'Empire des Chevaliers teutoniques est solidement assis, semble prêt pour durer, un Etat théocratique au XIVe siècle n'est pas anachronique, tout au contraire. Cet Empire s'étendait d'un seul tenant des frontières du Mecklembourg à la Livonie, avec pour capitale Marienburg, au sud de Danzig. Pendant cinquante ans, au XIVe, il a connu la paix sur toutes ses frontières,  sauf du côté de la Lithuanie. On place l'apogée temporelle de l'Ordre au décès du grand maître Winrich-von-Kniprode (24 juin 1382). Mais à la fin du XIVe siècle les Teutoniques ont perdu le prétexte d'intervenir en Lithuanie pour en convertir les habitants. Jagellons en convertissant son peuple et en créant un royaume de Grande Pologne a réduit les Teutoniques à la paix. La tâche militaire devenue de moins en moins importante permet de mieux voir l'œuvre colonisatrice. Les Chevaliers ont donné un essor économique remarquable à toutes les régions qu'ils administrent. Les émigrants allemands peuplent les villes et les villages. 1 400 nouveaux villages sont fondés au XIVe siècle. Partout s'élèvent des commanderies teutoniques. Le Grand-Maître est un souverain absolu. Tout passe par lui et dépend de lui. Le pape lui-même ne pouvait correspondre avec les évêques de l'empire teutonique qu'en passant par le Grand-Maître. Le commandement militaire était strictement teutonique, mais le service militaire était obligatoire pour tous. Les nobles servaient à che­al... mais devaient apporter leurs chevaux.

 

Pendant tout le début du XIVe siècle les Teutoniques mènent des campagnes féroces pour soumettre les peuples de leur empire. Malheur aux Borusses qui résistent, encore plus hostiles aux Chevaliers et à leur Empire qu'au christianisme ! Malheur aux Lettes et aux Esthes insoumis, cachés dans les profondeurs des forêts. Le mythe de la croisade est entretenu par les Chevaliers, par toute la chrétienté, encore au milieu du XIVe siècle, afin de drainer Chevaliers et hommes d'arme prêts à combattre.

 

Nous en avons une preuve par un personnage, haut en couleurs, aimé dans ces pays du Piémont pyrénéen: Gaston III, troisième comte de Foix, né en 1331, qui voulut créer un Etat souverain aux pieds des Pyrénées.

 

Débarrassé de l'emprise du roi de France, Jean le Bon fait prisonnier par les anglais à Poitiers, en 1356, Gaston de Foix, pour soigner son image, voulut se croiser. Il choisit la croisade en Prusse et partit se battre avec les Chevaliers teutoniques. A son retour de Prusse, il se signala en 1358 en mâtant, à Meaux, une révolte de paysans. Ceci permet de situer, en 1357, son service sous les bannières teutoniques. C'est à son retour des rives de la Baltique, et de la chasse aux Borusses, que Gaston prit le nom qu'il a gardé pour l'histoire : Gaston Fébus, le Prince-soleil1. Parti de Bruges, avec ses compagnons (dont le captal de Buch, favori du Prince Noir), après être passé par la Norvège et la Suède (où ils chassèrent le renne) il arriva le 9 février 1358 à Königsberg. Son séjour fut une alternance de chasses qui duraient huit jours et où l'on se mesurait à des fauves redoutables, d'espèces inconnues, et d'expéditions contre des pauvres êtres mal armés. Le tout s'acheva en fêtes somptueuses au château de Marienburg, au printemps... où Fébus fut invité à s'asseoir à la table ronde qui réunissait les douze plus valeureux Chevaliers. C'était, à peu près, des « parties » organisées pour la « gentry » et qui ressemblaient, un peu à des safaris.

 

 

Le XVe Siècle

 

 

Les Teutoniques font appel aux compétences. Pour assécher les marais ils font venir des Allemands. Ils développent l'élevage, les domaines des Chevaliers, font appel à tous les progrès techniques de l'agriculture et disposent de trois cents moulins. L'Ordre a organisé des corporations pour l'édification et l'entretien des bâtiments et des armes. Les Teutoniques utilisent la Baltique pour développer la pêche. Danzig fait fortune. Tout autour des rives de la Baltique, du golfe de Riga et même du golfe de Finlande, l'Ordre a installé des comptoirs qui développent le commerce et l'exportation des produits locaux : bois, résine, grains, chevaux, draps, toiles de lin. Les Teutoniques ont un réseau de commanderies à travers l'Europe, leur ancien siège était Venise, et sur la Méditerranée orientale leur commanderie orientale commerce activement. Ainsi les échanges commerciaux des Teutoniques dépassent-ils largement les contrées allemandes qui leur sont proches. Leur réseau commercial englobe toute l'Europe, et même les pays soumis à l'étourdissant empire Mongol qui, au XIIIe siècle, manqua de peu de submerger l'Europe.

 

La monnaie que frape les Chevaliers circule sans risque dans l'empire, mais elle est reconnue dans tous les pays de grand commerce, de Riga à Bruges et de Thorn à Salonique. Le fait d'avoir une monnaie reconnue par toute l'Europe donnait une grande force aux Teutoniques, qui surpassaient en cela les Templiers qui eux n'avaient pas une monnaie à eux. L'œuvre des Teutoniques sur le plan du développement économique a donc été remarquable, d'autant plus qu'ils sont arrivés dans des pays encore restés à peu près sauvages. En 150 ans, tout est transformé. Les contrées qui ont subi leur férule, jetés brutalement et même férocement dans la civilisation, ont réellement pris une avance très certaine sur leurs voisins Russes et Polonais. Cette avance, les Pays Baltes devaient la conserver au long des siècles suivants.

 

Si les Borusses ont été exterminés et remplacés par des Allemands, il n'en est pas de même dans les Pays Baltes, la Livonie et la Courlande. Mais nous dirons que les Allemands peuplent les villes et que Courlandais et Livoniens sont les paysans et la main d'œuvre. Commencent à s'édifier les puissantes familles des barons baltes, tous allemands, maîtres d'immenses domaines, contrôlant la finance et le commerce. Tout cela est déjà profondément en mouvement en 1400.1

 

 

Fin des Teutoniques

 

 

Et pourtant, la fin des puissants Teutoniques est proche. Ils venaient d'acheter au duc d'Opplen l'ensemble du district de Dobrzin, moyennant beaucoup d'or. Un affront au roi de Pologne. Mais Jagellons n'osa pas les affronter seul, il ne pouvait appeler à son aide les princes alliés de son royaume partis pour la croisade. En 1404 une diète fut convoquée et le Grand-Maître de l'Ordre y participa. Une entente fut arrêtée : La Samogitie, province au sud de la Courlande, fut reconnue terre teutonique et les Chevaliers reçurent en sus une somme énorme. A ce traité ils étaient preneurs. En contre partie ils se contentaient de promettre : ils renonçaient à toute prétention sur la Lithuanie, ils refuseraient le passage de leur propre territoire à toute armée étrangère et ils abandonneraient à la Pologne le district de Dobrzin. Après ce marché, peu à peu la discorde revint, le ton monta. Jagellons finit par lever une armée, au côté des Polonais, Samogétiens et Lithuaniens, mais aussi Russes, Hongrois, et même Tartares. Le 10 juillet 1410 le roi entra en Prusse et marcha sur Marienburg. La ville de Girgenburg tombe aux mains des Slaves, et brûle. Le lendemain les Teutoniques sont vainqueurs sur un autre front, théâtre d'opérations secondaires, aux frontières de la Poméranie. Et le 15 juillet c'est le grand choc historique de Tannenberg. Alors que la bataille était gagnée pratiquement pour lui, le Grand-Maître Ulrich-de-Jungingen fit une faute : 860 cavaliers venus de Bohême se trouvaient dans l'armée des teutoniques. Ils assistaient à la bataille qui se déroulait sans eux, car le Grand-Maître ne les avait pas utilisés. Le dénouement étant proche les Bohémiens voulaient au moins participer à la dernière charge qui allait sceller la victoire. Ils sollicitèrent le Grand-Maître pour en recevoir l'ordre de charger. Mais celui-ci leur refusa cette grâce et persista à ne pas les engager contre les Slaves. Les chevaliers de Bohême furent pris d'une grande colère. Ils se trouvaient sur le flanc des Chevaliers teutoniques... Alors brusquement, baissant leurs lances, ils se ruèrent sur eux et en quelques instants la victoire changea de camp. Slaves et Tartares se rallient. Rapidement les Teutoniques sont submergés à leur tour puis écrasés. Le Grand-Maître est tué, 600 Chevaliers avec lui, et (dit-on) 40 000 hommes d'armes. Cet affront reçu des Slaves, hantera des siècles durant les Prussiens puis les Allemands dans leur ensemble, car pour les Germains le Slave est d'une race inférieure... et cela dura jusqu'aux jours d'août 1914 où von Hinden­burg écrasera les Russes de Samsonoff au même Tannenberg.1

 

A Tannenberg, les Lettes, Livoniens ou Courlandais, peuples non slaves, ne pouvaient compter de soldats aux côtés de Jagellons. Par contre il est certain que de nombreux soldats lettes périrent dans l'armée des Teutoniques. Le service militaire était obligatoire pour les peuples de l’empire teutonique. Les ancêtres des barons baltes ont amené leurs gens, serviteurs et surtout paysans, à la commanderie teutonique proche de leur domaine... Et tout le monde est parti se poster à Tannenberg pour arrêter les barbares de Jagellons.

 

Lors de leur campagne de 1332 contre les Lithuaniens les armées teutoniques étaient composées d'Allemands, de Livoniens, et de sujets de l'Ordre. Courlandais et Livoniens ont servi sous les bannières teutoniques.2

 

On ne peut oublier ces pages d'histoire qui rapprochèrent les Lettes des Allemands et agrandirent le fossé qui les séparait des Slaves. Les Baltes et les Slaves, deux races et deux peuples mutuellement hostiles. Opprimés, bien sûr, par les Allemands, mais ayant gagné grâce à eux, un niveau de vie supérieur à celui de leurs voisins slaves. C'est la leçon de Tannenberg.

 

Suit une période très troublée. C'est ainsi qu'un Grand-Maître, Michel d'Ottenberg se signale par la terreur qu'il répand à profusion : incendies, pillages, meurtres. Les voisins, Danemark et Pologne, s'arment et se liguent pour exterminer les Chevaliers teutoniques et en finir avec eux.

 

Puis vint un Grand-Maître très profondément pacifique, l'espoir renaît, mais son successeur et frère, Louis von Erlischshawsen, fut un horrible despote et les populations se soulevèrent, même celles de la Prusse qui ne comptait guère que des Allemands. Le roi Casimir de Pologne intervint. Il s'empare de Marienburg à deux reprises (1457 et 1460). Après efforts et misères ce fut enfin la paix de Thorn en 1466.

 

L'Ordre teutonique ne conservait que ce qui fut la Vieille-Prusse des Hohenzollern (un peu plus que la Prusse-Orientale de 1919 à 1940). En sus, il devenait le vassal du roi de Pologne. Enfin l'Ordre conservait la Livonie et la Courlande, pas la Samogitie.

 

Les Chevaliers constituent un véritable état religieux, de Danzig à l'Estonie, le long de la Baltique, mais coupé en deux par la Samogitie, à l'ouest de la Lituanie actuelle devenue polonaise. Il a perdu ses marches polonaises, sa capitale, Königsberg, n'est plus sur la Vistule mais sur la Baltique. Une profonde tradition anti-polonaise est conservée par les Chevaliers et très certainement par les barons baltes, comme nous l'avons dit plus haut, vraisemblablement par les Courlandais et les Livoniens.

 

Le siècle s'achevait. En 1498 fut élu un nouveau Grand-Maître : le duc Frédéric de Saxe. Il régnait sur la Prusse, sur Königsberg et Friedrischsburg, sa puissante citadelle, mais aussi sur les citadelles de Riga et de Mittau.

 

Le duc refusa de prêter hommage au roi de Pologne, son suzerain... très nominal, et cela au motif que ce dernier refusait lui-même de prêter le même serment au Saint Empire Germanique. Mais cette position hautaine du prince allemand ne rendait pas aux Chevaliers leur grandeur passée.

 

 

L'essor polonais

 

 

La deuxième partie du XVe siècle voit l'essor de la Pologne. La Pologne des Jagellons devient un puissant facteur de civilisation aux confins d'une latinité élargie par elle. le roi Casimir place ses fils. L'un est roi de Bohême, un autre roi de Hongrie.  Sous les Jagellons c'est le développement de l'agriculture, l'essor de Danzig, ville libre polonaise. Un mouvement intellectuel et national profond modifie, transforme le pays.1

 

 

La hanse

 

 

Mais cette influence polonaise ne déborde pas sur l'Etat teutonique, pas plus en Courlande et Livonie, qu'en Prusse.

 

C'est la hanse qui est la maîtresse de Riga, du commerce livonien et courlandais. Ces pays baltes ne vivent que par elle et que pour elle. Ils ne s'enrichissent que dans la mesure des gains et de l'activité de la hanse. Le développement de la hanse est un des traits essentiels de la période. Le mot hanse parait signifier à l'origine : troupe, compagnie. Ceci indique bien que l'institution n'a été, à son point de départ, qu'une des formes de cet esprit d'association qui a eu tant d'intensité à l'époque féodale. La hanse est une association qui, par voie de privilèges, obtient de puissants moyens d'action. Ces privilèges sont des franchises commerciales vers l'Angleterre et la Russie. De proche en proche les villes hanséatiques, solidement groupées, s'adjugent le monopole du trafic du nord. Leurs flottes dominent le commerce maritime des mers septentrionales. Par leur dépôt de Bergen elles s'annexent la Norvège.

 

Les villes hanséatiques c'est principalement Hambourg, Lübeck et Brême. C'est aussi Rostock, Stettin, Danzig, Königsberg, Riga, Revel, mais encore Amsterdam. Tout le commerce maritime de l'Allemagne, de la Pologne, des Pays Baltes est contrôlé par la hanse qui régule, en quelque sorte, les échanges maritimes entre mers du Nord et Baltique.

 

Au milieu du XVe siècle la prospérité hanséatique est à son point culminant. La hanse équivaut pratiquement à une puissance de l'Europe, elle signe des traités de paix, des traités de commerce. Elle pèse dans les conflits entre les princes grâce à ses flottes. Elle comptera 77 villes.2 A quoi peut-on comparer la puissance hanséatique dans les mers septentrionales, si ce n'est à celle de Venise en Méditerranée ?3

 

La force militaire des Teutoniques, à l'aube du XVIe siècle, a préservé Courlande et Livonie de toute influence polonaise, mais la Samogitie, province peu peuplée, par le traité de Thorn (1466), est devenue polonaise. A la fin du XVe siècle s'exerce une poussée polonaise alors que le colosse russe se constitue, son centre n'étant plus Kiev mais Moscou. Courlandais et Livoniens considèrent ces slaves comme leurs ennemis. C'est d'eux d'abord dont ils doivent se garder.

 

Leurs maîtres, ce sont les Chevaliers qui ont apporté la civilisation et ils les servent fidèlement sur leurs terres, et même dans leurs armées. Leurs maîtres, ce sont aussi ces bourgeois, ces commerçants et financiers allemands qui commandent dans les villes et déjà dans les campagnes. Les Allemands sont de gros propriétaires fonciers. Finalement ces Allemands leur ont apporté la prospérité, et Courlandais et Livoniens vivent très bien avec eux.

 

 

Le Brandebourg

 

 

Pour comprendre ce qui va se passer, il faut revenir sur le Brandebourg. Les descendants d'Albert l'Ours y ont régné jusqu'en 1320. Après cette première dynastie, se succèdent une série de princes : Louis, fils de l'empereur Louis de Bavière, Venceslas, fils de l'empereur Charles IV de Luxembourg. Enfin Sigismond roi de Hongrie, devenu empereur, confia les destinées de la Marche de Brandebourg à Frédéric, burgrave de Nuremberg et comte de Hohenzollern. En 1470, à ce dernier succéda Albert, margrave d'Anspach et Bayreuth. La continuité, dans la famille Hohenzollern, ne cessera qu'en 1919. A ces princes venus des hauteurs qui dominent la vallée du Danube, revenait de garder la frontière occidentale du Saint Empire Romain Germanique.

 

Après Albert, ce fut Cicéron (en 1486), puis le fils de ce dernier, Joachim Nestor en 1499. Ce prince sage fonda en 1506 l'université de Francfort sur l'Oder. L'Oder, le fleuve qui arrosait le Brandebourg. Le problème du début de son règne fut la confrontation avec la Réforme. Il sut en repousser toutes les tentations qu'elle offrait à un prince souverain et la repoussa.

 

C'est la Réforme qui va transformer la vie des provinces gouvernées par les Chevaliers teutoniques.

 


 

[1] - Daniel Rops. op. cit. Tome IV. p 442.

[2] - Joseph Calmette. op. cit. p 250 et 257.

3 - "Les Ordres Militaires". N° spécial d'Historia. 2ème trimestre 1980. Laurent Daillez. p 30. Daniel Rops op. cit. Tome IV p 444.

1 - Daniel Rops. op. cit. Tome IV. p 442.

2 - Laurent Dailliez. op. cit. p 28.

3 - Laurent Dailliez. op. cit. p 11.

4 - Henri de Montfort, "La Prusse aux temps des prussiens". Cité par Daniel Rops. op. cit. tome IV. p 444.

1 - Daniel Rops. op. cit. p 445 et 446.

2 - Joseph Calmette. op. cit. p 232.

3 - Joseph Calmette. op. cit. p 250.

1 - Daniel Rops. op. cit. Tome IV. p 442, 444 et 445. Laurent Dailliez. op. cit. p 31 et 32.

2 - Le Goff. op. cit. p 93.

3 - "L'Essor de l'Europe", de Louis Halphen. Collection Peuples et Civilisations. p 395.

4 - Joseph Calmette. op. cit. p 233.

1 - Pierre Tocoo-Chala, "Gaston Fébus, le Prince Soleil", dans Historia, mai 1991. p 23 et 24. Du même, "Gaston Fébus, un Grand Prince d'Occident au XIVe siècle". Pau 1963.

1 - Laurent Dailliez. op. cit. p 35 à 38.

1 - Historia, n° spécial, op. cit. "Tannenberg" de J.S. Mourot. p 3 à 6.

2 - Laurent Dailliez. op. cit. p 34.

1 - Joseph Calmette. op. cit. p 233 et 234. Laurent Dailliez. op. cit. p 4.

2 - Jean Delumeau, "Civilisation de la Renaissance". p 28.

3 - Joseph Calmette, op. cit. p 249 et 250.