Appendices Auschitzky

 

 

 

ANTIQUITÉ, HAUT MOYEN ÂGE

 

 

Au IVe siècle vivaient sur les bords de la Baltique les Lithuaniens établis dans ce pays depuis un temps immémorial et, plus au nord, les Finnois venus d'Asie qui, après avoir remonté la Volga, ont débouché sur le golfe de Riga et s'y sont installés d'abord, puis en ont été chassé et refoulé vers le lac Lagoda et le golfe de Botnie, poussant devant eux, et plus au nord, les Lapons.[1]

 

Les Lettes sont les habitants de la Livonie et de la Courlande (qui ont formé, une fois regroupées, la Lettonie lors de l'indépendance en 1920). Ces lettes sont des aryens de langage, frères de race des Lithuaniens, mais aussi des Borusses (le peuple qui habitait primitivement le pays appelé, avant 1940, la Prusse-Orientale, et que les prussiens avaient nommé la "Vieille-Prusse" après la création du royaume de Prusse).[2]

 

Dès le début du IVe siècle des colonies de Lettes  ont pénétré dans l’Empire Romain et se sont installées en Gaule. Le gouvernement impérial leur concéda des terres à défricher. Ces Lettes soldats et laboureurs subordonnés au pouvoir central (représenté au milieu d'eux par un préfet impérial) jouissaient d'une certaine autonomie, conservaient leur droit particulier et leurs usages traditionnels. Ainsi entrent-ils dans l’Histoire.[3]

 

Dans l'armée réunie par Ætius pour contraindre Attila à quitter la Gaule, au milieu du Ve siècle, le gros des troupes était fourni par les Bourguignons venus de Savoie (où ils habitaient alors), des Alains (de l'Orléanais), des Francs, des Saxons du Bessin, des Sarmates et des Lettes cantonnés en Gaule. En somme l'armée des nations contre le premier des Attila, avec une partie des Lettes[4]. Kurth, l'historien moderne de Clovis, a noté, dans son "Clovis", que les garnisons du Nord de la Gaule, à la fin du Ve siècle, comptaient beaucoup de Sarmates et de Lettes.[5]

 

Quoi qu'il en soit, ces Lettes de la Livonie et de la Courlande, si éloignés de l'Empire Romain, sont et restent des sauvages vraiment coupés de la civilisation.

 

Il faut attendre le VIIIe siècle pour que l'on s'intéresse au pays des Lettes... Ce sont les Suédois qui viennent en Courlande. Ils y fondent des établissements qui n'ont qu'un caractère précaire pendant longtemps. Mais de Courlande et du golfe de Riga ces Suédois, si remarquablement organisés, se dirigent à travers la Russie, vers le sud, en descendant les fleuves qui se jettent dans la mer Noire. On les appelle « Varègues » (déformation de "Viking"). Très belliqueux, ils n'hésiteront pas à attaquer à deux reprises Constantinople au IXe siècle.

 

Ces guerriers ont le sens des affaires comme on dirait aujourd'hui. Maîtres du commerce de la Russie-Occidentale et des Pays Baltes, ils ont installé le long du Dniepr des comptoirs doublés de postes militaires. Ils contrôlent la route de la Baltique vers la Mer Noire. Mais ils se fixent aussi sur les côtes de Finlande et sur les rives du lac Ladoga au IXe siècle.

 

 

 

 

Ils vont tenir cour à Kiev, et là, défier le basileus de Constantinople. Ils vont dominer la Norvège, l’Écosse, l'Irlande, le Danemark, la Hollande, les bouches du Rhin et de l'Escaut, les rivages de la Manche, tant en Normandie qu'en Angleterre.1 La civilisation issue des Romains, ou plus exactement ce qui en restait, a failli disparaître. Les Vikings ont remonté la Seine, mais aussi la Loire et la Garonne, détruisant les villes baignées par ces fleuves.

 

Charlemagne a pleuré sur son impuissance en apercevant du rivage normand, les voiles des Vikings.

 

Devant ces redoutables Suédois, ou Varègues, ou Vikings, ou Normands, que pouvaient faire les Lettes ? Rien, si ce n'est sauver leur existence. Pour survivre ils s'enfoncèrent dans l'intérieur de la Livonie et de la Courlande.

 

Et au Xe siècle apparaît le nom de « Russe ». Les contemporains appelèrent alors ainsi ceux qui étaient pour eux au siècle précédent les « Varègues ». Les Russes se sont alors les Varègues. Les Suédois, fixés à Kiev qui commercent avec Constantinople, échangent des ambassadeurs avec le Basileus.

 

÷

 

Contraints par les Suédois à rester à l'écart, les Lettes attendaient le christianisme pour venir à la civilisation, et ce fut, pour eux, un long cheminement.

 

La Germanie-Occidentale avait été pacifiée par des méthodes plus ou moins pacifiques. Ce n'est pas une très belle page de l’église romaine.

 

Tout le monde sait, par exemple, que Charlemagne a pratiqué, avant le IXe siècle qui s'ouvrait, une christianisation des saxons faisant plus appel à l'épée qu'à la prière. La prédication échoue presque partout, le césaro-papisme de Charlemagne n'a ni patience, ni miséricorde. Il lui faut des résultats (traduire des baptêmes) et c'est tout.

 

Ces peuples sauvages vont côtoyer ce qui est alors la civilisation, et ils voient la puissance des chefs issus de Rome. Ainsi chez tous les peuples barbares, peu à peu ou rapidement, il va arriver un moment où entrer dans l’Église, se convertir, est le moyen d'accéder à la civilisation et par conséquent de s'assurer une promotion. Cela a été très sensible pour les chefs des barbares et les classes dirigeantes.

 

Le premier à l'avoir compris a été le remarquable politique que fut, dès le VIe siècle, Clovis. En 911 le Normand Rollon fit de même, puis le Polonais Mesco (966), le Hongrois Vaïk (985) converti par Saint Etienne, le Danois Harold (986), le Norvégien Olaf (997).

 

Toute une nouvelle chrétienté ! Mais chrétienté convertie par les chefs et par la contrainte qu'ils exerçaient sur leurs peuples. « Dans ce monde de violence, la première violence fut la conversion ».2

 

Vers l'est, la poussée pour la conversion sera naturellement allemande. Elle va utiliser « la méthode de Charles Martel et de Charlemagne : une évangélisation allant de pair avec une conquête. Une colonisation germanique intense par voie militaire et agricole tend à modifier au profit de l’allemand, l'ethnographie des régions convoitées ».3

 

Cette double poussée (militaire et agricole) va s'exercer sur des peuples restés très primitifs, à peu près sauvages, réfugiés à l'intérieur de la Livonie et de la Courlande.

 

 

la Pologne

 

 

C'est un prince polonais qui va se dresser à la fin du Xe siècle. A l'ouest il tient l'expansion germanique en échec. A l'est il bat les Russes qui voudraient bien descendre sur la Vistule1. C'est Boleslas-le-Grand, qui va exercer sa puissance de 992 à 1025. Il se fait roi de Pologne, le premier roi de Pologne. Poznan est sa capitale. Il se fait baptiser et fonde l’Église de Pologne. Installe le premier évêque polonais à Gniezno. Dans cette ville siège bientôt le premier archevêque de Pologne, avec pour évêchés suffragants Kolberg (Poméranie), Breslau (Silésie) et Cracovie. Ces Polonais vont-ils devenir catholiques et convertir leurs voisins Lettes et Livoniens ? L'entrée de Boleslas dans l’Église avait suivi de peu la première implantation chrétienne en Pologne. Ce sont en effet des moines de Cluny qui, au milieu du Xe siècle seulement, commencèrent l'évangélisation des Polonais.2

 

Mais la conversion des Polonais se faisait difficilement. Le roi, les classes dirigeantes étaient devenus chrétiens, mais le peuple se convertissait mal ou pas du tout. Des vagues de réactions païennes très profondes secouèrent les masses populaires en 1033. La violence explosa bientôt, suivie de massacres et de chasse aux chrétiens.3

 

La Pologne au XIe siècle est un bastion avancé du christianisme. Au-delà vivent des peuples païens restés sauvages ou peut s'en faut : Wendes, Obotrites, Poméraniens, Borusses, Livoniens, Lettes, Lithuaniens, Finlandais. A l'intérieur de ce bastion avancé ce n'est pas l'harmonie. Les zones de résistance à l’Église sont nombreuses, vivaces, dans de nombreuses régions de Pologne.

 

 

Les Allemands

 

 

Il faut attendre 1125 pour que l'extension du christianisme à toute la Pologne soit entreprise. Ce sera l'œuvre des Allemands. La Pologne avait su s'imposer face à la poussée germanique, la contenir, gagner sa place au soleil sans les Germains, s'interposer entre eux et les barbares du nord de l'Europe. Un Allemand, l'évêque Otton, de Bamberg, va montrer un zèle apostolique tourné vers le grand spectacle. Le développement, la croissance du christianisme va devenir bientôt synonyme en Pologne d'abus germanique. Ce sont les Allemands qui sont littéralement le fer de lance de l'expansion chrétienne, car pour eux l'évangélisation va de pair avec l'extension territoriale4. C'est ainsi qu'Henri, duc de Saxe, bat les Polonais à Varchen en 1167. Les prémontrés s'implantent et créent l'évêché de Danzig. Le duc crée un important marché dans l'île de Gotland. C'est une politique à la fois religieuse, militaire, colonisatrice, économique, parfaitement organisée et structurée. L'influence allemande rayonnant autour et au départ de Lübeck devenu évêché (par transfert du siège épiscopal d'Oldenburg).1

 

Dans ce rapide raccourci de l'évolution des marches chrétiennes du Nord intervient Albert l'Ours. En 1133 il a reçu de l'empereur Lothaire II ce que l'on appelait la « Marche Septentrionale » de l’Empire Germanique ces pays au delà de l'Elbe, aux confins de cette Pologne mal définie et encore peu civilisée. A la suite de longues et incessantes luttes il pacifie tout le pays de Brandebourg (1157). Il en devient le premier margrave. Il bâtit des villes. Il fonde une maigre bourgade dans le diocèse de Havel, c'est Berlin.2

 

 

 

Le Hofmeister (ci-dessus à gauche), littéralement préfet du palais, était le premier conseiller du grand maître et son représentant auprès de l’empereur d’Allemagne. A ses côtés, un Chevalier porte-glaive.

 

 

Albert l'Ours entreprend, dans ce pays de Brandebourg resté païen et sauvage, une œuvre colonisatrice. Le pays est peu peuplé et les autochtones peu qualifiés pour employer un terme de nos jours. Il fait venir des colons hollandais, allemands, flamands. Ses successeurs continueront cette politique pour peupler ce qui va devenir la Prusse. C'est lui qui installe dans ce pays le premier évêché à Havelberg en 1150. La marche de Brandebourg devenue chrétienne, a devant elle un superbe avenir dès avant la fin du XIIe siècle. La dynastie d'Albert l'Ours y régnera jusqu'en 1320.1&2

 

÷

 

C'est ainsi qu'il a existé une longue période entre le monde slave (païen) et le monde germanique (catholique). Les motifs religieux sont vite devenus secondaires en toile de fond. Les Allemands n'hésitent pas à attaquer les Polonais même après leur conversion. C'est la première page de l'expansion germanique, expansion qui se fait vers le Nord.

 

Il est nécessaire de bien comprendre que jusqu'à la fin du XIe siècle la totalité de ce qui n'est pas encore le duché de Prusse (la Prusse-Orientale des années 1919-1940, la Vieille-Prusse des Hohenzollern) est païenne, sauvage ou à peu près, bien qu'en contact avec les noyaux chrétiens de la marche du Nord de l’Église. Et au delà de la Prusse, la Lithuanie, la Livonie, la Courlande restent totalement en dehors du monde chrétien : entièrement païennes.

 

Le Brandebourg n'est christianisé qu'au milieu du XIe siècle. Ce décalage entre la naissance de ces pays au christianisme et à la civilisation, et l'histoire de la Gaule est mal perçu par nous.

 

Nous avons déjà une longue histoire à la fin du XIe siècle alors que celle de la Courlande n'a pratiquement pas commencé.

 


 

[1] - "Les Barbares" de Louis Halphen. Collection "Peuples et civilisations". p 10.

[2] - "Nouvelle Géographie Universelle". Elisée Reclus. Ed. 1880. tome V. p 371.

[3] - Louis Halphen. op. cit. p 25.

[4] - Dans la collection Glotz. Tome 1 "Les destinées de l'Empire en occident", par Ferdinand Lot et autres. p 68.

[5] - Kurth. "Clovis" (tome 1 p 257 à 259), rapporté par Lot. op. cit. p 186. note 16.

1 - Lot. op. cit. p 186. Louis Halphen op. cit. p 301, 316 et 319.

2 - "La civilisation de l'Occident Médiéval" de Jacques Le Goff. Collection "Les Grandes Civilisations". p 193.

3 - "L’Élaboration du Monde Moderne" de Joseph Calmette. Collection Clio. p 230.

1 - "L’Église des Temps Barbares". Tome III de l'Histoire de l’Église. Daniel Rops. p 361, 468 et 469. Joseph Calmetteop. cit. p 230 et 231.

2 - "La Cathédrale et la Croisade" de Daniel Rops. Tome IV de l'Histoire de l’Église. p 440, 441 et 442.

3 - "La Cathédrale et la Croisade". op. cit. p 440, 441 et 442.

4 - Joseph Calmette. op. cit. p 231.

1-  Mirabeau. "De la Monarchie sous Frédéric-le-Grand". Tome. p 15.

2 - Le Goff. (op. cit.). p 92.