L'été Alaux
Le 28 janvier 1875, Eugénie Bonifas, née Auschitzky, marie sa fille, Jeanne, qui vient d'avoir 20 ans. Le mari est architecte, artiste. Il fait partie de la bande des Alaux. Ces Alaux qu'on connaît depuis quelques années déjà. Il est artiste comme tous les Alaux, architecte comme son père Gustave. Il a 25 ans. Les témoins de Jeanne, à son mariage, sont : son oncle Alexandre Droz (67 ans, confiseur 48 rue Saint Rémi, dit l'acte) et Emile Gross, le mari de Jeanne-Marguerite Droz, sa cousine germaine. La présence des Bonifas, leur importance dans la vie d'Eugénie et de ses enfants est bien marquée par ce double choix. Nous avons aussi observé que le mariage civil fut célébré par Adrien Sourget, adjoint au maire, chargé des Beaux-Arts, lié avec les familles Alaux et Gué, proche parent des Auschitzky.
C'est le règne des Alaux à Arcachon pendant l'époque 1865-1905... Pendant 40 ans !
Michel a deux frères. Daniel est la coqueluche d'Arcachon. Il collectionne
les trophées gagnés dans les régates disputées sur des voiliers construits
par lui, il anime le Cercle de
A tous nos proches qui hantent Arcachon, la basilique Notre-Dame perpétue le souvenir des Alaux !
Le mariage de Jeanne, c'est le vide à Bordeaux, dans la
maison de la rue Victoire Américaine. Le jeune couple va vivre chez les Alaux, aux allées Damour, une adresse de
rêve pour un jeune ménage (on écrit
généralement : allées d'amour, mais l'orthographe exacte est Damour. Aujourd'hui : Place des Martyrs de
Pendant 25 ans, Eugénie a vécu à l'heure Alaux, entourée par
eux à Bordeaux mais aussi à Arcachon. Gustave Alaux (le père
de Michel) ne mourut qu'en 1882 et les enfants
Alaux qui eussent été trop à l'étroit dans le chalet d'Eugénie Bonifas pouvaient
s'ébattre dans la belle villa, de
Il n'est pas possible d'imaginer la vie mouvementée d'Eugénie au milieu de ces enfants pleins de charmes, affectueux comme pas un.
Serviables... mais vraiment débordants de vie. De torrents de vie.
Elle a entendu souvent les cris des passants lorsqu'ils se promenaient sur les corniches de la façade et les dalles de la toiture. Elle frémissait en voyant son propre gendre faire le saut périlleux au dessus d'une chaise de la salle à manger. Elle redoutait les audaces toujours renouvelées du clown acrobate de la maison, le gentil François. Elle subissait les espiègleries et les cocasseries de l'imaginatif Jean-Paul. Elle admirait la force, la souplesse et l'adresse de tous dans le grenier de la maison transformé en vaste salle de gymnastique. Ils excellaient aux agrès, exécutaient des numéros de trapèze. Ils étaient jongleurs aussi. De vrais bateleurs.
Ils réussissaient en tout. La musique était en eux. Charles fut un virtuose au violon... mais l'ensemble jouant de tous les instruments, c'étaient des concerts improvisés, à toute heure. Quant au dessin et à la peinture, les enfants de Jeanne étaient dignes de la prestigieuse lignée d'artistes dont ils étaient issus.
Que de dons avaient ces Alaux ! Les Alaux c'était le charme, la joie de vivre, l'art à l'état pur, évidemment. C'était aussi la fantaisie. Des personnages hors du commun.
Jeanne - Madame Alaux - couvait tout son monde avec amour. Heureuse de voir le bonheur autour d'elle. Dotée d'un très heureux caractère et d'un tempérament d'une douceur angélique, elle gardait toujours le plus grand calme. Les passants effrayés en voyant ces jeunes Alaux accrochés à la façade, sonnaient à la porte tous les jours pour annoncer qu'un ou plusieurs enfants allaient se tuer. Jeanne, souriante, les rassurait et concluait : "Ils se tuent ainsi tous les jours" (ce trait parvenu grâce à une tradition familiale rapportée par Odette Fieux).
Et Eugénie ? Très apparemment cette femme de caractère s'était, elle aussi, mise à l'heure Alaux, ce qui était fort méritoire à son âge. Elle veillait sur sa mère, car l'arrière grand-mère exceptionnelle que fut Eugénie Sourget vivait, elle aussi, à l'heure Alaux. Incontestablement, les dames Auschitzky, la mère, la fille et la petite-fille, avaient été dotées par le ciel d'une faculté d'adaptation merveilleuse.
© François PAUCIS.